Archive dans décembre 2023

« Partout se dessine une réduction considérable des marges de manœuvre dont disposent syndicalistes et directions dans les négociations sociales »

Depuis les ordonnances travail de 2017, les accords d’entreprise l’emportent dans une majorité de domaines sur les accords de branche. S’agit-il pour autant de renforcer un dialogue social au plus proche des salariés et de développer, comme le souhaitaient les lois Auroux (1982), la citoyenneté au travail ? C’est en réalité tout le contraire qui se produit. La mise en place des comités sociaux et économiques a abouti à diminuer considérablement le nombre de représentants du personnel et à les éloigner davantage des salariés pour en faire des « professionnels » du dialogue social, seule une toute petite minorité d’entreprises (1,6 % en 2021) ayant fait le choix de conserver des « représentants de proximité ».

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Plus qu’un levier du progrès social, la priorité donnée à la négociation collective d’entreprise est d’abord pensée comme le moyen de subordonner encore davantage les règles du rapport salarial aux impératifs de compétitivité des entreprises, qu’elle serve à développer l’intéressement et les augmentations individuelles plutôt que les augmentations générales, à baisser le taux de majoration des heures supplémentaires ou à flexibiliser l’organisation des temps de travail.

Bien sûr, l’usage des dispositifs de négociation et leurs résultats restent variables. Dans les grandes entreprises, quand les salariés sont qualifiés et que les syndicats conservent un réel ancrage militant, leurs représentants restent en mesure de peser sur les décisions patronales. Cependant, sous la pression actionnariale, la nature des compromis se transforme. Les syndicats sont bien en peine, notamment, d’empêcher la généralisation des politiques de rémunérations liées à la performance, individuelle ou collective.

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Dans les grandes entreprises des secteurs du nettoyage, de l’aide à domicile ou de la logistique, les négociations sont encore plus déséquilibrées, tant il est difficile pour les syndicats de mobiliser des collectifs de travail morcelés, précarisés et constitués d’une main-d’œuvre interchangeable. Dans le secteur sanitaire et social, notamment, soumis à des politiques de réduction des coûts, les négociations salariales en entreprise restent purement formelles.

Inégalités amplifiées

En réalité, une même tendance se dessine partout : celle d’une réduction considérable des marges de manœuvre dont disposent les syndicalistes et les directions dans des négociations qui se déploient sous la pression des marchés financiers pour les uns, des donneurs d’ordre pour les autres, ou des contraintes budgétaires que l’Etat impose aux secteurs qu’il subventionne.

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« Le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale a vécu »

Les syndicats de salariés français sont exclus des décisions économiques, à l’échelon des entreprises comme des politiques gouvernementales, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou dans les pays nordiques, dont le modèle économique et social de codécision donne aux syndicats une place essentielle dans les conseils d’administration des entreprises : les négociations collectives régulent le fonctionnement du marché du travail et l’organisation du travail.

Denis Kessler [1952-2023], ancien vice-président du Medef, parlait de « Yalta implicite » pour décrire le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale : les patrons se réservaient les décisions concernant le modèle productif, la stratégie des entreprises et l’organisation du travail ; le personnel politique, les politiques publiques ; les syndicats, la gestion de la protection sociale. Comme le disait M. Kessler dans un entretien à la Revue de l’Institut de recherches économiques et sociales, « en France, le pacte social (…) a, en définitive, consacré la non-inclusion des syndicats (…) dans les domaines économiques et une formidable intégration de ceux-ci dans le domaine social » (« Pour une économie du paritarisme », Revue de l’IRES no 24, 1997).

En 1945, les conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale comptaient une forte majorité de représentants des salariés, au nom du principe de « gestion par les intéressés ». On parle alors de « démocratie sociale », préférée à la gestion étatique, qui risquait d’imposer une logique budgétaire. Il s’agissait de permettre l’extension des droits sociaux, le financement devant être ajusté aux besoins par l’augmentation des cotisations.

Ce rôle gestionnaire des syndicats leur a donné une légitimité pour défendre la Sécurité sociale face aux tentatives gouvernementales de réforme, présentées comme autant de remises en cause des « acquis sociaux ». Dès les années 1950, malgré la faiblesse du taux de syndicalisation, les syndicats démontrent leur capacité de mobilisation sur la question. Elle est restée très forte, comme le montrent les mobilisations de décembre 1995 contre le plan Juppé, et celles de 2003, 2010, 2019 et 2023 contre les projets de réforme des retraites.

Etatisation de la gouvernance

Au fil du temps cependant, les syndicats de salariés perdent leur domination sur la gestion de la Sécurité sociale, au profit du paritarisme (représentation égale des salariés et des employeurs), voire du tripartisme (intervention de l’Etat). Avec le plan Juppé de 1995, l’étatisation de la gouvernance du système s’accélère, au nom du fait que la Sécurité sociale est moins directement liée au travail (universalisation des droits à la santé, retraite de base), que les impôts (notamment la CSG) représentent une part croissante de son financement, et que les partenaires sociaux ne prendraient pas les décisions difficiles… Le plan Juppé prévoit donc une réforme de la Constitution qui, adoptée en 1996, instaure le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale par le Parlement.

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Industrie : le grand défi de l’emploi des jeunes

Roland Lescure, le ministre délégué en charge de l’industrie, avec des collégiens venus découvrir les métiers de l’industrie, à l’invitation du ministère de l’économie et des finances, à Paris le 30 novembre 2023.

L’usine occupe un hangar en duplex dans une rue discrète d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, à quelques minutes de Paris. Au centre de l’atelier de 1 500 mètres carrés, des kiosques « mobiles et solaires » sont en présentation. Bienvenue chez PicNic, jeune start-up française, lancée en 2018 par trois amis trentenaires qui rêvaient de « créer du lien social tout en faisant du bien à la planète », explique Raphäel Brochard, un des cofondateurs, casquette de titi sur la tête et sosie goguenard du comédien Félix Moati.

Autour de lui, une vingtaine d’étudiants, garçons et filles, de l’école privée parisienne School of impact, qui forme en alternance après le bac aux métiers du management en développement durable, l’écoutent sagement dérouler son argumentaire. En ossature bois et métal recyclés, dessinés et fabriqués en France, alimentés par des panneaux solaires, les kiosques, de trois tailles différentes, sont proposés à la vente ou à la location à des collectivités locales, à des commerces ou à des entreprises pour organiser des événements éphémères ou offrir des lieux de vente ou d’accueil.

« Ici, on fait de l’industrie, on maîtrise toute la chaîne de valeurs, de la conception à la livraison, le tout en circuit court et en matière recyclable », explique Raphaël Brochard, qui annonce fièrement le doublement du nombre de salariés, de 15 à 30, en 2024, et une future levée de fonds pour « viser notre prochaine étape, le marché européen ».

« L’industrie, ça décarbone, ça embauche et ça paie bien »

PicNic, comme beaucoup d’autres start-up créées en France, incarne une partie de l’industrie moderne, loin de l’image de l’usine à la Zola, avec la cheminée qui fume, le bruit et les cadences infernales. Exactement l’image du nouveau monde industriel que le gouvernement veut montrer à la jeunesse française, à l’occasion de « la semaine de l’industrie », un événement organisé du lundi 27 novembre au dimanche 3 décembre par le ministère de l’économie, avec Bpifrance comme principal opérateur.

« Dans les dix ans qui viennent, la réindustrialisation de la France et la décarbonation de notre industrie vont demander la création de 100 000 emplois par an, soit 1 million de personnes en tout. Il faut absolument que la jeunesse se tourne vers ces métiers », explique Roland Lescure, le ministre délégué en charge de l’industrie, qui a passé la journée du 30 novembre à déambuler parmi la cinquantaine de stands d’entreprises (dont les grands groupes EDF, Siemens, Dassault Systèmes ou RATP) installés au ministère pour faire découvrir leurs activités à 1 500 collégiens et lycéens d’Ile-de-France.

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