Archive dans octobre 2023

Les MBA se féminisent, non sans difficultés : « Le plus gros problème des femmes, c’est qu’elles doutent d’elles-mêmes »

Bientôt la parité au sein des MBA ? Alors que, pendant longtemps, les femmes ne représentaient que 20 % des effectifs de ces formations à destination des cadres, aujourd’hui, de plus en plus d’écoles de management revendiquent un équilibre hommes-femmes parfait, ou presque. Professeure à l’Essec et spécialiste de la place des femmes dans les entreprises, Viviane de Beaufort avance plusieurs explications quant à ce revirement récent. A commencer par l’entrée en vigueur de la loi Rixain sur l’égalité économique et professionnelle, votée fin 2021 : à partir du 1er mars 2026, les entreprises de plus de 1 000 salariés devront compter au moins 30 % de femmes dans les instances dirigeantes – et même 40 % d’ici 2029. « Elles ont pris conscience que le vivier de femmes dont elles disposent est très ténu. Pendant les deux premières années, elles ont nommé toutes les collaboratrices qu’elles pouvaient, mais, là, il va falloir préparer le vivier de demain », explique Viviane de Beaufort. En conséquence, les directions investissent dans du mentorat, du coaching, de l’accompagnement mais aussi de la formation – comme les MBA.

Et les entreprises ne sont pas les seules à changer. La mentalité des jeunes générations évolue, faisant voler en éclats certains freins. « Entre la génération Y [née dans les années 1980] et la Z, née au milieu des années 1990, les femmes se sont largement décomplexées et les plus jeunes osent plus facilement s’affirmer face à leur manageur, estime encore la juriste. Elles vont revendiquer leurs droits et ont un rapport plus contractualisé avec leur conjoint, quand elles sont en couple. » Négociations autour du rôle de chacun dans la parentalité, équité sur l’implication professionnelle : elles aspirent à davantage d’égalité dans le couple et le font savoir.

La famille, longtemps point de blocage, est intégrée dans le processus de décision. Libanaise, Mireille Francis est arrivée en France à 32 ans, seule avec ses deux enfants, avec l’idée de suivre un MBA à l’Essec pour donner un nouvel élan à sa carrière, après plusieurs années à la mission de défense près l’ambassade de France en Arabie saoudite « Ma priorité, c’était justement mes enfants, se souvient-elle. Si j’étais restée à rien faire, ils auraient eu une maman pleine de remords. » Le plus dur à gérer a été la logistique. Mireille Francis s’en est sortie grâce à « une nounou fiable ». Diplômée en 2022, elle est aujourd’hui manageur dans un cabinet de conseil en région parisienne.

Syndrome de l’imposteur

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Les cancers du larynx et de l’ovaire provoqués par l’amiante reconnus maladies professionnelles

Bihucourt (Pas-de-Calais), le 7 novembre 2022. Des ouvriers portent des tenues protectrices en vue du désamiantage d’un bâtiment partiellement détruit par une tornade quelques jours plus tôt.

Les cancers du larynx et de l’ovaire, provoqués à la suite d’« inhalation de poussières d’amiante », sont reconnus maladies professionnelles, ce qui permettra aux personnes concernées d’être mieux indemnisées, selon un décret publié dimanche 15 octobre au Journal officiel.

Le décret daté du 14 octobre 2023 « crée pour le régime général de la Sécurité sociale un tableau des maladies professionnelles, relatif aux cancers du larynx et de l’ovaire provoqués par l’inhalation de poussières d’amiante ».

Cette reconnaissance permettra aux travailleurs concernés par cette exposition et atteints de cancers du larynx ou de l’ovaire « de bénéficier de meilleures possibilités d’indemnisation et d’accompagnement ».

« Les travailleurs éligibles peuvent se rapprocher de leur caisse primaire d’assurance-maladie pour déposer une demande d’indemnisation et obtenir une reconnaissance de leur pathologie en maladie d’origine professionnelle », ajoute le décret.

Cette prise en compte résulte des travaux menés par la commission spécialisée des pathologies professionnelles du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), sur la base de l’expertise scientifique réalisée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) il y a un an.

Un lien avec les cancers du larynx ou de l’ovaire déjà reconnu

Dans cette enquête, l’Anses relevait que les cancers du larynx et de l’ovaire sont « sous-déclarés et sous-reconnus », quand ils sont liés à une exposition professionnelle à l’amiante.

L’amiante, utilisé pendant plusieurs décennies au cours du XXe siècle dans la construction de bâtiments, est désormais interdit dans de nombreux pays comme la France, en raison de ses effets dangereux pour la santé.

Son lien avec les cancers du larynx ou de l’ovaire était déjà reconnu depuis plusieurs années par différents organismes, dont l’Institut de veille sanitaire – ancêtre de l’actuel Santé publique France – et, à l’étranger, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), lié aux Nations unies (ONU).

L’amiante reste la deuxième cause de maladies professionnelles et la première cause de cancers d’origine professionnelle. Selon les autorités sanitaires, l’inhalation de l’amiante, interdite en 1997, pourrait causer par des cancers des voies respiratoires entre 68 000 et 100 000 décès en France de 2009 à 2050.

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Même si toutes les formes d’amiante sont interdites dans l’Union européenne depuis 2005, les fibres d’amiante sont toujours présentes dans des millions de bâtiments et d’infrastructures, et responsables de la mort de 70 000 personnes par an en Europe. Au total, 78 % des cancers professionnels reconnus dans les Etats membres de l’Union européenne sont liés à l’exposition à l’amiante.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Amiante : la tenue d’un procès pénal toujours en suspens

Le Monde avec AFP

« Les Français télétravaillent moins que les autres mais sont satisfaits de leur situation »

La révolution du travail à distance est un cas d’école de diffusion d’une innovation structurelle dans l’économie. Sa généralisation est une évolution majeure qui bouleverse toutes les dimensions du travail : productivité, insertion, représentation syndicale, management, etc.

Les possibilités technologiques – déploiement du haut débit et applications de visioconférence – existaient depuis plusieurs années, mais elles n’étaient que très peu utilisées du fait d’une organisation du travail reposant sur des habitudes passées. Elles se sont naturellement diffusées lorsque le besoin a soudainement émergé. Les confinements imposés par la pandémie ont non seulement conduit le monde du travail à s’approprier ces outils, mais surtout ils ont changé durablement les comportements.

Une enquête internationale, menée fin 2021 par Nicholas Bloom et son équipe auprès de salariés ayant une formation initiale minimale dans vingt-sept pays, révèle que le travail à distance représentait 1,5 jour de travail par semaine (« Working from Home Around the World », août 2022). Même en tenant compte des différences de structure par âge et par niveau d’éducation, les écarts entre les pays sont significatifs. Supérieur à 2 jours dans des pays tels que le Royaume-Uni, l’Australie ou le Canada, le temps dévolu au travail à distance ne représentait que 1,3 jour en France, en Autriche ou en Espagne.

Les Français télétravaillent moins que les autres mais sont satisfaits de leur situation. Quand, dans la même enquête, on les interroge sur leurs souhaits pour le futur, ils maintiennent une moyenne de 1,3 jour par semaine et se distinguent des autres pays par leur peu d’appétence quant à l’éventualité d’un passage à 2 ou 3 jours par semaine.

Gain de temps

Une partie de l’explication se trouve dans l’analyse, par la même équipe d’économistes, de l’utilisation du gain de temps engendré par le travail à distance (« Time Savings when Working from Home », janvier 2023). Pour la France, les chercheurs estiment qu’une journée télétravaillée fait gagner plus d’une heure de temps, essentiellement par l’élimination du trajet entre le domicile et le travail. Mais ils estiment aussi que 44 % de ce temps gagné est utilisé… pour travailler dans le cadre de son emploi principal ou d’un autre emploi, et n’est consacré aux loisirs qu’à hauteur de 26 %.

Là encore, les Français diffèrent des autres, qui consacrent une part plus faible de leur gain de temps au travail : 31 % en Allemagne et en Espagne, 35 % en Autriche et en Suède et 38 % au Royaume-Uni. On retrouve ainsi un phénomène bien décrit par Maëlezig Bigi et Dominique Méda dans l’un des chapitres de Que sait-on du travail ? (Presses de Sciences Po, 608 pages, 22 euros) : comparé aux autres, les Français accordent davantage d’importance à leur travail, mais souffrent de conditions de travail relativement moins bonnes.

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Marylise Léon : « Les travailleuses et travailleurs sont en quête de sens »

Le monde du travail change et les responsables politiques ont longtemps regardé ailleurs.
Désindustrialisation, développement des activités de service, robotisation, évolutions des outils de communication, émergence des travailleurs des plates-formes, développement du télétravail… Tous ces bouleversements observés depuis le début des années 2000 ont trop souvent été ignorés au profit d’une seule préoccupation : l’emploi. Résultat : les organisations et les conditions de travail ; la reconnaissance des parcours professionnels ; la valorisation des compétences ; les besoins en formation pour répondre aux évolutions des métiers… Toutes ces questions ont été reléguées au second plan.

De quoi frustrer des travailleurs qui ont eu le sentiment que le débat public ne s’intéressait pas à ce qui constitue leur quotidien. Bien sûr, les organisations syndicales ont fait le boulot. Dans les entreprises et les administrations, les représentants du personnel échangent avec leurs collègues sur leurs réalités de travail, agissent pour les améliorer malgré les difficultés liées à des ordonnances travail qui ont distendu le lien de proximité.

Mais, jusqu’ici, le sujet travail, très présent syndicalement, ne passait pas le mur médiatique. Il a fallu une pandémie, une mobilisation sans précédent des travailleurs contre la réforme des retraites et les perspectives de transformation des modes de production et de consommation provoquées par les crises environnementales pour que les pouvoirs publics s’y intéressent. Le travail est devenu une valeur, voire un mot-valise, qui permet à certains de s’opposer aux tenants d’un prétendu éloge de la paresse.

Les œillères du patronat

Les travailleurs et les travailleuses sont à des années-lumière de ces considérations. Ils n’ont pas envie d’entendre ces débats stériles dans lesquels ils ne se reconnaissent pas. Ils ont besoin qu’on les écoute parler de leur métier. Ils sont en quête de sens.

Au lendemain de la crise liée au Covid-19, nous n’avons pas assisté à une grande démission, mais à une grande déception des salariés qui souhaitent participer aux décisions qui les concernent. Ils sont prêts à bouger, à condition d’être impliqués et associés à la stratégie, conscients que les exigences environnementales vont les affecter. Pas simple pourtant de trouver du sens au travail dans des secteurs comme la pétrochimie, qui peuvent être publiquement montrés du doigt. Ils sont pourtant motivés pour anticiper la mutation de leurs métiers, se former pour répondre aux besoins de reconversion. Mais ils sont aussi découragés, car ils se heurtent trop souvent aux œillères du patronat, qui, dans certaines branches, refuse de mettre ces thématiques sur la table des négociations.

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Crise au « Dauphiné libéré », en difficulté financière

Nicolas Thery (à gauche), président de Crédit Mutuel Alliance Fédérale, Philippe Carli (au centre), président du groupe de presse régionale Ebra, et Daniel Baal, directeur général de Crédit Mutuel Alliance Fédérale, visitent la nouvelle rotative couteur du quotidien régional « L'Est Républicain », à Nancy (Meurthe-et-Moselle), le 16 mai 2022.

L’ambiance a rarement été aussi pesante au sein des rédactions du quotidien régional Le Dauphiné libéré, qui appartient au Groupe Ebra. Frappés de plein fouet par la baisse des ventes en kiosques (entre – 8 % et – 9 % en un an à juin 2023), l’explosion des prix du papier et de l’énergie et par la crise du portage, les comptes du journal dauphinois ont plongé dans le rouge pour la première fois de son histoire.

De 3 à 4 millions d’euros de déficit sont prévus en 2023, selon la direction. « La poursuite des pertes du Dauphiné libéré n’est pas, et ne sera pas, une option », a prévenu fin septembre Christophe Victor, le directeur général.

Alors qu’un plan d’économies doit être annoncé à la fin novembre, les rédactions du titre ne décolèrent pas face à l’hypothèse de la fermeture des agences de Grenoble et de Voiron (Isère). La soixantaine de salariés concernés pourrait être rapatriée au siège de Veurey-Voroize, à une quinzaine de kilomètres des deux villes, dans le but d’économiser environ 300 000 euros du loyer grenoblois et d’utiliser le siège du journal actuellement inoccupé à 50 %. Inenvisageable pour les journalistes des deux locales qui se sont mobilisés massivement en faisant grève le 26 septembre, un mouvement inédit depuis la création du journal en 1945.

« Symboliquement catastrophique »

Si les journalistes interrogés disent comprendre les contraintes budgétaires, ils craignent que le déménagement du titre soit « symboliquement catastrophique » en les coupant davantage de leurs sources et de leurs lecteurs. « La proximité c’est le cœur de notre métier. Quand on ne vit pas sur place, on ressent moins les choses », assure Florent Cotté, journaliste de la locale de Grenoble. A travers une pétition mise en ligne mercredi 11 octobre, les salariés appellent les différents acteurs du territoire − qu’ils soient politiques, économiques, ou du monde associatif − à exprimer leur opposition à l’éventualité d’un déménagement.

De son côté, Christophe Victor répond qu’« il n’existe pas à ce jour de projet, juste une étude financière et d’impact ». L’ancien du Groupe Les Echos-Le Parisien dit vouloir simplement chiffrer le coût du possible rapatriement des équipes et de la rénovation du siège, avant de prendre une décision. Devant les allées et venues des cabinets d’architectes à Veurey, plusieurs journalistes ont l’impression que le choix est déjà fait. « Le projet de réhabilitation peut très bien avancer sans qu’il n’y ait de déménagement », rétorque M. Victor.

Autre hypothèse crainte par les salariés : les départs − à la retraite, dus à une démission ou à des ruptures conventionnelles − vont-ils continuer à être compensés ? « Ils sont remplacés jusqu’à l’annonce de la réorganisation. Après fin novembre, on ne sait pas ce qui sera décidé », explique Agnès Briançon, cosecrétaire générale du SNJ et journaliste au Dauphiné libéré. « On est déjà à la limite d’être en sous-effectifs dans certaines agences et on a du mal à faire notre travail correctement », avertit-elle. « La direction veut réduire la masse salariale et nous demande de faire encore plus et mieux, avec moins », tance Mona Blanchet, déléguée syndicale Force ouvrière (FO).

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« La remise en cause de nos schémas managériaux actuels semble inéluctable »

S’interroger sur les formes d’organisation du travail et le mode de management des entreprises a longtemps été une impasse du débat public. Ce constat, posé en ouverture de l’ouvrage collectif Que sait-on du travail ? (Presses de Sciences Po, 608 pages, 22 euros), établit que, en raison des bouleversements cristallisés par la crise du Covid-19, il n’est plus envisageable aujourd’hui de maintenir en l’état nos organisations et nos manières de les faire fonctionner. Pour autant, si la nécessité de remise en cause de nos schémas managériaux actuels semble inéluctable, le chemin à emprunter pour y parvenir est nettement plus complexe.

Le temps où Henri Fayol (1841-1925) et Frederick Taylor (1856-1915) définissaient un management dépersonnalisé, fondé sur la procédure, la verticalité et la définition des tâches, n’est pas si loin. Les évolutions de ce modèle, finalement assez cohérent et, par certains côtés, efficace, ont amélioré le concept pour le rendre plus efficient – ou plus acceptable –, mais ont formaté les organisations de travail en actant un élément central que la crise du Covid-19 a remis en cause : l’unité de lieu, d’action et de temps.

Le management d’aujourd’hui a conservé une dimension « physique » déterminante. La survenance d’un monde hybride du travail, à la fois en présentiel et à distance, vient finalement toucher au cœur la pensée managériale dominante dans sa structure même, qui la rendait inséparable de l’organisation du travail. Pour le moment, cette transformation profonde concerne un quart des salariés, mais cette part pourrait atteindre la moitié, selon une enquête de 2021 de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines.

La réalité démographique et la numérisation accélérée viennent bousculer un ordre établi que le chômage de masse et les modèles de protection sociale avaient gelé. Depuis les années 1980, la succession des crises a conduit les organisations à maintenir en l’état un fonctionnement managérial parfois contestable mais peu contesté, car centré sur la nécessité de trouver puis de conserver un emploi, malgré une insatisfaction grandissante du lien au travail. Le rejet de la réforme des retraites semblait dire : « Travailler plus longtemps, pourquoi pas, mais pas dans ces conditions. »

Nouvelle pensée

Dans un article consacré aux effets du « management de proximité », Laurent Cappelletti, professeur au CNAM, indique que la qualité de vie au travail se mesure par six critères : les conditions de travail, l’organisation, la communication-coordination, la gestion du temps, la formation et l’évolution professionnelle, et la mise en œuvre stratégique. Le management est le moyen de mettre en marche de manière cohérente ces éléments. Mais la configuration a changé : la fin du chômage de masse remet en cause ce dispositif classique, avec des individus plus conscients de leur pouvoir vis-à-vis des organisations, de leur capacité à imposer des changements structurels selon des critères qui leur sont propres. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce sont souvent les métiers les plus contraignants qui ont ressenti en premier les pénuries de recrutement.

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Sophie Binet : « Le travail et son organisation sont au centre d’une question démocratique majeure »

La mobilisation contre la réforme des retraites a mis sur le devant de la scène la dégradation des conditions de travail et le fait qu’une large majorité de salariés ne se voient pas « tenir » à leur poste jusqu’à 64 ans, voire 67. Pourtant, à l’image des « premières de corvées » découvertes avec le Covid-19 et aussitôt oubliées, la question du travail est de nouveau sortie des radars. Le politique a abandonné le sujet de longue date quand, côté syndical, nous peinons à trouver des leviers d’action, tant les moyens et prérogatives des représentants du personnel ont reculé ces dernières années.

Résultat : alors que le travail occupe une place centrale dans nos vies, son organisation et sa finalité sont abandonnées au patronat, comme si le lien de subordination donnait les pleins pouvoirs à l’employeur. Le travail et son organisation sont au centre d’une question démocratique majeure. Permettre aux salariés de retrouver la maîtrise du sens et du contenu de leur travail, c’est reprendre la main sur le progrès technologique et donner les moyens à notre force de travail de répondre aux besoins sociaux et environnementaux plutôt qu’à dégager toujours plus de valeur pour les actionnaires. Pour cela, il faut ouvrir cinq chantiers.

D’abord, celui du sens du travail. La vérité sort de la bouche des jeunes générations tristement obligées de bifurquer pour trouver un travail qui aie du sens, notamment d’un point de vue environnemental ! L’intelligence artificielle (IA) rend désormais possible le remplacement de nombreuses tâches intellectuelles : si les scénaristes d’Hollywood peuvent désormais être remplacés par des machines, peut-être faut-il remettre en cause la pauvreté de leurs scénarios ? Que certains puissent imaginer remplacer les aides à domiciles par des robots confirme à quel point leur véritable travail est occulté.

Le tabou de la « pénibilité »

L’IA pourrait être l’occasion de mettre fin à la taylorisation du travail intellectuel et relationnel en le centrant sur les aspects réellement humains, de rendre visible la richesse du travail réel par rapport au travail prescrit. Définir ce qui doit être automatisé ou non nécessite un vrai débat démocratique, de l’entreprise à l’Assemblée nationale ! La mise en place d’une information-consultation annuelle des représentants du personnel sur les méthodes de management permettrait également de combattre le management par les nombres qui, malgré les suicides de France Télécom, continue à faire des ravages.

Deuxième chantier, celui des conditions de travail. Chaque jour, plus de deux ouvriers meurent au travail et 2 500 salariés sont victimes d’un accident de travail. En silence. La France détient le triste record européen, et le ministre du travail prétend répondre à cette hécatombe par une énième campagne de communication… Il n’est pourtant pas besoin de voyager bien loin pour trouver ce qui permet de changer la donne. A Paris, sur les chantiers des Jeux olympiques, les accidents ont été divisés par quatre.

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Emploi : les jeunes et les moins qualifiés plus souvent insatisfaits

L’enquête de la direction de l’animation et de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) parue mardi 10 octobre et conduite en 2022 a le mérite de faire prendre conscience de l’ampleur des différences de motifs et niveaux d’insatisfaction à l’égard de l’emploi, qui concerne plus d’un salarié sur trois : 36 % de l’ensemble des personnes qui travaillent (hors alternance et stages) déclarent au moins un motif d’insatisfaction à l’égard de leur emploi (« Plus d’une personne sur trois a un motif d’insatisfaction vis-à-vis de son emploi », « Focus » n° 54, octobre 2023, Dares).

Plus libres dans l’exercice de leur métier, 23 % des non-salariés expriment des motifs d’insatisfaction, soit nettement moins que les salariés en CDI (32 %). Tout en haut de l’échelle du mécontentement, on trouve les CDD (86 %) et les intérimaires (81 %) : il est vrai que les postes proposés dans le cadre des contrats temporaires cumulent souvent les handicaps (peu qualifiés, pénibles et mal rémunérés).

Autre enseignement : le premier motif d’insatisfaction est lié à la durée insuffisante du travail (21 % de l’ensemble des répondants s’en plaignent)… A y regarder de plus près, cette moyenne est là encore tirée vers le haut par les salariés qui ont signé des contrats temporaires : 34 % des CDD et 44 % des intérimaires aspirent à travailler plus. Logique quand on sait que ces contrats sont souvent associés à un temps partiel et à des revenus insuffisants ou irréguliers.

Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Le rapport des jeunes au travail, une révolution silencieuse

Même constat en ce qui concerne l’emploi, qui constitue le deuxième motif d’insatisfaction : 12 % de l’ensemble des répondants souhaitent en changer, principalement pour améliorer leurs conditions de travail, augmenter leur revenu, changer de métier, de secteur ou d’employeur, ou parce qu’ils désirent un poste plus intéressant.

Niveau de qualification

Autour de cette moyenne de 12 %, se positionnent aux deux extrêmes : 3 % des non-salariés souhaitent changer d’emploi quand 23 % des intérimaires y aspirent. Cet écart s’explique vraisemblablement par le fait que le statut d’indépendant et les métiers qui en découlent résultent généralement d’un choix de vie, quand celui d’intérimaire est plus souvent subi.

Par ailleurs, 59 % des intérimaires et 78 % des CDD se plaignent d’avoir dû signer un contrat temporaire. Le poids de ces deux catégories et le niveau des réponses suffisent à faire remonter le contrat de travail temporaire au troisième rang des motifs d’insatisfaction pour l’ensemble des répondants (8 %).

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Les taxis demandent 456 millions d’euros à Uber pour « concurrence déloyale »

Une file de taxis en grève, à Bordeaux (Gironde), le 30 mars 2022.

Le chiffre donne le tournis. 455 983 634,50 euros : c’est la somme que demandent près de 2 500 taxis et neuf associations professionnelles du secteur, à l’occasion d’un procès intenté contre l’entreprise Uber, dont l’audience doit se tenir vendredi 13 octobre au tribunal de commerce de Paris.

Le recours, qui a été déposé il y a trois ans devant la juridiction, cherche à obtenir une compensation financière de la « concurrence déloyale » qu’aurait exercée la plate-forme américaine depuis son arrivée en France, en 2011.

Près de 300 conducteurs doivent être présents dans la salle. Une audience qu’ils attendent depuis longtemps. « La plate-forme s’est permis de détourner l’ensemble des lois qui régissent le transport public de voyageurs en France, et ce depuis douze ans maintenant. Nous nous sommes rassemblés pour faire valoir nos droits, explique Bernard Crebassa, président de la Fédération nationale des artisans du taxi, l’une des organisations professionnelles demanderesses. C’est plus l’intention que l’argent qui nous pousse dans cette démarche. »

Une indépendance « fictive »

L’argumentaire des plaignants se fonde notamment sur un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 4 mars 2020, qui a considéré qu’un conducteur de voiture de transport avec chauffeur (VTC) n’était pas autoentrepreneur mais salarié d’Uber. La décision, qui a fait jurisprudence, a estimé que son indépendance n’était que « fictive », puisque la plate-forme contrôlait bel et bien son temps de travail, ainsi que la nature et la rémunération de ses missions.

« Depuis l’origine, Uber a violé le droit du travail. Or la jurisprudence considère que violer la réglementation constitue une concurrence déloyale », explique Tristan Girard, l’un des trois avocats des taxis. « La décision de la Cour de cassation qui fonde l’action des taxis concerne le cas particulier d’un chauffeur qui n’utilise plus l’application depuis 2017. Depuis, notre modèle a évolué en profondeur et moins de 1 % des chauffeurs VTC ont porté une demande de requalification », réagit une porte-parole d’Uber, assurant que 60 % de ces demandes n’ont pas abouti. Cependant, la quasi-totalité des dossiers qui vont jusqu’en cassation tournent à l’avantage des chauffeurs, régulièrement requalifiés.

Des éléments incohérents

Pour cette action au tribunal de commerce, la somme de près de 456 millions d’euros a été calculée au regard de « l’avantage illicite que s’est octroyé l’auteur de la concurrence déloyale, et à partir de 10 000 bilans comptables de taxis, décrit Me Girard. L’idée, c’est de priver l’auteur de la faute d’une partie de son bien ». S’y ajoute une astreinte journalière de 1,7 million d’euros, tant que l’entreprise n’aura pas salarié ses chauffeurs.

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