Archive dans octobre 2023

Le nombre de faillites d’entreprises revient à son étiage normal et va alimenter la remontée du chômage

La « parenthèse » de la crise sanitaire due au Covid-19, qui a permis de contenir les faillites grâce aux aides de l’Etat, est désormais bel et bien refermée. Selon les données publiées mardi 17 octobre par le cabinet Altares, 41 000 entreprises françaises sont entrées en procédure judiciaire entre janvier et septembre 2023, chiffre le plus élevé depuis 2018. « Dans ces conditions, on peut atteindre 55 000 dossiers à la fin de l’année : on est à l’étiage, il n’y a pas de réelle surprise, bonne ou mauvaise », souligne Thierry Millon, directeur des études chez Altarès.

Les administrateurs et mandataires judiciaires font un constat comparable : « On sera entre 45 000 et 50 000 dossiers en fin d’année », indique Maître Frédéric Abitbol, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ).
Si cette reprise des faillites, dans un contexte de croissance morose et d’inflation, ne surprend personne, quelques signaux alertent. Notamment le fait qu’elles touchent des entreprises un peu plus grandes qu’en début d’année, traduisant les difficultés propres à certaines activités. « Le poids des PME dans les défaillances est désormais le même que pendant la crise financière, aux alentours de 8 % », précise M. Millon.

« Sur nos 39000 dossiers en cours, un peu plus de 23 000 concernent des petites entreprises qui comptent entre zéro et dix salariés, confirme Me Abitbol, mais les dossiers touchant des entreprises de plus de 1 000 salariés est un peu plus élevé que d’habitude ». Un phénomène lié notamment à la crise de l’habillement ou de l’immobilier. Stéphane Colliac, économiste senior chez BNP Paribas, note, lui, que « 50 grandes entreprises et ETI [entreprises de taille intermédiaire] ont été soumises à une procédure collective au cours des douze derniers mois, soit deux fois plus qu’avant Covid, avec un poids prépondérant du commerce textile ».

Défaillances des entreprises BtoB

Autre tendance à surveiller, les défaillances touchent plus qu’avant les entreprises dont l’activité s’adresse à d’autres entreprises (BtoB), que celles qui s’adressent directement aux consommateurs. « Cela correspond à une évolution fondamentale du paysage économique, décrypte Denis Ferrand, directeur général de Rexecode. Les difficultés sont en train de se déplacer des ménages vers les entreprises ; si ce sont les premiers qui ont freiné la croissance en 2023, les secondes donneront le tempo en 2024. »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le nombre de faillites d’entreprises repart à la hausse en France

En toute logique, plus les entreprises qui font défaillance comptent de salariés, plus l’impact sur l’emploi est important. Les entreprises qui sont actuellement en procédure, qu’il s’agisse d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation directe, représentent environ 156 000 emplois, selon le CNAJMJ.

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Pour Olivier Dussopt, le « climat terroriste » ne doit pas empêcher la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, a jugé mardi que « le climat actuel » ne devait pas pénaliser les travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, que la future loi immigration prévoit de régulariser. « Le climat a changé [avec l’attentat d’Arras] mais il serait absolument terrible (…) que des hommes et des femmes qui travaillent quotidiennement (…) soient les victimes d’un climat terroriste qui ne les concerne pas », a-t-il dit sur Franceinfo.

Le projet de loi immigration, dont une des mesures est la régularisation de travailleurs sans papiers dans les métiers pour lesquels les employeurs peinent à recruter, doit être examiné au Sénat à partir du 6 novembre et à l’Assemblée début 2024. L’article 3 du texte gouvernemental prévoit l’octroi d’un titre de séjour aux étrangers travaillant clandestinement dans des secteurs tels que le BTP ou l’hôtellerie.

Droite et extrême droite y sont farouchement opposées, dénonçant un « appel d’air » pour l’immigration irrégulière. Le gouvernement, lui, espère trouver une voie de passage, en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée.

20 000 postes non pourvus pour les JO

« Il n’y a pas d’appel d’air contrairement à ce que dit la droite », a dit Olivier Dussopt. « Nous parlons de personnes en situation irrégulière mais qui travaillent légalement dans des métiers où tout le monde a du mal à recruter », a expliqué le ministre du travail. « Souvent ces personnes ont signé des contrats de travail à un moment où elles avaient des papiers, puis les papiers n’ont pas été renouvelés pour une raison ou une autre », a-t-il complété. « On doit pouvoir les régulariser. »

Interrogé, par ailleurs, sur les 20 000 postes non pourvus dans le secteur de la sécurité privée à neuf mois des JO, le ministre du travail a assuré que « tout le monde cravache », « tout le monde est mobilisé ». Il a notamment annoncé que Pôle emploi mettait « les bouchées doubles pour montrer l’intérêt de ces métiers », qu’une nouvelle formation avait été créée pour accompagner les grands événements sportifs et que l’Etat finançait « beaucoup de formations » dans le secteur de la sécurité privée.

Le Monde avec AFP

« En diffusant la langue et la culture allemande en France, les instituts Goethe mènent un travail d’intérêt européen »

Les 158 instituts Goethe établis partout dans le monde ont pris, pour diffuser la langue allemande, le nom de Johann Wolfgang von Goethe, le plus célèbre auteur de langue allemande. La fermeture de trois de ces instituts en France, dont un à Strasbourg, où Goethe lui-même a étudié, est une décision à rebours de l’histoire et de la vocation de ces instituts culturels allemands. Goethe était passionné de la France, il a inventé l’échange culturel franco-allemand avant l’heure en étudiant en France, et en faisant connaître en Allemagne les chefs-d’œuvre de la littérature française. L’héritage de Goethe, qui se perpétue par les instituts qui prennent son nom, a un sens particulier entre la France et l’Allemagne. Fermer un institut Goethe en France n’est pas neutre, c’est un symbole que nous regrettons profondément.

Lire aussi la « Lettre de Berlin » de Thomas Wieder : Article réservé à nos abonnés L’Institut Goethe va fermer deux de ses cinq sites français

L’amitié franco-allemande se construit chaque jour, par l’échange culturel et l’apprentissage de la langue. Des réunions de ministres ou de parlementaires sont essentielles, mais c’est par les citoyens français et allemands que cette relation se forge et s’enracine profondément. C’est en connaissant mieux la culture de notre voisin et en parlant sa langue que nous pouvons durablement coopérer ensemble et poursuivre la période de paix, de prospérité et d’amitié qui nous lie depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L’époque que nous vivons était inconcevable pendant des siècles. Qui pouvait imaginer en 1870, en 1918 ou en 1945 que des instituts de diffusion de la culture et de la langue allemande pourraient exister en France ?

L’histoire qui lie la France et l’Allemagne est singulière, douloureuse, mais aussi lumineuse. Nous savons que chaque jour il faut renforcer la relation franco-allemande car sa détérioration signerait la fin du projet européen. La fermeture de plusieurs instituts Goethe en France n’est pas seulement une erreur historique, c’est prendre le risque d’oublier que les citoyens, que la langue et la culture sont les bases de notre amitié.

Dialogue permanent

Le Goethe-Institut est plus qu’un centre culturel, c’est un symbole de l’amitié qui nous lie depuis sa création, en 1951. Loin de nous éloigner, la diversité culturelle entre la France et l’Allemagne nous enrichit, à condition que nous puissions l’apprendre. C’est le rôle des instituts Goethe. Loin d’être incompréhensible, la langue de l’autre doit être apprise pour que le dialogue permanent entre la France et l’Allemagne se poursuive chaque jour et jamais ne cesse.

En diffusant la langue et la culture allemande en France, les instituts Goethe mènent un travail d’intérêt européen. La langue est la trame qui relie nos nations, elle est l’outil indispensable de notre coopération, elle permet l’échange et la compréhension de l’autre par ce qu’il a de plus utile chaque jour : la parole. Par leur travail, les instituts Goethe rendaient évident l’apprentissage de l’allemand par des Français. La langue de l’ennemi honni est devenue celle de l’ami le plus proche.

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Développement durable : « Nous sommes au fait des limites du système sur lequel est ancrée la création de valeur de nos entreprises »

L’humanité « a ouvert les portes de l’enfer ». C’est le constat lucide qu’a fait le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors du sommet qui aurait dû être celui de l’ambition climatique, le 20 septembre à New York. Pourtant, ses mots, pas plus que ceux des ONG, ne semblent être entendus. Trop alarmistes pour infléchir, dans la « vie réelle », les décideurs ?

Si les politiques peinent à changer de paradigme, des acteurs d’entreprise peuvent-ils jouer un autre rôle que celui de soutenir une situation intenable, qui consiste à appuyer sur la pédale de frein de l’action climat en même temps qu’ils signent des engagements de décarbonation à 2050 ?

Les illustrations de cette cacophonie ne manquent pas. Côté finance, la confusion est maintenue par la Commission européenne, qui rechigne à permettre de distinguer un investissement « vert clair » d’un « vert foncé », alimente le flou ambiant vis-à-vis des fonds dits « durables », alors que nulle réglementation n’est suffisante pour freiner le financement des bombes climatiques.

Côté mobilité, les normes de pollution sont fragilisées au niveau européen, quand la question de la mise sur le marché des véhicules thermiques est balayée au Royaume-Uni. Côté agriculture, si la reculade concernant l’interdiction du glyphosate concentre toute l’attention, d’autres fléaux pour la biodiversité et notre santé continuent de s’infiltrer dans les sols et les politiques publiques. Et les pionniers de l’agriculture bio, sans soutien, sont découragés.

La fenêtre d’Overton est grande ouverte

Côté immobilier, tandis qu’en France on envisage de reculer sur la location des passoires thermiques, en Allemagne on assouplit les règles d’efficacité énergétique pour les constructions résidentielles neuves. Sur l’énergie : outre le blanc-seing politique pour de nouvelles exploitations pétrolières offert à notre champion national sur nombre de continents, des annonces de nouveaux permis d’exploitation en mer ouvrent de facto la boîte de Pandore au niveau européen.

La fenêtre d’Overton, telle que l’a définie le politologue et juriste américain Joseph P. Overton (1960-2003) – c’est-à-dire le périmètre de ce qui peut être discuté, et donc envisageable, puisque envisagé au sein de la société –, est pourtant grande ouverte. Si nous profitions de ce courant d’air pour choisir de changer radicalement le discours ambiant, et donc les champs des possibles ?

La lutte contre le changement climatique ferait subir aux citoyens un lourd poids de conséquences économiques et sociales ? Certes. Le problème est que, plus on décale l’action, plus ces conséquences seront importantes, avec une double peine à la clé : d’une part, les citoyens devront in fine payer les dégâts ; d’autre part, ils devront également payer pour l’adaptation.

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L’actionnariat salarié se développe doucement dans les entreprises de taille intermédiaire

« Sur le partage de la valeur, le premier étage de la fusée, c’est le salaire, le deuxième, l’intéressement et la participation, et le troisième consiste à investir dans les titres de votre entreprise », décrit Jean-Philippe Debas, président de la société de gestion Equalis Capital. Ce troisième étage, c’est l’actionnariat salarié, qui concerne potentiellement toutes les sociétés par actions, qu’elles soient cotées ou non. Déjà répandu en France, il a récemment fait l’objet de plusieurs incitations gouvernementales.

En septembre 2023, la Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS) estimait à environ 3,5 millions le nombre d’actionnaires salariés et anciens salariés (retraités) à travers les différents dispositifs existants. Selon Equalis Capital, les actionnaires salariés français en activité sont entre 2 millions et 2,2 millions. Mais ils sont en très grande majorité dans les sociétés du CAC 40 et du SBF 120, et ce depuis longtemps : selon les statistiques du ministère du travail, 17,2 % des entreprises de 1 000 salariés ou plus ont lancé une opération d’actionnariat salarié en 2020 uniquement, et 10,5 % de leurs salariés en bénéficiaient, contre seulement 0,8 % des entreprises de 10 à 49 salariés (et 0,4 % de leurs salariés).

Equalis Capital publie lundi 16 octobre son huitième baromètre sur l’actionnariat salarié, qui décortique les pratiques de 65 entreprises de taille intermédiaire (ETI, entre 250 et 5 000 salariés) non cotées en Bourse. Le cabinet fait remarquer que seules 3,7 % des ETI non cotées sont dotées d’un fonds commun de placement d’entreprise (FCPE), la forme la plus classique d’actionnariat salarié.

Un dispositif attractif pour les salariés

Les résultats de l’étude mettent en évidence les performances de ce dispositif, qui n’est pas sans risque. L’indice Equalis, qui mesure la performance moyenne de l’investissement des actionnaires salariés dans les entreprises concernées, a grimpé de 17,1 % sur un an, et de 153 % sur les cinq dernières années. Mais en 2023, 20 % des entreprises ont connu une baisse de la valeur de leur action.

Pour réduire ce risque de perte, principal frein côté salariés, les entreprises peuvent inciter ces derniers à investir grâce à différents mécanismes d’aide (abondement ou décote). Soixante-dix-neuf pour cent des entreprises de taille intermédiaire non cotées disent proposer des aides. En moyenne, près d’un tiers du « ticket » du salarié achetant des actions est financé par son entreprise. Cette aide monte à 64 % du montant pour les salariés dont la mise est inférieure à 1 000 euros, et peut aller jusqu’aux actions gratuites : depuis trois ans, les entreprises peuvent offrir un abondement unilatéral, et une ETI sur cinq en propose.

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« Que sait-on du travail ? » : Plus d’un tiers des salariés ont un rythme de travail imposé par un contrôle informatisé

35 %. Plus d’un salarié sur trois a un rythme de travail imposé par un suivi ou un contrôle informatisé. Et presque autant (34 %) ont vu l’intensité de leur travail renforcée par la pression temporelle. Si l’on distingue les catégories professionnelles, l’impact est encore plus fort : 46 % pour les ouvriers non qualifiés et 56 % pour les ouvriers qualifiés, selon les chiffres du ministère du travail.

Cette intensification du travail est le produit du « taylorisme à l’âge du numérique » qui a modifié l’organisation du travail ces vingt dernières années. L’activité dans les entrepôts de la logistique est, à ce titre, particulièrement intéressante à étudier, car le secteur a été fortement marqué par le développement des technologies numériques.

Jérôme Gautié et Coralie Perez, deux spécialistes du marché du travail, l’ont analysé pour démontrer comment les transformations de la chaîne d’approvisionnement du commerce de détail ont changé les conditions de travail pour l’intensifier, en particulier quand le travailleur peu qualifié n’est pas complètement remplacé par la machine, mais lui est soumis.

Leur étude, réalisée dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr, s’appuie sur une recherche menée en France et en Allemagne sur les ouvriers de la logistique du commerce de détail des grandes chaînes de distribution (hors chauffeurs) et sur les résultats d’une recherche comparative sur les innovations et la qualité de l’emploi en Europe, menée dans le cadre du projet QuInnE (« Quality of Jobs and Innovation Generated Employment Outcomes ») entre 2015 et 2018.

Disparition de l’autonomie au travail

Les chercheurs ont identifié trois moteurs de cette intensification du travail : le passage d’une chaîne d’approvisionnement axée sur l’offre à une chaîne d’approvisionnement axée sur la demande ; l’externalisation des activités jugées périphériques ; et le commerce électronique qui a incité à la recherche de délais de livraison toujours plus courts, renforçant la logique du « juste-à-temps ».

La population concernée est significative : « en 2019, la somme des “ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport”, des “manutentionnaires non qualifiés” et des “ouvriers du tri, de l’emballage, de l’expédition, non qualifiés” avoisinait les 780 000, soit 14,6 % de l’ensemble des ouvriers au sens de l’Insee », indiquent les chercheurs.

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Le taylorisme à l’âge du numérique a investi les entrepôts logistiques

[Les travailleurs peu qualifiés vont-ils devenir de simples prolongements d’une machine ? Deux chercheurs y répondent à travers une analyse du taylorisme appliqué aux entrepôts logistiques : Jérôme Gautié professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne (CES) et chercheur associé au Cepremap, dont les recherches portent sur les transformations du travail et de l’emploi, et Coralie Perez économiste, ingénieure de recherche à l’université Paris-I, membre du Centre d’économie de la Sorbonne (CES), dont les recherches portent notamment sur les effets des changements technologiques et organisationnels sur les conditions de travail et d’emploi.]

Les ouvriers n’ont pas disparu, même si, avec l’érosion des bastions ouvriers traditionnels, ils tendent à disparaître des représentations collectives. Leur invisibilisation résulte en partie du fait qu’un grand nombre assure des activités de type tertiaire, notamment dans la logistique, qui a connu un fort développement au cours des dernières décennies (Carlotta Benvegnù et David Gaborieau, « Les mondes logistiques. De l’analyse globale des flux à l’analyse située des pratiques de travail et d’emploi », 2020).

En 2019, la somme des « ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport », des « manutentionnaires non qualifiés » et des « ouvriers du tri, de l’emballage, de l’expédition, non qualifiés » avoisinait les 780 000, soit 14,6 % de l’ensemble des ouvriers au sens de l’Insee. Si on rajoute les « chauffeurs livreurs et coursiers » et « les chauffeurs routiers », ce sont, la même année, 400 000 salariés supplémentaires (soit encore 7,4 % des ouvriers). Nous nous intéressons plus particulièrement ici aux ouvriers de la logistique du commerce de détail des grandes chaînes de distribution (hors chauffeurs), à partir d’une recherche menée en France et en Allemagne (Jérôme Gautié, Karen Jaehrling, Coralie Perez, « Neo-Taylorism in the Digital Age : Workplace Transformations in French and German Retail Warehouses », 2020).

Le secteur de la logistique est particulièrement intéressant à étudier, car il a été fortement marqué par le développement des technologies numériques. Mais quel en a été l’impact sur l’emploi en majorité peu qualifié ? On peut, à la suite de Hartmut Hirsch-Kreinsen (« Digitalization and Low-skilled Work », 2016) distinguer quatre scenarii. Le premier scénario est simplement celui du « non-impact » – si les innovations numériques ne sont pas introduites, c’est notamment parce qu’elles ne sont pas rentables. Le deuxième, à l’opposé, est celui de l’automatisation complète – par exemple le remplacement des emplois peu qualifiés par une machine ou un algorithme. Le troisième est celui du maintien (au moins partiel) de ces emplois, mais qui s’accompagnerait de leur montée en compétences – les nouveaux process de production exigeant des qualifications plus importantes. Le quatrième est celui de la « numérisation du travail », où le travailleur peu qualifié n’est pas complètement remplacé par la machine, mais lui est soumis, et n’en devient, dans certains cas, qu’un simple prolongement – dans le cadre de ce que l’on peut nommer un « taylorisme numérique » (« digital taylorism »). Le secteur de la logistique offre une bonne illustration de ce dernier scénario.

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Le pouvoir d’achat au cœur de la conférence sociale entre Elisabeth Borne, les syndicats et le patronat

La première ministre, Elisabeth Borne, à Paris, le 14 octobre 2023.

Une main tendue dans un gant de crin. Après la bataille des retraites, qui l’a opposé aux syndicats tout au long du premier semestre, le gouvernement rétablit le dialogue sur un autre dossier, au cœur des préoccupations de millions de ménages : le pouvoir d’achat.

Affichant sa volonté de « co-construire » des « solutions » pour permettre aux actifs de mieux gagner leur vie, la première ministre, Elisabeth Borne a invité les principales organisations de salariés et d’employeurs à une « conférence sociale », lundi 16 octobre. Une grand-messe pleine d’équivoques : alors qu’il adresse des signes d’ouverture, l’exécutif se voit, dans le même temps, accusé d’autoritarisme à l’égard d’organismes cogérés par les représentants des travailleurs et des patrons.

Annoncée, fin août, par Emmanuel Macron lors d’une rencontre à Saint-Denis avec l’ensemble des forces politiques, la tenue de cette conférence a été remise en cause, vendredi, après l’attentat islamiste dans un lycée d’Arras. « La question de l’annulation s’est posée », reconnaît-on, à Matignon, mais il a finalement été décidé « de maintenir l’événement, pour porter des sujets importants dans la période ». Comme l’explique en substance un de ses conseillers, la cheffe du gouvernement ne voulait pas que la « démocratie sociale » baisse pavillon face au terrorisme.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Macron mûrit sa « conférence sociale » depuis le printemps

Mme Borne a pris le temps de préparer le rendez-vous de lundi en recevant chaque participant à tour de rôle, au cours des jours précédents. Des échanges salués par plusieurs responsables syndicaux. « La première ministre m’a paru nous prêter une oreille attentive en essayant de comprendre nos propositions », rapporte Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.

Son homologue de la CFE-CGC, François Hommeril, se montre encore plus positif : « Le gouvernement, qui est au contact des syndicats et du patronat, a réussi à transformer ce gadget de communication promis par l’Elysée en quelque chose de sérieux, dit-il. Ça va être court, sur une journée mais, au moins, on va nommer les choses et sortir des discours lénifiants qui nous disent que tout va bien parce que le chômage baisse. »

La fiche de paye est devenue l’objet d’un conclave

Quatre thématiques devaient être abordées, lundi, par les protagonistes réunis au Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans le Palais d’Iéna à Paris. Parmi elles, il y a la lutte contre le travail à « temps partiel subi » et « les contrats courts », ainsi que l’animation des négociations dans les branches – notamment celles dont les grilles de rémunérations affichent des coefficients inférieurs au smic – et l’évaluation de l’impact des cotisations et prestations sociales sur les revenus. L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a également été inscrite à l’ordre du jour, conformément au vœu formé par plusieurs syndicats, « ce qui traduit une ouverture au dialogue plutôt intéressante », selon Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT.

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L’inflation entrave aussi le marché de la chaussure

Devant un magasin Minelli, à Caen, le 8 janvier 2020.

Huit mois après le licenciement des 680 salariés de San Marina, les 550 employés de Minelli se rongent les sangs. L’enseigne de chaussures, détenue par Laurent Portella et Stéphane Collaert, a été placée en redressement judiciaire, le 28 septembre, par le tribunal de commerce de Marseille. Les deux actionnaires ont aussi été associés au sein de l’enseigne San Marina, qui a été liquidée et définitivement fermée en février. Messieurs Portella et Collaert jettent à nouveau l’éponge : ils ne présenteront pas de plan de continuation pour Minelli, entreprise reprise en 2021 à Vivarte, dont le chiffre d’affaires a atteint 75 millions d’euros sur son dernier exercice, contre 113 millions en 2019. Les juges du tribunal de commerce de Marseille ont donc ouvert un plan de reprise. Les candidats doivent présenter leur offre d’ici au 8 novembre. Mais une reprise globale de Minelli et de ses 102 boutiques est très incertaine. L’état du marché rebute.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’enseigne de chaussures San Marina risque la liquidation

Les ventes de chaussures ont atteint 8,9 milliards d’euros en 2022 dans l’Hexagone. « Sur les huit premiers mois de 2023, elles ont progressé de 1 %. Mais en tenant compte des 3 % d’inflation, dans le secteur, l’évolution est négative », précise Dorval Ligonnière, directeur des études de la Fédération des enseignes de la chaussure (FEC). L’activité du mois de septembre a été très médiocre : − 9 % chez les chausseurs, d’après la fédération du commerce spécialisé, Procos. La météo estivale qui dissuade les Français d’acheter des bottes n’est pas seule en cause. Les tendances du marché sont « mal orientées », selon la FEC.

Car l’inflation ruine le pouvoir d’achat des Français depuis 2022 et les contraint à renoncer à l’achat de nouvelles paires. Même Nike et Adidas sont concernées. Jusqu’alors florissant, le marché français des baskets, estimé à 4,5 milliards d’euros, s’essouffle. Les volumes de ventes sont stables, à 83 millions de paires écoulées en un an, à fin juin, d’après l’institut d’étude de marché Circana. « Il faut y voir un impact de l’inflation : le marché des sneakers se contracte, après une croissance de 30 % sur cinq ans », souligne Hélène Janicaud, directrice des études mode chez Kantar Worldpanel.

« Plus de chausseurs en centre-ville »

Mais, même si les ventes de baskets ralentissent, ces vents mauvais emportent d’abord les spécialistes de la chaussure de ville. Peu après San Marina, André a quasiment disparu. En mai 2023, à la suite de son deuxième redressement judiciaire en trois ans, le belge Optakare a repris 21 de ses 49 boutiques. « Il n’y aura bientôt plus de chausseurs en centre-ville et dans les centres commerciaux », analyse Boris Saragaglia. Le fondateur du site de vente en ligne Spartoo a, lui-même, échoué à relancer André, en dépit des 17,3 millions d’euros que Vivarte lui avait accordés lors de sa cession en 2018.

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