Archive dans octobre 2023

Le profond mal-être des agents communaux : « Tout est sous-traité. Pourtant, j’ai les solutions, je sais faire »

Laurent se tient à genoux, truelle à la main, près de l’entrée du cimetière. Une veuve le croise dans un silence aimable. Lui est dépité : « Pendant que mon fils travaille dans une association de protection de la Loire, moi je bétonne les espaces entre chaque tombe par peur des mauvaises herbes. C’est la réponse du maire au zéro phyto, l’interdiction des désherbants chimiques. Mais où l’eau de pluie va-t-elle s’écouler ? Si on m’avait demandé mon avis, j’aurais proposé une solution plus écolo. » Laurent (son prénom a été modifié) est agent des interventions techniques en milieu rural. Avec quatre collègues, il entretient la voie publique, le cimetière et les espaces verts d’une commune du Loir-et-Cher, qui compte un peu plus de 4 000 habitants, quelque part entre Blois et Saint-Laurent-Nouan.

Un fourgon blanc arrive. Les renforts. A son bord, Jules et Wilfried (les prénoms ont été modifiés). Ce dernier, tatoué, tondu, est tendu : « On ne peut plus faire de vidange d’huile, réparer une tondeuse à gazon, ni renforcer une serrure soi-même. C’est simple, notre atelier mécanique ne sert plus à rien. Tout est sous-traité. Pourtant, j’ai les solutions, je sais faire. Quel gâchis. »

Avec un salaire à 1 400 euros net malgré quinze ans d’ancienneté, Wilfried est allé parler à son maire. « Je lui ai demandé un avancement d’échelon. C’était “niet”, alors j’ai posé ma démission. Il n’a pas essayé de me retenir, juste répondu qu’il ne comprenait pas pourquoi je n’étais pas parti plus tôt. Ici, en un peu plus de deux ans, la moitié du personnel municipal est partie. Ils ont fait un audit mais il n’y a eu aucun changement, aucune remise en question. » Dans un mois, Wilfried travaillera dans une commune de taille similaire, à une quinzaine de kilomètres. « Avec le bouche-à-oreille, tout le monde sait où il ne faut pas travailler… Ce maire ne me remplacera pas de sitôt. »

Des affiches de prévention placardées sur une porte du local du service technique de la ville de Saint-Gervais-la-Forêt (Loir-et-Cher), le 16 octobre 2023.

« Manque de considération »

Ce mal-être qui jaillit d’une simple discussion est perceptible un peu partout chez les agents techniques des petites communes françaises. Les origines de leurs tourments sont multiples : un management vertical obsolète, des économies de bouts de ficelle, une absence de reconnaissance et de visibilité, une perte de sens aussi.

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A Saint-Pierre-en-Auge (Calvados), 7 300 habitants, on a déploré une vingtaine de départs d’agents municipaux en deux ans et même deux suicides parmi les effectifs, dont celui, en août, d’un jeune ouvrier des services techniques. Dans un courrier adressé à la gendarmerie, fin août, des agents ont dénoncé « des situations difficiles à gérer psychologiquement après l’arrivée d’une nouvelle directrice des services ». L’organisation était chamboulée, les responsabilités supprimées, les binômes brisés : « Ces méthodes de management ont rapidement détérioré le climat au sein des services », ont-ils ajouté.

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Métiers en tension : le gouvernement amorce un recul sur la régularisation des travailleurs sans papiers

Le ministre du travail, Olivier Dussopt (à droite), discute avec des responsables syndicaux et la première ministre Elisabeth Borne, lors de la conférence sociale au Conseil économique, social et environnemental, à Paris, France le 16 octobre 2023.

Le climat actuel aura-t-il raison de la jambe gauche du projet de loi « immigration » ? Après l’attentat d’Arras, le texte, qui doit être examiné au Sénat à partir du 6 novembre, est au cœur des débats. Alors que le parti Les Républicains (LR) font de l’article 3, qui prévoit de simplifier la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, une « ligne rouge » et menace de ne pas voter en faveur du projet de loi, la disposition pourrait être enterrée. En tout cas, sa portée largement amoindrie.

L’exécutif réfléchit depuis des semaines à la façon de procéder et pourrait finalement privilégier la création d’une nouvelle circulaire de régularisation plutôt que de créer un titre de séjour de plein droit, par le biais de la loi. Le 24 septembre, le président de la République, Emmanuel Macron, avait lui-même entrouvert la porte à une modification du texte. « Là-dessus, je pense qu’il y a un compromis intelligent à trouver », avait-il souligné, sur TF1 et France 2.

Place Beauvau, on avance désormais qu’une nouvelle circulaire pourrait voir le jour. Elle ne remplacerait pas celle de 2012 dite « circulaire Valls », qui liste des critères de régularisation pour motif familial ou professionnel et que les préfets appliquent de façon discrétionnaire et très différente selon les territoires. Grâce à ce texte réglementaire, environ 30 000 personnes sont admises au séjour chaque année.

L’objectif de la circulaire supplémentaire à laquelle le ministère de l’intérieur réfléchit serait de permettre à des travailleurs sur des métiers en tension d’être régularisés « en contournant le pouvoir de l’employeur », précise l’entourage de M. Darmanin. « Il ne s’agit pas de créer un flux [d’immigration] mais de sincériser [régulariser] un stock », que les services évaluent à environ 8 000 personnes par an.

Dussopt toujours « ouvert sur la forme »

Aujourd’hui, s’il veut demander une régularisation par le biais de la circulaire Valls, un travailleur sans papiers doit non seulement prouver qu’il vit en France depuis au moins trois ans, présenter un certain nombre de bulletins de paie, mais il doit, en outre, demander à son patron de remplir un formulaire officiel d’embauche. L’article 3 du projet de loi prévoyait de faire sauter ce « verrou » de l’employeur dans les métiers en tension et de créer un droit à la régularisation moyennant trois ans de présence en France et huit fiches de paie.

Place Beauvau, on pourrait désormais se contenter d’une circulaire qui aurait l’avantage de « garder le pouvoir d’appréciation des préfets ». La régularisation ne serait donc pas de plein droit mais resterait à la libre appréciation des services de l’Etat dans les départements.

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Sortir du travail en silo pour sauver des emplois

Carnet de bureau. A l’heure où les responsables des ressources humaines s’interrogent sur les nouveaux modes d’organisation du travail intégrant le travail hybride et l’usage de l’intelligence artificielle, la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) fonctionne toujours en silo. C’est le constat sur lequel s’est appuyé le comité social et économique (CSE) du groupe mutualiste pour construire un projet alternatif au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui prévoit de supprimer le quart des effectifs.

L’écosystème des mutuelles est actuellement en pleine mutation, dans un mouvement de concentration qui réduit les recettes de la Mutualité, qui les fédère. Après huit mois de négociations infructueuses entre élus et direction de la FNMF, le CSE a présenté son nouveau projet, qui parie sur les ressources du management, et en particulier sur le mode projet et le management de transition : le mode projet favorisant la flexibilité entre les services et l’innovation, tandis que le management de transition allège le poids des directions.

Déjà présenté à l’ensemble des salariés, ce projet alternatif a été débattu en CSE, lundi 16 octobre. L’objectif est d’« éviter la casse sociale, avec un retour à l’équilibre en 2026, comme prévu par le conseil d’administration », assure Françoise Troublé Uchôa, la secrétaire du CSE. Les quelque soixante licenciements prévus par le PSE annoncé en février par la direction de la Fédération seraient remplacés par trente départs volontaires grâce à une refonte totale de l’organisation.

« Depuis des années, les salariés travaillent en silos, par activité, et pour recréer la transversalité on a ajouté pléthore de postes de coordination. Chaque direction fonctionne avec son petit cabinet [service de direction], ce qui aspire la décision vers le haut, et les salariés attendent qu’elle redescende. Tout est grippé», témoigne Sabine Dreyfus, une salariée élue du CSE.

Le rôle du manageur de transition

Dénoncée par le cabinet Ethix comme « problématique », source d’« isolement fonctionnel » et de risques psychosociaux, cette division du travail est supprimée dans le projet alternatif qui passe de 9 à 4 directions. « Réduire le nombre de direction permet de rendre l’organisation plus lisible pour les mutuelles. Et réduire les services de direction permet notamment de garder les assistantes sans lesquelles la Fédération ne peut pas fonctionner », explique la secrétaire du CSE. Le projet alternatif vise à formaliser un fonctionnement de dialogue en équipe. Le rôle du manageur de transition consisterait, quant à lui, à assurer le suivi du plan sur deux à trois ans.

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L’encadrement de l’usage de l’intelligence artificielle par les salariés a commencé

« Avant ChatGPT, la position des dirigeants sur l’intelligence artificielle était “n’ayez pas peur” ; maintenant que les collaborateurs s’en emparent, on leur dit “faites attention”. » Voici, résumée par Yann Ferguson, la dissonance qui frappe notamment les directions des ressources humaines depuis un an. « Ce sont d’abord les travailleurs qui s’en sont emparés dans leur situation de travail réel, sous les radars », rappelle cet enseignant-chercheur à l’Institut catholique des arts et métiers de Toulouse, responsable scientifique du LaborIA, un laboratoire de recherche-action créé en 2021 pour appréhender les effets de l’intelligence artificielle sur l’avenir du travail.

Comment les DRH évaluent-ils ces effets, dès aujourd’hui ? Une douzaine d’entre eux en a discuté mardi 10 octobre, à Paris et à distance, lors des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management créé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup Talent Solutions et Malakoff Humanis.

En préambule, Yann Ferguson est revenu sur dix ans de prédiction sur les effets – souvent annoncés dévastateurs – de l’intelligence artificielle (IA) sur les emplois. En 2013, une étude de l’université d’Oxford place la moitié des emplois américains dans une « haute probabilité d’automatisation », notamment les métiers de la vente et de l’administration. En 2018, une étude française conclut que les tâches manuelles sont les plus menacées. En juillet 2023, l’OCDE indique presque le contraire : les cols blancs sont les plus concernés par l’IA, et 32 % des emplois sont appelés à évoluer profondément. En somme, peu de métiers disparaîtront, mais la majorité sont appelés à se transformer. L’intelligence artificielle générative (IAG), vulgarisée par ChatGPT, marque une étape supplémentaire, puisqu’elle permet de générer du texte et des images en quelques secondes.

Les employeurs ont bien compris qu’il était impensable de rater la « révolution » de l’IA, et adoptent une même ligne : laisser les salariés s’approprier ces outils, tout en évitant les dérives, notamment leur confier des données de l’entreprise. « L’enjeu, c’est “comment on arrive à mettre un peu de cadre mais pas trop”, explique Juliette Couaillier, chief talent officer d’Havas. Nos salariés vont souvent plus vite qu’on ne l’imagine, et on a la conviction que cela permet aux métiers créatifs de devenir encore meilleurs, mais on ne peut pas utiliser directement les résultats de l’IA. » La direction juridique a rédigé une charte pour préciser ce que les salariés peuvent partager.

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Le congé solidaire, un dispositif méconnu mais efficace pour sensibiliser aux enjeux environnementaux

L’île de Saint-Honorat (Alpes-Maritimes) dont le projet de reconquête agricole consiste à planter 60 oliviers de 8 variétés originaires de la région.

« Dépaysant », « bouleversant », « inspirant », « c’est vraiment une super idée »… Alexia Festin, salariée de Maisons du monde (MDM), ne cache pas son enthousiasme depuis fin mars, date de son retour de congé solidaire organisé par la Fondation MDM sur l’île de Saint-Honorat (Alpes-Maritimes). Elle est allée y planter des oliviers avec une dizaine de collègues. « Une fois rentrée à Vertou [Loire-Atlantique], j’ai cherché autour de chez moi des associations pour découvrir la biodiversité de ma région. » Un an plus tôt, d’un programme de reforestation en Equateur, une autre salariée de MDM, Danièle Esnée, parlait de « voyage extraordinaire ». Plébiscité par ceux qui l’ont essayé, le congé solidaire fait son chemin dans les milieux professionnels depuis une vingtaine d’années.

Comme Alexia et Danièle, plus de 10 000 volontaires sont partis en congé solidaire depuis vingt-trois ans. Un modeste bilan qui a vocation à doubler d’ici à 2030 : c’est en tout cas l’objectif de Planète Urgence. Cette association qui prépare les missions avec les ONG locales l’a annoncé dans un Livre blanc à destination des entreprises.

Plus de 400 employeurs (entreprises et collectivités) ont financièrement soutenu le dispositif depuis sa création, des grands groupes de tous secteurs (EDF, Engie, Servier, Somfy, Maisons du monde, Mazars, Capfi, Bpifrance) comme des PME (ATPS, BETC). Les entreprises se renouvellent d’une année sur l’autre. « Trente-trois entreprises représentant 335 000 salariés sont engagées pour l’année 2023. Les petites entreprises ouvrent une ou deux places pour un départ, les grandes peuvent aller jusqu’à quarante salariés par an », indique Amandine Hersant, la directrice générale de Planète Urgence. L’association organise en octobre le mois du volontariat en entreprise, en collaboration avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Deux semaines au maximum

A l’origine, le concept du congé solidaire a été créé fin 1999 par Hervé Dubois, actuellement directeur de l’Institut de coopération internationale. Après une expérience en mission avec Médecins du monde, où il avait embarqué des salariés de la Caisse des dépôts dans le nord de l’Irak, il en a conclu qu’il était intéressant d’ouvrir le monde de l’humanitaire à des gens qui ont des compétences de l’entreprise. Il a fondé l’association Congé solidaire, en 2000, devenue depuis Planète Urgence. « Nous avons lancé ce projet avec la Caisse des dépôts et Yves Saint Laurent, se souvient-il. La première volontaire du congé solidaire a été une patronnière chaussures de chez Yves Saint Laurent. Elle était partie au Kosovo pour mettre en place une gestion de stocks. » « La plupart des associations ne reçoivent de compétences que par ce levier-là », souligne Amandine Hersant.

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L’immobilier de bureau chahuté, entre envolée des taux et mutation des usages en Europe

Il n’est pas au cœur du débat politique comme l’a été le logement au cours des dernières semaines, mais le marché de l’immobilier de bureau est, lui aussi, sous étroite surveillance. Dans toute l’Europe, professionnels et autorités financières redoutent de voir une chute des volumes et des prix mettre en difficulté de grands investisseurs, voire fragiliser le système financier dans son ensemble.

En décembre 2022, déjà, le Conseil européen du risque systémique, l’un des grands superviseurs du marché financier de l’Union européenne, soulignait la vulnérabilité de l’immobilier commercial (bureaux, commerces, locaux industriels et entrepôts) à l’inflation, au durcissement des conditions de financement et au ralentissement économique. Depuis, les avertissements n’ont pas cessé, d’autant qu’aux Etats-Unis, l’immobilier commercial a joué un rôle capital dans la déroute de la banque spécialisée Signature Bank, dont les autorités ont organisé en urgence la fermeture et le démantèlement, en mars.

En Europe, plusieurs voyants sont passés à l’orange, voire au rouge. Au point que, pour Alexandra Dimitrijevic, directrice de la recherche à l’agence de notation S&P Global, l’immobilier commercial est devenu l’un des principaux maillons faibles de l’économie : « Il est très dépendant des coûts de financement et des changements structurels de l’après-pandémie [de Covid-19]. C’est un secteur où il faut être vigilant, même s’il y a des différences géographiques. » Parmi les pays les plus touchés figurent l’Allemagne et la Suède, où SBB, l’un des principaux acteurs du secteur, a dû céder une partie de son portefeuille immobilier pour éviter une crise de liquidité.

En France, après l’inquiétude manifestée par la Banque de France quant à « la faible liquidité de cette classe d’actifs, et donc la difficulté à la valoriser de manière régulière et précise » en période de retournement de cycle, plusieurs sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), qui permettent aux investisseurs d’acheter des parts d’un portefeuille de biens, étaient contraintes d’abaisser la valeur de leurs parts.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés SCPI : stop ou encore ?

Ce revers de fortune a évidemment remis en cause la stratégie de croissance de certains. « Fin 2022, les prédateurs se mettaient en ordre de bataille : des SCPI qui avaient collecté beaucoup d’argent laissaient entendre que les décotes allaient être saignantes et se préparaient à racheter des biens. Mais les acheteurs d’hier sont en train de se transformer en vendeurs », raconte Philippe Rosio, PDG de la foncière Inea.

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Le système D des travailleurs en situation irrégulière : « J’ai travaillé avec les papiers de mon cousin qui ne me ressemble pas du tout »

Cela fait plus de dix ans qu’il est en France. Et autant de temps qu’il travaille, comme gardien d’immeuble dans la région parisienne, maçon, auxiliaire de vie dans l’Ariège ou, depuis décembre 2020, comme ripeur et balayeur en Seine-Saint-Denis. Mais jamais il n’a été embauché sous son vrai nom. Pour cause : Mohamed Traore est un sans-papiers. Pour réussir à trouver un emploi déclaré, ce Malien de 38 ans – diplômé en droit des affaires dans son pays – a eu recours à un subterfuge répandu parmi ceux qui sont dépourvus de titre de séjour : il a présenté les documents d’identité de quelqu’un d’autre, en situation régulière. On appelle ça « travailler sous alias ». C’est la seule façon de cumuler des bulletins de paye et de pouvoir, à terme, prouver son travail et prétendre à une régularisation auprès d’une préfecture.

Alors qu’un vaste mouvement de grève de plus de 600 travailleurs sans papiers a été déclenché, mardi 17 octobre en Ile-de-France, à l’appel du syndicat CGT, la présence de ces grévistes – intérimaires pour la majorité – dans une trentaine d’entreprises des secteurs du bâtiment, de la logistique, des déchets, de la distribution ou encore du nettoyage, met de nouveau en lumière l’ampleur du travail des sans-papiers et l’hypocrisie du système qui les ignore, ou feint de les ignorer.

Mohamed Traore et son dossier de preuves de présence et d’activités salariées en France. A Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 15 octobre 2023.
Eléments du dossier de preuves de présence et d’activités salariées en France de Mohamed Traore, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 15 octobre 2023.

Simultanément, une vingtaine de travailleurs ou anciens travailleurs sans papiers employés par des sous-traitants de Bouygues sur les chantiers des Jeux olympiques (JO) ou du Grand Paris, appuyés par le syndicat CNT-SO et plusieurs collectifs de sans-papiers, ont brièvement occupé le chantier de l’Arena, porte de la Chapelle, censé accueillir des épreuves des JO 2024.

Pour travailler, tous ces ouvriers ont eu recours à des « alias » ou à des faux documents, la plupart du temps au su, disent-ils, de leur employeur.

« Le chef d’équipe, c’est sûr qu’il sait »

Mohamed Traore fait partie des grévistes accompagnés par la CGT. Depuis qu’il est en France, il a travaillé sous quatre identités différentes. Et, il n’en doute pas une seconde, aucun de ses patrons n’était dans l’ignorance. « En 2013, quand j’étais gardien dans des immeubles HLM, j’ai d’abord travaillé avec les papiers de mon cousin qui est métis et ne me ressemble pas du tout, relate-t-il. Puis, au bout de quelques mois, mon cousin ne voulait plus prendre de risques alors j’ai apporté à mon employeur un autre titre de séjour, celui d’un ami. » Le patron n’a pas moufté. Il a juste changé le nom sur les nouveaux bulletins de paye. Mohamed a même pu signer un CDI. En revanche, quand, au bout de cinq ans de présence sur le territoire, il a demandé à son patron d’appuyer sa demande de régularisation – en attestant notamment auprès de l’administration de sa présence dans l’entreprise – ce dernier l’a licencié sans autre forme de procès.

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Le Sénat adopte le projet de loi sur le « partage de la valeur »

Après les députés fin juin, les sénateurs ont à leur tour largement adopté, mardi 17 octobre, le projet de loi du gouvernement sur le « partage de la valeur » au sein des entreprises, une transposition fidèle d’un accord entre syndicats et patronat. Conclu en février, cet accord national interprofessionnel (ANI) vise à étendre des dispositifs tels que l’intéressement, la participation ou les primes de partage de la valeur (PPV ou « prime Macron ») à toutes les entreprises d’au moins 11 employés.

Le Sénat, à majorité de droite et du centre, a adopté le texte à 244 voix contre 18. Une délégation de sénateurs doit désormais trouver un compromis avec les députés lors d’une commission mixte paritaire (CMP) prévue le 30 octobre. Le groupe communiste a voté contre, regrettant des dispositifs qui « se substituent aux augmentations de salaire ». Un argument également avancé par les écologistes et les socialistes, qui se sont abstenus.

Le groupe socialiste a dénoncé un texte restant « bien en deçà des attentes et des besoins des salariés ». Le ministre du travail, Olivier Dussopt, a quantà lui salué un « exercice de démocratie sociale réussi », un « gage de confiance au dialogue social ».

« Respecter le dialogue social »

Le Sénat s’est néanmoins attaché à épurer le texte en revenant sur plusieurs dispositions adoptées par l’Assemblée nationale. Il a notamment repoussé d’un an, à 2025, la date du début de l’expérimentation de l’intéressement ou de la participation pour les entreprises de 11 à 49 salariés.

« Nous nous sommes limités à respecter les accords car nous avions la volonté de respecter le dialogue social », s’est justifié le président (Les Républicains) de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller. La participation est un mécanisme de redistribution des bénéfices, actuellement obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, tandis que l’intéressement est une prime facultative liée aux résultats ou aux performances non financières. Ces dispositifs s’accompagnent d’avantages fiscaux.

Le projet de loi permet également d’attribuer la prime de partage de la valeur deux fois par année civile au lieu d’une. Il prévoit aussi qu’en cas de « bénéfice exceptionnel », les entreprises de plus de 50 salariés en négocient la définition et le partage.

Le Monde avec AFP

Le bien-être des jeunes Européens stagne, rappelle le Forum européen de la jeunesse

Celya Moungari (au centre), une psychologue de rue, et Nordine Lagragui (à gauche), éducateur, discutent avec un adolescent dans un parc à Harnes (Pas-de-Calais), le 6 juin 2023.

Les jeunes ne vont pas très bien. Selon les données publiées par l’agence Santé publique France le 9 octobre, « la santé mentale des jeunes Français est toujours dégradée en 2023, une tendance constante depuis septembre 2020 ». Plus de 20 % des 18-24 ans sont ainsi concernés par la dépression, soit deux fois plus qu’en 2017.

Lire notre enquête : Article réservé à nos abonnés Comportements suicidaires : une jeunesse toujours plus en souffrance

Un constat préoccupant, que confirme la grande étude publiée mercredi 18 octobre par le Forum européen de la jeunesse (European Youth Forum), une association regroupant une centaine d’organisations représentant les jeunes dans les pays membres, et financée par des fonds européens. « Nos données montrent que l’Europe a fait très peu de progrès depuis 2011 en matière de droits et de bien-être des jeunes, et aucun progrès depuis 2018 », assène Fabiana Maraffa, chargée de mission au sein du Forum, qui a travaillé sur le rapport.

Pour poser ce constat, l’organisation a passé au crible une soixantaine d’indicateurs sociaux (accès au soin, à l’éducation, liberté d’expression…), afin de bâtir un « indice de progrès des jeunes », comparable dans cent cinquante-trois pays – pas seulement en Europe, donc. Et ce, depuis douze ans. Sans surprise, les pays nordiques apparaissent en tête du classement, tandis que la France recule à la 24e place – en 2011, elle était 18e.

Renforcer les investissements publics

Mais le plus intéressant est l’évolution relative des pays, et la nette régression enregistrée par certains. « L’indicateur de progrès est en déclin en Amérique du Nord », note ainsi le rapport. Cela, en raison du recul en matière de discriminations et violences contre les minorités, où l’indice de satisfaction a plongé de 35,5 points depuis 2011, de droits politiques (− 15 points) et de liberté académique (− 13,9 points).

« En Europe, deux pays font partie des ceux qui n’ont réalisé aucun progrès au cours de la dernière décennie : le Royaume-Uni et la France », détaille également l’étude. Depuis 2011, la satisfaction des jeunes Britanniques a reculé en matière de qualité des soins et de lutte contre les discriminations. En France, la satisfaction a l’égard de l’accès au logement a reculé de 25 points. « Le problème du logement se retrouve dans la majorité des pays européens, en raison de la flambée des loyers : c’est un sujet majeur », explique Fabiana Maraffa.

Partout ou presque, la santé mentale des jeunes s’est dégradée depuis la pandémie de Covid-19, en raison de l’isolement social et de l’anxiété qu’ils ont subis. « Notre analyse montre en outre que la scolarisation des enfants dès leur plus jeune âge et l’égalité d’accès à l’éducation contribuent à un meilleur bien-être mental chez les jeunes », expliquent les auteurs. Tandis qu’à l’inverse, une hausse du taux de chômage se traduit, sans surprise, par une augmentation des dépressions.

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