Archive dans septembre 2023

« Que sait-on du travail ? » : les raisons qui continuent de freiner l’égalité femmes-hommes

29 % : tous temps de travail confondus, les hommes gagnaient en moyenne, en 2019, 29 % de plus que les femmes, et 17 % de plus en équivalent temps plein (à savoir le salaire converti à un temps plein pendant toute l’année, quel que soit le volume de travail effectif). Entre les deux sexes, le plafond de verre continue d’être une réalité au travail.

C’est ce que mettent en évidence les économistes Vanessa di Paola et Stéphanie Moullet dans leur contribution pour le projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? », du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec le Liepp et les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi de Lemonde.fr.

Après un rappel historique des principales avancées législatives pour favoriser l’égalité femmes-hommes (principe « à travail de valeur égale, salaire égal » en 1972, index d’égalité professionnelle en 2019, loi Rixain en 2021), les autrices égrènent les chiffres récents qui prouvent la persistance de différences sur le salaire et la nature des postes occupés : les femmes occupent plus souvent que les hommes des emplois peu ou pas qualifiés (23 % sont employées ou ouvrières non qualifiées, contre 14 % des hommes) ; plus d’une personne sur deux (54 %) occupant un emploi à durée limitée (CDD, intérim) est une femme ; 28 % des femmes travaillent à temps partiel en France contre seulement 8 % des hommes.

Ce plafond de verre, défini comme « l’ensemble des obstacles visibles et invisibles qui séparent les femmes du sommet des hiérarchies professionnelles et organisationnelles », tient en premier lieu aux orientations scolaires, qui influencent nettement les parcours professionnels. Si les femmes ont aujourd’hui un niveau de diplôme supérieur à celui des hommes, elles sont toujours aussi rares en écoles d’ingénieurs, et plus présentes dans les secteurs moins rémunérateurs.

Un point de bascule symbolique

A cela s’ajoute une « ségrégation verticale », plus inquiétante : à poste égal, l’écart de rémunérations et de responsabilités demeure. Parmi les cadres, par exemple, les femmes accèdent moins aux responsabilités hiérarchiques que les hommes (35 % versus 43 %). « Elles ont une probabilité d’exercer une responsabilité hiérarchique de 30 % inférieure à celle des hommes », écrivent les chercheuses.

Ces dernières expliquent que la persistance de stéréotypes et normes de genre justifie ces schémas : malgré des améliorations, la fonction d’encadrement est toujours fortement associée au genre masculin, réputé plus autoritaire.

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« Pourquoi le plafond de verre résiste-t-il encore ? »

[Pourquoi l’égalité professionnelle n’est-elle toujours pas atteinte, à travail égal ? Vanessa di Paola est maîtresse de conférences à la faculté d’économie et de gestion d’Aix-Marseille Université. Elle est également chercheuse au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST, CNRS, Aix-en-Provence) et directrice du centre associé régional du Céreq. Elle mène des recherches sur les inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail, en particulier sur le plafond de verre en Europe. Elle a coréalisé un film documentaire intitulé « Les Femmes et le top management. Quand les organisations résistent » pour sensibiliser le grand public sur les véritables enjeux de la lutte contre les discriminations dans le monde du travail. Stéphanie Moullet est maîtresse de conférences en sciences économiques à Aix-Marseille Université, chercheuse au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST, CNRS, Aix-en-Provence) et directrice de l’Institut régional du travail (IRT) d’Aix Marseille Université. Ses recherches en économie du travail et de l’éducation portent sur la relation formation initiale-emploi et sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, et plus spécifiquement sur les discriminations salariales.]

Introduction

L’objectif d’égalité professionnelle entre femmes et hommes est affiché par l’Europe depuis sa création en accordant une place centrale à la promotion de l’accès des femmes aux postes à responsabilités. En France, l’égalité femmes-hommes est un principe inscrit dès 1946 dans le Préambule de la Constitution. Dès 1972, la loi pose le principe « à travail de valeur égale, salaire égal ». Depuis, de nombreuses lois sont venues la compléter.

En 2019, le décret d’application de l’Index d’égalité professionnelle fixe désormais une obligation de résultats aux entreprises et non plus seulement de moyens. Les entreprises d’au moins cinquante salariés doivent calculer et publier sur leur site Internet la note globale de l’Index de l’égalité femmes-hommes, ainsi que la note obtenue à chacun des cinq indicateurs le composant. En cas de non-publication de ses résultats et de non-mise en œuvre de mesures correctives ou d’inefficience de celles-ci, l’entreprise s’expose à une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1 % de sa masse salariale annuelle.

La dernière loi de 2021, dite « loi Rixain », fixe des quotas de 40 % de femmes cadres dirigeantes de grandes entreprises d’ici à 2030. Pourtant, malgré cet arsenal législatif, les femmes ont toujours moins de chances d’occuper des postes à responsabilités, comme l’illustrent les travaux sur le plafond de verre défini comme « l’ensemble des obstacles visibles et invisibles qui séparent les femmes du sommet des hiérarchies professionnelles et organisationnelles »(Laufer, 2004, 2005 ; Buscatto et Marry, 2009). Elles y sont également moins rémunérées.

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L’argot de bureau : le « design résimercial » ou le bureau fait maison

Argot de bureau

Personne n’y avait pensé : et si l’achat d’un tatami de bureau était la solution pour mieux travailler ? Attention, n’y voyez pas l’occasion de placer discrètement un uchi-mata à votre chef. Il s’agit plutôt de « transformer les espaces de travail en expérience de convivialité », avec ce mobilier de bureau au ras du sol.

Peut-être cette innovation s’inscrit-elle dans la millionième « tendance » qui frappe l’immobilier de bureau : le « design résimercial ». Ce mot-valise difficile à déchiffrer est la contraction de « résidentiel » et de « commercial ». Il est apparu dans les magazines de design américains en 2017. Si vous n’en avez jamais entendu parler, c’est justement parce qu’il est resté bien au chaud dans l’entre-soi des designers.

« Depuis le Covid, les designers sont obligés de réinventer leur discours, et les consultants inventent des mots. On a toujours l’impression qu’un nouveau pseudo-concept va produire tel effet qu’on sait à l’avance », déplore Nicolas Cochard, directeur R&D du cabinet de conseil en bâtiment et en immobilier Kardham. C’est exactement le cas ici : pour nombre de DRH, il a fallu faire revenir les salariés au bureau.

Le salarié est un client

Il y avait déjà l’« hospitality management », qui consiste depuis une vingtaine d’années à appliquer les codes de l’hôtellerie aux espaces de travail. Le salarié est un client, qu’il faut persuader de venir : or on ne persuade personne avec des bureaux grisâtres et impersonnels.

En plus du service, il est question avec le « résimercial » de se sentir comme chez soi. C’est-à-dire mal assis dans un canapé, avec le bruit des voisins et des travaux, sur un ordinateur portable ? Non voyons, il s’agit de reproduire le confort du nid douillet.

Si l’on en croit les consultants qui tentent de pousser cette « tendance », cela s’illustre par la diversification des lieux au bureau : une kitchenette pour le midi, un lounge pour discuter, un espace extérieur pour prendre l’air. Et, évidemment, la salle de sieste, qui envoie un signal « cool ». Le tout est cosy, avec des tapis, des plantes à n’en plus finir, et des poufs de couleurs chaudes (jaune, rouge)… Mais pourquoi avait-on inventé les sièges ergonomiques, alors ?

Un retour massif des salariés

Comme dans une maison, il y a des espaces intimes et des espaces de discussion : si l’on revient au bureau pour retrouver la discussion et l’informel, il faut prévoir des espaces flexibles pour adapter ces échanges. Au 37e étage de la tour ALTO de la Défense, l’entreprise d’aménagement de bureaux Comet a créé une « oasis inattendue », qui comprend des espaces de convivialité, et en particulier un lieu réservé à la pratique des jeux vidéo. La légende dit que les salariés ont vu leur productivité chuter de 70 %, et que (surtout) certains de ses salariés ont intégré les classements mondiaux sur FIFA.

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Les salaires ont rattrapé l’inflation au deuxième trimestre

Les courbes se croisent enfin. Pour la première fois depuis le début de l’envolée des prix, en 2021, les salaires ont augmenté sur un an légèrement plus que l’inflation au deuxième trimestre 2023, selon les chiffres publiés par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, vendredi 22 septembre.

La Dares suit l’évolution du salaire de base, c’est-à-dire le salaire brut, hors primes et heures supplémentaires, dont le montant apparaît souvent à la première ligne du bulletin de paie. Dans le détail, l’indice du salaire horaire de base des ouvriers et des employés a progressé de 1,2 % au deuxième trimestre dans les entreprises de dix salariés ou plus du privé (hors agriculture et particuliers employeurs). Et le salaire mensuel de base de l’ensemble des salariés a progressé de 1 % sur la même période.

Sur un an, ils avaient, à la fin du mois de juin, augmenté de 5,1 % pour le salaire horaire des ouvriers et des employés, et de 4,6 % pour le salaire mensuel de base de l’ensemble des salariés (c’était + 5,2 % et + 4,7 % au trimestre précédent). Mais ces chiffres ne disent rien du pouvoir d’achat des salariés si on ne les rapporte pas à l’évolution des prix qui, après avoir touché un plus haut, à 6 % au quatrième trimestre 2022, a ralenti, en 2023, pour revenir à 4,4 % sur un an au deuxième trimestre.

Différences notables selon les secteurs d’activité

Ainsi, sur un an et en euros constants, le salaire horaire de base des ouvriers et des employés a augmenté de 0,7 %, et le salaire mensuel de base de l’ensemble des salariés de 0,2 %. Rien de spectaculaire, et encore moins de quoi nourrir une nouvelle crainte de boucle prix-salaires, dont tous les économistes attestent aujourd’hui qu’elle n’a pas eu lieu. Mais le signe que certains mécanismes finissent par fonctionner.

« On voit enfin une répercussion de l’inflation sur les hausses de salaire, avec un effet retardé lié aux délais nécessaires à la négociation dans les entreprises, souligne Christine Erhel, directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail, au Conservatoire national des arts et métiers. Cependant, il faut se rappeler que l’on est sur des moyennes. Ces chiffres ne reflètent donc pas forcément les situations particulières dans certains métiers. »

L’indexation du smic sur l’inflation (la méthode de calcul permet même au salaire minimum d’augmenter un peu plus vite) a joué à plein pour entraîner à sa suite une hausse des plus bas salaires, qui ont progressé plus que les autres. Le salaire mensuel de base des ouvriers a ainsi augmenté de 5,3 % sur un an, et celui des employés de 4,9 %. C’est + 4,3 % pour les professions intermédiaires, et + 3,8 % pour les cadres. Rapportés à l’inflation sur la période, seuls les salaires des ouvriers et des employés ont donc, en définitive, « rattrapé » l’évolution des prix.

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« L’homme qui consacre une partie de son temps à ses enfants ou à ses parents transgresse des stéréotypes puissants »

Les pages people des magazines montrent de plus en plus souvent des acteurs ou des sportifs célèbres, musculature avantageuse, lunettes noires sur le nez et bébé dans les bras. Dans les parcs, on voit fréquemment de jeunes pères piloter des landaus avec adresse, apparemment sans risque pour leur masculinité. Etre papa et s’occuper au quotidien de ses jeunes enfants est-il désormais socialement admis ?

Le congé de paternité rémunéré, créé en 2002 et porté à vingt-cinq jours en 2021, contribue à renforcer les liens entre les pères et leur progéniture. Mais nos recherches (« Deviation from the ideal worker norm and lower career success expectations : A “men’s issue” too ? », par Clotilde Coron et Emmanuelle Garbe ; Journal of Vocational Behavior, 2023) montrent la force des stéréotypes encore à l’œuvre dans l’univers professionnel.

Les manageurs se mettent à douter

Pour un homme, diminuer son activité pour passer du temps avec ses enfants reste toujours, malgré l’image d’Epinal de la paternité épanouie, un choix à haut risque. Très peu d’entre eux d’ailleurs s’y osent. Ils ne sont aujourd’hui que 1 % à opter pour un temps partiel volontaire afin de s’occuper de leur famille, que ce soit de jeunes enfants ou de parents âgés en perte d’autonomie.

Deux fois plus d’hommes passent à temps partiel pour mener une seconde activité professionnelle ou pour suivre une formation que pour prendre soin de leur famille. Ceux qui gardent du temps libre pour se consacrer à un hobby sont également plus nombreux que ceux qui veulent s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents !

Nos recherches permettent de comprendre ces réticences. Les recherches existantes montrent que les quelque 30 % de femmes qui travaillent à temps partiel (dont la moitié pour des raisons familiales) sont pénalisées dans leurs carrières, avec des salaires horaires inférieurs, plus de difficultés d’accès aux responsabilités et des postes de moindre qualité que leurs consœurs à plein temps. Les hommes qui font le choix d’un temps pour leur famille ne sont pas moins pénalisés que les femmes. Au contraire. Ils le sont doublement.

Comme pour les femmes usant de ces dispositifs, les manageurs se mettent à douter a priori de leur engagement professionnel. S’ils veulent du temps pour leur famille, leur mobilisation au service de l’entreprise devient pour leur hiérarchie forcément incertaine.

Une répartition des tâches récente

Mais cela va plus loin. Les hommes qui choisissent le temps partiel pour s’occuper de leurs proches ne se conforment pas à ce que l’on attend d’un homme. Les mentalités ont moins évolué qu’on ne le croit. Pour 35 % des habitants de l’Union européenne, un homme doit prioritairement gagner de l’argent et une femme s’occuper de la maison et de la famille. Alors que la grande majorité des femmes (68 %) travaillent à temps plein sur le continent, ce « choix » reste considéré par un Européen sur deux comme se faisant au détriment de la famille.

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Services à la personne, un secteur qui ne s’en sort pas sans l’immigration

Une aide à domicile dans un Ehpad de Fontaine-le-Comte (Vienne), le 25 janvier 2023.

« Avant, jusqu’en 2015 environ, lorsqu’on diffusait une offre d’emploi, nous recevions une centaine de candidatures, dont une vingtaine émanait de personnes diplômées, et à la fin nous pouvions signer environ six contrats. Aujourd’hui, nous n’avons même pas un retour », raconte Brice Alzon, président de la Maison des services à la personne (MDSAP) et de Coviva, une enseigne qui compte dix-sept agences et environ 850 intervenantes − le métier est massivement féminisé.

Dans le vaste secteur des services à la personne (des employés de maison aux nourrices, en passant par les auxiliaires de vie et le soutien scolaire), la question du recours à la main-d’œuvre étrangère « n’est même pas un sujet » tant la la difficulté à recruter est grande, insiste M. Alzon.

Plus l’agence est implantée dans une région riche en emplois, plus elle doit s’appuyer sur les candidatures de personnes étrangères pour fonctionner : à Argenteuil (Val-d’Oise), sur les trente-six salariés que compte cette agence, un tiers a un titre de séjour, tandis qu’à Mulhouse, où le marché du travail est moins tendu, le ratio est de 20 %, explique M. Alzon. La situation chez Coviva illustre ce qui se passe à l’échelle nationale : 25 % des travailleurs du secteur sont des immigrés.

Emplois du temps hachés

Et cette proportion est appelée à augmenter : entre les départs à la retraite et le vieillissement de la population, environ 800 000 postes seront à pourvoir d’ici à 2030, rapporte Catherine Lopez, directrice générale de la Fédération des entreprises de services à la personne : « Faute de quoi on ne pourra plus accompagner les personnes âgées chez elles. »

C’est déjà très souvent le cas, comme en témoigne Arnold Fauquette, fondateur de Vivat, une entreprise d’utilité sociale implantée dans le Nord et le Pas-de-Calais, qui emploie environ deux cents salariés, dont 95 % de femmes. « Aujourd’hui, nous ne parvenons à satisfaire que 64 % de la demande », explique-t-il. Autrement dit, une famille sur trois doit se débrouiller seule pour trouver son aide à domicile, sans garantie de trouver, quitte à faire travailler une personne sans papiers.

Les réseaux d’agences qui ont pignon sur rue, disent ne pas faire travailler de sans-papiers, sous peine de perdre leur agrément. « Environ de 20 % à 25 % de nos neuf cents intervenants salariés ont des titres de séjour, explique Frédéric Neymon, administrateur de la Fédération des services à la personne et de proximité (Fedesap) et dirigeant du réseau Age et Perspectives. Quand ces titres se périment, on a toutes les difficultés à les faire renouveler dans les délais. » Or impossible de se passer de ces personnes. « Il nous faudrait 30 % d’intervenants de plus pour satisfaire la demande », précise M. Neymon.

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« Déficit caché » du système des retraites : François Bayrou auditionné par le Conseil d’orientation des retraites

François Bayrou, haut-commissaire au plan, s’adresse à la presse après une réunion avec la première ministre, Elisabeth Borne, le 18 septembre 2023.

François Bayrou a exécuté les mêmes gestes qu’à l’époque où il était professeur de lycée. Auditionné, jeudi 21 septembre, par le Conseil d’orientation des retraites (COR) en sa qualité de haut-commissaire au plan, il a écrit sur un tableau. Non pas pour donner une leçon de français, comme au milieu des années 1970, mais pour livrer sa vérité sur les chiffres. Le président du MoDem considère que la population n’a pas été correctement informée sur la gravité de la situation financière de nos régimes de pension.

Au cœur de la controverse, il y a les données fournies par le COR – un cénacle dans lequel siègent des représentants des grandes administrations, des partenaires sociaux, des parlementaires et des personnalités qualifiées. Les données en question montrent que le système de retraite dégage, à l’heure actuelle, des excédents : + 900 millions d’euros en 2021 et + 4,4 milliards en 2022. Cette présentation est trompeuse, pour M. Bayrou, car elle repose sur des artifices comptables que l’on omet trop souvent, d’après lui, de mentionner dans le débat public. Sa principale objection tient au fait que le niveau de « cotisations employeurs » pour payer les retraites des agents de l’Etat est nettement plus élevé que celui qui est pratiqué pour les salariés du privé : un peu plus de 74 % pour les fonctionnaires civils (et même 126 % pour les militaires), contre 16,5 % s’agissant des travailleurs du secteur marchand.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Controverse autour du « déficit caché » du système des retraites

Grâce à cette « surcotisation », le système de retraite de l’Etat est à l’équilibre. Un tel effort, qui déroge au droit commun, se matérialise par une « subvention » que M. Bayrou évalue à « 40 milliards d’euros par an ». Le problème, poursuit-il, c’est que nos « finances publiques sont déjà dégradées » et qu’il faut donc « emprunter » pour réunir cette somme, « ce qui concourt à alourdir la dette dans des proportions très importantes ». « C’est moralement insupportable car le fardeau va retomber sur les générations futures, alors qu’elles devront, dans le même temps, supporter les coûts liés à la transition écologique », estime-t-il.

« Un pas en avant »

Ce discours, M. Bayrou le tient depuis plusieurs mois. En décembre 2022, il l’avait exposé dans un rapport, en tant que haut-commissaire au plan. Sa thèse s’inspire de travaux effectués par Jean-Pascal Beaufret, un ancien inspecteur général des finances, qui a publié plusieurs articles dans la revue Commentaire autour de l’idée d’un « déficit caché » dans les régimes de retraite. Egalement entendu, jeudi matin, par le COR, M. Beaufret aboutit à des chiffrages encore plus massifs que M. Bayrou sur les subventions qui sont mobilisées pour équilibrer le dispositif.

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L’Europe du Nord se ferme à l’immigration malgré la pénurie de main-d’œuvre

Un travailleur transporte des planches de bois sur le site d’une ancienne caverne de stockage de pétrole, à Västeras (Suède), le 11 août 2023.

A partir du 1er octobre, les règles pour obtenir un permis de travail en Suède vont changer. Jusqu’à présent, le salaire minimum exigé pour décrocher un titre de séjour était de 13 000 couronnes (1 100 euros) par mois. Il va doubler, pour passer à 26 500 couronnes, soit 80 % du salaire médian suédois. Une mesure décriée par les entreprises et les collectivités locales, qui craignent de voir la pénurie de main-d’œuvre s’aggraver.

Proposée par les sociaux-démocrates lorsqu’ils étaient encore au pouvoir, la réforme a été votée au Parlement, le 30 novembre 2022, à l’initiative de la nouvelle majorité, composée de la droite libérale conservatrice et de l’extrême droite. Elle a deux objectifs : lutter contre les abus de la part d’employeurs peu scrupuleux, mais surtout réduire les arrivées de travailleurs peu qualifiés.

En 2022, la Suède a accordé 37 000 permis de travail à des ressortissants de pays hors Union européenne (dont deux tiers pour une première demande). Parmi eux : 6 500 saisonniers, embauchés pour ramasser les baies dans les forêts suédoises, mais aussi 8 700 techniciens d’essais informatiques, des employés de la restauration et des services d’aides à domicile. En tête : un quart environ venait d’Inde.

Accords collectifs

Selon un rapport publié en juin par la Confédération suédoise des industries, cette immigration du travail a contribué à hauteur de 43 milliards de couronnes au produit intérieur brut suédois, générant 14 milliards de couronnes de recettes fiscales. Or les nouvelles règles pourraient réduire de moitié les arrivées, affirme Karin Johansson, vice-présidente de la confédération, car « la moitié des personnes ayant décroché un permis de travail avaient un salaire mensuel inférieur à 26 500 couronnes ».

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Elles ne sont pas les seules : selon le Bureau central des statistiques, environ 15 % des salariés en contrat à durée indéterminée en Suède sont dans la même situation. L’Institut de médiation à Stockholm estime que près d’une centaine d’accords collectifs prévoient des salaires minimums inférieurs au nouveau plancher imposé par le gouvernement. Karin Johansson y voit donc « une remise en cause du système de négociation collective, puisque, en imposant un salaire minimum pour les travailleurs immigrés supérieurs à ce qui existe dans certaines branches, le gouvernement remet en cause les accords passés entre les syndicats et le patronat ».

A la tête de l’Association des communes et des régions suédoises, Anders Henriksson approuve : « Nous pensons que c’est une bonne chose que le gouvernement veuille lutter contre l’exploitation des travailleurs étrangers. Mais, au lieu de fixer un revenu indexé sur le salaire médian, il aurait été bien plus judicieux d’imposer comme limite le salaire minimum inscrit dans les accords collectifs. »

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En manque de bras, la Flandre s’oriente vers le Mexique et l’Inde

La ligne de production de la Volvo Car Academy, à Gand, en août 2023.

Ils ont tout essayé : la création de centres de formation, des cours de langue néerlandaise, une attention spécifique aux jeunes « à problèmes », la promesse de promotions rapides, des campagnes de recrutement en France qui auront amené jusqu’ici 12 500 Nordistes dans leurs entreprises. Ils ont aussi tenté, souvent en vain, de recruter davantage que les 6 500 Wallons actuellement présents dans leurs usines. Le tout est insuffisant, déplore toutefois le VOKA West-Vlaanderen, la branche régionale du réseau d’entreprises flamandes, dont une grande partie des 18 000 membres s’alarme : partout, le manque de main-d’œuvre est criant et la liste des métiers en tension s’allonge.

Plus de 80 % des entrepreneurs disent rencontrer des problèmes de recrutement, mais la situation est particulièrement critique dans la province de Flandre-Occidentale. Le taux d’emploi y est le plus élevé de Belgique (80 % des 15-64 ans travaillent). Mais, selon le VOKA, quelque 77 000 postes y seront inoccupés à l’horizon 2030 avec, à la clé, le risque de paralysie de certains secteurs.

Et une crainte additionnelle : la réduction du nombre de travailleurs français, compte tenu du développement de l’emploi dans le Nord – avec, souvent cité en Flandre, l’exemple de Dunkerque – et la suppression, en 2034, du statut de transfrontalier, qui permet actuellement aux Français d’échapper à la lourdeur de l’impôt belge.

Politiquement tabou

La régularisation de demandeurs d’asile pourrait aussi être une solution. Mais ce thème semble politiquement tabou en Flandre, où même les partis à l’écoute des entreprises sont soumis à la pression de l’extrême droite xénophobe qui agite le spectre de « l’appel d’air ».

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C’est donc une autre solution que tente actuellement le VOKA, en facilitant la venue de travailleurs indiens et mexicains. Ils disposeraient de titres de séjour et de permis de travail d’une durée limitée… et l’espoir des patrons qu’ils deviendront définitifs. Quelque 7 000 travailleurs issus de pays non européens avaient ce statut en 2022. Trois fois plus qu’en 2021 pour les métiers en tension, cinq fois plus pour les emplois peu qualifiés.

« L’Inde et le Mexique connaissent un surplus de personnel bien formé, porteur d’une éthique et de bonnes connaissances techniques », soulignait, à la mi-août, Bert Mons, dirigeant de l’organisation en Flandre-Occidentale. Une première mission a déjà été menée, il y a quelques mois, au Mexique, conjointement avec l’office régional de l’emploi, l’université flamande de Louvain et l’hôpital universitaire de cette ville. La santé est, en effet, un autre secteur qui a, d’urgence, besoin de bras.

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