Archive dans janvier 2023

« L’employé de base, star inattendue du Forum économique mondial de Davos »

IRA, c’est l’acronyme de l’année, de toutes les conversations au Forum de Davos, en Suisse. En faisant adopter, en août 2022, sa loi Inflation Reduction Act, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a fait mouche. Avec cette formule inventée, peut-être pensait-il (ou ses conseillers) à ses lointaines origines irlandaises, mais le texte porte mal son nom. En effet, son objectif n’est pas tant de juguler l’inflation, ce qui est plutôt du ressort de la Réserve fédérale, que d’accélérer la décarbonation de l’économie, tout en finançant, à coups de subventions, le retour des usines sur le sol national.

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Cette perspective fait hurler les dirigeants politiques européens et rend jaloux tous les patrons du Vieux Continent. Aditya Mittal, à la tête du sidérurgiste ArcelorMittal, ou Martin Lundstedt, le PDG de Volvo (les camions), disent en substance la même chose : c’est ce qu’il nous faut en Europe afin de pouvoir passer la vitesse supérieure. Les technologies existent pour se déprendre du pétrole ou du charbon, mais il faut en accélérer l’adoption en réduisant leur coût.

Le débat que soulève cette nouvelle donne va au-delà de la question de la compétitivité. Interrogé sur le sujet, mardi 17 janvier, le secrétaire américain au travail, Marty Walsh, a d’abord botté en touche. La question des relations commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis n’est pas son job.

Appel d’air

Cependant, après une pause, il a reconnu que les conséquences sur le sien, c’est-à-dire le travail, seraient considérables. La réalité est que l’Amérique n’a pas suffisamment de personnel qualifié pour répondre à l’appel d’air que va provoquer ce tsunami. La réponse par la formation et l’éducation est essentielle pour ce fils d’immigré irlandais qui fut syndicaliste et maire de Boston.

L’employé de base, invisible, est devenu, du fait des pénuries, l’objet de toutes les attentions. « C’est la première fois que je vois des entreprises comprendre le lien entre le social et l’économique », assure Christophe Catoir, président de la société d’intérim Adecco. Pas d’altruisme soudain, mais la reconnaissance d’un nouveau rapport de force qui pousse les entreprises à lever le pied sur les licenciements, à l’inverse de ce qu’elles avaient fait au cours de la crise financière de 2008.

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Plus spectaculaire est l’appel à ses confrères d’Alan Jope, le directeur général d’Unilever, multinationale de la grande consommation, pour assurer un salaire décent à tous leurs employés dans le monde. « La pandémie [de Covid-19] a accéléré la refonte du contrat liant l’employé à l’employeur », confirme Martine Ferland, PDG de la société de conseil et d’assurance Mercer. Et ce n’est que le début.

Aux Etats-Unis, les astuces de recrutement des petites entreprises : « embauche ouverte », formation en interne…

Mois après mois, le taux de chômage aux Etats-Unis s’affiche extrêmement bas, aux alentours de 3,7 %. La banque centrale américaine augmente ses taux d’intérêt, les économistes prédisent un ralentissement de la croissance… et pourtant, les créations d’emplois se maintiennent à un haut niveau. Cet hiver, tout comme pour l’été 2022, les employeurs ont toujours autant de mal à trouver les bons candidats pour remplir des tâches essentielles.

Et la quête de l’oiseau rare est encore plus difficile quand on est une petite entreprise. Ce que les Américains appellent un « small business », une entité au chiffre d’affaires modeste de moins de 40 millions de dollars (environ 37 millions d’euros) et aux effectifs inférieurs à 1 500 personnes.

Les grands groupes et leurs services professionnels de recruteurs s’étant servis les premiers, les PME se contentent des restes : un sondage de la société de conseil Vistage réalisé en septembre 2022 auprès de 752 petites entreprises montre ainsi que 59 % des dirigeants assurent ne pas pouvoir fonctionner à plein régime, du fait de leurs difficultés de recrutement ; 53 % espèrent embaucher plus de monde dans les douze mois à venir, mais une majorité d’entre eux craignent une pénurie de main-d’œuvre.

Supprimer le diplôme universitaire

Alors que faire ? Changer ses méthodes de recrutement, innover, s’écarter des solutions classiques de bon sens. Vladimir Gendelman, le dirigeant de Companyfolders.com, une imprimerie de dossiers, de classeurs et d’enveloppes de luxe installée à Pontiac, dans le Michigan, a décidé d’éliminer l’obligation d’études supérieures dans ses petites annonces.

C’est son ancienne secrétaire qui l’a fait changer d’avis. Elle avait envie de devenir chef de projet. « Elle ne connaissait rien à l’impression ou au design graphique, explique M. Gendelman. Mais elle a essayé, elle a appris et elle réalise un travail superbe. » Alors, quand le patron de cette structure de seize employés s’est mis en quête d’un directeur marketing, il a immédiatement éliminé l’obligation d’un diplôme universitaire. « J’élargis le vivier de recrutement, dit-il. Je mets l’accent sur l’expérience et la capacité à exécuter. » M. Gendelman demande ainsi aux candidats d’imaginer une campagne marketing. « Il y a des choses qu’on ne peut pas apprendre à l’école », conclut-il.

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Diana Manalang, la créatrice de Little Chef, Little Cafe, un restaurant de plats à emporter du quartier du Queens, à New York, chouchoute de son côté ses trois jeunes employés à temps partiel. Elle en avait assez des recrues qui disparaissaient soudainement, arrivaient en retard et n’appelaient même pas pour prévenir de leurs absences.Alors, la cheffe a fait venir des jeunes de l’école de cuisine où elle enseigne. Ils travaillent entre dix et vingt heures par semaine.

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Plus direct, mieux accompagné, plus divers… Qu’est devenu le recrutement ?

A quoi ressemblera le recrutement en 2023 ? Les entreprises sélectionneront-elles toujours les candidats à partir des diplômes ou privilégieront-elles les compétences comportementales ? Quels sont les nouveaux canaux pour trouver les bons profils : Snapchat, Facebook, Instagram, TikTok, Twitter ? « Pour les scientifiques, c’est plutôt Twitter », confie Laurent Dépigny, responsable du développement RH de l’Institut Pasteur.

Une quinzaine de responsables de ressources humaines, réunis mardi 10 janvier aux Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup et Malakoff Humanis, ont échangé sur leurs pratiques, qui ont profondément évolué ces derniers temps.

Le 11 janvier, l’acteur majeur du secteur laitier Eurial lançait sa première campagne de recrutement sur les réseaux sociaux pour « tester une nouvelle approche » dans la recherche de candidats. « 77 % des candidatures sont arrivées par Facebook, et 82 % des profils étaient adéquats », détaille Bonanza, le cabinet de recrutement chargé de leur campagne. Depuis quelques années déjà, les entreprises ont intégré les réseaux sociaux dans leur recrutement, dans le but d’accélérer les processus et de toucher de nouveaux profils.

L’apport de l’intellignce artificielle

« En 2015, le profil disruptif était le HEC qui avait fait un séjour à Singapour. Cela a beaucoup changé. Mais les recruteurs ont toujours du mal à identifier le bon candidat. Le CV ne présente pas les bonnes informations, explique Jérémy Lamri, pionnier du recrutement en ligne et par appariement, cofondateur du LabRH et du site de recrutement Monkey Tie. Chez Monkey Tie, on recrutait sans savoir où on allait mettre les gens, sur des critères comme la vitesse de compréhension. On a fait des erreurs, mais ça permet de recruter assez vite. »

L’accélération du processus de recrutement se poursuit à l’aide de l’intelligence artificielle, mais les recruteurs n’ont toujours pas le droit de prendre trop de risques. Avec les tensions sur le marché de l’emploi, le travail du recruteur est devenu plus exigeant sur la qualité du processus : le sourcing, le mode de sélection, l’intégration, voire l’adaptation au candidat.

« Face à la pénurie de soignants de 2022, à l’Hôpital américain de Paris, on a dû s’adapter à de nouveaux types de candidats. Une fois par semaine, des infirmières ont ainsi été dédiées à l’accompagnement des nouvelles recrues, et un budget annuel de 200 000 euros a été alloué à la qualité de vie au travail. On a des profils qui viennent de l’industrie, du public, du privé, des intérimaires qualifiées, qui veulent rester en intérim pour préserver l’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, et on recherche cette diversité », témoigne le DRH Jean-Louis Sotton.

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Inégalités à la retraite : 64 ans de la vie d’une femme

Catherine Meunier n’est pas du genre à se plaindre. Dans les années 1970, quand son mari est parti en coopération en Afrique du Nord, elle a posé deux ans de disponibilité pour le suivre. Au retour, elle a enchaîné les temps partiels dans la fonction publique pour s’occuper de leurs quatre enfants. Résultat : « Je touche une petite retraite, 1 100 euros par mois − mais tout va bien, je suis mieux lotie que beaucoup d’autres ! », insiste-t-elle. Quand elle repense à sa carrière hachée, elle reconnaît néanmoins, à demi-mot : « En vérité, je n’ai pas eu le choix. A l’époque, il était impensable que le père fasse de tels sacrifices. »

Claudine Lefebvre non plus n’est pas du genre à se plaindre. A 70 ans, elle travaille encore près de Nice – chaque soir, elle récupère les enfants d’une voisine après l’école – pour compléter sa pension, de 1 000 euros mensuels. « C’est assez pour vivre, mais pas pour me permettre d’aller régulièrement voir mes fils à Paris. » Mère célibataire, ancienne vendeuse, elle s’est arrêtée longtemps de travailler pour élever ses deux garçons, avec l’aide informelle de son frère. « Si j’avais compris plus tôt que cela me ferait une retraite aussi petite, je me serais débrouillée pour travailler plus. Mais comment ? »

Selon les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), les femmes résidant en France ont touché une retraite moyenne de 1 154 euros brut en 2020, de 40 % inférieure à celle des hommes, de 1 931 euros. Certes, cette différence tombe à 28 % (1 401 euros contre 1 955 euros) si l’on prend en compte les pensions de réversion touchées lorsque le conjoint décède. Et surtout, elle ne cesse de baisser depuis les années 1970, grâce à la meilleure insertion professionnelle des femmes. Il n’empêche : « Selon nos différentes projections, cet écart ne sera toujours pas comblé en 2065 », explique Carole Bonnet, de l’Institut national des études démographiques (INED).

Facteurs inconscients

Pourtant, les femmes sont aujourd’hui plus diplômées : 54,2 % des 25-34 ans ont terminé avec succès des études supérieures, selon Eurostat, contre 46 % des hommes du même âge. En outre, les trimestres supplémentaires accordés à la retraite pour chaque naissance, tout comme le rattrapage salarial déployé par les entreprises au retour des congés maternité, compensent les interruptions de carrière liées aux enfants.

« Mais en partie seulement, tranche Brigitte Grésy, ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Car les inégalités de retraite ne résultent pas seulement de la vie professionnelle, mais aussi d’un ensemble de facteurs culturels, personnels ou encore patrimoniaux bien plus larges. » Souvent inconscients, ces facteurs creusent les différences de revenus et richesse entre les sexes tout au long de la vie, explique-t-elle encore. « Et ils démarrent dès l’enfance. » Dès l’enfance, vraiment ?

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Le cancer au travail : se taire ou en parler ?

« Suis-je en train de faire une erreur ? » Neuf mois après, Arthur Sadoun, le président du directoire de Publicis, avoue avoir été saisi par le doute au moment de publier en ligne, le 7 avril 2022, après la clôture de la Bourse, un message vidéo très personnel à l’intention des 96 000 collaborateurs du troisième groupe mondial de communication.

Blême, le cou rayé d’une longue cicatrice, le dirigeant de 50 ans y révèle qu’il a été opéré quinze jours auparavant d’une « petite tumeur qui s’est avérée cancéreuse », et qu’il va subir un « traitement de suivi ». Deux minutes vertigineuses, pour M. Sadoun au premier chef, mais aussi pour le capitalisme français : jamais aucun patron du CAC 40 n’avait admis publiquement qu’il souffrait d’un cancer. Une omerta qui contraste avec la relative transparence ailleurs dans le monde.

De Warren Buffett, le légendaire investisseur, à Lloyd Blankfein (Goldman Sachs), plusieurs figures de Wall Street ont révélé ces dernières années être traitées pour un cancer. Quand, en 2014, Jamie Dimon, le PDG de J.P. Morgan, s’est découvert un cancer de la gorge en se rasant, la banque américaine précisait même dans quel hôpital il serait soigné.

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Rien, pourtant, dans le règlement de la Securities and Exchange Commission n’oblige les entreprises cotées à divulguer le bulletin de santé de leurs dirigeants-clés, sauf à ce que cette information soit susceptible d’influencer l’activité. Affaire de génération ? Les jeunes pousses tricolores semblent s’affranchir davantage du culte du secret. Laurent Perrin, cofondateur de Front, une plate-forme de communication pour les entreprises, n’a pas hésité lorsqu’il s’est vu détecter en 2016, à 35 ans, un cancer au testicule.

« Les gens me remerciaient »

« A l’époque, nous étions une vingtaine dans l’entreprise, justifie le polytechnicien. C’était impossible de disparaître sans explication. Le jour même du diagnostic, nous avons averti les salariés. » Quant à Octave Klaba, le fondateur français d’origine polonaise de l’hébergeur OVHcloud, il avait révélé avoir été soigné d’un lymphome en 2012.

« Le cancer reste trop souvent encore la maladie innommable, au sens premier, celle qui suscite la peur et le rejet, souligne la psychiatre Sarah Dauchy. Comme ceux qui guérissent n’en parlent pas, on n’apprend le cancer que lorsque quelqu’un en meurt. Plus nombreuses seront les personnes qui parleront de leur cancer comme d’une maladie grave, certes, mais d’une pathologie comme une autre, plus les représentations associées se diversifieront. »

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La Chine n’a plus tiré la croissance mondiale en 2022

Sur un marché nocturne de Ruili (Yunnan), le 13 janvier 2023.

Les élites de Davos comme le pouvoir chinois en rêvent : oublier 2022, ses confinements, ses bateaux qui restent à quai, ses usines qui, au mieux, tournent au ralenti, ses centres commerciaux fermés et ses aéroports déserts, pour mieux rebondir et pour que la Chine soit de nouveau, en 2023, l’un des principaux moteurs de la croissance mondiale.

Les statistiques publiées mardi 17 janvier prouvent que le chemin sera ardu. En 2022, le produit intérieur brut (PIB) chinois n’a augmenté que de 3 %. Le pire chiffre depuis 1976, à l’exception de 2020 (2,24 %), marqué par la paralysie du pays au premier trimestre. Bien loin, surtout, de l’objectif annoncé en mars 2022, qui était « d’environ 5,5 % ». Après une croissance – sur un an – de 4,8 % au premier trimestre, de 0,4 % au deuxième, de 3,9 % au troisième, la Chine finit avec une hausse de l’activité – toujours sur un an – de 2,9 % au quatrième trimestre.

En 2022, la croissance chinoise a donc été au diapason de l’économie mondiale. Pour la première fois depuis des décennies, elle n’a donc pas joué son rôle de locomotive. Au contraire, d’autres pays émergents ont bien mieux tiré leur épingle du jeu. C’est même plutôt le reste du monde qui a tiré la Chine, avec des exportations en hausse de 10,5 %, alors que les importations n’ont augmenté que de 4,3 %. Résultat : le commerce extérieur affiche un excédent record de 5 863 milliards de yuans, soit plus de 800 milliards d’euros (contre 597 milliards d’euros en 2021). Quoi qu’on en dise, le découplage des économies est loin d’être évident.

Chômage urbain en hausse

En revanche, cloîtré chez lui à cause de la politique zéro Covid, le consommateur chinois est resté frugal. La vente au détail de biens de consommation a même baissé de 0,2 % sur l’année. Si, globalement, l’investissement a progressé de 5 %, c’est essentiellement dû aux investissements (publics) dans les infrastructures (+ 9,4 %) et à ceux manufacturiers (+ 9,1 %). Comme prévu, l’immobilier s’est effondré (− 10 %), les ventes de surfaces commerciales ont même plongé de 24 %.

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Autre conséquence logique de cette faible consommation : le chômage urbain est passé de 5,1 %, en décembre 2021, à 5,5 %, en décembre 2022 (pour les jeunes de 16 à 24 ans, il a progressé de 14,3 % à 16,7 %). De son côté, l’inflation est restée maîtrisée, avec une augmentation de 2 % des prix à la consommation.

En 2022, le coût des dépenses liées à la stratégie zéro Covid a été phénoménal. La seule province du Guangdong (126 millions d’habitants, soit un peu moins du dixième de la population chinoise) évalue les siennes à 146,8 milliards de yuans en trois ans : 30,3 milliards de yuans en 2020, 45,4 milliards en 2021 et 71,1 milliards en 2022. Une hausse exponentielle qui en dit long sur la machine infernale qu’était devenue la politique zéro Covid pour les dépenses publiques, et qui explique en grande partie l’abandon de celle-ci, le 7 décembre 2022. D’autant que constituée principalement de tests et de mesures de police pour isoler des quartiers, voire des villes, ces dépenses ne sauraient être sérieusement qualifiées d’investissements.

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Energie nucléaire : « La sous-traitance permet aux exploitants de rendre invisible le travail humain exposé à la radioactivité et invisibilise ses conséquences sanitaires »

Alors que débute mardi 17 janvier l’examen par le Sénat du projet de loi permettant d’accélérer les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites déjà existants, comme c’est le cas pour les deux premiers EPR prévus à Penly (Seine-Maritime), le compte à rebours démocratique est lancé.

Dans ce contexte, la Commission nationale du débat public (CNDP) a souhaité organiser dix rencontres publiques en préalable à la décision de construire six nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR 2 en France. Sur ces dix rencontres, elle n’a souhaité consacrer que quatre minutes à l’enjeu des conditions de travail dans ce secteur industriel.

Ainsi, la réunion organisée jeudi 12 janvier au Tréport, à quelques kilomètres de Penly, site pressenti pour accueillir les deux premiers EPR, devait précisément aborder les conséquences sur le travail et l’emploi de la réalisation de ce projet de loi.

Parmi les différentes questions relevant du travail et de l’emploi, celle des risques professionnels ne figurait pourtant pas à l’ordre du jour.

« Les salariés les plus exposés rencontrent de grandes difficultés à faire valoir leurs droits, en particulier leur droit à la réparation en cas d’atteinte à la santé »

En effet, symbole de la grandeur technologique de la France et de sa maîtrise scientifique, l’industrie nucléaire se caractérise aussi par un indispensable travail humain exposé au risque radio-induit. Depuis les années 1970, les opérations les plus exposées à ce risque redoutable (cancérogène, mutagène, toxique pour la reproduction) sont assurées par des salariés d’entreprises sous-traitantes intervenant dans les installations nucléaires.

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L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dénombre aujourd’hui près de 33 000 salariés sous-traitants, qui supportent plus de 80 % de la dose collective reçue chaque année dans le parc nucléaire. Les salariés sous-traitants les plus exposés sont les ouvriers et les techniciens des usines de fabrication du combustible et de retraitement des déchets nucléaires, ceux de la maintenance des centrales EDF ou encore ceux chargés du démantèlement, du transport et de la gestion des déchets.

Ce choix des entreprises publiques de la filière nucléaire en France de sous-traiter à des salariés dits « extérieurs » les opérations les plus exposées est une manière de se donner les moyens de respecter les doses limites imposées par les règles de radioprotection et de préserver les agents statutaires d’une dangereuse augmentation de leur exposition. Or les salariés les plus exposés, à savoir les travailleurs extérieurs, rencontrent de grandes difficultés à faire entendre leurs voix et faire valoir leurs droits, en particulier leur droit à la réparation en cas d’atteinte à la santé.

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Les défaillances d’entreprises en France ont augmenté de près de 50 % en 2022

Le délégué national CGT de Camaïeu, Thierry Siwik (au centre), discute avec un administrateur judiciaire à propos de la liquidation de l’enseigne d’habillement féminin, à Roubaix (Nord), le 4 octobre 2022.

Les défaillances sont bel et bien reparties à la hausse en 2022, après une parenthèse de deux ans pendant lesquels les entreprises ont été maintenues la tête hors de l’eau. Selon les chiffres du groupe Altares publiés mardi 17 janvier, 42 500 procédures ont été ouvertes en 2022, ce qui représente une hausse de 49,9 % par rapport à 2021.

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Si le volume de faillites reste inférieur à l’étiage d’une année « normale », avec environ 50 000 entreprises en défaut, le rattrapage est rapide. « Le rythme est plus soutenu qu’envisagé, faisant craindre un retour aux valeurs d’avant-crise plus tôt que prévu », estime Thierry Millon, directeur des études du groupe Altares.

Depuis 2020, au total 103 000 sociétés ont fait défaut contre 162 000 sur les trois années précédentes. Ce sont donc près de 60 000 défaillances qui ont pu être évitées par les aides publiques, d’abord pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19, puis pour accompagner la hausse des prix de l’énergie.

« Incapacité à honorer des carnets de commandes »

Au-delà de cette « normalisation » attendue, les chiffres publiés par Altares révèlent les fragilités du tissu économique, confronté, après deux ans de pandémie, à la crise énergétique. Avec 3 214 procédures ouvertes en 2022, l’accélération des faillites est très forte (+ 78 %) dans les rangs des PME de moins de 100 salariés. Les jeunes entreprises de moins de trois ans apparaissent particulièrement vulnérables : les défaillances ont quasiment doublé (+ 94 %) dans cette catégorie.

D’après les chiffres communiqués par les greffes des tribunaux de commerce le 5 janvier, 30 % des entreprises radiées en 2022 avaient été créées moins de deux ans auparavant. Enfin, le nombre total d’emplois menacés par une liquidation ou une procédure judiciaire est repassé au-dessus de la barre des 140 000, soit 50 000 emplois supplémentaires en un an.

Les secteurs les plus touchés sont aussi parmi ceux qui sont confrontés à des factures d’énergie particulièrement lourdes ou qui peinent le plus à trouver de la main-d’œuvre

Alors que l’année 2022 devrait se solder par une hausse du produit intérieur brut de 2,6 %, ces faillites ne sont pas forcément liées à une atonie de l’activité, bien au contraire. « Pour certaines TPE et PME, c’est leur incapacité à honorer des carnets de commandes pourtant bien remplis qui pourrait les amener au défaut », analyse M. Millon.

Les problèmes proviennent plutôt « des difficultés d’approvisionnement, de l’explosion des coûts des matériaux et des problèmes de recrutemen». Les secteurs les plus touchés sont aussi parmi ceux qui sont confrontés à des factures d’énergie particulièrement lourdes ou qui peinent le plus à trouver de la main-d’œuvre : la restauration, la boulangerie, la maçonnerie, les salons de coiffure, les cafés…

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Réforme des retraites : les répercussions du travail qui marquent surtout sur la santé des femmes

« Les femmes sont de plus en plus sujettes aux accidents de travail comme aux troubles musculo-squelettiques [TMS], auxquels elles sont d’ailleurs deux fois plus exposées que les hommes. En revanche, les cancers d’origine professionnelle restent souvent sous-évalués chez les femmes. » C’est en rappelant ces résultats de recherches menées sur les risques professionnels spécifiquement rencontrés par les femmes qu’Annick Billon (Union centriste), présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, a ouvert la seconde table ronde organisée dans le cadre d’un rapport d’information sur la santé des femmes au travail, le 12 janvier.

En plein débat sur la réforme des retraites, la délégation se penche sur cette réalité encore mal appréhendée : les répercussions du travail (ou du non-travail) sur la santé des femmes. Tandis que les accidents du travail ont baissé de 27 % chez les hommes entre 2001 et 2019, ce taux a augmenté de 42 % chez les femmes sur la même période, selon une étude de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

Entre méconnaissance des risques professionnels et répercussions d’une carrière hachée sur leur santé à long terme, les femmes rencontrent des difficultés spécifiques tout au long de leur carrière, ont rappelé deux chercheuses de l’Institut national d’études démographiques (INED) lors de cette table ronde.

Sous-évaluation des cancers

« Tandis qu’elles souffrent davantage d’usure physique et psychique, les hommes sont toujours plus exposés aux dangers visibles », a rappelé en introduction Emilie Counil. Cette chargée de recherche à l’INED et chercheuse associée à l’Institut de recherche interdisciplinaire s’est penchée sur « l’avertissement » que constitue la sous-évaluation des cancers en milieu professionnel chez les femmes.

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S’appuyant sur une enquête menée durant une dizaine d’années sur plus d’un millier de patients atteints de cancers des voies respiratoires en Seine-Saint-Denis, la chercheuse note qu’une « proportion non négligeable des patientes avait été exposée, et même multi-exposée » à une « double combinaison d’agents biologiques et de polluants organiques dans des activités liées au soin et au nettoyage », où les femmes sont plus présentes. Du fait de la complexité à identifier ces sources d’expositions, renforcée par un parcours professionnel « plus haché », la chercheuse constate une « moindre reconnaissance des femmes ayant cherché à obtenir la reconnaissance de maladie professionnelle ».

Déjà présents chez les hommes, « les mécanismes de l’invisibilisation des liens entre cancer et travail », sont renforcés « par la moindre inclusion des types d’emplois occupés par les femmes et des femmes en général, dans les enquêtes épidémiologiques portant sur les liens entre travail et cancer » a ajouté Emilie Counil lors de son audition.

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Royaume-Uni : les enseignants rejoignent la longue liste des corps de métier en grève

Après les cheminots, les infirmières, les ambulanciers ou les agents publics, les enseignants d’Angleterre et du Pays de Galles ont rejoint lundi 16 janvier la cohorte de secteurs en grève, en annonçant sept journées de mobilisation, entre février et mars, dont la première aura lieu le 1er février. Leurs collègues écossais ont, eux aussi, commencé une grève de seize jours.

Les enseignants réclament des augmentations de salaire en phase avec une inflation qui dépasse 10 %. Le mouvement a été annoncé le jour où le Parlement entamait l’examen d’un projet de loi ayant pour but d’instaurer un service minimum dans certains secteurs publics. « C’était une décision vraiment difficile à prendre pour nos membres », souligne le National Education Union, principal syndicat d’enseignants, sur Twitter. Ce vote « envoie un message retentissant au gouvernement : nous ne resterons pas là à assister à la destruction de l’éducation sans résister », ajoute-t-il.

« Nous avons fait part de nos inquiétudes aux ministres de l’éducation successifs concernant les salaires des enseignants et du personnel encadrant [des écoles] et le financement des écoles et des universités, mais au lieu de résoudre le problème, ils se sont assis dessus », s’indignent ses deux dirigeants, Mary Bousted et Kevin Courtney, dans une déclaration commune.

Un porte-parole du premier ministre Rishi Sunak a appelé les enseignants à ne pas débrayer en rappelant les « préjudices substantiels » déjà subis par les élèves pendant la pandémie de Covid-19, durant laquelle les écoles avaient été fermées de nombreuses semaines.

« Tentative désespérée »

Ces initiatives s’inscrivent dans un mouvement social plus large qui secoue le Royaume-Uni depuis plusieurs mois. De nombreux secteurs réclament des hausses de salaires en raison de l’inflation. Lundi, les infirmières, qui doivent déjà débrayer deux jours cette semaine, ont annoncé qu’elles cesseraient de nouveau le travail deux jours en février (les 6 et 7), toujours pour réclamer une augmentation des salaires.

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Le syndicat Royal College of Nursing (RCN), à l’origine de ce mouvement largement soutenu par la population, a précisé que davantage d’hôpitaux seraient concernés que lors de leurs deux premiers jours de grève, en décembre.

« C’est avec le cœur lourd que les infirmières seront en grève cette semaine et de nouveau dans trois semaines. Plutôt que de négocier, Rishi Sunak a choisi la grève, une nouvelle fois », a déclaré Pat Cullen, secrétaire générale du RCN. « Nous faisons cela dans une tentative désespérée de voir [le premier ministre] et les ministres sauver le NHS », le système de santé public, a-t-elle ajouté, appelant le gouvernement à pourvoir les dizaines de milliers de postes vacants dans les hôpitaux.

Face aux grévistes, le gouvernement conservateur se montre inflexible et fait valoir la situation délicate des finances publiques. Il a présenté début janvier son projet de loi visant à instaurer un service minimum dans plusieurs secteurs, comme la santé, l’éducation ou les transports. Les syndicats y voient une remise en cause du droit de grève et le chef de l’opposition travailliste, Keir Starmer, a appelé le gouvernement « à faire des compromis ».

Le Monde avec AFP