Archive dans février 2022

« Travailler moins pour vivre mieux » : une autre voie à explorer

Livre. Pourquoi le travail est-il omniprésent dans nos vies ? Pourquoi se définit-on par rapport à lui ? Qu’est-ce qui nous pousse à rechercher la productivité et la performance dans notre métier, jusqu’à, parfois, choisir des loisirs qui pourraient être utiles à nos carrières ? Au fil des pages de son essai Travailler moins pour vivre mieux (Dunod), Céline Marty nous invite à interroger notre rapport au travail, sa place dans notre quotidien et au sein de l’organisation sociale. La professeure de philosophie fait le constat critique d’un travail qui envahit nos vies, nous apportant son lot de contraintes, de souffrances, de dépendances.

Une situation qu’elle dénonce, mais dont elle ne voit que peu de remises en cause. Les conditions d’exercice professionnel et la centralité du travail semblent aujourd’hui, à ses yeux, largement acceptées. Elle démontre combien le sujet du travail peut même être « tabou ». Et lorsque la question apparaît au cœur du débat public, c’est uniquement pour être abordée « par un angle technique ou économique, déplore-t-elle. Le marché décide incontestablement du contenu et des conditions du travail, comme si tout cela ne dépendait pas de nous ».

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Son ouvrage doit donc se lire comme un appel au sursaut. « Tout n’est pas gravé dans le marbre ! », assure-t-elle. Les lecteurs-citoyens sont invités à s’emparer du sujet, à « se réapproprier le débat public sur le travail ». Pour ce faire, Céline Marty livre quelques pistes de réflexion et d’action, afin de montrer que des alternatives à la situation actuelle sont possibles.

Parvenir à une « société frugale »

Son propos est étroitement lié à la prise en compte de l’urgence écologique. Face à l’épuisement des ressources et aux impacts du productivisme sur l’environnement, l’autrice juge indispensable qu’une autre voie soit empruntée. C’est là le sens du sous-titre de son essai, « Guide pour une philosophie antiproductiviste ». Une réflexion menée en prenant notamment appui sur les écrits d’André Gorz (1923-2007), l’un des pionniers de la décroissance en France (l’autrice est actuellement doctorante en philosophie du travail sur l’œuvre de ce dernier).

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Céline Marty appelle à « s’émanciper du productivisme » en questionnant notamment l’utilité des emplois qui nous entourent. « Nous devons poursuivre collectivement ce débat : la publicité est-elle une production essentielle ? Qu’en est-il du marketing ou de l’optimisation fiscale ? » Une réflexion similaire doit être menée sur ce que nous souhaitons produire. « La question est vertigineuse, reconnaît-elle. [Le] marché et l’Etat capitaliste (…) ont, seuls, déterminé le contenu légitime de la production selon leurs intérêts, détruisant ressources humaines et naturelles. Il est grand temps de s’en emparer. »

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De la Toscane à la Sicile, de jeunes télétravailleurs s’en vont aux champs

La société agricole Ca’ Bianca, à Paderna, dans le Piémont (Italie), en mai 2021.

Le bureau d’Eric et Irene s’étale sur plusieurs étages et des centaines de mètres carrés. La bâtisse du Piémont a beau dater du XVIIe siècle, elle dispose d’un excellent Wi-Fi, d’une imprimante, d’un scanner et d’un terrain d’un hectare. En guise de pause-café, le couple peut profiter de la piscine, se promener dans le bois, ou contempler le lierre qui grimpe sur l’ancienne grange. Eric et Irene, deux Italiens, ne sont pas millionnaires – elle a 24 ans et écrit sa thèse en psychologie, il en a 26 et s’occupe des réseaux sociaux d’une petite entreprise. Ils sont tout simplement inscrits sur Borgo Office.

Cette plate-forme permet de loger dans des chambres d’hôtes dans une quarantaine de villages en Italie, « gratuitement ». En échange, les invités peuvent acheter, selon le montant qu’ils souhaitent, des spécialités locales. Au lieu de régler leur semaine de séjour à Paderna, dans le Piémont, Eric et Irene ont ainsi choisi d’acheter un panier de 10 kilos de produits locaux, pour 500 euros. « Pour ce prix-là, on aurait pu se payer un petit studio, pas une villa. On repart les poches pleines de sauces tomate, confitures et pâtes qui prolongeront le plaisir des mois durant. On n’a pas eu l’impression de payer », s’enthousiasme le couple. En marketing, leur exaltation est bien connue. « Face à un cadeau ou à un geste généreux, la réaction la plus répandue consiste à vouloir donner en retour », rappelle Federico Pisanty, créateur de Borgo Office.

Nuits contre nourriture

C’est à Paderna, dans la maison de vacances de sa famille, qu’a germé le concept des séjours du Borgo Office, baptisés « smart working & farm supporting » (« travail intelligent et soutien à l’agriculture »). Les collines cernant ce village reculé du Piémont ont beau avoir été dévalées par le campionissimo Fausto Coppi, un des plus grands coureurs de l’histoire du cyclisme, elles restent méconnues. « Ici, la première cause de mort, c’est l’infarctus, suivi par les renversements de tracteurs. On est hors des sentiers battus », résume l’entrepreneur milanais. C’est précisément ce qui séduit ses parents quand ils se sont installés dans cette région : « On a trouvé un petit coin de paradis, idéalement situé : Milan est à une heure, Turin et les plages de Ligurie aussi. Cerise sur le gâteau : juste à côté, un ancien théâtre transformé en restaurant sert un poisson excellent », raconte sa mère, Cetty, 83 ans. Passionnée de jardinage, l’aïeule ne sait plus estimer le nombre de mètres carrés de sa maison secondaire – probablement autour de 500. Mais elle énumère sans ciller les arbres qui peuplent le terrain d’un hectare : cerisiers, plaqueminiers, figuiers, pêchers, noisetiers, noyers. Tous les étés, la bâtisse accueille famille et amis. L’octogénaire régale ses invités avec ses fameuses sauces tomate, confitures et chutney préparés à partir des produits du jardin. Quand ils ne plongent pas dans la piscine, les hôtes profitent du Wi-Fi pour télétravailler en pleine nature.

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Le succès de la plate-forme antidiscriminations prouve l’ampleur du travail qui reste à faire

Un an après sa naissance, la plate-forme antidiscriminations mise en place par la Défenseure des droits, Claire Hédon, a pleinement justifié sa création. Ce dispositif téléphonique et en ligne, tenu par sept juristes écoutants, a été sollicité à 14 000 reprises en douze mois. Un quart de ces appels a concerné des discriminations sur l’origine, un autre quart sur le handicap. Ces signalements ont débouché sur 7 096 dossiers traités par les services de la Défenseure des droits. « Un chiffre en hausse de 25 % et qui prouve le besoin d’un tel dispositif », souligne Mme Hédon.

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La plate-forme antidiscriminations, décidée par Emmanuel Macron dans la foulée du scandale créé par l’agression du producteur de musique noir Michel Zecler par trois policiers, en décembre 2020, à Paris, joue un rôle autant pédagogique (qu’est-ce qu’une discrimination, comment la caractériser ?) que de signalement et d’accompagnement des victimes. Pour ce faire, les services de la Défenseure des droits peuvent recourir aux 1 200 acteurs associatifs – dont les 75 référents discrimination dépendant de la Défenseure des droits – et institutionnels recensés et mobilisables.

Une majorité de règlements à l’amiable

Dans la majorité (60 %) des quelque 7 000 dossiers traités, à l’issue d’une démarche contradictoire et impartiale des services de la Défenseure des droits, les médiations débouchent sur un règlement à l’amiable. « Ce que les gens souhaitent, c’est être reconnus et rétablis dans leurs droits », estime Mme Hédon. Elle cite ainsi le cas d’une jeune femme handicapée qui s’était vue refuser l’accès à un festival à cause de son handicap malgré les assurances données sur le site officiel. Après médiation, elle a obtenu « un remboursement » et un engagement du festival « à travailler sur l’accessibilité pour la prochaine édition », a détaillé la Défenseure des droits.

Lorsque la médiation n’aboutit pas, la personne victime de discrimination peut choisir d’aller devant les tribunaux. Ou alors la plate-forme peut effectuer un signalement aux services du procureur de la République. En cas de procédure judiciaire, « les avis de la Défenseure des droits sont suivis par les tribunaux dans trois quarts des cas », déclare Claire Hédon. Toutefois, les plaintes au pénal ont peu de chances d’aboutir à cause de la charge de la preuve, qui est aménagée devant les prud’hommes et la justice civile, où les chances de réussite sont bien plus élevées.

Le domaine le plus concerné est le monde du travail, qui regroupe 50 % des signalements de la plate-forme. « Bien souvent, les gens qui nous appellent pensent ne pas disposer de preuves, estime un responsable des services de la Défenseure des droits. Nous sommes là pour les aider et leur montrer qu’ils disposent de bien plus de preuves qu’ils ne croient. » Parmi les critères de discrimination, le fait que celui du handicap vienne quasiment à égalité avec celui des origines montre à quel point le monde du handicap a su se mobiliser pour recourir à la nouvelle plate-forme.

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