Archive dans février 2022

« L’intelligence artificielle peut contribuer à une aliénation très insidieuse »

Yann Ferguson est sociologue à l’ICAM et responsable scientifique du LaborIA, laboratoire lancé en 2021 sous l’égide du ministère du travail pour étudier les effets de l’intelligence artificielle sur les conditions de travail.

Quels problèmes éthiques pose l’utilisation d’une intelligence artificielle (IA) en entreprise ?

L’IA peut contribuer à une aliénation très insidieuse, pas nécessairement en me disant ce que j’ai à faire, mais en me donnant le cadre de ma pensée. Jusqu’à quel point peut-on laisser un système prendre une décision dont on ne comprend pas la raison ? L’Europe cherche à instaurer un cadre éthique pour l’utilisation de l’IA afin qu’elle suscite la confiance. Pour certaines applications dites « à haut risque », comme la détection d’un cancer, le système devra ainsi être « explicable », c’est-à-dire donner accès aux motifs de son diagnostic. Cela, on ne sait pas encore bien le faire : cela complique les modèles, augmente la puissance de calcul nécessaire et donc l’empreinte carbone.

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Est-ce qu’il n’y a pas un rejet irrationnel de l’IA, qui remettrait en question notre supériorité ?

Il faut reconnaître que l’IA touche à quelque chose que l’on a longtemps considéré comme le propre de l’humain, l’intelligence logique ou cartésienne. On aime à penser que c’est la raison qui nous donne une supériorité sur les autres êtres vivants. Mais on se rend compte que nous n’exerçons pas cette domination avec énormément de bienveillance. On s’interroge donc sur ce qui va se passer si une forme d’intelligence supérieure émerge, si elle ne va pas nous faire subir ce qu’on fait subir aux autres êtres vivants. Au contraire, l’avènement de l’IA pourrait être l’occasion de valoriser d’autres intelligences majeures : relationnelle, émotionnelle, musicale, kinesthésique…

Le scénario optimiste dit que l’IA va libérer le travailleur de ses tâches les plus aliénantes. Que constate-t-on sur le terrain ?

Pour l’instant, on constate très peu de suppressions massives d’emplois liées à l’IA, plutôt une réflexion sur l’humain au travail. On s’interroge sur son sens, on se demande comment maintenir un travail épanouissant avec toute cette technologie qui arrive. Il faut voir sur la durée ce qui va se passer. Parfois, il sera admis que l’IA fera relativement moins bien que l’humain. Mais les entreprises pourraient, au nom de l’efficience ?, privilégier une solution moins performante, mais moins coûteuse.

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Qu’est-ce qui reste à l’être humain ?

Nous devons encore mettre notre connaissance sensible du monde dans ce système. Une IA n’a pas la conscience et l’expérience de ce qu’est un yaourt ou une voiture. La théorie dit que trois grandes familles d’intelligences resteront propres à l’être humain : le travail complexe de précision, celui de l’artisan ou de l’ouvrier dans des environnements peu structurés ; l’intelligence créative et enfin l’intelligence relationnelle. Mais ces catégories demandent à être précisées. Il est nécessaire d’analyser en profondeur chaque activité pour définir ce qui peut être délégué ou non à une IA.

Dans les entreprises, l’algorithme prend la direction

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Publié aujourd’hui à 17h00

« OK, 1, 5, 9… » Casque-micro vissé sur la tête, des employés aux allures de figurines Lego débitent des litanies de chiffres. Dans l’immense entrepôt de cette enseigne de grande distribution, situé à Béziers, les faits et gestes des préparateurs de commandes sont régis par un robot vocal. Un supercalculateur optimise leurs déplacements à travers les allées, en fonction des livraisons à préparer. Comme dans un jeu vidéo, il s’agit d’éviter tout mouvement inutile dans ce labyrinthe de colis, afin de produire le meilleur score possible. Le logiciel donne au préparateur les coordonnées du produit à livrer et vérifie son code d’identification, lu à voix haute par le salarié.

« Si on parle à quelqu’un sans lever le micro, le système nous envoie un message d’erreur, déplore ce préparateur de commandes et représentant CGT, qui souhaite rester anonyme. Certains de mes collègues en rêvent la nuit. En plus, comme on a tendance à mettre le volume à fond pour bien entendre, ça nous rend sourds. » Utilisés dans les entrepôts de Lidl, Aldi, Amazon… les logiciels de commande vocale sont devenus la norme dans les plates-formes de logistique. Leurs concepteurs promettent une productivité accrue et des marges d’erreur réduites à zéro. Mais cette hyperrationalisation des tâches déshumanise le travail, vitupère le représentant CGT : « On devient moins sociable, on se sent soi-même un peu comme un robot. »

Dans le taylorisme à l’ancienne, caricaturé par Chaplin dans le film Les Temps modernes, le salarié est un rouage dans une machine qui le dépasse et dont il ne comprend plus le fonctionnement. Au XXIe siècle, la machine prend les commandes. Hors des plates-formes logistiques, les algorithmes commencent à s’imposer dans tous les secteurs.

La machine a gravi les échelons

C’est le manageur dont le travail se voit aujourd’hui le plus transformé par l’intelligence artificielle (IA), affirme une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée en décembre 2021. Juste derrière le professionnel de la finance. L’essor du big data dans les années 2000, couplée à l’utilisation de systèmes informatiques capables de traiter une quantité de données sans précédent, a permis le développement de logiciels ultra-perfectionnés, capables de participer aux décisions les plus stratégiques dans l’entreprise. 32 % environ des emplois risquent d’être modifié radicalement par le progrès technologique, estime une autre étude de l’OCDE parue en 2019. Selon l’organisme international, les fonctions supérieures d’encadrement et de décision sont les prochaines sur la liste.

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Mode de vie : « Pourquoi et comment un nombre croissant de consommateurs optent délibérément pour l’instabilité ? »

Tribune. Une nouvelle génération de consommateurs très changeants est en train d’émerger qui font le choix de la précarité non seulement dans leur vie professionnelle, mais aussi sur tous les autres plans ou presque : ils renoncent à la sécurité de l’emploi, à la routine quotidienne, à la propriété et autres marqueurs classiques de la réussite sociale, au profit du nomadisme et d’expériences sans cesse nouvelles.

Dans une étude publiée le 20 décembre 2021 nous avons exploré la façon dont ces personnes gèrent les défis associés aux transitions multiples, et ce que cela implique en termes d’opportunités pour les marques. Les « slasheurs » et les nomades numériques, ce n’est pas vraiment nouveau.

Mais le mode de vie du consommateur flexible va plus loin : il constitue un nouvel écart par rapport aux trajectoires de vie établies de la société de consommation industrielle, où la stabilité professionnelle et la propriété immobilière représentaient des marqueurs de réussite et d’identité.

Le choix de l’instabilité

Prenant le contrepied de ces standards, ces consommateurs ne sont jamais véritablement « établis » ni professionnellement, ni physiquement. Ils passent d’un job en free-lance à un autre, vont d’une colocation à un espace de « coworking », en passant par une location saisonnière, changent de loisirs et de pays régulièrement, ce mode de vie relevant chez eux d’un choix clairement affirmé.

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En outre, ces conditions de vie et de travail ne sont plus réservées aux jeunes ou à la classe ouvrière. En effet, on rencontre le plus souvent ces consommateurs dans les grandes villes, les populations les plus instruites, les professions intellectuelles et créatives ainsi que le monde du numérique.

Afin de comprendre pourquoi et comment un nombre croissant de consommateurs optent délibérément pour l’instabilité, le changement et l’adaptabilité, ainsi que les ressources et aptitudes nécessaires pour gérer ce mode de vie, nous nous sommes penchés sur les consommateurs flexibles, que nous avons interrogés et observés dans des contextes de « cohoming » à Londres et à Paris.

Normaliser la précarité

Parmi les personnes suivies, Claudia, une consultante indépendante de 37 ans est un exemple typique : elle travaille six mois par an, puis range ses affaires personnelles dans des valises sous son lit, avant de sous-louer sa chambre dans un appartement londonien et de partir en voyage à l’étranger, en faisant du « couchsurfing » ou en louant via Airbnb.

Même s’il est choisi, le mode de vie flexible est le fruit de changements majeurs dans la société occidentale contemporaine, qui normalisent la précarité et la flexibilité. La mobilité et le changement constants (théorisés par le concept de « liquéfaction ») dans le travail et le lieu de résidence se sont notamment intensifiés.

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« J’ai eu la sensation d’être un mouchoir jetable » : le blues des assistants parlementaires

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Publié aujourd’hui à 02h17

Grigori Michel, un ex-collaborateur parlementaire devenu marchand d’art, ici dans sa galerie à Romainville, le 7 février 2022.

C’est une modeste victoire, de celles qui ne font pas de bruit mais du bien. Par un courrier reçu en septembre 2021, Grigori Michel apprend qu’il a gagné aux prud’hommes. « Licenciement sans cause réelle et sérieuse », indique la notification du jugement. Environ 10 000 euros d’indemnités et de dommages et intérêts. Loin de ce qu’il réclamait, mais c’est toujours ça. D’autant que l’ex-patron du jeune trentenaire n’a pas fait appel.

En ce début du mois de février, dans un café du 11arrondissement de Paris, Grigori Michel, visage rond et barbe courte, savoure : pour lui, c’est la fin d’une injustice. Il assure s’être fait « sortir pour une seule raison : j’ai ouvert ma gueule en étant témoin d’une agression sexuelle de mon patron sur une de mes collègues ». Il préfère ne pas s’exprimer sur l’affaire pénale, toujours en cours et dans laquelle son ancien employeur dénonce de « fausses accusations ».

Le patron en question s’appelle Pierre Cabaré. Agé de 64 ans, il est député de Haute-Garonne depuis 2017, sous l’étiquette La République en marche (LRM). Grigori Michel fut l’un de ses collaborateurs parlementaires, de l’été 2017 à la fin 2018. Désormais, fini la politique, adieu les rêves de cabinets ministériels, le jeune homme s’est reconverti en commissaire d’exposition. De son récent succès judiciaire, il n’a d’ailleurs pas informé le Palais-Bourbon. « Je n’attends rien de l’Assemblée nationale, explique-t-il. La seule chose que je voulais, c’était laver mon image et sauver mon honneur. »

Valse inédite

Emmanuel Macron avait été élu sur la promesse de l’avènement d’un « nouveau monde », une autre manière de faire de la politique. Peut-être moins professionnelle, en tout cas plus bienveillante. La vague En marche ! avait tout emporté sur son passage : le nouveau parti présidentiel a fait élire 314 de ses candidats en juin 2017. Pour la grande majorité des novices en politique. S’enclenche alors une valse inédite des collaborateurs : les deux tiers (soit 1 400) perdent leur poste. Presque autant débarquent au Palais-Bourbon pour la première fois, dans un monde jusqu’ici inconnu.

« A chaque fois qu’on met en avant des obligations professionnelles et juridiques qui ne sont pas respectées, on nous renvoie à la relation directe, salarié-député employeur. » Mickaël Levy, collaborateur parlementaire

Un turnover par ailleurs renforcé par la première loi du quinquennat, pour la confiance dans la vie politique, qui, entre autres, interdit aux parlementaires d’employer des membres de leur famille proche – enfants, parents, conjoints – comme assistants. Car, en janvier 2017, l’affaire Fillon avait mis un coup de projecteur aussi inattendu que brutal sur ces grands invisibles de la vie parlementaire, caricaturés soit en emploi fictif, soit en lumpenprolétariat de « petites mains » – expression qu’ils honnissent – corvéables à merci et soumises aux humeurs et aux horaires de leurs 577 patrons, les députés, à l’Assemblée nationale ou en circonscription.

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En Beauce, les habitants de Mer s’inquiètent d’une multiplication des plates-formes logistiques

Une salariée de l'entreprise Aosom MH France, filiale d'une entreprise chinoise implantée dans la zone d'activité Les Portes de Chambord, travaille à la préparation des commandes dans un entrepôt, à Mer (Loir-et-Cher), le 6 avril 2021.

En pleine Beauce, la commune de Mer, entourée de champs céréaliers et frôlée par l’échangeur 16 de l’autoroute A10, est devenue, en moins de sept ans, un eldorado pour plates-formes logistiques. Colissimo, Relay, But.fr, Lapeyre et Mitsubishi y avaient déjà pris leurs quartiers. Mais, à mesure que prospère le commerce en ligne de marchandises importées et que se généralise la livraison à « J + 1 », d’autres acteurs ont fait leur apparition.

Le chinois Aosom.fr, spécialiste de la décoration de jardin, figure parmi les derniers arrivés. Un nouvel entrepôt de 49 000 mètres carrés cherche son futur occupant, moyennant un loyer annuel de 44 euros par mètre carré, soit 13 de moins qu’en Ile-de-France. C’est non loin de là, à l’entrée de la zone d’activité des Portes de Chambord, que se réuniront, dimanche 20 février au matin, les membres du collectif mérois « A bas le béton », né en 2021. Il sera rejoint par deux mouvements similaires établis à Vierzon et Orléans. « Autant de terres artificialisées pour quel type d’avenir pour nos enfants ? », précise leur communiqué.

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Avec ses fermes délaissées et ses usines de matelas abandonnées, Mer était devenu une cité-dortoir sinistrée disposant toutefois d’une grosse réserve foncière constituée de terrains agricoles et de friches industrielles. C’est dans ce butin que la collectivité puise copieusement pour attirer des entrepreneurs. Catella, Concerto, Panhard, Alsei : ses acheteurs actuels sont des acteurs majeurs de l’immobilier logistique. Le dernier a obtenu, le 28 octobre 2021, une autorisation préfectorale pour un projet d’entrepôt de 37 480 mètres carrés destiné à stocker en partie des produits combustibles et ce, malgré un avis négatif du conseil municipal (avec 16 abstentions) rendu un mois plus tôt.

En 2020, dans l’indifférence générale, la communauté de communes Beauce Val de Loire avait débloqué d’autres précieuses parcelles, à 1 500 mètres du cimetière communal, de l’autre côté de l’A10 et à proximité site classé Natura 2000 de Petite Beauce. A mots feutrés, elle avait annoncé vouloir y « poursuivre un développement économique significatif à forte dominante de logistique ». C’est sur les champs de l’ancienne ferme des Cent Planches, à côté d’un parc solaire de 7 hectares inauguré à l’automne 2021, que 16 hectares de bâtiment naîtront à la fin de 2023, parmi lesquels trois entrepôts de 100 000 mètres carrés, 40 000 mètres carrés et 20 000 mètres carrés.

« Des investissements énormes »

Le promoteur a promis de préserver plusieurs bosquets qu’il décrit comme des « écrans arborés » permettant d’« occulter la plupart des perceptions visuelles en direction des Cent Planches ». De quoi faire bondir Sébastien (qui n’a pas souhaité donner son nom), un chasseur de 46 ans, dont la famille réside à Mer depuis plusieurs générations. « Quand Mer était boisée, il y avait une belle population d’animaux. Avec l’activité agricole, du gibier de plaine s’était implanté. Avec ces plates-formes, tout est détruit. Des milliers de tonnes de béton sont déjà présentes, alors le retour à la normale est impossible. Je me souviens quand, petit, j’allais chasser avec mon père et mon oncle sur ces lieux. C’était joli et agréable, avec du gibier en abondance. Cela fait partie de mes lointains souvenirs. »

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L’emploi intérimaire se redresse

Les entreprises de travail temporaire remontent peu à peu la pente. Sur l’ensemble de l’année 2021, l’emploi intérimaire a atteint 730 500 postes en équivalent temps plein, en moyenne, d’après des chiffres publiés jeudi 17 février par Prism’emploi, l’organisation patronale du secteur. Cette performance est supérieure, de 18 %, à celle de 2020, mais elle reste en dessous du niveau atteint en 2019 (– 4 %).

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Les sociétés qui mettent à disposition ce type de main-d’œuvre ont bénéficié de la reprise, en 2021, tout en subissant de nombreux à-coups. Au fil des mois, le volume des embauches s’est redressé, avec quelques mouvements de yo-yo, avant de terminer l’année sur une note positive : au dernier « quadrimestre » (septembre-décembre), le nombre de contrats de travail temporaire a dépassé de 0,6 % celui enregistré durant de la même période de 2019.

Chute dans le BTP et l’industrie

Les évolutions sont très contrastées suivant les secteurs. C’est dans le monde de la logistique et des transports que le recours aux salariés intérimaires s’est le plus développé en 2021 (+ 11,6 % en moyenne par rapport à l’ensemble de l’année 2019). Un tel dynamisme est lié à la transformation du comportement des consommateurs pour obtenir des « biens et des services », d’après Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’emploi. Le succès grandissant du commerce électronique et des livraisons à domicile engendre de gros besoins de recrutement parmi les sociétés qui acheminent des produits.

A l’inverse, les missions d’intérim ont nettement chuté dans deux branches professionnelles qui en « consommaient » beaucoup jusqu’à présent : le BTP (– 11,8 %) et l’industrie (– 7,5 %), du fait des grosses turbulences qui ébranlent les constructeurs automobiles et l’aéronautique. Au total, près d’un quart des emplois temporaires « ont changé de nature sectorielle » durant la crise sanitaire, entre le dernier trimestre 2019 et les trois derniers mois de 2021. Il s’agit d’un phénomène de « réallocation » de main-d’œuvre « que nous n’avions pas anticipé », a indiqué, jeudi, Mme Eynaud-Chevalier. Selon Gilles Lafon, le président de Prism’emploi, il est « encore trop tôt » pour dire si ces transformations vont s’inscrire dans la durée ou pas.

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Plus de cinquante candidats pour devenir bouquinistes sur les quais de Seine, à Paris

Des étals de bouquinistes, à Paris, le 22 février 2018.

Plus d’une cinquantaine de personnes ont participé à l’appel à candidatures de la Mairie de Paris clos vendredi 18 février à 16 heures (sans compter les lettres attendues samedi) pour occuper, ces cinq prochaines années, les dix-huit places vacantes de bouquinistes sur les quais de Seine, à Paris. Un comité de sélection, composé de trois bouquinistes, quatre élus du Conseil de Paris et quatre représentants du monde des livres et de l’entreprise, désignera les élus en mars.

Le règlement, mis à jour en 2019, précise que « les références, la qualité des projets, la nature et le volume des produits envisagés à la vente ainsi que la viabilité économique des activités présentées » constituent les critères déterminants dans le choix des occupants. Le commerce principal autorisé concerne à 75 % les vieux livres, les livres d’occasion, les livres neufs d’éditeurs indépendants et les gravures.

« Ce n’est pas un métier qu’on fait pour devenir riche », Jérôme Callais, président de l’Association culturelle des bouquinistes de Paris

« Nous n’avons pas retrouvé la même activité qu’avant la pandémie, ni même qu’avant les mouvements des gilets jaunes », explique Jérôme Callais, président de l’Association culturelle des bouquinistes de Paris. Selon lui, « sur les 241 emplacements occupés par les 220 bouquinistes, seuls un quart d’entre eux sont ouverts en semaine, et plus de la moitié le week-end ». Parfois, certains semblent découragés par les faibles ventes, dégoûtés par le mauvais temps ou ont le sentiment de faire de la figuration.

« Ce n’est pas un métier qu’on fait pour devenir riche », prévient-il. « Il faut de la passion, aimer les échanges. Dans un monde qui prône la consommation à outrance, on a une chance, parce que le livre est sans doute le moyen le plus magique de construction de la personne », ajoute-t-il.

Souhait d’étendre la surface de vente

Située quai des Grands-Augustins, Florence Delaunay, résolument optimiste, a vu dans la pandémie « un moyen de se renouveler », notamment grâce à l’ajout de vinyles (dans la limite d’une seule boîte) et aux ventes sur Internet. Elle avait déjà son propre site, La Bouquiniste, tandis qu’un autre site collectif, Bouquinistes de Paris, a vu le jour pendant la crise sanitaire.

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Avec 300 000 livres proposés à ciel ouvert sur près de 4 kilomètres de quais, les bouquinistes souhaiteraient que leur surface de vente soit étendue pour qu’ils puissent bénéficier, ce qui était le cas avant 1943, de 10 mètres de linéaires chacun, soit l’équivalent de cinq boîtes peintes en vert wagon. Et non pas 8,60 mètres, comme aujourd’hui. Cela permettrait d’offrir 80 000 volumes supplémentaires aux clients. Olivia Polski, adjointe au commerce de la Ville de Paris, affirme au Monde être « plutôt favorable » à cette réforme qu’elle pourrait « regarder au cas pas cas ».

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Le plein-emploi, un objectif de campagne séduisant pour Emmanuel Macron

Dans une agence Pôle emploi de Bordeaux, le 8 février 2022.

Certains parlent déjà de « plein-emploi 2027 ». Le plein-emploi pourrait-il devenir un slogan de campagne, alors que les ménages semblent accaparés par la question du pouvoir d’achat ? L’idée fait son chemin chez des macronistes portés par la succession de bons indicateurs – une croissance de 7 % record depuis plus de cinquante ans en 2021, un taux de chômage s’approchant des 7 % promis par le candidat Macron en 2017… « Il me semble que le plein-emploi serait un bel objectif pour un prochain quinquennat », confirme le délégué général de La République en marche (LRM), Stanislas Guerini. « Atteindre le plein-emploi, c’est le nouvel objectif que la France doit se fixer », abonde un conseiller élyséen.

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Le chef de l’Etat lui-même avait évoqué cette ambition au détour d’une phrase dans son allocution du 9 novembre 2021 : « Nous ne devons pas viser seulement 7 % de chômage, mais bien le plein-emploi. » Et plusieurs ministres en parlent ouvertement depuis cet automne. « Pour la première fois depuis un demi-siècle », la France peut atteindre « ce que les autres grandes nations développées ont atteint depuis des années, le plein-emploi », martèle ainsi Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, qui a même évoqué devant les députés « un niveau de chômage de 5 à 6 % » en octobre 2021. La ministre du travail, Elisabeth Borne, a elle aussi parlé de « résultats qui permettent d’entrevoir un retour vers le plein-emploi », sur CNews, jeudi 17 février, à l’occasion de la publication des derniers chiffres du chômage.

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Faire du plein-emploi une composante de la campagne d’Emmanuel Macron et, peut-être, l’objectif d’un second mandat est clairement une hypothèse de travail, indiquent plusieurs sources. Selon un autre conseiller, « le plein-emploi, c’est un objectif crédible, à la portée de l’économie française à horizon cinq ans. Toute la question, c’est de bien choisir son indicateur », rappelant qu’« il y a une génération de gens, ceux qui sont entrés sur le marché du travail en 1982, qui ne savent pas ce que c’est que le plein-emploi ».

« La mythologie des “trente glorieuses” »

S’il est endossé par Emmanuel Macron, le pari aurait un sens politique évident. Le plein-emploi, « c’est la mythologie des “trente glorieuses”, une société de confiance dans laquelle on ne craint plus qu’un faux pas vous fasse tomber dans la précarité », décrypte Emmanuel Rivière, de l’institut Kantar Public. C’est aussi une réponse à d’autres angoisses, comme le financement de la protection sociale et des retraites, les tensions sur le système scolaire et, bien sûr, le pouvoir d’achat.

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Augmentations de salaires chez Cora : « Les 2,8 %, on ne les aurait jamais eus si on ne s’était pas mobilisés »

Des salariés de Cora manifesent, le 30 décembre 2021, devant le magasin de Mundolsheim (Bas-Rhin).

Plusieurs centaines de salariés de Cora s’étaient mis en grève, le 30 décembre 2021, à l’appel des syndicats CFTC et CGT. Une première dans ce groupe d’hypermarchés détenu par la famille Bouriez, filiale française du groupe belge Louis Delhaize, qui compte 61 magasins dans l’Hexagone. « On a fait très gentil, juste du tractage. On ne veut pas casser notre travail, juste que les gens vivent dignement de leur travail », expliquait alors Brigitte (c’est le pseudonyme qu’elle s’est choisi), employée de la chaîne depuis trente-deux ans et toujours au smic, témoignant du « ras-le-bol » ambiant.

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Quinze jours après cette mobilisation, des négociations annuelles obligatoires (NAO) se sont ouvertes au niveau du groupe. Une série de réunions qui se sont conclues, jeudi 10 février, par la signature d’un accord entre la direction et l’ensemble des organisations syndicales, qui prévoit l’augmentation de tous les salaires d’au moins 2,8 % (soit le niveau de l’inflation à fin 2021) et établit une nouvelle grille de rémunération propre au groupe. Une première là aussi, car la question des rémunérations n’avait jusqu’ici jamais été abordée au niveau national chez Cora, les hausses étant jusqu’ici décidées magasin par magasin.

Très remontés début janvier, les représentants syndicaux sont sortis satisfaits des discussions. « Les 2,8 %, moi, je les ai jamais eus dans mon magasin. Ces manifs ont eu un impact », estime Cyrille Lechevestrier, représentant CFTC. « On est contents, même si c’est loin des 5 % qu’on demandait. Mais si on ne s’était pas mobilisé, c’est sûr qu’on aurait eu 0,5 % ou 1 %, comme d’habitude », renchérit Julien Aquilina, délégué central CGT.

10 % de réduction

Dans le détail, la négociation repasse tous les niveaux de la grille des salaires au-dessus du smic (10,57 euros brut de l’heure). Comme seul ce dernier augmente automatiquement avec l’inflation (il a pris 3,1 % sur un an), il avait rattrapé et dépassé sept des huit premiers échelons de rémunération des niveaux « employés ». Ces derniers étaient donc payés au salaire minimum dans leur grande majorité – jusqu’aux prochaines négociations de branche, ce sera toujours le cas pour les entreprises qui appliquent strictement la grille de la convention collective.

Une grille de salaire pour les quatre niveaux employés (huit échelons) a été établie, portant les deux premiers niveaux à 10,77 euros de l’heure, les niveaux trois et quatre entre 10,80 euros et 11,62 euros. Cette revalorisation de grille se traduira pour certains par des augmentations de 5,7 %. Pour les cadres et agents de maîtrise, une enveloppe globale de 2,5 % sera distribuée en augmentations individuelles.

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« Qui donc peut encore se réjouir de créations d’emplois si ceux-ci engendrent insécurité économique et impossibilité de survivre ? »

Tribune. L’annonce fait beaucoup de bruit : l’emploi salarié privé au quatrième trimestre aurait augmenté de 0,5 %, portant les créations d’emplois supplémentaires à près de 650 000 pour l’ensemble de l’année 2021, soit 300 000 emplois de plus qu’en 2019, c’est-à-dire avant la crise liée à la pandémie de Covid-19.

Ce résultat est tiré du titre d’un document de l’Insee, une « estimation flash » de l’évolution de l’emploi salarié au quatrième trimestre 2021. Malheureusement, si la note rappelle soigneusement la définition d’un emploi qu’elle a retenue – à savoir des emplois occupés par des personnes « ayant travaillé au moins une heure rémunérée pendant une période donnée », ainsi que les personnes en situation de chômage partiel ou en arrêt maladie –, elle n’en tire pas toutes les conséquences. Pas plus que les médias, qui ont abondamment relayé cette donnée statistique.

En effet, les chiffres mis en avant additionnent des choux et des carottes, sur au moins deux plans. Premier plan : le type de contrat de travail. La croissance de 0,5 % de l’emploi salarié au quatrième trimestre comprend tous les contrats de travail, donc des emplois en contrats à durée indéterminée, en contrats à durée déterminée ou encore en intérim. Il faut noter que l’Insee prend le temps de préciser que les deux tiers des 107 000 emplois nets créés au quatrième trimestre 2021 sont dans l’intérim. La Dares [direction des études du ministère du travail] rapporte par ailleurs que les contrats d’intérim en 2021 ont été d’une durée moyenne de deux semaines. A ce rythme, en moyenne sur un trimestre, il faut huit contrats d’intérim signés pour obtenir un volume d’un seul emploi, en équivalent temps plein.

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Ce qui nous amène au deuxième plan : le temps de travail des personnes recrutées. La notion d’emploi retenue par l’Insee recouvre des situations très disparates, qui vont de la personne embauchée à temps complet à celle qui ne décroche qu’un « bout d’emploi ». En effet est considérée en emploi une personne ayant travaillé « au moins une heure rémunérée » sur la période… Or, il existe une manière classique, en statistiques, de tenir compte de ces durées très variables du temps de travail : raisonner en équivalents temps plein (ETP). Ce qui n’est pas fait dans ces récentes annonces de création d’emploi… Tenir compte du temps de travail est donc essentiel pour saisir les évolutions réelles de l’activité.

Défi pour la démocratie

De deux choses l’une. Soit l’Insee possède l’information sur le nombre d’heures de travail créées, neutralisant ainsi l’effet de durée du travail. Ce devrait être le cas puisqu’elles sont disponibles dans les « déclarations sociales nominatives » [DSN, déclarations des entreprises sur la situation de chaque salarié]. Le fait que l’Insee ne communique pas sur ce point pose problème à quelques mois de l’élection présidentielle et interroge l’indépendance dont l’Institut se réclame tant. De ce point de vue, l’avertissement sibyllin contenu dans la « note flash » sur la définition d’emploi retenu n’y change rien.

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