Archive dans mars 2021

Le gouvernement britannique refuse de venir en aide à GFG Alliance

Sanjeev Gupta, à Londres (Royaume-Uni), le 28 janvier 2019.

L’empire sidérurgique construit en tout juste sept ans par Sanjeev Gupta vacille dangereusement. Vendredi 26 mars, le gouvernement britannique a refusé la demande de sauvetage financier lancée par l’homme d’affaires indo-britannique, selon plusieurs médias britanniques. Celui-ci avait réclamé 170 millions de livres (200 millions d’euros) pour permettre à son entreprise, GFG Alliance, de rester à flot. Le groupe, en grave difficulté depuis la faillite de Greensill, son principal financeur, emploie 2 000 personnes en France et possède des usines stratégiques, dont celle d’Hayange (Moselle), qui fabrique les rails de la SNCF, ou Aluminium Dunkerque, la plus grande fonderie d’Europe.

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Le refus du gouvernement britannique est sec et sans appel, dans une lettre de quelques paragraphes seulement. Explication : GFG Alliance est trop « opaque », selon une source citée par l’agence de presse Bloomberg. De fait, le groupe est constitué d’un réseau de sociétés enregistrées dans le monde entier, sans comptes consolidés. Difficile d’y voir clair. Le groupe se contente d’affirmer qu’il emploie 35 000 personnes dans 30 pays et a un chiffre d’affaires de 20 milliards de dollars (environ 17 milliards d’euros).

Train de vie dispendieux

Pour le gouvernement britannique, il n’est pas question de voler à la rescousse d’un tel écheveau incompréhensible, d’autant que M. Gupta défraie la chronique avec un train de vie dispendieux. En août 2020, l’homme s’est notamment payé une propriété de 42 millions de livres (49 millions d’euros) à Belgrave Square, un îlot exclusif au cœur de Londres. Entourée de résidences d’ambassadeurs et d’oligarques, la propriété du XIXe siècle de 1 500 m2, achetée au nom de sa femme, Nicola Gupta, arbore moulures dorées et plafonds peints dans un style très rococo. Des travaux d’aménagement sont prévus, la résidence ayant reçu, le 17 mars, le feu vert des autorités locales pour installer une nouvelle terrasse à l’arrière du bâtiment, changer des peintures et des papiers peints et ajouter une balustrade protégeant les escaliers.

Le refus des autorités britanniques d’intervenir n’est sans doute que temporaire. Kwasi Kwarteng, le ministre de l’industrie, est très actif sur le dossier, discutant avec les syndicats et la direction de GFG Alliance. Il a préparé un plan d’intervention d’urgence, prêt à être actionné. Quelque 5000 emplois britanniques et des usines essentielles sont en jeu, fournissant notamment l’industrie de la défense et de l’aviation.

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Emploi et handicap : Philippa Motte, briseuse de tabou

Philippa Motte, consultante et formatrice spécialisée dans la santé mentale et le handicap psychique au travail, à son domicile parisien, le 22 mars 2021.

Philippa Motte est une pionnière. Depuis une dizaine d’années, cette consultante indépendante est spécialisée dans la formation et l’information des entreprises et des pouvoirs publics sur un sujet encore mal connu, voire tabou : le handicap psychique. Depuis deux ans, la quadragénaire accompagne également en individuel des personnes touchées et leurs proches. Ses objectifs sont triples. Il s’agit pour cette battante de lutter contre les discriminations à l’encontre des personnes victimes de maladies psychiatriques, de favoriser leur inclusion dans la société et le monde du travail et de les aider à trouver en elles les capacités pour s’en sortir.

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Le chantier est vaste. Tout reste à faire. Et ça tombe bien : « J’ai toujours aimé les grandes causes », confie Philippa Motte, qui travaille en partenariat avec le Comité national coordination action handicap (CCAH) et avec l’association Clubhouse France. Ce lieu d’accueil de jour, non médicalisé, accompagne dans leur réinsertion les personnes atteintes de troubles psychiques. Cet accompagnement se fonde sur la « pair-aidance », cette entraide des personnes touchées. Un modèle qui a fait ses preuves depuis plus de soixante ans dans plus d’une trentaine de pays. Le premier Clubhouse français a été ouvert à Paris en 2011. Forte de sa réussite, l’association essaime sur le territoire national : à Bordeaux, Lyon, Nantes…

Philippa puise sa force dans sa propre histoire et dans son long combat avec un handicap invisible. « J’ai un parcours psychiatrique très lourd », raconte-t-elle. Impossible pourtant de deviner, derrière son lumineux sourire, cette vulnérabilité cachée. A l’âge de 20 ans, l’avenir lui souriait. « J’étais quelqu’un d’assez joyeux. Mais à la suite d’événements personnels, je suis entrée dans une dépression assez sévère. » Un antidépresseur lui est prescrit, qu’elle arrête « un peu intempestivement ». La jeune femme bascule alors « dans une crise psychique grave, avec des hallucinations, un sentiment de persécution et une forte dimension mystique ». Interpellée par la police, elle refuse de coopérer et se retrouve « menottée, plaquée au sol ». Terrifiée, incapable de décliner son identité, elle est conduite à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris. Mise à l’isolement, « piquée de force », elle y restera soixante-douze heures.

Internement sous contrainte

Suivent « une dépression très profonde » et deux mois d’hospitalisation. Le diagnostic tombe, sans vraiment la convaincre : trouble bipolaire. De fait, lors de sa dernière crise, il y a deux ans, un autre diagnostic sera posé : une triade associant une forme d’épilepsie, un haut potentiel et un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDHA).

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Virgile Abbondanza met le Web au service du handicap

Virgile Abbondanza, cofondateur de MeHandYou, dans l’espace de coworking de l’accélérateur d’innovation sociale de la Croix-Rouge, à Montrouge (Hauts-de-Seine ), le 22 mars 2021.

« Passez chez moi, nous irons ensemble au 21 », propose Virgile Abbondanza. Comprenez l’accélérateur d’innovation sociale de la Croix-Rouge « 21 » , à Montrouge (Hauts-de-Seine). Ce lieu, que le jeune trentenaire appelle presque affectueusement « sa base », est situé à vingt minutes à pied de son logement au cœur du 14e arrondissement de Paris. La distance n’est pas un problème, malgré le souvenir que lui ont laissé une dermatomyosite juvénile, de la famille des myopathies, et trois récentes opérations. « Pour avoir été tour à tour bénéficiaire, salarié et bénévole investi dans des missions solidaires, je suis comme un poisson dans l’eau à la Croix-Rouge », affirme ce fils d’artistes. C’est ici qu’a été imaginée MeHandYou. « Cette plate-forme Web a été conçue pour aider des personnes en situation de handicap dans la conduite de leurs projets de vie, par la mise en relation de pair à pair », explique Virgile.

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Après un master de droit à Paris-II où il enseigne un temps, cet ancien seine-et-marnais devient juriste au ministère de la culture et au Centre Pompidou. En 2015, il intègre la Croix-Rouge en mission de service civique, puis en CDD au siège parisien, et fait partie d’une équipe chargée de la création d’une communauté de personnes porteuses de handicap. « Cette idée m’a mis mal à l’aise au début. Un certain misérabilisme dans ce petit monde me faisait fuir, sûrement parce que je rejetais mon propre handicap et que je m’étais battu pour gagner mon autonomie. Mais ce projet solidaire m’a finalement fait beaucoup avancer sur moi-même », se souvient Virgile.

Une aubaine contre l’isolement

L’idée de pair-accompagnement (ou de pair-aidance) s’impose bientôt. « Il s’agit de rapprocher des personnes confrontées au handicap ou simplement atypiques, et de constituer des binômes où l’expérience de l’un profite à l’autre, en travaillant sur l’émotionnel, l’autonomie, le développement personnel et professionnel », détaille Virgile.

L’association MeHandYou voit le jour en avril 2019 pour faire émerger le projet en toute indépendance. Elle est soutenue par l’accélérateur 21 qui coache les quatre fondateurs bénévoles et offre une subvention de 15 000 euros. Deux autres incubateurs d’entreprises sociales, Makesense et Antropia Essec, les accompagnent dans la communication, l’animation de communauté et la définition du business model (une plate-forme gratuite mais des prestations payantes pour les entreprises voulant développer leur culture inclusive).

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Emploi et handicap : Didier Roche, « serial entrepreneur »

Le fondateur du concept des restaurants Dans le noir ?, Didier Roche, aveugle depuis l’âge de 6 ans, est aussi engagé dans l’inclusion du handicap. Ici dans son bureau, tour Montparnasse, à Paris. Le 22 mars 2021.

La tour Eiffel, Notre-Dame, le Sacré-Cœur, la Défense… Par temps clair, le 52e étage de la tour Montparnasse offre une vue imprenable, à 40 kilomètres alentour. Lorsqu’il reçoit dans son bureau, l’entrepreneur Didier Roche laisse ses invités s’installer face au panorama. Il est d’autant plus sensible à leur émotion que lui-même ne profite pas du paysage : il est aveugle. Pourtant, lorsque, à 20 ans à peine, il développe sa première entreprise spécialisée dans les biens et services pour aveugles et handicapés visuels, il lorgne déjà le plus haut gratte-ciel de Paris et sa vue à couper le souffle. A l’époque, il a installé ses bureaux dans la CIT, la petite sœur de la tour Montparnasse. « Je me disais “un jour, je serai dans la grande”. Et m’y voilà », résume-t-il sobrement.

Issu d’une famille ouvrière, il devient non voyant à 6 ans, à la suite d’un accident domestique. On s’inquiète pour lui, on redouble d’attention, mais, enfant déjà, il préfère l’admiration à la compassion. Il ne peut plus suivre ses amis dans leurs périples à vélo ? Il fixe des bouts de carton sur la bicyclette qui le précède, et se repère au bruit. Pour jouer au foot, il glisse le ballon dans un sac en plastique. Philosophe, Didier Roche constate : « Le mur de l’impossible recule devant l’être qui marche. »

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A 50 ans, il est cofondateur d’Ethik Connection, une agence qui accompagne les entreprises dans la création de projets à fort impact social, et directeur général associé du groupe Ethik Investment, 8 millions de chiffre d’affaires en 2019, avec lequel il développe des restaurants, spas et boutiques proposant des expériences sensorielles dans l’obscurité totale. La marque Dans le noir ? emploie une centaine de collaborateurs dans le monde entier, dont 50 % sont en situation de handicap lourd, essentiellement non voyants. « Avec le Covid-19, nous allons perdre au moins de 60 % à 70 % du chiffre d’affaires, mais nous ne toucherons pas aux postes des personnes handicapées », assure cet entrepreneur, qui place la diversité au cœur de son modèle de création de valeur.

Un capitaine d’équipe

En 2009, il se met en tête de créer un CAP d’esthétique pour les aveugles, et force la main au rectorat, réticent, en allant jusqu’à passer lui-même le certificat. « J’étais le seul homme, le plus âgé aussi. J’ai eu la pire note de l’équipe, mais ça a fonctionné », raconte-t-il, amusé. Aujourd’hui, le CAP a été validé par une cinquantaine de personnes. « Didier, c’est un porteur de projets, un organisateur, un capitaine d’équipe », rapporte Hamou Bouakkaz, ami de longue date, également non voyant.

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Emploi et handicap : Eléonore Laloux s’engage en politique

Eléonore Laloux, première conseillère municipale porteuse d’une trisomie 21, devant chez elle, à Arras, le 24 mars 2021.

Pantalon rose, barrettes à fleurs et lunettes multicolores : Eléonore Laloux est un arc-en-ciel qui irradie. « Il faut po-si-ti-ver ! » lance la jeune femme de 35 ans dans un grand éclat de rire. Dans sa ville natale d’Arras, son visage est connu d’une grande partie de la population. A 4 ans déjà, sa bouille s’affichait sur les panneaux publicitaires de la ville pour souhaiter la bonne année aux habitants. Une initiative de ses parents, convaincus qu’il faut « montrer que le handicap fait partie de la vie », précise son père, Emmanuel Laloux.

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Le combat mené pour l’inclusion par Emmanuel et son épouse Maryse coule dans les gènes de leur fille. En 2010, Eléonore publiait, en collaboration avec Yann Barte, le roman de sa vie sous le titre Triso et alors ! (Max Milo). De ses premiers jours difficiles (atteinte d’une cardiopathie, elle n’avait que deux ou trois semaines à vivre d’après les médecins) à ses trois opérations du cœur, en passant par ses peines et ses joies d’ado puis d’adulte, l’Arrageoise n’a cessé de garder un regard positif sur la vie. « Nous avons perdu un enfant entre notre fils aîné et Eléonore, confie Emmanuel Laloux. A sa naissance, nous étions heureux de la voir arriver. C’est une enfant comme les autres, mais on a dû lutter pour qu’elle ne soit pas orientée en établissement spécialisé et qu’elle puisse suivre comme ses camarades un parcours classique. »

Pour expliquer sa maladie génétique rare, Eléonore aime raconter qu’elle possède en plus « un chromosome du bonheur, car les personnes atteintes de trisomie 21 ont des potions d’amour ». Autonome au quotidien, elle explique sa différence par « des yeux obliques », des gestes parasites comme « se frotter les mains » quand elle est contente et des difficultés à comprendre son interlocuteur quand il s’exprime trop vite.

« Une personnalité locale »

Grâce à son entourage familial, Eléonore a décroché une formation en bureautique. Depuis 2006, elle est agent administratif au service facturation d’un hôpital privé. C’est à la clinique Bon Secours d’Arras qu’elle a commencé à travailler. « C’est aussi là que je suis née et que je vis ! » lance-t-elle. L’ancien hôpital d’Arras a en effet été rénové et transformé en immeuble de logements inclusifs où se mêlent personnes âgées, familles et dix jeunes adultes atteints de trisomie 21. « C’est le premier habitat inclusif de France qui accueille en appartement des jeunes adultes autonomes avec une trisomie, souligne Emmanuel Laloux, président de l’association Down Up. L’association a créé ici un tiers-lieu de services pour les personnes fragilisées. Il faut constamment lutter pour l’inclusion et contre la stigmatisation. »

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Emploi et handicap : des actifs dits « invalides » font bouger les lignes

Rivé à un fauteuil, privé de l’usage de ses bras, de ses jambes et de la parole depuis qu’il est né, Philippe Aubert vit avec une paralysie cérébrale athétosique [caractérisée par des mouvements involontaires, non coordonnés du corps]. « J’ai besoin d’aide pour chaque geste, tout au long de la journée », explique la voix métallique d’ordinateur qu’a programmée Philippe en prévision de l’interview en visioconférence. Mu par une volonté de fer, soutenu de façon inconditionnelle par ses parents, le quadragénaire a décroché deux masters 2, s’est formé à l’aide humanitaire et a aidé à la construction d’une école en Haïti. Coauteur du livre Rage d’exister (Ateliers Henry Dougier, 2018), il a fondé l’association du même nom qui contribue entre autres à la participation pleine et entière à la vie sociale et économique des personnes en situation de handicap.

« Je fais partie d’une nouvelle génération de personnes en situation de handicap qui veulent vivre pleinement, je l’appelle “la génération Vestiaires”, en référence à la série télévisée » Philippe Aubert, fondateur de l’association Rage d’exister

« M’engager pour des causes d’intérêt général est essentiel pour moi, je refuse de me contenter de recevoir, en tant que citoyen, je veux donner également », explique celui qui est aussi, depuis l’an dernier, « personne qualifiée » au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et qui va présider un conseil interne au CNCPH pour les questions sémantiques, sociologiques et éthiques. « Je fais partie d’une nouvelle génération de personnes en situation de handicap qui veulent vivre pleinement, je l’appelle “la génération Vestiaires”, en référence à la série télévisée qui raconte le quotidien de handicapés sportifs, poursuit-il. Cette génération prend la parole, se montre. Elle ne veut plus être considérée pour ses seules incapacités mais être considérée pour ses capacités, ses compétences, ses connaissances, veut prendre des responsabilités et être pleinement citoyenne. »

A l’instar de Philippe Aubert, nombre de personnes handicapées s’engagent pour l’intérêt général. Le Monde est allé à la rencontre de quatre autres acteurs de changement. Ils sont non-voyant, trisomique, atteint d’un handicap psychique ou moteur. A leur échelle, ils font bouger les lignes dans le monde économique, politique, médical et social. Mais la route est longue.

« Aujourd’hui encore, quand on parle de handicap, un regard péjoratif subsiste, on voit en général la diminution, la marge et l’on n’aperçoit pas le pouvoir d’agir, la capacité à prendre des décisions, ce regard biaisé conduit à une sorte d’invalidation de la personne », constate l’anthropologue Charles Gardou, auteur notamment de Pascal, Frida Kahlo et les autres… ou quand la vulnérabilité devient force (Erès, 2014).

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« Allons jusqu’à au moins un tiers d’administrateurs représentant les salariés dans les grandes entreprises »

Tribune. Comme l’a rappelé la crise sanitaire du Covid-19, quelques entreprises, très concentrées, dominent la production mondiale. Depuis deux décennies, cette tendance s’est accentuée au détriment d’une répartition efficiente des ressources. Tant le capital productif et les investissements associés que le travail et les personnes qui le réalisent se trouvent privés des gains issus de la croissance.

La science économique nous enseigne que plus la concurrence est forte, plus les profits sont contrôlés, et plus le bien-être des consommateurs est grand. Mais, en réalité, une entreprise a toujours intérêt à adopter une stratégie anticoncurrentielle visant à instaurer des barrières à l’entrée sur leurs marchés à l’encontre des autres entreprises afin de bénéficier de rentes monopolistiques.

De nouvelles armes

Clairement, l’évolution des grandes firmes et de leurs pouvoirs de marché ne sert pas l’intérêt général mais accentue les inégalités et freine l’instauration de régimes de croissance plus prospères et plus distributifs. L’incapacité des grandes économies de la planète à gérer la mondialisation a servi l’essor économique de ces puissantes entreprises au détriment de ce que l’économiste américain Joseph Stiglitz nomme la « vraie richesse des nations », celle qui se fonde sur l’innovation, la créativité et les interactions productives entre les personnes.

Force est de constater que les grandes entreprises modernes s’affranchissent nettement des régulations antitrust traditionnelles, même si la Commission européenne est de plus en plus vigilante en matière d’abus de position dominante, comme en témoigne l’enquête en cours contre la puissance algorithmique d’Amazon et ses atteintes à la concurrence.

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Car il est vrai que les dispositifs de propriété intellectuelle, qui permettent de déployer des stratégies de brevets agressives (comme en témoigne le secteur pharmaceutique), et les possibilités d’évasion fiscale – comme en abusent les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et ­Microsoft) –, offrent aux très grandes entreprises de nouvelles armes pour accroître leur puissance économique.

C’est pourquoi il est important pour les autorités de la concurrence et les Etats d’élargir le spectre de l’action publique en matière de régulation afin de lutter contre l’utilisation socialement inefficace (car non redistributive) de ces pouvoirs de marché excessifs, et de ces mouvements immodérés de fusion et d’acquisition.

Un capitalisme renouvelé

Il n’est ni utopique ni idéologique de penser dès maintenant, et avant que l’occasion ne nous échappe et ne se présente plus de sitôt, les fondements d’un capitalisme renouvelé, qui le préserverait de lui-même et qui donnerait une signification historique singulière à la relance des économies post-Covid-19 à l’échelle internationale.

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L’argot de bureau : le « flex office » ou la vie sans poste fixe

Premier arrivé, premier servi (à moins d’avoir réservé par Internet) ! Ce n’est ni une salle de classe ni une bibliothèque universitaire surpeuplée, mais l’espace de travail du futur. Surtout aux yeux de ses ardents défenseurs, qu’ils soient start-up ou grands groupes : bienvenue dans un monde où le bureau est un bien collectif. Ordinateur portable dans la main gauche, mug rigolo dans la main droite, smartphone dans la poche, le travailleur du XXIe siècle est paré.

Le « flex office », « desk sharing », « free seating », ou « bureau dynamique » (le terme est flexible), désigne l’absence de poste de travail nominatif. Adieu la boule à neige de Joël achetée à Venise, le presse papier de Mireille, les photos du labrador de Thierry et le cadeau de fête des Mères de Julie, sauf à tout réinstaller chaque matin. Même chez les plus réformateurs, des casiers personnels ont survécu pour abriter ce qu’il reste de la personnalisation du bureau.

Popularisée en 1995 par les consultants américains d’Accenture, la méthode du « bureau flexible » permet d’économiser des mètres carrés : entre les vacances, les RTT et les missions de terrain, un poste de travail individuel n’est occupé que 60 % du temps en moyenne. Avec le flex office, on dénombre moins de postes de travail que de salariés : le siège de BNP Personal Finance compte ainsi 2 055 « positions » pour 2 600 collaborateurs, soit un ratio de 0,8. Certaines entreprises descendent jusqu’à 0,6 soit six bureaux pour dix.

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Le Covid-19 pourrait bien accélérer le mouvement : il a par exemple convaincu Suez, qui s’est converti au « flex ». Certains estiment que des bureaux nus seraient bien plus faciles à désinfecter tous les soirs, ce qui permettrait une meilleure sécurité sanitaire.

Ridicule

Le flex office bien organisé répartit les espaces selon les besoins : il postule que le salarié choisit une place en fonction de ses activités du jour. Souvent, ces espaces sont conçus à l’échelle d’un service précis, d’un « territoire d’équipe » (un étage, par exemple), et non de toute l’entreprise, comme chez Axa depuis 2017. Danone a, de son côté, instauré des règles drastiques : interdiction de partir en réunion sans ses affaires, et obligation de libérer les tables à partir de quinze minutes d’absence.

Le « flex », c’est une mentalité. Après tout, le célèbre physicien Stephen Hawking (1942-2018) disait que « l’intelligence, c’est la capacité de s’adapter au changement »… La non-attribution des bureaux, c’est donc le décloisonnement. L’occasion de discuter, de découvrir ce que fait vraiment un développeur Web, de ne plus se limiter à ses trois collègues ennuyeux de la comptabilité, en toute transparence, sans trop de confidentialité. Attention, par exemple, à ne pas s’exclamer que « même mon gamin en CP dessinerait un meilleur logo que le nôtre », alors que cet homme barbu à six mètres de vous n’est autre que Chris, le « design manager ».

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« Nous appelons à des Etats généraux sur la promotion de la santé et du bien-être au travail et en faire une grande cause nationale »

Tribune. La crise sanitaire, économique et sociétale qui perdure depuis mars 2020 a considérablement augmenté les manifestations anxieuses et dépressives chez les Français, liées à la fois à leur crainte d’une contamination virale mais également aux menaces sur leur emploi et aux restrictions sur leur mode de vie liées aux confinements et couvre-feux successifs.

L’enquête CoviPrev de Santé publique France a révélé un doublement du taux d’anxiété, à 33 %, et la prévalence d’états dépressifs pouvant atteindre 27,7 % dans certaines régions, ce qui est très élevé. Pour les travailleurs s’y ajoute un accroissement des risques psychosociaux (RPS) dû à une accélération de la numérisation du travail, et en particulier du télétravail (Le numérique et la sécurité et la santé au travail, programme de recherche de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail).

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Une plus forte charge cognitive, un effacement des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, un isolement social et un effondrement des collectifs de travail sont autant de sources qui ont accentué la souffrance. Dans une enquête menée en novembre 2020 par Malakoff Humanis, 70 % des télétravailleurs disent que le principal risque pour leur santé est le risque psychologique.

Des contreparties pas suffisantes

Ces constats préoccupants convergent avec ceux qui nous reviennent par nos réseaux professionnels respectifs de DRH, de syndicalistes, de spécialistes de la santé mentale. Les restructurations et les changements organisationnels du travail et le climat d’incertitude sur l’avenir professionnel qui ont accompagné cette crise ont eu aussi un impact non négligeable sur la santé mentale et le bien-être au travail.

Des contreparties existent, comme la réduction du temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail qui a réduit le niveau de stress et de fatigue des télétravailleurs, mais elles sont loin de compenser les souffrances vécues dans un contexte anxiogène rarement atteint.

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Depuis une quinzaine d’années, et essentiellement à la suite d’événements dramatiques (suicides au travail, développement des cas de burn-out d’origine professionnelle…), la France a pris conscience des enjeux de la prévention des risques psychosociaux (RPS), non seulement pour la santé des salariés, mais aussi pour la performance économique des entreprises.

La France dans le peloton de queue des pays de l’UE

Les Accords nationaux interprofessionnels (ANI) qui se sont succédé sur le stress au travail en 2008, le harcèlement moral et les violences en 2010, la qualité de vie au travail en 2013 et la santé au travail en 2020 montrent la préoccupation renouvelée des partenaires sociaux sur ces questions. Le vote d’une loi sur la santé au travail à l’Assemblée nationale le 17 février 2021 va aussi dans ce sens.

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Conquête spatiale : « Un programme est couronné de succès si la triade coût, calendrier et performance a la même priorité »

Tribune. L’Agence américaine de l’aéronautique et de l’espace (NASA) a de nouveau fait des prouesses, avec Perseverance qui a atterri comme une fleur sur Mars. Elle a aussi renoué avec les ambitions de la conquête de la Lune en 1969 en voulant y installer une présence permanente autour de (et peut-être sur) la Lune, sans parler de Mars.

Mais entre perfectionner ce qu’elle a déjà accompli (des sondes vers Mars) et l’inconnu d’une présence sur la Lune et d’un voyage habité vers Mars, il y a une différence. La NASA d’aujourd’hui n’est plus celle de 1969. Là, elle faisait tout elle-même avec ses programmes Mercury ou Apollo.

Sécurité et succès

Qui oserait encore ne rien sous-traiter aujourd’hui ? Eh bien même plus la NASA ! Elle demande déjà à un Boeing ou un SpaceX de prendre son relais pour des vols habités vers la Station spatiale internationale (SSI), après une dépendance peu glorieuse aux Russes. Elle compte aussi recourir au privé pour Mars et la Lune.

Si même la NASA sous-traite, ce qui n’a jamais été fait auparavant sauf par elle, pourquoi les entreprises se priveraient-elles ? C’est justement l’objet du rapport du conseil consultatif de la NASA pour les questions de sécurité (« Nasa’s Aerospace Safety Advisory Panel Releases 2020. Annual Report »). La NASA dans son flirt avec l’impossible se dépare de ses atours.

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C’est l’éternelle question du « make or buy » (« faire ou acheter ») avec un avantage au « acheter », mais l’objectif du conseil consultatif n’est pas la rentabilité de l’un ou l’autre, mais, plus subtilement, la sécurité et le succès rapide de missions jamais tentées auparavant.

Avec Mercury, Apollo ou Skylab, la NASA formulait les missions, définissait les spécifications pour les équipements au sol et en vol et s’occupait de la réception et de la validation de tous les équipements fabriqués par l’industrie. C’est encore la NASA qui jouait le rôle d’intégrateur et qui prenait la responsabilité totale, lancement et mission compris. Avec la navette spatiale, la NASA accepta de déléguer un peu plus les développements et les tests aux sous-traitants principaux, mais l’agence restait fortement engagée à travers ses experts les plus seniors.

Zone de risque

En 2006, la NASA franchit une étape supplémentaire avec son programme Commercial Crew & Cargo Program (CCP), pour reprendre des vols habités et alimenter la station SSI. Il ne s’agissait plus que de donner des exigences de haut niveau sur la performance, la sécurité et les interfaces pour que tout ce qu’elle commande puisse s’interconnecter et s’intégrer. Cela donne aux contractants la liberté d’innover sur la conception, le développement et la fabrication. Pour la partie « cargo », force est de reconnaître que cela marche plutôt bien mais l’expertise était déjà là, tant à la NASA que dans l’industrie.

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