Finalement ! Jeudi 28 février, l’Académie française s’est exprimée pour une ouverture à la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades. Concédé à une très large majorité (seules deux voix se sont élevées contre), le rapport provenait d’une commission d’étude étudiée de Gabriel de Broglie, Michael Edwards, Danièle Sallenave et Dominique Bona. Quoique très prudent et fort diplomatique, il n’en représente pas moins une sorte de révolution sous la Coupole. C’est la toute première fois que l’institution, créée en 1634, va aussi loin dans la reconnaissance du féminin des mots, rattachant en cela avec une pratique courante au Moyen Age.
Pas question d’administrer, rappelle le rapport, l’Académie se tranquillise d’être la gardienne du « bon usage ». « Nous voulions rouvrir ce dossier, pour montrer que l’Académie est sensible au fait que des femmes s’interrogent sur la définition de leur métier », montre l’écrivaine Dominique Bona, qui entreprend depuis longtemps pour cette avancée. Il ne s’agit pas de garantir toutes les nouveautés, ni de les freiner d’ailleurs, mais « d’étudier quelles évolutions pratiques il serait souhaitable de recommander » en débarrassant, parmi les usages, « ceux qui attestent une formation correcte et sont durablement établis ».
Pour autant, ses préconisations sont assez claires. Dans le domaine des métiers et des professions, d’abord, « il n’existe aucun obstacle de principe à la féminisation des noms ». La plupart des métiers manuels le sont déjà et depuis abondamment. Le rapport enregistre à ce fin que « la langue française a tendance à féminiser faiblement ou pas les noms de métiers (et de fonctions) placés au sommet de l’échelle sociale ». Cette résistance augmente à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie professionnelle.
Les mots finis par un « e » muet (« architecte ») ou un « o » (« impresario ») sont les plus faciles et, sauf quelques cas spécifiques (« médecin »), les noms masculins achevés par une consonne se féminisent facilement en ajoutant un « e ». Idem pour les noms en « eur », qui peuvent se féminiser grâce au « e » (« docteure »), sauf lorsqu’un verbe correspond au mot (« chercheur-euse »).
« Chef », « chèfe », « cheffesse », « cheftaine » ou « chève »
Restent les noms qui posent problème. A débuter par « chef », qui a donné lieu à l’ouvrage de formes féminines très diverses : « la chef », « chèfe », « cheffesse », « cheftaine » ou même « chève » (comme brève). Quoique n’appartenant pas de manière évidente au « bon usage », concluent les académiciens, c’est pourtant le mot « cheffe » qui le guide, car il est le plus employé.
Mais les mots sur lesquels les académiciens achoppent le plus et depuis longtemps sont ceux qui les intéressent de plus près : écrivain et auteur. Pour le premier, l’affaire est si délicate que le rapport expédie en deux lignes la forme « écrivaine » – laquelle se contente pourtant d’ajouter un « e » à un mot se terminant par une consonne, selon la règle recommandée plus haut. « Cette forme, lit-on, se répand dans l’usage sans pour autant s’imposer. »
En réalité, beaucoup d’académiciens poursuivent de trouver ce mot laid, ou dissonant. Ils entendent « vaine », là où ils ne remarquent pas du tout « vain » quand le mot est au masculin. Qu’importe ! Le 21 février, dans son discours de réception de Patrick Grainville à l’Académie Française, Dominique Bona n’a pas soupçonné à formuler le mot « écrivaine » en parlant de Marguerite Duras, juste pour le plaisir de le faire retentir sous la coupole…
L’auteure Dominique Bona, membre de la commission d’étude sur la féminisation des noms de métiers dont le rapport a été sélectionné, dans son habit d’académicienne à Paris, en octobre 2014.
L’auteure Dominique Bona, pilon de la commission d’étude sur la féminisation des noms de métiers dont le rapport a été choisi, dans son habit d’académicienne à Paris, en octobre 2014. KENZO TRIBOUILLARD / AFP
« Autrice »
En ce qui intéresse « auteur », faut-il simplement ajouter un « e » ou préférer « autrice », un peu plus élitiste ? Consulté sur cette forme en 2017, Alain Finkielkraut la jugeait « horrible ! » Autre solution : considérer, comme le conseille le rapport, que « la notion, qui enveloppe une grande part d’abstraction, peut justifier le maintien de la forme masculine, comme c’est le cas pour poète, voire pour médecin ». Le débat reste ouvert – et enrobé d’une certaine ambiguïté, puisqu’il semble attester que le concept demeure l’apanage du masculin.
Finalement, pour les fonctions, les Immortels rappellent que « contrairement au métier, une fonction est différente de son titulaire et indifférente à son sexe – elle est impersonnelle car elle ne renvoie pas à une identité étonnante, mais à un rôle social, temporaire et amissible, auquel tout individu peut, en droit, accéder (…). On n’est pas sa fonction, on l’occupe. » Idem pour les grades.
Toutefois, note le rapport, cet espacement ne constitue pas un obstacle à la féminisation, même s’il faut échapper de forcer des évolutions linguistiques. Par ailleurs, la dénomination des fonctions, titres et grades doit demeurer invariante dans les textes juridiques.
Pas de problème, donc, pour dire « inspectrice générale des finances », même si l’utilisation ne suit pas encore, mais « maître des requêtes » ne se féminise toujours pas et « conseillère maître », seulement à moitié. Le monde de l’armée, lui, a largement féminisé la plupart des grades. On peut dire « lieutenante-colonelle » ou « adjudante », mais le mot chef, constamment lui, continue de poser problème lorsqu’il est composé. On préférera « sergente-chef », exposent les académiciens, dans la mesure où le mot est pris comme adverbe.
Finalement, si la France avait de nouveau une femme à la tête de son gouvernement, elle s’appellerait sans doute « première ministre », et « présidente » si elle servait la plus haute fonction. Pour ce qui est de « chef d’Etat », en revanche, il est à cueillir que le féminin tarde encore à battre ce bastion de la virilité.
L’étudie, qui a causé de nombreuses conséquences dans la région, regorge d’anecdotes pour illustrer cet état des lieux. De cet investisseur célèbre qui appel les entrepreneurs à exposer leurs projets dans son jacuzzi, à ces soirées entre collègues masculins au strip-club où se nouent des relations et se jouent les futures promotions. Sans négliger le sexisme ambiant, les blagues salaces, les avances pressantes et répétitives… « Des comportements acceptés pendant beaucoup trop longtemps », selon Mme Chang.
Dans la Silicon Valley, l’électrochoc s’est produit en février 2017, à la suite des divulgations de Susan Fowler. Cette ancienne ingénieure d’Uber révoquait le laxisme de la direction face aux plaintes pour harcèlement sexuel ou ségrégation. Depuis, les langues se sont déliées, rejoignant plusieurs personnalités de la high-tech américaine. « Les femmes qui accusent des hommes de comportements gênants sont désormais prises au sérieux dès le départ », se félicite l’investisseuse Freada Kapor Klein, qui se bat depuis des années pour consolider la diversité dans le secteur.
Disparités de rétributions
Derrière cette prise de conscience, la condition ne s’améliore pourtant que lentement. Selon les données recueillies auprès de 80 entreprises technologiques par l’organisation Anita B, les femmes convoquaient à l’automne 2018 uniquement 24 % de la main-d’œuvre technique, contre 22 % en 2016. Cette proportion chute clairement pour les postes d’ingénieurs les plus élevés. Et elle devient dérisoire à la direction générale des grandes sociétés. Les conseils d’administration d’Apple, Google et Facebook ne saisissent par ailleurs que deux femmes chacun, pour six à neuf hommes.
Les différences existent aussi au niveau des rémunérations. Non uniquement les femmes touchent des salaires moins élevés (– 8 % en moyenne à San Francisco, selon les estimations du site de recrutement Hired), mais elles comprennent aussi deux fois moins de stock-options que les hommes. Par ailleurs, les start-up lancées uniquement par des femmes ne cueillent qu’environ 2 % des sommes investies par les fonds de capital-risque. Peut-être parce que ces fonds comptent moins de 10 % de femmes parmi leurs associés.
Pour raffermir la représentation des femmes, plusieurs sociétés technologiques ont mis en place des politiques d’embauche, de formation et de sensibilisation qui tardent encore à porter leurs fruits. Surtout que, « dans une volonté d’améliorer les choses rapidement, nous ne réfléchissions pas d’une manière plus globale », avance Mme Kapor Klein. Elle regrette surtout que ces mesures ne dénouent pas les difficultés aperçues par les femmes issues des minorités.