La famille des cheminots fragilisée
Chronique « Carnet de bureau ». Actuellement 135 200 salariés ont le statut de cheminot, couvert par le régime spécial de retraite, chiffrait en septembre un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la branche ferroviaire. Leur recrutement s’arrêtera le 1er janvier 2020. Cependant, 16 500 salariés de la SNCF sont déjà sous contrat de droit privé. Si les cheminots descendent dans la rue jeudi 5 décembre, c’est pour défendre au-delà d’un régime de retraite, une approche du travail commune à toute une famille professionnelle, aujourd’hui fière et amère à la fois.
Le cheminot en soi n’existe pas. C’est un aiguilleur, un agent de maintenance, un annonceur, un conducteur, un guichetier, ou un caténairiste, surnommé « l’écureuil », parce qu’il passe son temps en l’air à inspecter les câbles. Il contrôle le fil de contact qui permet à la motrice d’être alimentée en électricité et son niveau d’usure. En dessous, l’agent de maintenance fait la tournée des voies et cherche de visu s’il y a des avaries sur les rails ou aux abords. La SNCF c’est 170 métiers pour une seule famille avec une forte culture d’entreprise, car on est souvent cheminot de père en fils, voire sur plusieurs générations.
Après le recrutement, la transmission est aussi affaire de famille. « L’essentiel des savoirs et des savoir-faire cheminots sont transmis par des pairs. (…) Un gage de connaissance intime du métier et de responsabilité partagée », explique Pierre Madiot, fondateur de la coopérative Dire le travail qui vient de publier les témoignages des cheminots dans Le train comme vous ne l’avez jamais lu (éd. de l’Atelier, 192 pages, 16 euros).
Changement d’état d’esprit de l’entreprise
Mais la transformation de l’entreprise en cours change la donne. « Dans mon parcours professionnel, les gens prenaient une fonction quand ils avaient acquis de l’expérience. On partait du principe qu’il fallait savoir faire. C’est cette démarche qui structurait l’entreprise. Or, c’est en train de disparaître : on sépare de plus en plus la vision managériale de la vision métier, témoigne Jean-François, caténairiste. On a maintenant bien souvent des DPX [dirigeants de proximité] qui n’ont pas les compétences. Ils ne sont pas capables d’organiser les moyens, si bien qu’ils signent des objectifs sans savoir s’ils sont réalisables. Cela crée du mal-être, du travail mal fait. (…) Les nouveaux DPX sont recrutés à bac + 2 ou à bac + 5. Beaucoup sont des cadres qui sortent directement de l’école. »