La France face au ralentissement de l’économie européenne
Les agitations politiques n’y modifient rien : la courbe de l’accroissement française est, depuis juillet 2018, lisse comme un lac. Selon la dernière appréciation de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), diffusée mercredi 29 mai, le produit intérieur brut (PIB) s’est soutenu, au cours des trois premiers mois de l’année, à + 0,3 %. Un chiffre à peu près semblable à celui des deux trimestres précédents, et qui devrait se répéter encore au prochain.
L’économie française serait-elle contrainte à l’inertie ? Pas certainement, si l’on en croit l’Insee. La confiance des ménages, qui avait plongé à l’automne 2018, au plus fort de la crise des « gilets jaunes », s’est clairement redressée depuis janvier. En mai, l’indicateur qui la synthétise s’est uni de sa moyenne de longue période. Un seuil qu’il n’avait plus atteint depuis les 3 premier mois de 2018.
Les Français examinés sont beaucoup plus sereins qu’il y a quelques mois sur leur situation financière future et l’évolution de leur niveau de vie. Certes, on peine encore à en mesurer les effets sur la consommation, principal mécanisme de la croissance. Les achats de vêtements se sont repliés en avril, comme ceux des matériels de transport. En revanche, les dépenses alimentaires sont en hausse, « en particulier la consommation de viande et de produits transformés ».
Ces frémissements ne sont pas encore à la hauteur des bénéfices de pouvoir d’achat issus des mesures avisées, fin 2018, pour apaiser la colère sociale. Alors que l’achèvement a progressé de 0,4 %, le revenu disponible brut s’est apprécié de 1 % au premier trimestre. Il semble qu’une grande partie ait été épargnée. Une précaution sans doute nourrie par l’attente des résultats du grand débat.
« C’est normal, estime Patrick Artus, économiste en chef chez Natixis. Les baisses d’impôts, les primes, la revalorisation de certaines allocations n’étaient pas anticipées. Elles ont été stockées. » Il ne serait pas surprenant qu’il faille attendre la fin du deuxième trimestre avant de voir cet argent réintroduit dans l’économie.
« Les baisses d’impôts, les primes, la revalorisation de certaines allocations n’étaient pas anticipées. Elles ont été stockées »
Mais la fiscalité ne fait pas tout. L’emploi est un élément tout aussi capital pour la confiance. Or, le chômage continue à baisser. Lentement, mais sûrement, il a atteint, fin mars, 8,7 % de la population active, selon l’Insee, percevant son niveau de 2009. « C’est la surprise : le marché du travail donne aujourd’hui le sentiment d’être plus dynamique que la croissance, insiste Hélène Baudchon, prévisionniste chez BNP Paribas. Les recrutements et la progression des salaires sont plus que correctes. » Près de 66 400 créations de postes ont été notées en début d’année.
Cette tendance peut-elle durer ? « Quand on regarde le taux d’emplois vacants, tel qu’il est calculé par Eurostat, on se rend compte qu’il est actuellement à des niveaux historiquement en hausse, à environ 1,3 %, souligne Sylvain Broyer, économiste en chef chez S&P Global Ratings. On estime maintenant qu’il faut 0,8 % de taux de vacance pour que le chômage commence à baisser. On peut s’attendre à ce que les bonnes nouvelles continuent. »
Autre facteur d’optimisme : le climat des affaires reste assez dégagé, même s’il fléchit doucement dans le commerce de détail et les services, en mai. Il a retroussé la tête dans l’industrie. La production industrielle a augmenté de 1,1 % au premier trimestre. Mieux : la part de l’investissement productif (hors construction) dans le PIB est grimpée à 11 %. Un ratio plus élevé qu’en Allemagne, ce qui est une première depuis vingt-cinq ans.
« Il ne faut pas oublier l’injection dans leur trésorerie de près de 20 milliards d’euros supplémentaires, du fait de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en baisse de charges », déclare Hélène Baudchon. L’accroissement français pourrait en avoir encore un peu sous le pied.
« Un système très peu sensible aux variations »
En revanche les apparences, la monotonie des courbes n’est donc pas une mauvaise chose. Elle « illustre ce qu’on a pu appeler la troisième voie française : celle d’un système volontairement très peu sensible aux variations, déclare Sylvain Broyer. Statistiquement, cela peut ressembler parfois davantage à une économie administrée qu’à une économie de marché. Mais l’objectif de cette régulation est d’éviter de trop grosses fluctuations dans le revenu des ménages ».
Bien sûr, en cas de relance plein gaz à l’échelle mondiale, une telle force d’inertie rend la reprise dans l’Hexagone plus poussive. On l’a observé en 2009 et, plus récemment, en 2016. Mais la régulation a ses avantages : quand l’augmentation extérieure dérape, la tenue de route tricolore est généralement meilleure. C’est justement ce qui se dessine pour 2019.
D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques, le PIB mondial est en phase de ralentissement. Il ne progresserait que de 3,2 % cette année, après 3,5 % en 2018. Plus brutal qu’attendu, le ralentissement est notamment perceptible sur le Vieux Continent. Et il pourrait s’aggraver si les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine poursuivaient leur escalade.
Dans un tel contexte, « on ne verra probablement pas d’augmentation franche côté français, reconnaît Sylvain Broyer. En revanche, le pays devrait échapper à la décélération massive que subissent l’Allemagne et l’Italie », davantage montrées aux aléas de la demande.