« On fabrique, on vend, on se paie, Lip 1973 » : à Besançon, la lutte syndicale d’une vie

« On fabrique, on vend, on se paie, Lip 1973 » : à Besançon, la lutte syndicale d’une vie

Livre. A lui seul, il est une légende ouvrière, la figure emblématique du combat de Lip, cette entreprise horlogère de Besançon qui occupa le devant de la scène sociale à partir de juin 1973. Face aux menaces de licenciements, les ouvrières et les ouvriers de l’usine remettent la production en marche, sans patron. Leur lutte devient le symbole d’une unique expérience d’autogestion en France, qui s’achèvera par une semi-victoire suivie de moult péripéties. A 92 ans, Charles Piaget, qui, selon sa formule, était rentré après et durant dix ans dans sa « coquille », prend la plume pour livrer son témoignage. Avec humilité et franchise, il raconte, sans utiliser à aucun moment le mot « autogestion », son épopée.

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Quarante-huit ans après, la fougue révolutionnaire de Charles Piaget est intacte. « Le salariat, écrit-il, n’est que la suite de l’esclavage et du servage. Il faut changer tout cela. Changer la société pour que chaque être humain soit producteur, à part entière ; citoyenne/citoyen à part entière. » Pour Piaget, la société de demain sera « celle d’une économie au service de toutes et tous ; une économie assurant des biens plus égalitaires ; une économie respectueuse de l’environnement et des êtres vivants ». Militant de la CFDT, il pratique l’unité d’action avec la CGT, mais le conflit va distendre les liens, surtout que Piaget ne veut pas laisser la conduite de la lutte aux syndicats et ne jure que par le « collectif ». Le syndicat, insiste-t-il, « doit pousser les salarié(e)s à se prendre en main, à diriger progressivement la lutte par eux-mêmes ».

« Laisse-nous respirer »

Pour faire plier le patron, Fred Lip, l’arme des salariés, c’est le comité d’action, « une sorte d’école de la revendication concrète et de la négociation » où tous sont « sur un pied d’égalité ». Si le conflit a consacré sa notoriété, Charles Piaget, à l’origine très croyant, ne la recherchait pas. Bien au contraire. « Tout leader, affirme-t-il, homme ou femme, est le signe d’un défaut de démocratie. » « Le leader ne vaut pas le collectif », martèle-t-il. Et il reconnaît ses contradictions : « Je voulais cette prise en charge totale de la lutte par les groupes autonomes de réflexion, de propositions et d’action. Mais, en même temps, je voulais néanmoins tout contrôler, vérifier, car j’étais toujours inquiet. Des Lip m’ont alors remis en place : “Tu parles d’autonomie et tu ne la respectes pas. Laisse-nous respirer.” » Il rappelle même l’épisode d’une négociation avec André Giraud, le ministre de l’industrie, où, s’étant éloigné de la « position commune », il se vit interdire de parole.

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LJD

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