« On devrait vouloir non pas de moins de bureaucratie, mais de meilleures bureaucraties »
Tribune. Le thème de la bureaucratie réapparaît régulièrement, sous des formes variées, à chaque élection présidentielle, souvent pour souhaiter sa disparition. Après la « start-up nation », en 2017, on retiendra cette fois une éphémère candidature antibureaucratie [celle du philosophe libéral Gaspard Koenig], appelant à un pays enfin libéré de ses pesanteurs administratives. A chaque fois, la cause réunit sous sa bannière diverses préoccupations : les ultralibéraux et les libertariens « ennemis de l’Etat » ; ceux qui veulent « libérer les énergies » entrepreneuriales du joug administratif ; les tenants du new public management ; ceux qui constatent – souvent à raison – certains dysfonctionnements bureaucratiques.
Pourtant, cet « anti » ou « post »-bureaucratisme prospère sur deux malentendus, que la recherche en science des organisations permet de dissiper. Premier malentendu, ou sous-entendu trop peu démenti : les bureaucraties seraient nécessairement publiques. Or, si l’on revient aux fondamentaux de Max Weber (1864-1920), père de la notion, une bureaucratie est une organisation hiérarchique et structurée par des règles formalisées, qui organise la coordination du travail en vue de produire un bien ou un service commun.
Toute organisation, qu’elle soit publique ou privée, qui dépasse une taille très modeste (c’est-à-dire n’importe quelle start-up ou PME qui commence à grandir) et qui s’appuie sur des hiérarchies (des « manageurs ») et des règles formalisées, est donc une bureaucratie. Qui appelle à moins de bureaucratie s’adresse donc aussi aux entreprises privées.
Deuxième malentendu : on réduit généralement la bureaucratie à ses excès, en oubliant systématiquement ses avantages. Certes, il n’est pas question de nier ses dysfonctionnements bien connus : rigidité, manque d’innovation, démotivation des employés, perte de sens, « réunionite », paperasserie excessive, décisions absurdes, etc. Mais la bureaucratie ne se réduit pas à cette fameuse « cage de fer » : elle est, avant tout, un mode d’organisation qui, par rapport aux organisations reposant sur le servage ou l’esclavage qui l’ont précédée, représente un progrès, aussi bien en matière d’efficacité du système productif que de bien-être et de dignité au travail.
Surprenante vitalité
En matière d’efficacité, on n’a guère trouvé de meilleur moyen de coordonner le travail de centaines, voire de milliers d’individus de manière structurée et efficace. En matière de bien-être, la bureaucratie garantit une certaine équité de traitement et une protection sociale. On n’y est pas tenu d’obéir à l’arbitraire d’un supérieur qui peut s’avérer despotique, injuste ou simplement inconstant, car on obéit à des règles considérées comme rationnellement légitimes. De plus, on est libre de ses actes en dehors du temps et du lieu de travail : il y a stricte séparation entre vie privée et vie professionnelle.
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