L’argot de bureau : les « mad skills », bizarre ou original ?

« Bienvenue dans cette édition de “Mon salarié a un incroyable talent” ! Ce spectacle vous est présenté par notre chief talent officer [sorte de DRH à la sauce talentueuse] et ses chasseurs de pépites. » Fraîchement recruté, un bataillon de jeunes diplômés enchaîne les performances : Sabrina, endormie sur une chaise, se réveille soudain et pratique l’écriture automatique. Elle est donc capable de travailler la nuit, sans le faire exprès. Intéressant.
De son côté, Martin crache du feu sur un fil tout en jonglant avec des agrafeuses, avec en fond une musique spectaculaire, tandis que Bruno fait de la cuisine moléculaire avec brio. Les performeurs du jour, bien qu’ils soient en réalité techniciens de maintenance, informaticiens ou commerciaux, ont été recrutés pour leurs « mad skills », littéralement leurs compétences folles (ou « talents de malade »).
L’expression s’inspire d’une terminologie incontournable en recrutement, et qui coupe normalement en deux le CV d’un candidat : d’un côté se trouvent les « hard skills », compétences dures, observables par des diplômes ou certifications, et de l’autre les « soft skills », compétences comportementales censées décliner la personnalité du travailleur en entreprise (autonomie, créativité, amabilité…).
Un terme venu de la Silicon Valley
Les « mad skills » ont aussi trait à la personnalité. Il ne s’agit pas d’aller chercher ses « talents de malade » à l’asile, mais de mettre en avant les profils atypiques, ayant vécu des expériences hors du commun. Seront notamment appréciées la construction d’une école au Kenya avec trois morceaux de bois et un tube de colle, la pratique à haut niveau du curling sur gazon, ou cette année sabbatique consacrée à la vie en autosubsistance dans une cabane perdue dans la forêt amazonienne.
Concrètement, il s’agit de donner un rôle autre que cosmétique à la case « loisirs et voyages » du CV, et à convertir toute votre vie dans la sphère professionnelle. C’est même conseillé clairement sur nombre de sites d’emploi, jusqu’à celui de Pôle emploi.
Les grands penseurs de la Silicon Valley, qui ont fait naître les « mad skills » (le terme s’est développé en France ces trois dernières années), vont plus loin : il n’est pas anodin de voir des billets d’influenceurs RH mettre en avant l’expérience d’un deuil ou d’une maladie, comme preuve de « résilience ».
Sortir du cadre mais pas trop
Attention, cela ne doit avoir que du bon pour l’entreprise : le psychologue social Serge Moscovici parle de « déviance positive » pour désigner des intuitions novatrices, venues de personnes qui pensent différemment. Une aubaine pour des manageurs en quête de salariés « force de proposition ».
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