Blocages, barrages filtrants, opérations escargot… les salariés du transport routier et logistique mènent, lundi 16 décembre au matin, diverses actions dans le cadre d’une grève à l’appel de quatre syndicats de leur branche pour réclamer de meilleures conditions de travail et de salaires, compliquant davantage la situation sur les routes en plein conflit social sur les retraites.
« Les blocages se sont mis en place à partir de 4 heures du matin, à Lille, Vannes, Toulouse, Lyon (le marché MIN), Nancy (zone industrielle de Ludres), etc. », a précisé à l’Agence France-Presse (AFP) Charles Morit, de la CFDT-Transports et environnement, premier syndicat de la branche, à l’origine du mouvement et rejointe par FO, la CFTC et la CFE-CGC. « Les voitures particulières ne sont pas concernées » par les barrages filtrants, a-t-il ajouté.
Augmentation des salaires, 13e mois conventionnel, permis professionnel, maintien du dispositif de congé de fin d’activité (CFA)… En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, les mots d’ordre sont spécifiques.
« A l’heure où la profession est au plus mal avec une pénurie de 50 000 salariés, où le dialogue social peine à s’installer dans les entreprises », et face à « des conditions de travail qui mènent à la recrudescence des arrêts maladie » pour « des salaires qui peinent à être revalorisés », la CFDT-Transport et environnement appellerait à la mobilisation.
Elle réclame notamment « la mise en place d’un 13e mois conventionnel, de vraies revalorisations des grilles salariales, une amélioration des conditions de travail ». « Il y a une tension énorme dans la profession, dénonce Thierry Douine, de la CFTC, et on ne veut pas améliorer les conditions sociales, [malgré une] pénibilité monstrueuse qui se développe dans la logistique. »
Ces syndicats s’inquiètent également pour le congé de fin d’activité (CFA), que l’Etat souhaite voir renégocié par les partenaires sociaux. Il s’agit d’un dispositif financé à la fois par l’Etat et les cotisations patronales et salariales, permettant aux conducteurs attestant d’une certaine ancienneté de partir en retraite cinq ans avant l’âge légal. « On ne veut pas que les organisations professionnelles le dénoncent en invoquant les tensions sur l’emploi », souligne M. Douine.
La ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, qui a la tutelle sur les transports, a assuré lundi sur France 2 que « le gouvernement leur a confirmé que ce congé de fin d’activité sera maintenu, il faut maintenant qu’il y ait des discussions avec les organisations patronales ».
Ce lundi matin dans le Pas-de-Calais, quelque 200 personnes ont bloqué dès 5 heures l’accès à la zone industrielle de Douvrin, une importante base logistique au nord de Lens.
« Nous venons de quitter la zone escortés par la police. Nous roulons à 20 km/h sur la N41, il y a plusieurs kilomètres de bouchons derrière nous. On va rejoindre l’A25 puis l’A1, l’opération devrait durer jusqu’à la mi-journée », a précisé Henri Talleu (CFDT). Au sud de Nancy, environ 150 routiers organisent des barrages sur la zone industrielle de Ludres depuis 3 h 30 et a priori jusqu’à la mi-journée.
En Alsace, une opération escargot est également menée depuis tôt lundi matin sur l’A35-A4 par une vingtaine de camions avec une trentaine de militants, occasionnant un trafic très ralenti au sud et au nord de Strasbourg.
En banlieue parisienne, des blocages ont été installés en Seine-et-Marne et à Genevilliers (Hauts-de-Seine). Un rassemblement doit se tenir à Paris devant le siège de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) dans le 17e arrondissement, où les routiers doivent être reçus en fin de matinée.
Frédéric Thiriez, dans son bureau, à Paris, le 29 mai. Lorenzo Meloni pour «Le Monde»
Six mois après le début de sa mission, la petite équipe conduite par Frédéric Thiriez a les idées claires sur ce qu’elle compte proposer au président de la République, fin janvier, pour réformer la haute fonction publique. Le rapport qui conclura la mission confiée en mai à l’avocat, énarque et ancien président de la Ligue de football professionnel devrait rester fidèle aux idées-forces d’Emmanuel Macron, révélées par Le Monde en avril.
Ni Matignon ni la mission Thiriez ne souhaitent s’exprimer à ce stade. Mais, selon les informations du Monde, c’est bien une réforme d’ampleur qui se prépare, et plusieurs piliers de la haute administration française devraient vaciller sur leurs bases. L’un des plus emblématiques est bien entendu l’Ecole nationale d’administration. L’ENA, dont Emmanuel Macron a annoncé la disparition, devrait, selon le projet Thiriez, connaître une évolution profonde. L’une des ambitions du chef de l’Etat est de créer un nouvel établissement qui formerait tous les plus hauts cadres de l’Etat pour leur donner une culture commune. La mission Thiriez a donc imaginé un système à deux étages assez novateur.
Le premier étage du système est un tronc commun qui sera cogéré par sept écoles
Le premier est un tronc commun qui sera cogéré par sept écoles : celles qui forment les administrateurs civils (ENA), les magistrats (Ecole nationale de la magistrature), les cadres de la territoriale (Institut national des études territoriales), les commissaires de police (Ecole nationale supérieure de la police) ou encore les cadres de la santé publique (Ecole des hautes études en santé publique). Après le concours, les élèves seront réunis pour « voir la réalité du terrain », selon une source qui suit de près le travail de la mission Thiriez. Ce sera par exemple l’occasion d’être sensibilisé aux enjeux de la défense nationale par une sorte de « préparation militaire supérieure » de trois semaines, ou de découvrir « une jeunesse qu’ils n’ont pas fréquentée » en encadrant des jeunes du service national universel. En plus des stages et des enseignements.
Après ce tronc commun, qui devrait durer de six à douze mois, les élèves rejoindront leur école spécifique. Grande nouveauté : l’ENA nouvelle manière accueillera les futurs administrateurs, comme aujourd’hui, mais aussi les ingénieurs des grands corps techniques de l’Etat. Ces élèves, souvent diplômés de l’école des Mines, des Ponts et Chaussées, de l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique ou des filières de l’armement, termineraient donc leurs études avec les énarques. Les élites de l’élite, « qui s’ignorent, voire ne s’aiment pas », souligne-t-on dans l’entourage de la mission, seraient fondues dans le même moule. Une révolution. La nouvelle ENA, toujours située à Strasbourg, accueillerait donc 240 élèves, contre 80 aujourd’hui.
Anthropologue, professeur des universités, spécialiste du handicap et organisateur de la troisième édition des Trophées Lumière de l’entreprise inclusive – qui se tiendra le 19 mai 2020 à l’université Lumière-Lyon-II –, Charles Gardou fait le point sur la place accordée aux jeunes en situation de handicap en France.
Peu de jeunes handicapés s’engagent au service de l’intérêt général à travers le service civique dans notre pays, ce constat vous étonne-t-il ?
Pas vraiment, car notre culture produit chez eux des formes d’autocensure. En effet, on reste enclin à les priver de parole, à s’exprimer en leur nom et, plus globalement, à minorer, si ce n’est à nier, leurs compétences d’expression, de décision, d’action. On a du mal à les reconnaître comme les premiers experts de ce qu’ils vivent, au sens premier d’expertus, « ceux qui font l’épreuve de ». Aussi en viennent-ils à s’autolimiter dans leurs projets d’engagement, d’études, de vie professionnelle.
Que dit encore de notre société leur quasi-absence de la vie associative ?
On a situé la question du handicap du côté de la charité, de la tolérance. Si ces valeurs ne sont pas, bien sûr, à rejeter, elles induisent une asymétrie relationnelle. Chaque culture a sa manière de considérer et traiter ceux qu’elle juge inconformes à l’ordre régnant. Michel Foucault écrivait même que l’on peut caractériser les sociétés par la façon dont elles se débarrassent non pas de leurs morts mais de leurs vivants. On est bien loin de l’idée inclusive !
Quelle est votre définition d’une société inclusive ?
En réalité, cette expression est un pléonasme, le mot « société » (societas en latin) signifiant lui-même « communauté, alliance, union ». Une société est une communauté de compagnons, reposant sur la solidarité, la coopération. De fait, exclure un seul d’entre eux engendre un appauvrissement du tissu communautaire.Le défi majeur de notre temps est de (re)faire société.
Dans « La société inclusive, parlons-en ! » (éditions Erès, 2012), vous présentez les cinq piliers sur lesquels une telle société mérite de s’appuyer. Quels sont-ils ?
Le premier invite à retrouver le sens du patrimoine commun : la ville, l’habitat, les transports, les lieux d’éducation, etc., encore difficilement accessibles aux personnes en situation de handicap. Or, nul n’a l’exclusivité de ce « patrimoine ». Etymologiquement, c’est l’héritage du père, transmis pour inscrire chacun dans une histoire et lui conférer une identité. Il n’y a donc pas de société inclusive sans remise en cause de prés carrés, de territoires protégés persistants. Une société n’est pas un cercle réservé à des affiliés préservés du handicap. Une société inclusive, c’est d’abord le contraire d’une société exclusive.
L’ex-directeur général de Renault, Thierry Bolloré, le 24 janvier à Boulogne-Billancourt. ERIC PIERMONT / AFP
Lorsque, à la veille du 8 octobre, Thierry Bolloré signe la lettre de dix pages qu’il va adresser au conseil d’administration de Nissan, il ignore encore que ce sera l’un de ses derniers actes comme cadre dirigeant de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Le directeur général de Renault, alors également membre du conseil d’administration du groupe japonais, sera congédié le 11 octobre. Mais la missive qu’il soumet à ses homologues administrateurs soulève une série de questions sur l’opacité du partenaire de Renault et sur l’ambiance délétère qui règne au sommet d’un des fleurons mondiaux de l’automobile.
Le Monde a pu avoir accès à ce courrier explosif. La lettre dépeint un management au plus haut niveau où règnent la suspicion, la délation, la rétention d’informations entre la direction du groupe et les administrateurs, entre les administrateurs eux-mêmes. Une organisation sans chaîne de commandement lisible, où l’un des représentants de Renault – l’actionnaire principal de Nissan avec 43 % du capital – est davantage informé par la presse ou par des courriers anonymes que par la voie hiérarchique classique.
Manifestement, un an après l’arrestation choc de son président, Carlos Ghosn, pour malversations financières, Nissan en est toujours profondément ébranlé.
Que contient cette lettre ? M. Bolloré y soulève plusieurs sujets « qui ont mis en évidence des problèmes critiques dans la gouvernance de [Nissan] ». « A ma grande surprise, aucun de ces problèmes n’a été signalé à mon attention par le management de Nissan ou par des organes de gouvernance, mais soit par des articles de presse, soit par des lanceurs d’alerte. »
Une situation pour le moins baroque
M. Bolloré évoque d’abord une information révélée par le Wall Street Journal,le 23 septembre. Le directeur juridique de Nissan, Ravinder Passi, qui venait d’alerter, le 9 septembre, des administrateurs sur un potentiel conflit d’intérêts concernant Hari Nada, vice-président de Nissan chargé des affaires juridiques, est aussitôt remplacé dans ses fonctions auprès du conseil d’administration.
La situation est, il est vrai, pour le moins baroque : Hari Nada, ex-proche de Carlos Ghosn, fait partie de ceux qui l’ont fait tomber, bénéficiant, du coup, de la protection juridique que les procureurs japonais accordent aux témoins. A ce moment-là, M. Nada continue, malgré son implication dans l’affaire Ghosn, de prendre des décisions au plus haut niveau de Nissan en matière de gouvernance, d’affaires juridiques et de contrôle de la conformité.
La cabane de dégustation Le Routioutiou, à Gujan-Mestras (Gironde). SABINE MENET / PHOTO PQR / SUD OUEST / MAXPPP
Comme chaque année depuis onze ans, près de 20 000 personnes ont visité, ce samedi 7 décembre, le port ostréicole d’Andernos-les-Bains (Gironde) à l’occasion de l’événement Cabanes en fête. Une grande dégustation géante (25 000 douzaines d’huîtres, 15 000 bouteilles) organisée par les professionnels. Pourtant, à 25 kilomètres de là, de l’autre côté du bassin d’Arcachon, l’heure n’était pas à la fête pour Géraldine et Fabrice Vigier, et leur cabane de dégustation Le Routioutiou, à Gujan-Mestras.
Le 25 novembre, le couple comparaissait devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour exercice illégal d’un commerce, travail dissimulé et pêche au filet sans permis. Une affaire qui provoque de sacrés remous dans le bassin. Il faut dire que l’ostréiculture, chez les Vigier, est une tradition familiale depuis 1846. Et surtout, le couple compte parmi les précurseurs qui ont décidé, il y a une vingtaine d’années, d’expérimenter la dégustation d’huîtres.
Depuis, le succès ne s’est jamais démenti : un tiers des entreprises du bassin pratiquent la dégustation, soit 86 producteurs sur 280 exploitations actives. Les huîtres sont accompagnées de crevettes, bulots, pâtés, le tout arrosé d’un vin blanc du coin.
« Ça a vraiment pris de l’ampleur depuis une dizaine d’années, confirme Romain, 30 ans, ostréiculteur, qui a repris l’activité familiale sur la presqu’île du Cap-Ferret et préfère rester anonyme. Ce que les gens aiment avec les cabanes, c’est que ce n’est pas prise de tête, ils viennent là pour être tranquilles, posés au bord de l’eau. »
« A 8 h 30 du matin, on sonne à notre porte. On nous signifie que c’est un contrôle du Codaf. C’est d’une rare violence, avec toutes les autorités compétentes possibles. » Géraldine Vigier, ostréicultrice
Victime de son succès, Le Routioutiou doit s’agrandir en 2016. Mais, à l’été 2017, tout bascule. Fabrice Vigier se rend dans son parc à huîtres et y pêche « vingt bars et trente mules », selon son épouse. Si elle précise qu’en « aucun cas il ne voulait les vendre », cette action peut être assimilée à du braconnage. Le lendemain, à 8 h 30, on vient sonner à leur porte. « On nous signifie que c’est un contrôle du Codaf [comité opérationnel départemental anti-fraude]. C’est d’une rare violence, avec toutes les autorités compétentes possibles. »
S’ensuivent deux années et demie d’enquête au terme desquelles l’Urssaf estime que l’activité du Routioutiou relève plus du commerce et de la restauration que de l’ostréiculture, et considère donc qu’elle doit être affiliée à son régime : 300 000 euros sont réclamés aux propriétaires. Géraldine Vigier assure n’avoir, comme tous ses collègues, jamais cotisé à l’Urssaf. La situation des cabanes est aussi floue que complexe.
Anaïs Guillen (à gauche), 25 ans, est sourde. Elle a effectué, cette année, neuf mois de service civique dans le cadre du projet-pilote Cap sur l’engagement. Sa tutrice, Jade Clerissy (à droite), est coordinatrice dudit projet dans le collectif T’Cap. Théophile Trossat pour « Le Monde »
Lancé à Nantes il y a un an par l’Agence du service civique, avec le soutien de la préfecture des Pays de la Loire et de la Loire-Atlantique, le projet-pilote Cap sur l’engagement a suivi onze jeunes en situation de handicap, âgés de 16 à 30 ans. Ils ont été accueillis en mission de service civique pour huit mois en moyenne, au sein de neuf structures d’accueil.
Escape game et podcast
Anaïs, 25 ans, sourde, fait partie des sélectionnés. L’année dernière, elle a réalisé son service civique à T’Cap et au Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Ceméa). Le premier est un collectif rassemblant 183 structures publiques, privées et institutionnelles soucieuses de rendre la culture et la vie citoyenne plus accessibles, le second une association d’éducation populaire. L’une de ses missions était de rendre un escape game accessible aux personnes sourdes et malentendantes. Une expérience fructueuse qu’elle raconte avec entrain : « Avant mon service civique, je pensais à tort que les personnes entendantes ne se souciaient pas de nous. J’ai gagné confiance en moi et j’ai réalisé que les sourds et les entendants pouvaient travailler ensemble », exprime-t-elle en langue des signes.
Veste en cuir et crâne rasé, Jean-Marc, 27 ans, fait aussi partie du projet. Tout sourire, ce Nantais bipolaire a travaillé neuf mois en service civique pour le Ceméa de Loire-Atlantique. Sa mission consistait à valoriser la citoyenneté des personnes handicapées. Pour cela, il a créé un podcast pour une radio locale et a participé à l’organisation d’un festival de sensibilisation à la différence à Saint-Nazaire. « Ce service civique m’a permis de faire mes armes et d’apprendre à mieux m’organiser », se réjouit-il. Jean-Marc a terminé son service civique plus assuré, et travaille désormais dans un centre d’accueil pour réfugiés, à Nantes. « Au départ, je ne savais pas que les handicapés pouvaient avoir accès à ce dispositif jusqu’à 30 ans et sans conditions de diplôme. Sur les campagnes publicitaires, cette information est encore trop peu visible », signale-t-il.
« Au service de l’intérêt général »
Dans le cadre du projet-pilote, jeunes et tuteurs ont bénéficié d’un accompagnement individualisé et collectif, et ont participé à plusieurs journées de rencontres qui ont permis d’optimiser et de fluidifier les échanges. Début 2020, le rapport d’évaluation du projet, réalisé par le cabinet Amnyos, sera publié. Il présentera ses conclusions et des recommandations méthodologiques et pratiques pour un essaimage dans toute la France.
Anaïs Guillen (à droite), 25 ans, est atteinte de surdité. Après un bac pro comptabilité, elle a effectué neuf mois de service civique, et recherche actuellement un emploi dans le domaine du développement personnel. Jade Clerissy (à droite), sa tutrice pendant son volontariat, est coordinatrice du projet-pilote Cap sur l’engagement pour le collectif T’Cap. Théophile Trossat pour « Le Monde »
« Le pouvoir d’être utile » : le slogan, affiché sur un mur de l’Agence du service civique, à Paris, a laissé Guillaume Bourdiaux perplexe lorsqu’il l’a découvert. « Quand on est en situation de handicap, on se dit que c’est nous qui avons besoin des autres, pas l’inverse », résume cet homme de 22 ans atteint d’une infirmité motrice cérébrale (IMC). En 2018, pourtant, après avoir arrêté un DUT carrières sociales en raison de problèmes de santé, l’étudiant s’est engagé auprès de l’association Unis-Cité. Il rend visite, en binôme, à des personnes âgées et à des familles dont un enfant est en situation de handicap.
« Lorsque j’ai arrêté mes études, j’étais vraiment perdu. Le service civique, pour moi, c’était un vrai déclic psychologique, résume-t-il. J’ai arrêté de me focaliser sur mes problèmes, j’ai réalisé que j’étais capable d’aider les autres. » Guillaume est ensuite devenu ambassadeur Unis-Cité : « J’ai participé au Salon de l’éducation, afin de sensibiliser les profils comme le mien. » Le jeune homme a gagné en assurance, constate sa tutrice, Claire Brun-Mandon : au fil des mois, « Guillaume a changé. Les personnes en situation de handicap ont souvent des parcours semés d’embûches. Leur permettre de travailler sur une mission, tout en étant encadrés, c’est aussi les aider à retrouver confiance en eux. »
« Beaucoup d’autocensure »
Depuis 2010, 400 000 jeunes se sont engagés auprès des 11 000 organismes d’accueil dans l’Hexagone par l’intermédiaire de l’Agence du service civique, l’organisme public qui met en place et encadre le service civique. Mais, en 2018, seulement 1,5 % des volontaires étaient en situation de handicap. « C’est peu », reconnaît Béatrice Angrand, présidente de l’agence. D’autant que le problème n’est pas nouveau. En 2015, déjà, la structure, alors ouverte à tous entre 16 à 25 ans, élargit son accueil jusqu’à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap. L’idée est de prendre en compte leurs parcours de formation, souvent plus longs. « Entre 2015 et 2018, leur part a presque doublé. Mais il faut aller encore plus loin », poursuit Mme Angrand. L’âge n’est pas le seul frein. L’accès à l’information est encore insuffisant, c’est pourquoi il figure parmi les principaux chantiers d’une démarche pilote lancée en 2018 dans les Pays de la Loire et en Loire-Atlantique.
« Le service civique, pour moi, a été un vrai déclic psychologique. J’ai réalisé que j’étais capable d’aider les autres », Guillaume Bourdiaux, volontaire
« Et puis il y a beaucoup d’autocensure », souligne la présidente. Pourtant, les structures d’accueil peuvent bénéficier de financements pour adapter les postes de travail et aménager la durée hebdomadaire des missions en fonction des situations, et l’indemnité de 580 euros net par mois est cumulable avec l’allocation adulte handicapé. Mais les organismes qui peuvent accompagner les jeunes, comme l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp), sont encore parfois méconnus.
Aucune mission n’est a priori inaccessible
« Pour que l’inclusion se poursuive après l’école, dans le milieu professionnel, il faut ouvrir toutes les portes aux jeunes en situation de handicap, et le service civique en fait partie », plaide Patrick Marcel, secrétaire général de la fédération des Pyrénées-orientales de la Ligue de l’enseignement. Pour ces volontaires, l’engagement est aussi une façon de gagner en autonomie par rapport à leur famille et d’améliorer leur employabilité grâce à l’encadrement d’un tuteur lors de leur première expérience professionnelle. « On n’ouvre pas de mission spécifiquement à l’adresse des jeunes en situation de handicap, ils postulent comme les autres volontaires. Puis nous adaptons les postes », détaille M. Marcel.
Pour les handicaps visuels et auditifs, la structure prévoit des aménagements de l’espace ou de la durée de la mission ; pour les handicaps mentaux, le tuteur suit une formation spécifique : « Nous faisons des simulations, on lui demande par exemple d’adapter une mission pour un volontaire avec des troubles autistiques. Cela permet de déconstruire nos représentations du handicap. »
Aucune mission n’est, a priori, inaccessible à ces jeunes, affirme la tutrice Claire Brun-Mandon : « L’effort doit venir de nous en tant que structure d’accueil. Quand Guillaume rendait visite à une femme en fauteuil roulant, il avait du mal à pousser son fauteuil en raison de son propre handicap. Nous avons donc demandé à une autre volontaire de l’accompagner. C’est important de ne pas se mettre de barrières à l’avance, et il faut faire confiance aux jeunes : ils savent très bien verbaliser ce qu’ils se sentent capables de faire. »
« Sensibiliser les bénéficiaires »
Se passer de ces profils serait d’autant plus dommage que les jeunes handicapés, poursuit Claire Brun-Mandon, ont « une grande envie de transmettre. De par leur parcours, ils ont souvent eux-mêmes été aidés à un moment de leur vie ». Guillaume Bourdiaux a eu un très bon contact avec les retraités auxquels il rendait visite lors de son service civique. « Ils ont toujours été accueillants, je n’ai jamais eu de réflexions », raconte l’étudiant, qui se forme aujourd’hui pour devenir animateur en Ehpad. Le service civique lui a permis de trouver sa voie. Il regrette néanmoins que les bénéficiaires ne soient pas toujours préparés à la présence de volontaires en situation de handicap : « J’ai également rendu visite à des enfants autistes, il aurait peut-être fallu rassurer leurs parents en amont. »
Béatrice Angrand préconise de « sensibiliser les bénéficiaires, sans pour autant tomber dans le misérabilisme ou la discrimination ». L’engagement des jeunes en situation de handicap sur les mêmes missions que les autres volontaires (avec parfois un cadre assoupli) permet de changer les regards, poursuit la présidente : « Ce public apporte une expérience de tolérance, de confrontation avec la différence. » Léa Pons-Vayer, qui vient de terminer un service civique auprès de la Fédération française d’équitation, peut en témoigner. Atteinte de polyarthrite, elle s’est notamment occupée de la mise à jour de l’annuaire, qu’elle a rédigée « pour qu’il soit accessible à tous. J’ai également initié mes interlocuteurs à l’écriture inclusive, j’ai vraiment eu l’impression d’apporter un regard neuf ».
Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence du service civique.
Témoignage
Boris Moncheney, 28 ans : « Cette expérience m’a ouvert le champ des possibles »
Le premier jour de son service civique, Boris Moncheney est convié à une réunion avec les autres volontaires engagés auprès de l’association Unis-Cité en Occitanie. « Nous étions cent cinquante », raconte le jeune homme, qui souffre d’un trouble schizo-affectif. Il s’en souvient bien : « Mon intégration, c’était une grande source d’anxiété. » L’angoisse ne sera que passagère. Il constate vite qu’il n’est pas le seul volontaire en situation de handicap. « Je me suis très vite fait une amie, une fille dyslexique qui n’hésitait pas à demander l’orthographe des mots. Elle assumait son handicap, ça m’a inspiré. » Boris Moncheney est chargé de réconcilier les citoyens avec le bénévolat, notamment grâce à des défis lancés par le biais d’une plate-forme. Sept ans auparavant, à l’apparition des premiers symptômes de son trouble, il avait dû interrompre sa licence en administration économique et sociale. Le service civique lui a « ouvert le champ des possibles ». « J’envisage les choses avec plus de sérénité, dit-il. Je vais me tourner vers une profession qui me permettra de mettre à profit mon amour de l’écriture ».
L’imposante galerie commerciale de Colombo, où le tout Lisbonne se presse pour les courses de Noël, est surplombée par deux tours aux couleurs de BNP Paribas. Au cours de ces dernières années, la banque française a grignoté progressivement la plupart des étages : une enfilade d’espaces de travail ouverts, où plusieurs centaines de jeunes Portugais exécutent toute une palette d’opérations pour les activités du groupe à travers le monde.
En dix ans, le Portugal est devenu, à bas bruit, une solide base arrière de l’établissement. Elle y comptera 6 000 salariés à la fin de 2019, dont plus de 80 % ne travaillent pas pour le marché local portugais. Ces emplois, qui n’existaient pas avant 2008, sont venus essentiellement de France, mais aussi de Belgique, d’Italie ou de Suisse, pour être confiés à une main-d’œuvre locale diplômée, polyglotte et bon marché. « Il s’agit là d’un des principaux centres de compétences internationaux présents au Portugal », précise Luis Castro Henriques, le président de l’Agence pour l’investissement du Portugal.
Si les délocalisations sont, depuis longtemps, le lot de l’industrie, le secteur bancaire, bousculé par la crise financière, la révolution numérique et les taux d’intérêt négatifs, cherche, lui aussi, à transférer des emplois vers des pays à moindres coûts salariaux. Au Portugal, le salaire minimum, qui sera réévalué de 6 % en 2020, atteindra 740 euros brut mensuels, contre 1 521 euros brut en France, soit plus du double.
Tout commence au début des années 2000
Pour BNP Paribas, tout commence au début des années 2000. Après les attentats du 11-Septembre 2001, le groupe veut dédoubler son activité de « conservation de titres », un métier qui consiste à gérer les comptes titres des investisseurs institutionnels (assureurs, fonds de pension, entreprises…), après la négociation de leurs transactions sur les marchés. Il s’agissait de disposer de deux sites, pour que, en cas d’attaque sur celui de Paris, un centre de secours puisse prendre le relais. Pour cette structure secondaire, la banque a choisi Lisbonne, en 2008.
« Pour mon poste de chargé de compte, la direction demandait simplement le bac, alors qu’il fallait une licence ou une maîtrise pour le même travail à Paris »
Alexandre Huchet, professeur de français qui venait juste de s’installer au Portugal, fait partie des premiers embauchés. « Au début, nous étions 247 employés, se souvient-il, attablé à la terrasse d’un petit café du quartier populaire de Benfica, où se dresse le centre commercial de Colombo. Pour mon poste de chargé de compte, la direction demandait simplement le bac, alors qu’il fallait une licence ou une maîtrise pour le même travail à Paris. Après quatre ou cinq ans, BNP a constaté tous les avantages à être ici, et ils ont décidé de se développer. »
Sur le chantier de l’EPR (réacteur nucléaire de troisième génération) de Flamanville, dans la Manche, en novembre 2016. Benoit Tessier / REUTERS
Le PDG d’EDF a peu ou prou respecté le calendrier que lui avait imposé le gouvernement. Un mois et demi après la remise d’un rapport sévère de Jean-Martin Folz sur les dérives de la filière nucléaire française, Jean-Bernard Lévy a présenté à son conseil d’administration, jeudi 12 décembre, puis aux industriels et à la presse vendredi, le plan destiné à redresser une situation critique, illustrée par la dérive du chantier du réacteur EPR de Flamanville (Manche) : le retard de dix ans a entraîné une multiplication par quatre (12,4 milliards d’euros) de son budget initial.
Lors de la publication des conclusions de l’ex-patron de PSA, qui qualifiait la conduite du chantier de l’EPR d’« échec pour EDF », le ministre de l’économie et des finances avait jugé que « ces difficultés à répétition [n’étaient] pas acceptables » et demandé à la filière de « se ressaisir très vite », notamment EDF et sa filiale réacteurs Framatome, qui en sont les chefs de file. « Il en va de notre souveraineté énergétique », avait souligné Bruno Le Maire.
Baptisé « Excell », ce plan 2020-2021 répond point par point aux critiques du « rapport Folz ». Il vise un retour « au plus haut niveau de rigueur, de qualité et d’excellence » et bénéficiera d’un « budget spécifique » de 100 millions d’euros, a annoncé M. Lévy. Il sera piloté par un « délégué général à la qualité industrielle et aux compétences ». Issu du monde de l’industrie, mais pas du secteur nucléaire, il fera des rapports réguliers au PDG et devra notamment garantir les « meilleures pratiques » au sein de la filière.
Car, contrairement à l’automobile, à l’aéronautique et au spatial, le nucléaire n’a pas su préserver la rigueur acquise lors du déploiement du parc nucléaire dans les années 1970-1990. Excell prévoit donc « le renforcement de la qualité industrielle » qui a fait défaut dans l’exécution du projet de Flamanville comme la fabrication de composants majeurs (cuves, générateurs de vapeur…) par Framatome (ex-Areva NP). Cela avait contraint l’exploitant à des arrêts coûteux de certains de ses 58 réacteurs.
« Outils de traçabilité renforcés »
« Le choix des fournisseurs valorisera davantage les critères de qualité » et ils seront « mieux associés à l’élaboration des spécifications et à l’analyse de la constructibilité ». Les déboires de Flamanville avaient commencé par des malfaçons dans le béton dès 2008, un an après le début du chantier. Puis, des problèmes de ségrégation carbone sont apparus dans la cuve où se produit la réaction nucléaire. Avant que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) exige d’EDF la révision de huit soudures du circuit secondaire, qui se traduira par un surcoût de 1,5 milliard d’euros. EDF va revoir la qualification de ses fournisseurs, les exigences accrues pouvant être étendues aux entreprises sous-traitantes de rangs 2 et 3, a prévenu M. Lévy, qui a annoncé « des outils de traçabilité renforcés » pour les pièces sensibles.
Chez l’équipementier Mahle Behr, à Rouffach (Haut-Rhin), filiale de l’allemand Mahle (79 000 salariés dans le monde, 12,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018), la restructuration, annoncée le 23 octobre, supprimant 240 emplois sur 640, sera la troisième depuis 2013. Et ce, malgré deux accords de compétitivité, en 2013 et 2016, qui avaient occasionné des sacrifices pour le personnel, en termes de salaire et de temps de travail.
Si, jusqu’à présent, ces plans sociaux s’étaient faits dans une relative paix sociale, ce n’est plus le cas. Les syndicats ont appelé à l’aide le gouvernement et des parlementaires, qui ont alerté le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Redoutant à terme la disparition de l’usine, « les salariés se sentent abusés, bernés, désespérés », souligne l’intersyndicale CFDT-CGC-CFTC-CGT-UNSA dans une lettre ouverte au ministre. Cette action a débouché sur une réunion, mardi 3 décembre, avec le délégué interministériel aux restructurations d’entreprises, Marc Glita. Les syndicats réclament que le ministre joue de tout son poids pour que le groupe allemand dégage des « moyens financiers exceptionnels » d’accompagnement des salariés qui vont être licenciés, et dont la moyenne d’âge est de 50 ans. Ils demandent aussi que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), chargée de valider ou de rejeter les plans sociaux, « fasse un contrôle drastique des mesures proposées (…) et des moyens versés pour la revitalisation du site. »
« On veut que le groupe, qui a les moyens, finance à 100 % la casse sociale et que personne ne se retrouve à Pôle emploi »
Vendredi 13 décembre, les organisations syndicales rencontreront la Direccte. « C’est une réunion très importante, explique Olivier Delacourt, secrétaire général CFDT de la métallurgie d’Alsace. On veut que le groupe, qui a les moyens, finance à 100 % la casse sociale et que personne ne se retrouve à Pôle emploi. » Les syndicats pointent aussi que le site « n’est pas en faillite : 40 millions d’euros sont mis à disposition du groupe sous forme de cash flow, et Rouffach dispose d’excédents réels de trésorerie d’environ 40 millions. »
Délocalisation dans les pays de l’Est
L’équipementier automobile fabriquait jusqu’à présent à Rouffach des systèmes de climatisation automobile, des chauffages additionnels et des pièces de rechange. Le 23 octobre, le groupe Mahle a annoncé une « réorientation stratégique ». « L’objectif est de pérenniser le site de production et de développement sur le long terme », assure l’équipementier. L’activité sera concentrée sur la fabrication de chauffages additionnels, pour les véhicules électriques, « un produit à fort potentiel », tandis que l’activité climatisation sera abandonnée. La fabrication des pièces de rechange est, quant à elle, délocalisée dans les pays de l’Est. Selon les syndicats, c’est aussi le cas pour la comptabilité et le service achats.