Le télétravail, reflet de la stratification de nos fractures géographiques et sociales
Le télétravail est devenu un fait de société. Les résistances fondées sur le besoin supposé de travailler toujours dans les mêmes espaces pour assurer la cohésion des équipes se sont affaiblies, tandis que les excès prônant, à l’opposé, l’éradication de tous les lieux de travail communs ont été oubliés. Une norme semble s’imposer autour de deux jours par semaine ouverts au télétravail. La coordination nécessaire a la vertu d’obliger à améliorer l’efficacité des activités réalisées en commun.
Devenu le symbole par excellence d’une transformation de notre rapport au travail, le télétravail ne concerne pourtant que 25 % de la population active. Inégalement réparti selon les métiers et les fonctions, il traduit aussi la fracture sociale dont le géographe Christophe Guilluy s’est fait le théoricien (Fractures françaises, 2010 ; No Society, 2018).
En observant les stratifications géographiques de la population, M. Guilluy distingue une large zone périphérique composée des villes petites et moyennes et des zones rurales ; 60 % des Français y travaillent essentiellement dans un tissu d’administrations locales, de PME et de petites ETI.
En regard, se dessine une France des métropoles (Paris et les capitales régionales), qui concentre les sièges sociaux des grandes entreprises internationalisées et les administrations centrales. Elle est constituée d’une part d’une élite d’acteurs économiques, politiques et culturels impliqués dans la mondialisation des échanges et de la culture. Elle est dans les quartiers gentrifiés des centres-villes ou dans les banlieues aisées, protégée par des coûts immobiliers élevés.
Un gain nouveau de qualité de vie
Cette France des métropoles comprend aussi les catégories sociales défavorisées habitant les banlieues pauvres et qui forment le bataillon des emplois peu qualifiés assurant la logistique de la vie métropolitaine (restauration, entretien, transports, sécurité, etc.). Entre les zones périphérique et métropolitaine, les classes moyennes en déclin travaillent dans les métropoles, mais habitent de plus en plus loin d’elles pour conserver leur pouvoir d’achat en bénéficiant d’un coût immobilier abordable, quitte à accepter de longs trajets quotidiens.
Le télétravail est exclu quand la production nécessite la présence physique du travailleur (personnel d’entretien, de santé, de nettoyage, etc.). Il est donc largement inenvisageable pour 75 % de la population active qui vit essentiellement dans les zones périphériques et les banlieues. En revanche, il est commode pour les élites urbaines dont le travail créatif individualisé est fortement valorisé, ainsi qu’aux cadres et employés dont une partie de l’activité consiste à traiter de l’information.
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