A Sotteville-lès-Rouen, au cœur du « cimetière des locomotives » de la SNCF

La gare de triage de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), en septembre 2018.
La gare de triage de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), en septembre 2018. ANDBZ/ABACA / ANDBZ/ABACA

Ces épaves de fer et d’acier, nul ne les dénombre plus aujourd’hui. Le triste tableau qui s’offre au regard des automobilistes empruntant le boulevard industriel – l’axe routier qui dessert Rouen depuis l’autoroute de Normandie – est installé depuis plus de dix ans déjà. Sylvain Brière, lui, préfère carrément les ignorer. L’impression de gâchis lui brouille la vue. « Ça me fait trop mal au bide. J’ai conduit certaines de ces locomotives pendant vingt-deux ans », raconte le cheminot retraité, en évoquant ce que tout le monde ici appelle le « cimetière des locos », le plus « peuplé » du genre en France.

A Sotteville-lès-Rouen, banlieue populaire sise rive gauche de la capitale normande, sur ce qui fut, dans les années 1970-1980, l’une des gares de triage les plus importantes d’Europe (et un bastion de la grève contre la réforme portée par Alain Juppé en 1995), plusieurs centaines de locomotives – 550 à l’âge d’or, contre 300 actuellement, selon la SNCF – pourrissent sur place.

Rongées par la rouille et soumises aux aléas du temps, elles sont sagement rangées en file indienne sur des voies de garage. Une image saisissante de désolation, témoin encombrant d’une ère révolue, lorsque le fret ferroviaire affichait sa vitalité, avant de s’effondrer ces vingt dernières années. Ce déclin a rendu inutiles nombre de locomotives, mises au rebut dans l’attente de jours meilleurs, qui ne sont jamais venus. En raison du développement des rames automotrices, certaines locomotives standards sont également devenues obsolètes.

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Hervé Leroy, « trente-sept ans de boîte », se souvient bien de cette époque glorieuse. Et des engins qu’il a, pour certains, réparés dans les ateliers de maintenance de Quatre-Mares, à proximité du site. Du pont surplombant le « cimetière », l’ex-cheminot égrène les souvenirs : « On trouve différents modèles ici : de vieilles machines datant des années 1960 ou 1970, mais aussi d’autres, plus récentes, construites dans les années 1990. Des thermiques, des électriques. Des locotracteurs comme le Y 8 000, des locomotives BB 26 000, surnommées “Sybic”, des 72 000 qui sont les diesels les plus puissants de la SNCF… »

Aujourd’hui, la plupart sont taguées, envahies d’herbes folles, quand bouts de tôle et câbles de cuivre ne pendent pas tristement le long de leurs flancs rouillés. Longtemps terrain de jeu privilégié des vandales et des trafiquants de métaux, l’endroit a finalement été grillagé. Il est désormais inaccessible, même à la presse. « Mais c’est trop tard. Devant ce laisser-aller, le garage, présenté comme provisoire à l’origine, s’est lentement transformé en cimetière, alors que ce matériel ne demandait qu’à vivre encore un certain temps », déplore Gilles Fraudin, ancien cheminot et membre de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) de Normandie.

Comment le cinéma français encadre le travail des mineurs

YASMINE GATEAU

Alors que le 3 novembre 2019, l’actrice Adèle Haenel accusait, dans Mediapart, le réalisateur Christophe Ruggia d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » lorsqu’elle était âgée de 12 à 15 ans, sur le tournage des Diables (2002), une question agitait les esprits : pourquoi aucun membre de l’équipe – une soixantaine de personnes environ – n’était-il intervenu ?

« A la suite de ces révélations, nous avons organisé une réunion avec une vingtaine d’associations professionnelles du cinéma sur le harcèlement, explique Nathalie Chéron, directrice de casting et présidente de l’Association des responsables de distribution artistique. Lors de cette soirée, Didier Carton, missionné par le comité central d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail [CHSCT] de la production de films, nous a assuré que les producteurs pouvaient être poursuivis pénalement s’ils ne prenaient pas des mesures en cas de harcèlement. Il faut donc expliquer aux producteurs qu’ils sont responsables et risquent la prison s’ils ne font rien ! »

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Si cette question est aujourd’hui prise au sérieux – placé en garde de vue le 14 janvier, Christophe Ruggia a été mis en examen le 16 pour « agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime » – qu’en est-il exactement de l’encadrement des mineurs sur les tournages, en France ?

« Pas d’enquête de moralité »

Tout commence par le montage d’un épais dossier, à l’intention de la direction départementale de la cohésion sociale de Paris (ex-DDASS, DDCS depuis 2010).

Avant d’engager un mineur de moins de 16 ans, les productions se doivent de fournir un synopsis, un scénario où les parties concernant les enfants sont surlignées, une autorisation signée par les deux parents, un livret de famille, un livret de scolarité et un certificat médical. « Mais on ne fait pas d’enquête de moralité auprès des boîtes de production, le dispositif est suffisamment protecteur », assure Frank Plouviez, directeur de la DDCS de Paris qui instruit 10 000 dossiers d’enfants-artistes par an (figurants compris), soit 80 % du chiffre national.

Le dossier passe ensuite devant la Commission des enfants du spectacle, présidée par le président du tribunal pour enfants, qui réunit une fois par mois des représentants du ministère de la culture, du rectorat de Paris et de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, ainsi que la DDCS. Ensemble, ils décident quels jeunes peuvent bénéficier d’une dérogation qui leur permettra de travailler.

« La culture masculine de la tech est aussi un frein à l’embauche… des hommes »

« L’intention de postuler à une annonce dans le high-tech augmente de 60 % lorsque les candidats ressentent, à travers l’offre d’emploi, que l’entreprise a une culture féminine. »
« L’intention de postuler à une annonce dans le high-tech augmente de 60 % lorsque les candidats ressentent, à travers l’offre d’emploi, que l’entreprise a une culture féminine. » Ingram / Photononstop

Tribune. Selon le cabinet de recrutement Urban Linker, 84 % des salariés de la tech sont des hommes. Et pourtant. Nos recherches menées dans le secteur de l’intelligence artificielle montrent que les offres d’emploi qui mettent en avant des caractéristiques « féminines » de l’entreprise, emportent aujourd’hui beaucoup plus l’adhésion des candidats, que les offres émises par des sociétés qui promeuvent des valeurs plus « masculines ».

Nous avons demandé à de jeunes chercheurs d’emploi, hommes et femmes, de ce secteur d’activité particulièrement dynamique, de repérer, dans des annonces de postes publiées sur Linkedn, les éléments de vocabulaire qu’ils estimaient attractifs et ceux qui les rebutaient.

Ils ont affirmé que des mots considérés comme masculins, tels que « efficace », « puissant », « excellent », « concurrentiel », « contrôle », leur donnaient une impression de climat organisationnel froid, stressant, ne donnant pas le droit à l’erreur. Ce dernier point étant particulièrement sensible pour les femmes, globalement moins confiantes dans leurs capacités techniques.

Des repoussoirs

Les chercheurs d’emploi se voyaient mal travailler et avancer dans de tels climats masculins. Ils étaient plus attirés en revanche par des termes qu’ils jugeaient davantage associés à un univers féminin comme « empathie », « créatif », « collaboratif », « expression »…

Nous avons réitéré ce type d’expérience avec des hommes et des femmes de différentes classes d’âge, en leur proposant des annonces dans lesquelles nous changions volontairement certains termes. Avec à chaque fois des résultats similaires. Les climats chaleureux, soutenants, féminins, sont nettement plus appréciés dans ce secteur que les climats masculins mettant davantage l’accent sur la compétition.

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Notre étude, menée avec plus de cinq cents participants, montre que l’intention de postuler à une annonce dans le high-tech augmente de 60 % lorsque les candidats ressentent, à travers l’offre d’emploi, que l’entreprise a une culture « féminine ». En revanche, si le vocabulaire employé leur fait percevoir une culture « masculine », la probabilité qu’ils postulent diminue de 30 %.

Dans un contexte de recrutement très tendu, ces résultats interpellent. Les valeurs traditionnellement masculines prônées dans l’industrie semblent en réalité des repoussoirs pour le secteur de la tech, et singulièrement de l’intelligence artificielle.

De crédits revolving en découverts bancaires, la spirale du surendettement

La réponse positive de la commission de surendettement a été comme une renaissance pour Martine et Laurent (tous les prénoms ont été modifiés), un couple de quadragénaires du nord de la France, et pour Brigitte, une arrière-grand-mère retraitée de 65 ans, dans le Midi. Leurs dossiers ont été acceptés mi-janvier et les actions judiciaires à leur encontre, stoppées. Le remboursement des 22 000 euros de dettes du couple sera réaménagé, tandis que la dette de Brigitte, de 8 000 euros, sera effacée. Une nouvelle vie s’ouvre à eux.

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Leur histoire est celle d’« un engrenage » de crédits et de découverts bancaires qui les a amenés à une impasse. Jusqu’à avoir « envie de me foutre en l’air », dit Brigitte. usqu’en 2018, Martine et Laurent, parents de Laury, 10 ans, et de Maëlle, 17 mois, étaient « dans une bonne situation », disent-ils. Le père, fonctionnaire, perçoit un salaire mensuel de 1 300 euros net, égal à celui de son épouse, téléconseillère en contrat à durée indéterminée. Des allocations familiales de 300 euros s’ajoutent au budget. Leur loyer est de 660 euros par mois.

Mais la mécanique s’enraye. En mai 2018, le couple, qui vit dans un quartier résidentiel mal desservi par les transports en commun, achète une voiture d’occasion grâce à un prêt de 11 000 euros de leur banque, remboursé à hauteur de 242 euros par mois. Après la naissance de Maëlle, Martine prend un congé parental de deux ans, fin 2018, ce qui divise par deux son revenu. « On l’a décidé ensemble, précise Laurent. On n’avait pas pu voir grandir Laury jusqu’à ses 3 ans. » « On s’est autorisés à profiter de nos filles », renchérit Martine. Ils font leurs comptes, sans oublier les primes de Laurent, qui tombent deux fois par an, ni l’allocation logement de 177 euros – qu’ils n’ont pas encore demandée – et concluent que « ça devrait passer ».

C’est alors l’impasse

Mais « de fil en aiguille, raconte Laurent, on n’arrivait plus à honorer les mensualités du prêt, on avait parfois des difficultés pour payer la cantine de Laury. Nos découverts ont été très importants ». « Devant l’urgence », ils contractent un crédit revolving. Nouveau grain de sable : leur bailleur exige le paiement immédiat des deux mois d’arriérés de loyer alors qu’un étalement avait été signé entre eux. C’est le point de rupture.

Brigitte, dont la pension n’est que 950 euros par mois et le loyer de 240 euros, vivait grâce à des crédits revolving depuis dix ans. Toute sa retraite passait dans son loyer, l’assurance, la facture EDF, etc. « Pour faire face aux aléas, comme les pannes de ma voiture vieille de 17 ans », explique-t-elle, elle avait contracté ces crédits auprès de trois organismes financiers. Puis s’est ajouté un découvert, qui est monté « jusqu’à 1 200 euros. Ma banque me prenait des frais énormes ». Avec culot, un de ces organismes, bien au fait de sa situation, lui propose, début 2019, un nouveau crédit revolving de 2 500 euros. « Ça a fait tilt dans ma tête. J’ai dit stop ! » Pour elle aussi, c’est alors l’impasse. Lors de la visite de sa belle-fille, elle s’effondre en larmes et se confie enfin sur sa situation, qu’elle cachait à ses enfants « par honte, par peur de les inquiéter, de me faire gronder ». L’inverse se produit. Pendant trois mois, « je me suis alimentée grâce à eux ». Puis elle constitue un dossier de surendettement, accompagnée par l’association Cresus.

Le tabagisme passif en recul à domicile mais stable sur le lieu de travail

L’exposition à la fumée de tabac des autres diminue au domicile, mais reste stable sur le lieu de travail. C’est le résultat en demi-teinte de l’enquête sur le tabagisme passif publiée vendredi 7 février par Santé publique France (SPF), sur la base d’une étude menée en 2017 et 2018 auprès d’échantillons représentatifs de la population française de plus de 25 000 et 9 000 personnes.

En quatre ans, le tabagisme à domicile a enregistré une baisse « significative » de près de dix points. Là où plus d’un quart (27,5 %) des 18-75 ans déclarait en 2014 que quelqu’un fumait à l’intérieur de leur domicile, seuls 17,6 % de cette tranche d’âge se trouvaient dans cette situation en 2018. Un résultat jugé « très encourageant » par l’agence sanitaire.

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Dans la mesure où « la connaissance des risques du tabagisme passif a toujours été très élevée », cette baisse s’expliquerait d’abord par une « diminution parmi les fumeurs quotidiens », et témoignerait de la « dénormalisation du tabagisme en cours », estime Anne Pasquereau, coauteure de l’étude. En mai 2019, SPF avait annoncé une baisse d’une « ampleur inédite » de l’ordre de 12 % de la prévalence du tabagisme parmi les adultes entre 2016 et 2018.

« Niveau palier »

Parmi les fumeurs vivant dans un foyer avec un enfant de moins de quatre ans, la tendance est particulièrement nette : la fréquence du tabagisme y a été divisée par deux entre 2014 et 2018, passant de 31,6 % à 14,4 %. Chez ceux vivant avec un enfant de 4 à 18 ans, la proportion est passée de 48,5 % à 23,8 %.

Ces bons chiffres au domicile sont cependant tempérés par les mauvais résultats sur le lieu de travail. Alors même que la réglementation interdit de fumer dans tous les espaces collectifs fermés, et que le résultat devrait – en théorie – être proche des 0 %, ce sont 15,7 % des personnes âgées de 18-64 ans exerçant une activité professionnelle qui déclarent en 2017 avoir été exposées à la fumée de tabac des autres au cours des trente derniers jours, à l’intérieur des locaux sur leur lieu de travail. Une proportion « stable » par rapport à 2014, relève l’étude. « Un niveau palier a été atteint », constate Anne Pasquereau, pour qui cette stagnation suggère « un ralentissement dans l’application de la loi ».

Face au tabagisme passif, les inégalités sociales sont fortes : les ouvriers sont quatre fois plus nombreux (27,4 %) à y être exposés que les cadres et professions intellectuelles supérieures (6,4 %). Les personnes travaillant dans la construction sont par exemple davantage confrontées à cette fumée de tabac (38,1 %) que ceux exerçant dans l’enseignement (6 %).

Les indicateurs publiés vendredi 7 février comportent toutefois un certain nombre de limites. « Les conditions de l’exposition ne sont pas connues : la durée, le lieu exact au domicile, l’ouverture éventuelle d’une fenêtre, l’existence éventuelle d’un espace fumeur du domicile », reconnaissent les chercheurs de SPF, tout en rappelant que, « même s’il n’est pas possible d’en mesure l’ampleur », l’air intérieur est pollué « dès la moindre consommation de tabac ».

Deliveroo pour la première fois condamné en France pour travail dissimulé

Un livreur de la plateforme Deliveroo à Paris, en juillet 2018.
Un livreur de la plateforme Deliveroo à Paris, en juillet 2018. GERARD JULIEN / AFP

Le jugement du conseil des prud’hommes de Paris fera date : la plate-forme de livraison de repas Deliveroo a été condamnée pour travail dissimulé à la suite de la requalification du contrat de prestation de service d’un de ses coursiers en contrat de travail. Ce livreur à vélo, qui travaillait pour elle depuis 2015, avait engagé une action l’année suivante pour obtenir cette requalification. La justice a « reconnu que le fait d’obliger le coursier à avoir un contrat de prestation de service était une volonté de frauder le code du travail de la part de Deliveroo et condamné l’entreprise à verser 30 000 euros au livreur », a indiqué son avocat, MKevin Mention, à l’Agence France presse.

Lire l’enquête : Pédale ou crève : dans la peau d’un livreur à vélo

Il s’agit d’un « premier cas » en France, reconnaît un porte-parole de la société britannique, qui va « éventuellement faire appel » après examen de la décision. Il ajoute que ce cas renvoie à l’« ancien modèle » et que depuis, les coursiers ne sont plus payés à l’heure mais à la livraison, avec des frais variant selon la durée et la distance de chaque livraison. Des règles qui ne satisfont pas tous les livreurs, de plus en plus nombreux à réclamer un statut moins précaire que celui d’indépendant.

Les livreurs se rebellent

Me Mention assure qu’il va « lancer une cinquantaine de procédures aux prud’hommes contre Deliveroo ainsi que contre Frichti et contre Stuart ». Il dénombre déjà « une soixantaine de demandes de requalifications validées » par les prud’hommes en France contre Take Eat Easy, plate-forme liquidée en 2016, « et encore une centaine de procédures en cours ». Foodora, qui n’est plus actif en France, fait l’objet « d’environ 90 procédures » de sa part. Les « Deliveroo » français ne sont pas isolés.

Partout en Europe, les livreurs se rebellent contre leur statut, réclament plus de droits et de meilleurs tarifs. Le statut d’indépendant utilisé par Deliveroo et ses concurrents (Uber Eats, Frichti, etc.) est attaqué dans de nombreux pays, où la justice a donné raison aux coursiers. Notamment en Espagne, où l’un d’eux avait vu son statut requalifié en salarié de Deliveroo par un tribunal de Valence en novembre 2018. Ce qui a obligé la plate-forme à payer des cotisations. Au Royaume-Uni, pays du libéralisme, les mouvements de protestation se sont aussi multipliés, accompagnés par ceux des chauffeurs Uber.

Lire l’éditorial : Deliveroo, la révolte des tâcherons

« Véritable Far West »

Dernier exemple en date : la Belgique, où la plate-forme est aussi accusée de ne pas payer de cotisations pour les 3 500 coursiers qu’elle fait travailler. Après deux années d’enquête, l’auditorat du travail de Bruxelles (parquet spécialisé en droit pénal social) a estimé qu’ils étaient en réalité des salariés déguisés. « Ce qui implique un certain nombre d’obligations de la part de Deliveroo », notamment de les déclarer à la sécurité sociale et de payer des cotisations, a récemment indiqué Fabrizio Antioco, premier substitut à l’auditorat, qui va engager des poursuites.

Air France, Renault, Accor et d’autres entreprises accusées de discrimination à l’embauche

Le gouvernement a épinglé jeudi 6 février sept entreprises françaises − Air France, Accor, Altran, Arkéma, Renault, Rexel et Sopra Steria − pour « présomption de discrimination à l’embauche » à la faveur d’une campagne de testing qu’il avait commanditée.

Ces entreprises, à l’exception de Renault qui n’avait pas encore réagi jeudi soir, se sont immédiatement déclarées « indignées » par les « faiblesses manifestes de la méthodologie utilisée qui aboutit à des conclusions erronées ».

Une première version de cette étude avait été révélée par France Inter début janvier sur un plus grand échantillon (103 entreprises) et aucun nom d’entreprise n’était alors sorti. Les résultats dévoilés jeudi portent sur 40 grandes entreprises du SBF 120. L’étude, conduite par des chercheurs de l’université de Paris-Est-Créteil entre octobre 2018 et janvier 2019, sera mise en ligne.

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Les noms à consonance maghrébine plus facilement écartés

Selon les ministères du Travail, du Logement et le secrétariat aux Droit des femmes qui ont présenté ces résultats jeudi, il s’agit du « plus grand testing jamais réalisé en France sur l’emploi ». Emmanuel Macron avait promis une telle mesure en mai 2018 à l’occasion de l’annonce de mesures pour les banlieues.

En 2016, un précédent testing qui portait sur un envoi bien moins nombreux de candidatures avait épinglé AccorHotels et Courtepaille. La question du « name and shame » qui consiste à pointer du doigt telle ou telle entreprise fait débat.

« Sur l’ensemble des entreprises testées, il est estimé que le taux de succès du candidat dont le nom a une consonance maghrébine est de 9,3 % contre 12,5 % pour le candidat avec un nom à consonance européenne », ce qui représente « 25 % en moins de chance » d’avoir une réponse − de bonne réception ou donnant une information − indiquent les ministères.

Une étude avec des limites

« Ces tests correspondent à l’envoi de 10 349 candidatures fictives ou demandes d’information », candidatures spontanées ou répondant à une offre, précisent-ils. Ces demandes d’information, concernant des postes d’hôtesses d’accueil et de techniciens de maintenance, sont envoyées par paires : une avec un nom à consonance européenne et une avec un nom à connaissance maghrébine.

Cette étude a « ses limites », a cependant reconnu jeudi le gouvernement, des limites mises en avant par les chercheurs eux-mêmes. Les candidatures ont été envoyées à des managers alors que certaines entreprises ont « recours à des bases centralisées par les directions RH (ressources humaines) et à des ATS (applicant tracking system), c’est-à-dire une application ou une solution web qui assiste les RH dans les étapes du recrutement ».

S’ajoute à cela la question de la sous-traitance, largement utilisée pour les métiers testés, ce qui modifie la réponse aux CV des services des ressources humaines des entreprises.

Les sept entreprises épinglées, avec lesquelles le gouvernement dialogue depuis plusieurs semaines, ont déjà réfuté cette étude auprès des ministères impliqués.

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Air Liquide applique une discrimination positive

Interrogée jeudi, Air France « conteste totalement la méthodologie et les conclusions du rapport » qui « ne reflètent absolument pas la culture, les valeurs et les pratiques de l’entreprise », d’autant qu’elles reposent sur des candidatures spontanées. « Nous recrutons 4 000 personnes par an en France sur un marché d’ingénieurs ou règne la pénurie, nous ne pouvons pas nous permettre de faire de la discrimination », a réagi de son côté une porte-parole de l’entreprise Altran.

A noter que l’étude souligne le cas d’une entreprise, Air Liquide, pratiquant une discrimination « à l’envers » qui « avantage le candidat potentiellement discriminé ».

Le gouvernement a indiqué jeudi qu’il relancerait « une nouvelle vague de testing avec un cahier des charges prenant en compte les marges de progrès identifiées sur la première étude ». Les représentants des trois ministères n’ont cependant pas précisé quand serait présentée une « stratégie gouvernementale » contre les discriminations à l’embauche, pourtant annoncée par la secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa.

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Deliveroo condamné en France aux prud’hommes pour travail dissimulé

C’est une première en France. La plateforme de livraison de repas Deliveroo a été condamnée pour travail dissimulé à la suite de la requalification du contrat de prestation de service d’un de ses coursiers en contrat de travail.

Un livreur à vélo ayant travaillé pour Deliveroo à partir de 2015 demandait la requalification de son contrat de prestation de service en contrat de travail. « Cela a été un très long combat, engagé en 2016 », a affirmé son avocat Me Kevin Mention.

Un juge départiteur du conseil des prud’hommes de Paris a condamné Deliveroo pour travail dissimulé, selon la décision consultée. La justice a « reconnu que le fait d’obliger le coursier à avoir un contrat de prestation de service était une volonté de frauder le code du travail de la part de Deliveroo et condamné l’entreprise à verser 30 000 euros au livreur », selon Me Mention.

« C’est le premier cas de requalification en France pour Deliveroo », a confirmé un porte-parole de la plateforme britannique. « Nous allons examiner cette décision et éventuellement faire appel », a-t-il ajouté. « Les livreurs nous disent qu’ils veulent choisir quand, où et s’ils veulent travailler et c’est ce que nous leur permettons de faire », soutient Deliveroo.

Décisions de justice en Europe

Le statut d’indépendant des coursiers de Deliveroo et de ses concurrents est contesté dans de nombreux pays, et plusieurs décisions de justice ont déjà donné raison aux livreurs.

En France, Me Mention entend « lancer une cinquantaine de procédures aux prud’hommes contre Deliveroo ainsi que des procédures contre Frichti et contre Stuart ». Il dénombre déjà « une soixantaine de demandes de requalifications validées » par les prud’hommes en France contre Take Eat Easy, plateforme liquidée en 2016, « et encore une centaine de procédures en cours ». Foodora, qui n’est plus actif en France, fait l’objet « d’environ 90 procédures » de sa part.

En Belgique, la plateforme de livraison est accusée de ne pas payer de cotisations sociales pour les milliers de coursiers qu’elle fait travailler dans le pays.

En Espagne, la justice a estimé que Deliveroo a fait passer comme indépendants des centaines de livreurs qui auraient dû être déclarés comme salariés, évitant ainsi de payer 1,2 million d’euros de cotisations sociales.

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A leur tour, 80 médecins de Seine-Saint-Denis démissionnent pour ne plus « être complices de la gestion de la misère ».

Plus de 600 praticiens ont renoncé à leurs fonctions administratives et d’encadrement.
Plus de 600 praticiens ont renoncé à leurs fonctions administratives et d’encadrement. THOMAS SAMSON / AFP

Ils sont désormais plus de 600 praticiens en France à avoir renoncé à leurs fonctions administratives et d’encadrement. Jeudi 6 février, 80 médecins chefs hospitaliers de Seine-Saint-Denis ont démissionné, estimant « ne plus vouloir être complices de la gestion de la misère ».

Manque de tout, soignants sous-payés et à bout, patients mal pris en charge, quand ils sont pris en charge : lors d’une conférence de presse à Saint-Denis, cinq chefs de service membres du Collectif Inter-Hôpitaux (CIH) ont brossé un tableau apocalyptique de la situation dans ce département, le plus pauvre de métropole, qui devrait à leur yeux « constituer une zone sanitaire prioritaire ».

Dix mois après le début de la grève des services d’urgences, la crise s’est étendue à tout l’hôpital public, dont les personnels ont manifesté par milliers à la mi-novembre. Pour calmer la tension, le gouvernement leur a promis des primes, une rallonge budgétaire et une reprise massive de dette.

En pleine vague de démissions, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé mercredi qu’elle recevrait leurs représentants « mi-mars », après le versement de nouvelles primes, pour « voir s’il y a d’autres mesures nécessaires ». Mais pour les médecins de Seine-Saint-Denis, qui réclament désormais d’être reçus par le premier ministre ou le chef de l’Etat, il s’agit de « mesurettes totalement déconnectées des besoins ».

Lire le décryptage : Primes, rallonge budgétaire et reprise de la dette : les mesures du plan pour l’hôpital public

« Plus rien ne tient »

« Les soignants ne sont pas assez nombreux car les métiers ne sont plus attractifs. Comment une infirmière qui a Bac +3, travaille un week-end sur deux et en horaires décalés, passe son temps à absorber une misère sociale peut-elle être payée seulement 1,2 smic ? Même en Pologne et en Slovaquie elles sont mieux payées ! », s’est indigné le Dr Yacine Tandjaoui-Lambiotte, praticien en réanimation à l’hôpital Avicenne à Bobigny. « On tient nos patients à bout de bras mais nos bras vont flancher. Il faut perfuser de l’argent à l’hôpital public. Beaucoup d’argent », a-t-il argué.

« Plus rien ne tient, ça n’a plus aucun sens ce qu’on fait. C’est comme si on avait un torchon qui craquait et qu’on raccommodait dans tous les sens », a de son côté estimé le Dr Noël Pommepuy, pédopsychiatre à l’hôpital psychiatrique Ville-Evrard à Neuilly-sur-Marne, le deuxième plus important de France. Il a expliqué comment le manque de personnel conduisait à avoir recours à la contention et à l’isolement des malades – « une honte pour les équipes » – et à prioriser les patients : « Quand on reçoit trois enfants, on n’a le traitement que pour un seul. »

« Nous sommes physiquement et psychologiquement épuisés, nous avons l’impression de faire mal, trop vite, il y a une perte de sens de notre travail. On va dans le mur », a enchaîné le Dr Joëlle Laugier, de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis. Une nouvelle journée de grève et de manifestation est prévue le 14 février, à l’appel CIH, du Collectif Inter-Urgences et de tous les syndicats de la fonction publique hospitalière.

Lire les témoignages : « Chaque jour, j’ai des infirmières qui craquent et qui pleurent »

Trois questions pour comprendre la bataille à la tête d’Engie

Le 17 mai 2019, la directrice générale du groupe Engie, Isabelle Kocher, en meeting à Paris.
Le 17 mai 2019, la directrice générale du groupe Engie, Isabelle Kocher, en meeting à Paris. ERIC PIERMONT / AFP

Le conseil d’administration du groupe Engie doit décider, jeudi 6 février, du non-renouvellement du mandat de la directrice générale, Isabelle Kocher. L’imminence de cette décision a suscité de vives réactions politiques et beaucoup d’interrogations sur l’avenir de ce géant énergétique français.

Qu’est-ce qu’Engie ?

Le groupe est issu de la fusion, en 2008, entre Gaz de France et Suez. Engie est un groupe hétéroclite qui compte des activités très diverses. C’est le premier fournisseur de gaz aux clients particuliers en France, et le deuxième sur le marché de l’électricité. Il produit de l’électricité partout dans le monde à travers des énergies renouvelables (hydraulique, éolien et solaire notamment), du nucléaire (il opère les sept réacteurs belges), ou encore à partir d’énergies fossiles (du charbon, et surtout du gaz).

C’est aussi un géant dans les services à l’énergie. Enfin, le groupe possède en France les réseaux de distribution et de transport de Gaz (GRDF et GRT Gaz), ainsi que le stockage de gaz. Engie emploie 150 000 personnes à travers le monde.

L’Etat français est toujours le premier actionnaire d’Engie à hauteur de 23 %, mais il envisage de diminuer sa participation – comme le lui permet la loi Pacte adoptée en 2019 – sans avoir encore annoncé de plan précis.

Notre analyse : Les erreurs stratégiques de Gérard Mestrallet

Pourquoi le groupe est-il en crise ?

Depuis sa création, Engie a connu de nombreuses évolutions. Sous la direction de son fondateur Gérard Mestrallet, le groupe a investi fortement dans les énergies fossiles, particulièrement le gaz et le charbon. Depuis 2016, il a changé de stratégie, notamment sous l’impulsion d’Isabelle Kocher, et a vendu une grande partie de ses centrales à charbon, l’exploration et la production de gaz et les activités de gaz naturel liquéfié. La directrice générale a voulu davantage orienter Engie vers les services et les énergies renouvelables.

Mais le groupe a été traversé par plusieurs crises successives. D’abord, une crise de gouvernance, qui a opposé Isabelle Kocher au président Gérard Mestrallet, puis à son successeur Jean-Pierre Clamadieu. Les opposants à Isabelle Kocher lui reprochent des erreurs de management et une difficulté à communiquer avec son conseil d’administration. Ses partisans estiment qu’elle est attaquée parce qu’elle est la seule femme à diriger une entreprise du CAC 40 et qu’elle a pris parti pour la transition énergétique.

Le conflit entre Kocher et Clamadieu a pris une allure de guerre ouverte depuis fin janvier, où partisans et opposants s’invectivent par voie de presse. Le mandat d’Isabelle Kocher arrive à échéance en mai, et un conseil d’administration fin février devait décider si elle serait reconduite ou non. Face à l’ampleur de la crise, ce conseil a été convoqué en urgence jeudi 6 janvier.

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Isabelle Kocher est-elle sanctionnée pour être trop écolo ?

Depuis plusieurs jours, des personnalités, de Xavier Bertrand à Anne Hidalgo en passant par Cédric Villani, se sont mobilisées pour soutenir Isabelle Kocher dans sa volonté de reconduction. L’eurodéputé écologiste Yannick Jadot a ainsi appelé Emmanuel Macron à soutenir la dirigeante dans sa volonté de transformer son groupe pour faire face aux enjeux du réchauffement climatique.

Toutefois, le bilan d’Engie en la matière est contrasté : le groupe a effectivement investi dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. La directrice générale a également construit un discours qui prend en compte le changement climatique et les enjeux de la transition énergétique. Mais Engie reste essentiellement un groupe gazier, qui opère encore des centrales à charbon dans plusieurs pays, et l’un des principaux émetteurs de CO2 en France. Isabelle Kocher ne s’est d’ailleurs pas revendiquée comme écologiste, mais mettait en avant sa capacité à dégager des bénéfices tout en agissant pour l’environnement.

Du côté de l’Etat et de Jean-Pierre Clamadieu, on explique que la stratégie d’Isabelle Kocher sera préservée, et qu’il ne s’agit pas de la remettre en cause.

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