Tutoyer le ciel, mais pas les futures recrues

Tutoyer le ciel, mais pas les futures recrues

« Une fois que tu seras entré·e dans le Joe Family France, tu pourras voyager » ; « Tu disposes d’une première expérience concluante dans le tourisme » ; « Si tu viens à vélo, tu as aussi droit à une indemnité verte !  » ; « On te surnomme Sherlock Holmes pour ton sens du détail, nous allons t’apporter une réelle expérience humaine ». Ces phrases ne sortent pas d’un nouveau jeu de société, mais de quatre annonces pour recruter un barista, un manageur en marketing, un agent administratif à Paris ou un employé d’entretien dans un camping de Vendée. Tutoyer serait-il devenu le nec plus ultra de la novlangue du recrutement ?

Après avoir analysé l’ensemble des annonces diffusées sur sa plate-forme française en 2022, le bureau d’études du moteur de recherche américain Indeed, spécialisé sur le marché du travail, a publié son verdict, le 15 février : le tutoiement a quasiment doublé en trois ans dans les offres d’emploi. Tentative d’adaptation des recruteurs au supposé changement du rapport au travail ? Jeunisme ? Volonté d’éviction des seniors ? Quelle qu’en soit la raison, le site d’emploi y voit une « tendance émergente ».

Les recruteurs ont pour beaucoup la conviction que, dans un marché de l’emploi caractérisé par un taux de chômage à 7,2 %, le rapport de force leur est désormais défavorable. Le tutoiement serait une façon de reprendre l’avantage face au précieux candidat, sans renoncer aux ambitions de l’entreprise sur le niveau du profil recherché. Pendant la période Covid, quelques restaurateurs confrontés aux métiers dits « pénuriques » s’y étaient essayés avec succès pour trouver la perle rare.

Le vouvoiement reste plébiscité

Tutoyer aussi pour se rapprocher… Certains secteurs d’activité ont un goût plus prononcé que d’autres pour le style familier : environ 10 % des annonces dans le marketing (10,3 %), les médias (10,2 %) et le développement informatique (8,9 %) se gargarisent de « tu » et de « toi ». Des secteurs qui s’adressent massivement aux jeunes, en singeant parfois leur mode d’expression, comme ces parents qui s’efforcent de pratiquer le langage de leurs ados.

Peine perdue, car le tutoiement ne séduit pas plus les jeunes que les vieux quand il provient d’un inconnu. L’institut de sondage Qapa, qui avait interrogé les salariés en 2016 sur l’usage du tutoiement et du vouvoiement au travail, révélait que près des trois quarts des salariés, quel que soit leur âge, étaient « gênés » d’être tutoyés par un inconnu au travail. Au bureau, le tutoiement n’était d’usage courant entre collègues et avec ses chefs qu’à partir de 25 ans et pas au-delà de 64 ans, dans une logique d’intégration au collectif. On vouvoie son honorable collègue qui ne sera bientôt plus des nôtres, tout comme le jeune débutant en période d’essai.

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LJD

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