Archive dans avril 2025

Dominique Méda : « On ne redressera pas le taux d’emploi sans améliorer la qualité des conditions de travail en France »

Point d’orgue d’une série de prises de position dans le débat public depuis plusieurs mois, le premier ministre, François Bayrou, a déclaré, lors de sa conférence de presse du 15 avril, que l’impératif national était désormais de travailler plus pour produire plus. A l’écouter, si notre pays se trouve dans une situation aussi préoccupante, c’est parce que nous produisons moins que nos voisins du fait que nous travaillons moins qu’eux.

Que répondre à cette argumentation qui semble à première vue relever du bon sens ? D’abord que l’indicateur mobilisé, le produit intérieur brut (PIB), présente de nombreuses limites et ne reflète pas la richesse : une société peut avoir un gros PIB mais un patrimoine naturel dévasté, et être ravagée par les inégalités. Par ailleurs, la nature et la qualité de ce que nous produisons importent plus que la quantité. Or, à quelques exceptions près, la France est spécialisée sur des productions de moyenne gamme, qui sont peu concurrentielles avec celles, plus « haut de gamme » ou moins chères, de nos voisins.

La faiblesse de notre PIB par habitant s’explique-t-elle par le nombre d’heures de travail ? Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les Français ayant un emploi travaillent plus en durée annuelle que les Allemands, les Danois, les Néerlandais ou les Luxembourgeois. Pour mémoire, les pays où l’on travaille le plus sont, dans l’ordre décroissant, le Mexique, le Costa Rica, le Chili et la Grèce.

Fort déni des responsables politiques

La quantité de travail ne signifie rien : c’est la productivité qui compte. Alors, certes, la France est aujourd’hui moins productive qu’auparavant, en raison notamment des emplois maintenus par les entreprises à la suite du Covid-19 et de la forte augmentation de l’apprentissage, comme l’a montré l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Il n’en reste pas moins que beaucoup d’autres éléments doivent être pris en considération, en plus du nombre d’heures de travail, pour comprendre la mauvaise situation française. On pense en particulier à l’insuffisance des investissements, notamment dans les secteurs de pointe, mais aussi à la faiblesse de la robotisation, de la recherche et développement, ou du niveau de qualification de la population active.

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La rédaction du « Point » sonnée par l’ampleur du plan social

Lors d’une manifestation des « Gilets jaunes », à Marseille, le 26 janvier 2019.

Estomaqués par l’ampleur du plan social annoncé par la direction de l’hebdomadaire la veille, les salariés du Point étaient peu nombreux dans les locaux jeudi 24 avril. Le cœur n’y était pas au lendemain de l’annonce d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), officialisé par Etienne Gernelle, le directeur du « news magazine », lors d’un Comité social et économique, puis devant la rédaction. Face à cette dernière, le directeur de l’hebdomadaire classé à droite a été le seul à prendre la parole. La directrice de la rédaction, Valérie Toranian, le directeur général délégué, François Claverie, et le PDG de l’entreprise, Renaud Grand-Clément, sont tous trois restés muets.

58 postes pourraient disparaître d’ici à quelques mois, dont 32 occupés par des titulaires – sur environ 190 – et 26 par des pigistes réguliers – sur une centaine. Soit près de deux fois plus que la trentaine de départs occasionnés par le dernier plan social qui a secoué le titre en 2014. En parallèle, 18 postes seront créés, et incluront des transformations de postes existants. « C’est une véritable saignée », lâchent plusieurs journalistes en interne souhaitant conserver l’anonymat.

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France Travail intensifie encore le contrôle des demandeurs d’emploi

Une agence France Travail, à Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne), le 23 avril 2024.

France Travail a publié, jeudi 24 avril, son bilan du contrôle de la recherche d’emploi pour 2024. Un exercice réalisé chaque année, qui aboutit souvent aux mêmes conclusions. Les demandeurs d’emploi sont de plus en plus contrôlés, mais une part relativement faible se retrouve radiée à l’issue de la procédure.

Cette nouvelle mouture revêt toutefois un caractère différent, tant le changement va être important au sein de l’opérateur public sur le sujet. Avec la généralisation, depuis le 1er janvier, de la loi « plein-emploi », le système de contrôle va être amplement modifié. Il va d’abord poursuivre la dynamique engagée depuis plusieurs années avec une très forte augmentation du nombre de contrôles : près d’un million en 2025 pour atteindre ensuite l’objectif fixé par le gouvernement de 1,5 million en 2027. Le nouveau système de contrôle sera mis en œuvre à partir du mois de juin.

L’ex-Pôle emploi l’a expérimenté dans huit régions depuis juillet 2024. En parallèle, la loi, qui réforme notamment le revenu de solidarité active, dont les bénéficiaires sont désormais inscrits automatiquement auprès de France Travail, a créé un nouveau régime de sanction appelé « sanction-remobilisation » qui pourra entraîner une suspension de l’allocation avec un versement rétroactif si la personne se met en règle. Lors de cette expérimentation, France Travail n’a toutefois pas pu utiliser le nouveau régime de sanction, avant que le décret qui en fixe les contours ne soit publié, ce qui est prévu pour juin.

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« Supply chain management » : une fonction-clé en quête de performances économiques et environnementales

De quoi le supply chain management est-il le nom ? En introduction de son ouvrage sur cette fonction-clé de l’entreprise paru chez Dunod, Rémy Le Moigne consacre plusieurs pages à la définition de son objet d’étude. Un préalable nécessaire aux yeux de ce consultant passé par les cabinets de conseil PwC et Deloitte, tant il est aujourd’hui « difficile à comprendre pour les dirigeants et les responsables opérationnels des entreprises » et, finalement, « source d’une grande confusion ».

De fait, le supply chain management représente un ensemble complexe, à l’appréhension délicate. Il s’agit donc de la gestion de la chaîne logistique, qui regroupe elle-même un vaste réseau d’organisations (fournisseurs, usines…) « particip[ant] à la fabrication, la livraison et la vente d’un produit à un client », et échangeant biens, informations et argent. Il touche de nombreuses fonctions, des achats au pilotage des stocks, et convoque, pour fonctionner, de multiples méthodes et outils.

Le livre donne des clés pour comprendre la mécanique du supply chain management de façon très opérationnelle, mais aussi en saisir les enjeux actuels pour les organisations. Deux d’entre eux s’imposent au fil des pages, à commencer par la recherche d’une plus grande performance pour les services concernés. Cette fonction représente, d’après le Supply Chain Council, une ONG constituée de professionnels, de 60 % à 90 % des coûts d’une organisation industrielle.

L’ouvrage s’interroge sur les leviers à disposition des professionnels pour « réduire [ces] coûts ». Faut-il mener des enchères électroniques inversées avec les fournisseurs lors des négociations ? Quelle est l’organisation interne d’une usine la plus adaptée à sa production ? Comment améliorer la performance de la gestion des entrepôts ?

La question environnementale

A travers l’analyse de ces différentes problématiques pointe l’apport croissant des mutations technologiques. L’intelligence artificielle (IA) peut désormais accompagner les gestionnaires des chaînes logistiques, par exemple pour détecter automatiquement le moment où les congélateurs d’un magasin doivent être réapprovisionnés. Le machine learning permet quant à lui de prédire les délais de livraison.

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Dans un climat de crise généralisée, l’entreprise redevient un cocon

La décennie écoulée a été marquée par un discours d’émancipation vis-à-vis de l’entreprise. L’open space y était décrit comme cet univers panoptique auquel il s’agissait impérativement de s’arracher pour s’épanouir dans les 3 mètres carrés d’un food truck ou dans un dialogue vivifiant avec les farines anciennes d’une néoboulangerie. La quête de sens s’entendait alors comme un déplacement géographico-mental romantisé vers la province, la campagne, le grand air, les métiers manuels, la vérité enfin reconnue de ses propres aspirations, mouvement fort bien décrit dans l’ouvrage La Révolte des premiers de la classe. Changer sa vie, la dernière utopie (Arkhê, 2022), de Jean-Laurent Cassely.

Il semble que nous vivions aujourd’hui une sorte de retour de balancier, une contre-aspiration qui fait de l’entreprise (et de sa sécurité) un horizon de nouveau désirable. Une étude UKG réalisée en 2022 dans six pays, dont la France, montrait déjà que 43 % des personnes ayant quitté leur emploi pendant la pandémie de Covid-19 cultivaient le regret de leur ancienne fonction, chiffre atteignant 60 % dans notre pays. On comprend aisément que, épuisé par les difficultés concrètes d’un labeur indépendant, on puisse se remettre à rêver de machine à café.

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ArcelorMittal annonce la suppression de plus de 600 postes en France sur sept sites, « scandaleux » réagissent les syndicats

Un ouvrier regarde un train de laminage à chaud dans l’aciérie d’ArcelorMittal à Florange (Moselle), le 4 avril 2024.

C’est un « projet de réorganisation pour faire face à la crise de l’acier » qu’a annoncé, mercredi 23 avril, ArcelorMittal. Affirmant avoir déjà mis en œuvre « toutes les mesures possibles d’adaptation à court terme », le premier groupe sidérurgiste européen, deuxième mondial, a indiqué dans un communiqué devoir « envisager des mesures de réorganisation pour adapter son activité au nouveau contexte du marché et assurer sa compétitivité future ».

Celles-ci devraient entraîner la suppression « d’environ 600 postes » sur sept sites d’ArcelorMittal France Nord, entité qui compte près de la moitié des 15 400 salariés du groupe dans l’Hexagone : Dunkerque et Mardyck (Nord), Florange (Moselle), Basse-Indre (Loire-Atlantique), Mouzon (Ardennes), Desvres (Pas-de-Calais) et Montataire (Oise).

Selon la CFDT et la CGT, 630 postes seraient concernés, 230 dans des fonctions dites « support », 400 à la production. Le détail n’est pas encore connu, 200 à 250 postes pourraient être concernés à Dunkerque, entre 120 et 150 à Florange, une centaine à Basse-Indre.

« Et ce n’est qu’un début »

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Sanctions contre les bénéficiaires du RSA : « Alors qu’en 1988, le problème public était la grande pauvreté, aujourd’hui le problème public est l’assistance »

Le gouvernement envisage une suspension de 30 % à 100 % du revenu de solidarité active (RSA)en cas de non-respect du contrat d’engagement, et cela en application de la loi pour le plein-emploi, qui a créé le principe de la « suspension-remobilisation ».

Dans ce cadre, France Travail peut proposer plus facilement des mesures de suspension ou de suppression du versement du RSA au président du conseil départemental. La loi rapproche le contrôle des bénéficiaires du RSA de celui des chômeurs. Cette évolution était déjà inscrite dans le rapport de préfiguration de France Travail, coordonné par Thibaut Guilluy, aujourd’hui directeur général de l’institution.

Le rapport faisait le reproche d’un « régime de sanction peu applicable et inégalement appliqué ». L’objectif de la réforme est « de le rendre plus simple, plus juste, plus contemporain des manquements constatés et in fine plus applicable et effectif dans le cadre d’un contrat d’engagement unique ». La suspension-remobilisation doit permettre « de nous assurer une meilleure progressivité des sanctions, notamment au moment des premiers engagements ». En d’autres termes, il faudrait surveiller et sanctionner.

Ce constat ne s’appuie sur aucun élément empirique tangible. Certes, il y avait très peu de sanctions dans le régime précédent, mais cela pouvait être le signe qu’il y avait très peu d’abus sanctionnables. Que disent les données ? Parmi les bénéficiaires du RSA en fin d’année, 15 % ont un emploi et 39 % ont une activité au cours de l’année suivante. Pour eux, l’effort d’insertion sociale et professionnelle est manifeste : ils travaillent. Quid des autres ? Deux tiers déclarent des freins à la recherche d’emploi : problèmes de santé, problèmes de garde, absence de moyens de transport.

Une hausse du non-recours

Parmi les bénéficiaires du RSA, 15 % déclarent ne pas souhaiter travailler. Ils se recrutent surtout chez les plus de 50 ans et ceux qui sont au RSA depuis plus de deux ans. Ce sont des personnes découragées. Par construction, leurs premiers engagements sont très anciens et ils sont connus des services sociaux.

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Le taux d’absentéisme dans les entreprises a diminué en 2024, mais les arrêts maladie sont plus longs

Carnet de bureau. Un peu moins de salariés absents, mais plus longtemps, et les cadres sont plus nombreux. C’est ce que nous dit l’Observatoire de la performance sociale 2025 sur l’évolution de l’absentéisme.

Le bilan publié début avril a été réalisé par Ipsos pour le cabinet de conseil Diot-Siaci, recouvrant plus d’un million de salariés en CDI ou en CDD sur la période de 2021 à 2024. Le taux d’absentéisme révélé est en légère baisse annuelle en 2024, à 4,84 %, concerne un peu moins de personnes (33 % contre 38 % en 2023), mais la durée moyenne des arrêts maladie est allongée à 21,5 jours (20,8 en 2023 et 18,4 en 2022). Plus de la moitié de l’absentéisme est constituée par les absences supérieures à 90 jours.

Arrêt de travail. Plus de la moitié de l’absentéisme est constituée par les absences supérieures à 90 jours.

« On constate, comme tout le monde, une grande fatigue, témoigne Claire Silva, DRH du groupe de protection sociale AG2R (15 000 salariés). Depuis 2023, l’absentéisme continue à baisser. Le taux était à plus de 7 % en 2022 dans le groupe. Mais il reste élevé à 5,6 %, avec une hausse des arrêts de longue durée. »

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Des salariés un peu moins absents, même le vendredi

La démographie de l’effectif de l’entreprise, avec 36 % des salariés âgés de plus de 50 ans, explique certes une partie des absences : cette catégorie est exposée à la fois aux pathologies lourdes comme le cancer, à l’assistance de parents devenus dépendants et d’enfants devenus grands, alors même qu’ils sont très investis dans leur travail. Mais cela n’explique pas tout. La DRH n’exclut pas que cette situation d’absentéisme persistant dans toute la société soit liée à l’intensification du travail.

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L’écoanxiété gagne du terrain dans les entreprises

L’écoanxiété progresse à bas bruit dans la société et dans les entreprises, et ce, dans des proportions préoccupantes. Elle concerne tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles : 4,2 millions de Français âgés de 15 à 64 ans sont « fortement », voire « très fortement », écoanxieux. Tel est le constat d’une étude de l’Observatoire de l’écoanxiété (Obseca), menée en partenariat avec l’Agence de la transition écologique, publiée le 15 avril.

Mais de quoi parle-t-on ? « L’écoanxiété est une détresse mentale et émotionnelle ressentie en réponse à la crise environnementale et au changement climatique », explique Pierre-Eric Sutter, psychologue du travail, fondateur de la Maison des écoanxieux et de l’Obseca. Celle-ci peut se traduire par de la peur, un sentiment d’impuissance et de perte de sens, de la culpabilité, mais aussi par de la colère et de l’indignation.

« Cette écoanxiété est une réaction saine et normale face aux dégradations environnementales présentes et futures », estime Kévin Jean, épidémiologiste, enseignant-chercheur en santé et changements globaux à l’Ecole normale supérieure-PSL.

Manifestation de militants de Greenpeace, devant le siège social de TotalEnergie, dans le quartier de la Défense (Hauts-de-Seine), le 18 novembre 2024.

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Les enjeux de la recherche « à double impact »

Entreprises. L’opposition entre recherche fondamentale et recherche appliquée masque l’existence d’un continuum de recherches « à double impact » qui visent à faire avancer à la fois la science et la société. Une vaste étude récente montre que ce type de recherches a joué un grand rôle dans le développement de la science et des sociétés modernes.

Emmanuelle Charpentier (à gauche) et Jennifer Doudna, lauréates du prix Nobel 2020 de chimie, ici en 2015 à Oviedo, en Espagne, lors de la remise du prix Princesse des Asturies.

Ce double objectif explique aussi le succès ancien et constant des conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), qui offrent à des doctorants de faire leur thèse en entreprise, en lien avec un laboratoire de recherche (Science et industrie à l’aune du double impact. Favoriser les découvertes scientifiques et les innovations de rupture, de Quentin Plantec, Pascal Le Masson et Benoît Weil, Presses des mines, 2024).

La recherche scientifique est toujours confrontée à un double inconnu. Le chercheur qui s’attaque à une énigme fondamentale n’est pas plus assuré de ses résultats académiques que de leurs retombées éventuelles pour la société. Mais cette situation prévaut aussi pour les recherches qui partent d’un problème industriel et social. Leur réussite pratique n’est pas garantie, et elles peuvent se heurter à une énigme scientifique dont la résolution aura une réelle portée.

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