Archive dans 2025

« Un taylorisme augmenté » : comment l’IA dégrade l’organisation du travail

L’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur les milieux professionnels est aujourd’hui l’objet d’une intense production éditoriale. Avec, au cœur de nombre d’ouvrages parus, les conséquences des avancées technologiques sur l’emploi.

Dans son nouvel essai, Un taylorisme augmenté (éd. Amsterdam, 192 pages, 13 euros), le sociologue du travail Juan Sebastian Carbonell a décidé d’emprunter une autre voie d’étude, en se concentrant sur l’impact de l’IA sur le quotidien des travailleurs. Comment évolue l’organisation du travail, les conditions d’exercice, mais aussi l’autonomie dans la réalisation des missions ? Quid des tâches effectuées et des savoirs mobilisés ?

Pour l’auteur, le constat est sombre. Au fil de cet ouvrage critique, il explique pourquoi l’IA est « un outil de dégradation du travail entre les mains des entreprises », s’apparentant à un « taylorisme augmenté ». A ses yeux, l’intelligence artificielle tend à « simplifi[er], standardis[er] ou parcellis[er] » des métiers, indépendamment du niveau de qualification exigé pour les exercer. Des préparateurs de commandes peuvent en subir les conséquences, des oncologues également.

Dans le même temps, d’autres principes fondamentaux du taylorisme tels « l’étude du temps pris par chaque opération ou le chronométrage » peuvent être mis en œuvre – en particulier pour les travailleurs des plateformes numériques – au même titre que divers processus de surveillance.

Surtout, le cœur du travail peut être bouleversé en profondeur, en raison de ce que M. Carbonell nomme une « dépossession machinique ». S’intéressant à l’impact de l’IA générative sur des professions qualifiées, il montre ainsi qu’elle prive les travailleurs « des gestes créatifs de leur métier et les réduit au rôle d’“appendices”. En d’autres termes, elle n’est pas [à leur] service (…) et ne les libère pas des tâches monotones et peu intéressantes ; ce sont les travailleurs qui sont mis à son service ».

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Appel à témoignages : votre employeur vous demande d’en faire toujours plus, racontez-nous

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Qui a adopté le vélo de fonction ?

Carnet de bureau. Pour aller manifester ou travailler, faute de transports en commun, le vélo de fonction est en selle : électrique ou mécanique, cargo pour pouvoir déposer les enfants à l’école, pliable pour ne pas le laisser traîner dans la rue, plus de 200 entreprises l’ont déjà adopté. Selon les derniers chiffres publiés en juin par la Fédération des acteurs du vélo en entreprise (FAVE) et la Fédération française des usagères et usagers de la bicyclette, environ 20 000 vélos d’entreprise sont mis à disposition sur tout le territoire. C’est peu au regard de nos voisins européens, qui équipent 27 % des salariés éligibles en Belgique et 37 % en Allemagne, contre 1 % en France.

Source d’efficacité mais aussi de chaos urbain, promu et dopé par la crise sanitaire liée au Covid-19, soutenu par les pouvoirs publics au nom du développement de la « mobilité douce », et pas seulement à l’occasion de la Semaine européenne de la mobilité, du 16 au 22 septembre, le « vélotaf », comme le surnomment certains salariés, n’est pas l’apanage des zones urbaines, bien au contraire. « Et 71 % de nos utilisateurs sont en zone périurbaine et rurale. A Paris, il y a suffisamment de transports en commun », explique Antoine Repussard, cofondateur de Zenride, gestionnaire de flotte. Selon la carte dessinée par la FAVE, 25 % des vélos de fonction sont en zone rurale. « La tendance se renforce depuis trois ans, notamment dans les régions industrielles ou peu desservies par les transports en commun », constate la société de services aux entreprises Tandem.

Bancassurance et industrie en tête de peloton

Au fil des ans, le vélo pour aller travailler commence à gagner du terrain. « Actuellement, 3,3 % des déplacements domicile-travail sont effectués à vélo, en progression de 50 % sur cinq ans », affirme  l’Agence de la transition écologique. Saint-Gobain, qui possède un vaste parc de 2 000 vélos au total, a, sur son seul site de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), un quart de salariés convertis à la petite reine. « Ils sont domiciliés dans un rayon de 10 kilomètres autour de l’usine », précise M. Repussard.

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Aux Etats-Unis, la promesse des logiciels de surveillance du travail des salariés séduit les employeurs

« Ce sont des fascistes » : Jonathan Schoenberg, directeur créatif de l’agence de publicité TDA, à Boulder, dans le Colorado, n’a pas de mots assez durs pour décrire les nombreux logiciels de surveillance numérique proposés aux entreprises américaines. La montée en puissance du travail à distance fait que les chefs de service ne peuvent plus suivre de près leurs troupes d’un simple coup d’œil ou en passant au bureau d’un salarié.

ActivTrak, Teramind, Time Doctor, WorkExaminer, Hubstaff… les éditeurs de logiciels, utilisateurs d’intelligence artificielle (IA), leur offre donc une alternative : des outils pour suivre à distance le travail de l’employé assis devant son ordinateur. ActivTrak observe ainsi les e-mails, les sites visités, les temps de travail, l’activité de la souris… Un de ces logiciels peut, en plus, prendre régulièrement des photos de l’intéressé, ou faire des enregistrements vidéo. « C’est une mentalité d’usine », dénonce M. Schoenberg. Un outil rétrograde et inefficace à ses yeux : « Si je m’absente pendant deux heures pour rencontrer un client, le logiciel le décompte en temps perdu et juge à tort cette initiative contre-productive. »

Amit Raj, le patron de l’entreprise écossaise The Linksguy, expert en optimisation des moteurs de recherche, est plus nuancé. Il invoque les besoins d’une communication rapide entre ses équipes : « Depuis le Covid-19, nous avons des travailleurs à distance. Si le manageur ou des collègues ne peuvent pas faire le point sur l’avancement d’un projet, c’est un problème. » Les frappes sur le clavier l’intéressent moins. « Ça ne dit pas grand-chose, je ne m’en sers jamais. » La surveillance des temps de travail de la dizaine d’employés fait partie du contrat : « Au moment de l’embauche, je les préviens clairement que nous utilisons un logiciel de suivi. » Les dilettantes s’en vont tout de suite.

The Linksguy n’est pas le seul amateur de logiciels de surveillance. Leur usage est très étendu dans les entreprises. Arnd Vomberg, un professeur d’HEC qui a étudié l’impact de ces systèmes d’information sur les salariés en Europe évoque l’utilisation fréquente de logiciels censés améliorer la relation clients. « Le vendeur sait quand il a vu un client, comment le relancer, quels e-mails lui envoyer », dit-il. L’employeur suit la performance de l’employé en notant « combien d’affaires ont été conclues et à quel prix ».

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En Occitanie, des entreprises en difficulté, des emplois menacés

Un local commercial, dans le centre-ville de Perpignan, le 29 février 2024.

La liste ne cesse de s’allonger. Dans plusieurs secteurs, les annonces de mise en liquidation judiciaire se multiplient en Occitanie depuis quelques mois. A Gimont, petite ville du Gers, Ducs de Gascogne​, entreprise spécialisée dans le foie gras, a mis la clé sous la porte le 4 septembre. Dans le cadre d’un projet de cession, Conserverie du Sud, elle, candidate à la reprise retenue par le tribunal de commerce de Paris, gardera seulement 28 des 68 salariés.

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A une cinquantaine de kilomètres​ de là, au cœur de ce même département, le couperet est tombé le 3 septembre chez Gerstube. Détruite par un incendie qui a ravagé ​locaux et outil industriel début avril, l’usine, implantée depuis 1947 à Vic-Fezensac, ne renaîtra pas de ses cendres. Ce fabricant de tubes plastiques va fermer définitivement, a annoncé la direction ; un plan de sauvegarde de l’emploi s’ouvre le lundi 22 septembre. « On nous avait pourtant répété, pendant cinq mois, que tout ​avait été mis en œuvre pour reconstruire le​ site, se désole ​Christophe​ Boronad, chef d’atelier et délégué syndical CGT. Et, là de but en blanc, on nous dit que c’est fini. » Selon Barbara Neto, la maire (Les Républicains), les raisons de cette décision, qui laisse 58 personnes sur le carreau, sont multiples : le contexte économique national et européen du secteur des tubes plastiques, la frilosité des banques ou, encore, la rigidité des assurances, cite l’édile, dans un communiqué de presse.

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La fraude sociale corrompt tout, y compris le pacte social

Droit social. « Dans la vie, y a pas de grands, y a pas de petits. La bonne longueur pour les jambes, c’est quand les pieds touchent terre. » A l’instar de Coluche, il n’y a pas de bon niveau de protection sociale, mais celui que chaque nation est capable de financer.

L’Assurance-maladie a connu un déficit de 13,8 milliards d’euros en 2024. Avec des raisons aussi structurelles : vieillissement, montée des arrêts longs liés à la santé mentale, etc. Mais, dans nos conditions de température (financière) et de double pression démographique (moins d’enfants, plus de seniors), il nous faut systématiquement veiller à ne pas l’aggraver.

Or, la fraude corrompt tout, y compris notre pacte social.

Côté recettes générales, les contrôles ciblés de l’Urssaf ont conduit à 1,57 milliard d’euros de redressements en 2024 : quatre fois plus qu’il y a dix ans. Plus dissuasif.

Légalité et légitimité

Côté arrêts maladie : le renversant « je me mets en arrêt ! » incarne la croissance des certificats de complaisance, et sans doute aussi un problème de management.

Légalité et légitimité ne font ici plus bon ménage. L’opinion publique s’étonne de voir indemnisé un salarié dont les pratiques quotidiennes contredisent son arrêt. La caricature étant le cas d’un mécanicien en arrêt pour une affection touchant ses deux mains, mais pilote de rallye amateur (Cass. soc., 16 oct. 2013). Tandis que les collègues héritent souvent des tâches de l’absent, avec in fine une spirale infernale d’absentéisme local, et de suspicion générale à l’égard de tous les malades.

Explication juridique. La Cour de cassation sépare l’assuré, devant rendre des comptes à la seule caisse primaire d’assurance-maladie, et le salarié en « arrêt de travail » qui, n’étant plus subordonné, n’en a en principe pas de comptes à rendre à son employeur.

Un exemple topique : le malade « doit s’abstenir de toute activité non autorisée ». Quid de celui qui travaille pour une autre entreprise ? En principe, travailler pour une société non concurrente ne constitue pas, en soi, un manquement à l’obligation de loyauté. Pour fonder un licenciement, le salarié doit avoir causé un préjudice à son employeur. Ce qui, selon nos juges, n’est pas le cas des indemnités complémentaires versées.

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Le quotidien « Nice-Matin » absent des kiosques en raison d’une grève

Simon Perrot, directeur général du groupe « Nice-Matin », à Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes), le 7 mars 2025.

Le journal régional Nice-Matin, qui célébrait ses 80 ans lundi 15 septembre, n’a été publié ni en version papier ni en numérique en raison d’une grève des salariés de l’imprimerie, préoccupés par l’avenir du groupe, propriété de Xavier Niel (actionnaire à titre individuel du groupe Le Monde) depuis 2019.

Dans la nuit de dimanche à lundi, la Chambre syndicale typographique niçoise-CGT a bloqué l’impression de l’édition d’anniversaire, soutenue par leurs collègues syndicaux du journal La Provence. Sur la façade du siège du journal, ils ont aussi accroché des pendus de chiffons et une immense banderole : « 1945-2025 – Mort de Nice-Matin »

Le groupe préparait cet anniversaire depuis plusieurs mois, avec un logo spécial et une nouvelle formule. « Nous, on n’avait pas le cœur à la fête », explique un des ouvriers qui imprime tous les soirs les différentes éditions du quotidien. « C’est moins un anniversaire qu’un avis de décès. On ne sait pas ce qu’on va devenir », déplore-t-il. En cause : le projet de délocalisation de l’imprimerie à 200 kilomètres de Nice, dans des locaux qu’ils partageraient avec La Provence. Selon les syndicats, le choix d’une délocalisation créera inexorablement « des problèmes de bouclage, des problèmes de livraison, et une concurrence inévitable sur l’heure d’impression entre deux journaux qui couvrent la même région ».

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Benoît Serre, DRH : « A force de traiter ce qui entourait le travail, on l’a oublié en tant que tel »

Les transformations qui traversent le monde du travail semblent si considérables qu’il est difficile d’imaginer que de simples adaptations permettront de s’y confronter et finalement de les apprivoiser, pour retrouver une forme de stabilité. Elles sont également si nombreuses dans un temps court qu’il était nécessaire, pour les appréhender pleinement, de les étudier et de les décrire. Ce fut l’un des grands enseignements du premier ouvrage collectif Que sait-on du travail ? (Presses de Sciences Po-Le Monde, 2023). Il devenait indispensable de répondre aux constats en se référant à des champs de recherche nécessairement influencés par ce que ce premier livre avait mis en exergue.

Les réflexions doivent se poursuivre. Alors que le monde politique prône tour à tour le « travailler tous » ou le « travailler plus », le choix de Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS en science politique à Sciences Po Paris, et de Christine Erhel, économiste et coautrice de Que sait-on du travail ?, se porte sur le « travailler mieux ». Peut-être faut-il considérer que cette ambition est une vision lorsque les deux autres n’en seraient que la conséquence. Démontrer que la refonte nécessaire de nos dialogues sociaux, la correction des dérives de notre management verticalisé et contraint, tout comme la recherche nécessaire du sens du travail dans sa qualité perçue et vécue sont des objectifs ambitieux et indispensables.

Les dernières décennies ont profondément et progressivement transformé le travail dans toutes ses dimensions avec néanmoins une constante : son intensification matérielle et « morale ». Multicausales par définition, la déception et l’incompréhension qui traversent celles et ceux qui travaillent posent la question de la qualité perçue de son métier. A observer les comportements et les réactions, chacun mesure bien que nous sommes dans une ère de perturbation du rapport à l’emploi, qui rattrape désormais l’individu lui-même. Il vit au travail en déséquilibre entre ce qu’il en attend et ce qu’il en constate.

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« Il n’y a pas chez les Français, vis-à-vis du travail, une grande démission mais une grande déception »

Deux ans après l’ouvrage collectif Que sait-on du travail ? (Presses de Sciences Po, 2023), en partenariat avec Le Monde, plusieurs chercheurs ont publié Travailler mieux (La Vie des idées-PUF, 112 pages, 18 euros), en collaboration avec Le Monde, qui avance des pistes concrètes pour améliorer la qualité de l’emploi. Pour Christine Erhel et Bruno Palier, qui ont dirigé ces travaux, la France doit rompre avec un management trop vertical, afin de redonner du sens et du bien-être au travail.

Les Français se disent attachés à leur travail, mais beaucoup le vivent comme difficile, voire insoutenable. Comment expliquer ce paradoxe ?

Bruno Palier : Il s’explique par un grand écart. Il y a chez les Français, vis-à-vis du travail, à la fois plus d’attentes et plus de difficultés que dans les pays comparables. Le résultat, ce n’est pas une « grande démission », comme celle que l’on a connue aux Etats-Unis ces dernières années, mais une « grande déception ».

Les gens ne quittent pas leur emploi, mais ils n’y trouvent pas leur place. Ils ne se sentent ni écoutés ni reconnus. Cela se traduit par un malaise, le sentiment d’une perte de sens. La faible écoute dans le travail est un enjeu important, dont on sous-estime la portée politique. Si on ne les écoute pas dans leur entreprise, les gens vont sur les ronds-points. Si on ne les écoute pas sur les ronds-points, ils finissent par voter pour l’extrême droite. Il y a un lien direct entre le sentiment d’être exclu dans son travail et le vote pour le Rassemblement national. Le mauvais management a un coût social élevé.

Cette faible qualité du travail est-elle une spécificité française ?

B. P. : Tous les indicateurs l’attestent. Pour commencer, on compte beaucoup plus d’arrêts pour maladie professionnelle. Et 750 morts par an au travail, soit, proportionnellement à la population en activité, deux fois plus que la moyenne européenne.

Christine Erhel : Par rapport à des pays qui ont le même niveau de richesse, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, les pays nordiques, l’insatisfaction au travail est importante en France et les travailleurs y font état de difficultés supérieures. Ce constat d’une moindre qualité de travail ne repose pas seulement sur des perceptions. Il est bien documenté. Il ressort, par exemple, de l’enquête européenne sur les conditions de travail, qui collecte des informations sur la pénibilité, les postures, les horaires, la qualité de l’écoute, etc.

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L’Alliance pour la santé mentale lance la première charte pour la santé mentale au travail. Des entreprises pionnières ont déjà mis en place des dispositifs de prévention

La santé mentale a longtemps été le parent pauvre de la santé au travail, alors même qu’un salarié sur quatre affirme être en souffrance psychique en 2025, selon le baromètre Qualisocial-Ipsos. Longtemps, « les employeurs percevaient ce sujet comme relevant de la vie privée. Et les personnes concernées n’osaient pas en parler car les maladies mentales sont plus stigmatisantes que les maladies physiques », observe Claire Le Roy-Hatala, sociologue du travail.

Pour sortir du déni, l’Alliance pour la santé mentale, qui fédère plus de 3 000 acteurs opérant en ce domaine, a annoncé le lancement d’une charte d’engagement en faveur de la santé mentale à laquelle les entreprises pourront adhérer à partir du 20 novembre. Soutenue par l’Etat, qui a décrété cette problématique Grande Cause nationale 2025, la charte espère recueillir « au moins une cinquantaine de signatures le 20 novembre et une centaine d’ici à la fin de l’année », détaille Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale de l’Alliance.

Parmi les pionniers qui s’apprêtent à signer, on trouve le groupe Baudelet, qui compte quelque 700 salariés opérant dans quatre branches (énergie, environnement, loisirs et restauration, commerce). Le groupe est d’autant plus sensible à cette problématique que la directrice générale, Caroline Poissonnier, a elle-même frôlé le burn-out. « J’ai alors compris qu’un leader épuisé et qui perd l’envie fragilise tout : la décision, l’exécution, l’agilité (…). Le dirigeant a donc une double responsabilité : protéger la santé mentale de ses équipes… et montrer l’exemple en prenant soin aussi de lui. »

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Depuis une dizaine d’années, le groupe Baudelet a en effet mis en place un outillage managérial, un pilotage au niveau de la direction qui se traduit par des actions de formation, de prévention et des accompagnements individuels si nécessaire (coaching, mi-temps thérapeutique…). « Nous allons lancer une concertation avec les partenaires sociaux pour aligner la charte avec nos dispositifs internes », explique la codirigeante de cette entreprise familiale.

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