Télétravail : neuf mois de réflexion et un accouchement difficile
A la mi-mars, le Covid-19 a imposé la quasi-généralisation du télétravail. Après une courte période de sidération, les entreprises ont découvert avec enthousiasme leur capacité à s’organiser à distance même pour des métiers qu’elles croyaient inéligibles, avant de mesurer les risques sur la santé des salariés et le délitement des collectifs.
S’ouvrait alors un chantier expérimental, poursuivi jusqu’à aujourd’hui, au sujet de la production sur différents modes : « dégradé », « 100 % télétravail », « travail dans un tiers lieu »… Le contexte d’incertitude servant de ferment à l’innovation managériale. En neuf mois, l’environnement du travail s’est modifié – les lieux, la durée, la fréquence –, de nouveaux clivages sont apparus entre les catégories de personnel, et les débats ont commencé sur l’organisation à venir.
Les entreprises partaient de loin. Introduit timidement depuis l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, qui prévoyait des accords collectifs à son sujet pour le secteur privé, le télétravail est apparu comme indispensable pour la première fois lors de l’épidémie de grippe H1N1 de 2009. Avant le Covid-19, son usage était relativement marginal. En 2017, lors de l’ouverture de la vaste concertation nationale sur le sujet lancée par la loi El Khomri, le nombre de salariés concernés variait selon les sources de 2 % à 17 % de la population active.
Nouveau clivage
En mai 2020, ce sont jusqu’à 40 % des salariés des sociétés de plus de dix personnes qui ont travaillé à distance, près des deux tiers à plein temps, la moitié découvrant cette pratique pour la première fois, selon une récente étude du groupe Malakoff Humanis. Ce qui ne semblait pas possible l’est devenu. Les contraintes de la crise sanitaire ont démontré que ce mode d’organisation n’était pas réservé aux employés de bureaux, et qu’il pouvait concerner autant le trader que le « créatif ». « On a réfléchi au devenir du télétravail hors Covid. Progressivement, on va mettre les non-cadres dans l’équation », témoigne Jean-Charles Voisin, DRH France de Jungheinrich, spécialiste des chariots élévateurs.
En attendant, l’adaptation aux conséquences de la crise sanitaire a révélé un nouveau clivage sur le marché de l’emploi, entre ceux qui peuvent télétravailler et les autres. Chez Orange, par exemple, sur 84 000 salariés en France, 60 000 y sont éligibles, soit plus de 70 %. De son côté, Malakoff Humanis a évalué à 50 % le nombre d’emplois compatibles au sein du secteur privé. Et toutes les catégories sociales ne sont pas concernées : une enquête de l’Ugict-CGT, réalisée en avril avec des statisticiens de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) auprès de 34 000 personnes, souligne ces inégalités, en indiquant que 70 % étaient cadres ou de professions intermédiaires.
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