Se défaire de la tyrannie des camemberts

Se défaire de la tyrannie des camemberts

« Les entreprises vont mourir de leur obsession du chiffre » : noyées par les logiciels, PowerPoint, ratios ou… camemberts, elles semblent obsédées par leur rentabilité à court terme, sans se soucier d’un futur incertain.

Jeff Bezos prône depuis longtemps auprès de ses collaborateurs d’Amazon la suppression des PowerPoint, surchargés de tableaux et de camemberts, pour les remplacer par des notes de quelques pages. Dans quel but ? Mieux hiérarchiser les informations et faire simple. « Les entreprises vont mourir de leur obsession du chiffre » : noyées par les data, logiciels, PowerPoint, ratios ou… camemberts, elles semblent obsédées par leur rentabilité à court terme, sans se soucier d’un futur incertain.

C’est le constat tranché de Clément Berardi, Julien Eymeri et Francis Rousseau dans On ne dirige pas une boîte avec des camemberts ! Manifeste pour l’entreprise du futur. Fondateurs du cabinet de conseil Quartier libre, ils ont accompagné des dizaines d’entreprises dans leurs transformations stratégiques, et affirment leur perte globale de sens et d’identité.

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Pour ouvrir le débat, cet « anti-manuel de management » passe par une critique acerbe du modèle économique libéral. Alors que la crise de 2008 avait laissé entrevoir un « plus jamais ça », les entreprises ont poursuivi leur « rêve prométhéen de la croissance sans limite » sans s’inquiéter des dérives que connaît le monde.

Les dangers de l’accélération

Les deux premières parties développent ce que les auteurs nomment un « déni de responsabilité » des entreprises. A grand renfort de citations d’économistes et de sociologues, ils fustigent avec précision un cycle qui s’est ouvert dans les années 1980 et porte en son sein l’hyperfinanciarisation et la mondialisation.

Un mot revient en permanence dans cette première partie : l’accélération. Des innovations technologiques, de la productivité, de la rentabilité, de la spéculation… Le tout loin du monde réel. Du côté des dirigeants, ce désir d’optimisation est incarné par la multiplication des chiffres et des évaluations (des performances comme des employés). « La technocratie a pris le pouvoir », résument les essayistes. La frénésie d’algorithmes et de mesures mène à la démesure.

Cette démesure s’appuie sur des illusions qui font oublier la gravité de la situation. Avec sarcasme, les auteurs dénoncent dans la seconde partie la vacuité du management dominant. Sous couvert de sens et de « coolitude », ces mirages stratégiques cachent à chaque fois une volonté de profit.

A la recherche d’une valeur pour tous

Par exemple, l’économie collaborative, pleine de bonnes intentions, a été retournée contre son but premier et fait naître l’ubérisation : Airbnb et Blablacar sont devenus des géants. Autre mirage, celui du bonheur : en prônant l’humain et le dépassement de soi, les manageurs cherchent à motiver leurs troupes et à attirer des jeunes diplômés en quête de valeurs. Mais « la revendication du bonheur cache trop souvent le manque de sens de l’entreprise », car l’injonction au bonheur est devenue un nouvel outil des chefs pour mieux museler leurs salariés, nous disent les auteurs.

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LJD

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