Procès Terra Fecundis : la société espagnole et ses dirigeants condamnés pour fraude au travail détaché

Procès Terra Fecundis : la société espagnole et ses dirigeants condamnés pour fraude au travail détaché

Manifestation à Marseille contre la société Terra Fecundis, le 17 mai 2021.

« Recours généralisé à la fraude », main-d’œuvre exploitée « sans vergogne » : le tribunal correctionnel de Marseille a lourdement condamné, jeudi 8 juillet, l’entreprise espagnole Terra Fecundis et ses trois fondateurs. Ils ont été reconnus coupables d’avoir envoyé des milliers de Sud-Américains dans les champs français, en violation des règles européennes du travail détaché.

La société Terra Fecundis a été condamnée à 500 000 euros d’amende, Juan José Lopez Pacheco, son frère Francisco, et leur associé Celedenio Perea Coll, ses trois dirigeants espagnols, à quatre ans de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende ; leurs quatre représentants en France ont été condamnés à des peines allant d’un à deux ans de prison avec sursis et des amendes de 5 000 à 40 000 euros.

Le tribunal correctionnel de Marseille a, de cette façon, condamné l’entreprise et ses trois fondateurs aux amendes maximales. Mais il n’a pas été aussi loin que les réquisitions du parquet en termes d’emprisonnement : à l’audience, en mai, le procureur Xavier Leonetti avait requis cinq ans de prison dont un ferme pour les trois principaux prévenus.

Acteur majeur du secteur en France, l’entreprise de travail temporaire Terra Fecundis, rebaptisée Work for All, a en outre été définitivement interdite d’exercer l’activité de travail temporaire et devrait désormais être privée du marché français, sauf si le jugement est renversé en appel.

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Des milliers de salariés agricoles

Pendant quatre ans, de 2012 à 2015, plus de 26 000 salariés de Terra Fecundis avaient été envoyés dans des exploitations agricoles françaises, dans le Gard, les Bouches-du-Rhône ou la Drôme. Tous ou presque originaires d’Amérique du Sud, de l’Equateur pour la plupart.

Si l’activité de Terra Fecundis en France était « permanente et dépourvue de terme prévisible », comme l’a estimé le tribunal correctionnel de Marseille jeudi, les cotisations sociales étaient quant à elles payées en Espagne, comme pour des travailleurs détachés. Soit des dizaines de millions d’euros en moins dans les caisses de l’Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf), partie civile au procès.

Quant aux salariés, convoyés sur place par Terra Fecundis dans ses propres véhicules, par l’intermédiaire d’une filiale condamnée à une amende de 200 000 euros, ils étaient privés de leurs heures supplémentaires, contraints de travailler jusqu’à soixante-dix heures par semaine pour certains, sans indemnités de congé payé ni suivi médical.

Pour le tribunal correctionnel de Marseille, c’est clair : les frères Lopez Pacheco et Celedenio Perea Coll sont coupables de travail dissimulé, dissimulation de salariés et marchandage, c’est-à-dire de prêt de main-d’œuvre à but lucratif, le tout en bande organisée. Ils avaient « mis en place ensemble et sciemment un business plan intégrant le recours généralisé à la fraude pour assurer leur profit, tout en recourant à une main-d’œuvre docile peu susceptible de revendiquer [ses droits] », a estimé le tribunal.

Des entreprises agricoles françaises mises en cause

Et le tribunal de stigmatiser par la même occasion ces dizaines, voire centaines, d’entreprises agricoles françaises qui « ont pu profiter sans vergogne des services de Terra Fecundis en laissant d’autres se salir les mains ».

Les conditions de travail et de logement étaient tellement déplorables que certaines exploitations étaient baptisées « Guantanamo », en référence au centre de détention américain à Cuba, ou encore « El Carcel » (« la prison », en espagnol), avait souligné le président du tribunal à l’audience. « On ne pourrait même pas [y] héberger des animaux », avait assené le procureur Xavier Leonetti, citant Zola : « Avec Terra Fecundis, c’est Germinal dans les exploitations agricoles, La Bête humaine est devenue une entreprise de travail temporaire. »

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Sitôt le jugement prononcé, Jean-Baptiste Mousset, avocat de Celedenio Perea Coll, a précisé qu’il allait « évidemment » faire appel, regrettant un procès où « on a essayé de surfer sur l’émotion ».

Pour Me Vincent Schneegans, conseil de la Fédération générale agroalimentaire CFDT, elle aussi partie civile, il ne fait pas de doute que tous les prévenus feront appel : « Ils en ont fait une question de principe, depuis le début ils se sont placés sur le terrain de la confrontation entre deux pays, entre la France et l’Espagne », a-t-il expliqué à l’Agence France-Presse.

Après le volet pénal, la décision sur les intérêts civils sera prononcée le 19 novembre, toujours à Marseille. L’Urssaf, dénonçant une fraude « exceptionnelle », a réclamé 112 millions d’euros.

Après cela, Terra Fecundis n’en aura pas fini avec la justice française. Le 18 mars 2022, devant le tribunal correctionnel de Nîmes, elle sera poursuivie pour les mêmes faits, mais pour la période comprise entre 2016 et 2019. Et cette fois elle sera accompagnée sur le banc des prévenus par une petite dizaine d’exploitations agricoles françaises ayant profité de cette main-d’œuvre corvéable.

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Le Monde avec AFP

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