Privilège pour les uns, exclusion pour les autres : le travail à distance crée une nouvelle scission entre travailleurs
Ne lui parlez pas de télétravail. « Moi, je n’ai jamais arrêté de me rendre chez les personnes âgées dont je m’occupe !, réagit Johanna, 23 ans, auxiliaire de vie dans le Gard (le prénom a été modifié). Et ça, alors que pendant le premier confinement on était mal protégés, avec trois masques chirurgicaux et cinq paires de gants par semaine, alors qu’on travaillait six jours sur sept, huit heures par jour… »
Une période qu’elle évoque encore d’une voix tendue : « J’avais peur pour ma santé, et peur d’être asymptomatique et de contaminer ceux dont je m’occupais… Donc de les tuer ! Ça a été très dur. » Comment résumer ce qu’elle a ressenti ? « C’est comme si on nous disait : “Votre vie à vous n’a pas d’importance, si vous crevez, une autre viendra vous remplacer.” » Pour Abdelkader, éboueur, interrogé au printemps, le télétravail est aussi synonyme d’injustice : « Nos responsables ne nous donnent même pas un gel hydroalcoolique par équipe de trois ! Et pendant ce temps, ils sont au chaud, chez eux, en télétravail ! »
Il n’y a pas eu de révolution du télétravail pour les auxiliaires de vie ou pour les éboueurs. Ni pour les infirmières, aides-soignantes et médecins, ces métiers en première ligne dans la lutte contre le Covid-19. Pas plus pour les agents d’entretien, caissières, livreurs, transporteurs routiers, ces métiers qu’on qualifie depuis de « deuxième ligne », qui ont montré combien ils étaient essentiels à nos vies.
« Disparités exacerbées »
Ceux-là ont continué à se rendre sur leur lieu de travail en mars, « au bénéfice de la collectivité, mais au risque de leur santé », note l’Observatoire régional de santé (ORS) d’Ile-de-France, qui a proposé, début décembre, une nomenclature de ces « travailleurs-clés ». D’autres travailleurs, dont la profession ne s’exerce pas davantage à distance, ont passé cette année de longs mois en chômage partiel, certains perdant ainsi au passage une partie de leur salaire.
Des inégalités aggravées par le contexte de la crise due au Covid-19. « Si le télétravail se démocratise, il exacerbe aussi clairement les disparités entre les travailleurs, souligne Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique et professeure à l’Iéseg. C’est d’autant plus intolérable dans un contexte de pandémie, quand cela touche à des questions de vie ou de mort. » Seuls 50 % des emplois du secteur privé sont susceptibles d’être exercés à distance, indique le baromètre Malakoff Humanis sur les conditions du développement du télétravail, publié en septembre.
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