« Pouvoir faire un beau travail » : quand le travail bien fait est assimilé à un acte de résistance
Le livre. Dans les années 1930, la philosophe Simone Weil (1909-1943) décide de travailler en usine. Au fil de ses expériences dans différentes sociétés industrielles (Alsthom, Renault), elle mène une observation attentive du monde ouvrier. Face à la condition des salariés, elle explique : « Une seule chose rend supportable la monotonie, c’est une lumière d’éternité, c’est la beauté. » « Pour elle, le beau est émancipateur, c’est un besoin social », analyse le sociologue Jean-Philippe Bouilloud.
Quelle place occupe la beauté dans le travail, dans l’entreprise ? Quelle est sa fonction ? Pourquoi représente-t-elle une attente des collaborateurs ? Les organisations s’en saisissent-elles ? A travers son essai Pouvoir faire un beau travail (Erès), il part à la recherche de la beauté, de ses expressions, de ses finalités, dans les ateliers d’artisans, les open spaces des sociétés de services, les chaînes des industries.
Le menuisier qui réalise une belle pièce, le mécanicien qui règle à la perfection un moteur, le scientifique qui résout un problème… Le beau peut apparaître partout, explique l’auteur, que ce soit dans l’esthétisme d’une production, la précision du geste, la satisfaction d’un travail bien fait ou même dans la bienveillance qui, parfois, transparaît dans les relations professionnelles.
Si ce concept de beauté est peu évoqué, M. Bouilloud y voit pourtant l’une des motivations des travailleurs, aux côtés de « la recherche de revenu, de statut social ou de liens avec autrui. [Notre activité] est traversée de part en part par une autre dimension, celle de nos sensations et de l’esthétique », assure-t-il. Une dimension qu’il assimile à un acte de résistance qui se veut libérateur pour le travailleur. C’est en effet, aux yeux de l’auteur, une manière de s’opposer : « Le travail bien fait contre la course à la rentabilité ; la “belle ouvrage” contre la standardisation à bas prix, le beau geste comme acte critique de la part d’un manageur ou d’un dirigeant. »
Sens et valeur
Face à des conditions de travail que l’on déplore, le travail bien fait peut permettre de « s’affranchir de l’intérêt », parfois au mépris des règles. Ce peut être le cas du « soignant qui passe plus de temps que prévu avec un malade pour lui tenir brièvement compagnie », ou de « l’opératrice de plate-forme téléphonique qui résiste aux injonctions de sa hiérarchie pour vraiment résoudre le problème du client qu’elle a en ligne, ou pour lui vendre un service qui correspond vraiment à son intérêt ».
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