« Pour Henri Fayol, l’entreprise est le lieu où le savoir scientifique doit être organisé pour être utile au progrès »
Chronique. La bourde de l’ancien président américain George W. Bush affirmant qu’il n’existait pas en français de mot équivalent au terme américain d’« entrepreneur » (prononcé avec l’accent texan) est bien connue. En revanche les entrepreneurs français, et les écoles qui les forment, ont bien du mal à utiliser un autre mot que « management » – et tous les anglicismes qui l’accompagnent – pour désigner l’art d’organiser les ressources matérielles et humaines de l’entreprise afin d’en obtenir la meilleure productivité possible. En effet, les méthodes qui ont permis à l’industrie américaine de devenir « l’arsenal des démocraties » pendant la seconde guerre mondiale ont été importées en France après 1945 et sont enseignées depuis dans les business schools qui y ont fleuri.
C’est pourtant une autre histoire que raconte un article d’Eric Godelier, professeur d’histoire et de management des entreprises à l’Ecole polytechnique (« From the “science” of practices to management science : milestones for a history of management education in France (1900s-2000s) », Management and Organizational History, 1er décembre 2020), tout comme la réédition critique des œuvres de l’ingénieur et entrepreneur Henri Fayol, né en 1841 (Le Traité et la Notice. Relire Fayol avec Fayol, Presses des Mines, 2020).
Praticiens de terrain
L’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) a ouvert ses portes… en 1819, suivie par celles de Mulhouse (1866), du Havre et de Rouen (1871), de Lyon et de Marseille (1872) et de Bordeaux (1874), à l’initiative de patrons qui souhaitent former des étudiants – souvent leurs propres enfants – aux techniques de direction, en premier lieu la comptabilité.
Un objectif repris dans les années 1880 par les chambres de commerce et d’industrie avec la création de HEC (1881) et d’une quinzaine d’écoles similaires en province. Les effectifs sont minces, et les contenus plus proches de l’enseignement technique que des sciences et des humanités enseignées dans les universités et les écoles d’ingénieurs où est formée « l’élite » de la nation. Ce qui vaudra aux écoles de commerce un mépris durable dans la culture sociale française.
Mais, avec l’industrialisation, il faut aussi apprendre à maîtriser les techniques et les coûts de production, les flux d’énergie et de matières, et même l’organisation du travail ouvrier dans des usines de plus en plus grandes. Les écoles d’ingénieurs ajoutent à leur programme l’« économie industrielle », mêlant technique, économie et droit, dès le début du XIXe siècle à l’Ecole des ponts et chaussées, au Conservatoire national des arts et métiers, où enseigne Jean-Baptiste Say, à partir de 1819, à l’Ecole centrale en 1854 – où est délivré en 1865 un cours « d’humanités industrielles ». Il s’agit le plus souvent de savoirs transmis aux étudiants par des praticiens de terrain.
Il vous reste 34.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.