Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, économistes : « Le projet de limiter le bénéfice des exonérations aux emplois rémunérés en dessous de trois fois le smic n’est ni juste ni efficace »
Dans les débats actuels autour de la réduction du déficit, la diminution des exonérations de cotisations sociales accordées aux employeurs occupe une place centrale, et pour une bonne raison : ce dispositif représentera en 2024 un effort de près de 80 milliards d’euros. C’est plus que le budget consacré à l’éducation nationale.
Bien que la réforme proposée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) vise à atteindre un double objectif – réaliser des économies et améliorer la mobilité salariale –, la proposition actuelle est mal calibrée et présente un risque inutile pour l’emploi.
Dans les années 1990 et 2000, les exonérations de cotisations employeur ont atténué la hausse du coût du travail provoquée par les augmentations du smic et le passage à la semaine de 35 heures. Elles étaient fortement concentrées autour du niveau du smic, où le coût du travail avait le plus d’impact direct sur l’emploi, notamment pour les travailleurs peu qualifiés.
En 2012, avec l’introduction du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du pacte de responsabilité, les exonérations ont été étendues, réduisant les cotisations patronales à presque zéro pour les emplois au smic et étendant ses bénéfices aux salaires allant jusqu’à 3,5 fois le smic. En conséquence, le coût de ces exonérations a doublé en une décennie.
Plusieurs limites
Parallèlement, les gouvernements successifs ont introduit des aides financières pour les personnes qui travaillent au voisinage du smic afin que l’emploi paye plus que le non-emploi. Tout d’abord sous la forme de crédit d’impôt (la prime pour l’emploi), ensuite complétée à la fin des années 2008 par le RSA activité, et le tout remplacé en 2015 par la prime d’activité, renforcée en 2019.
Cette prime, qui dépend du niveau de revenu et de la situation familiale, permet de compenser en partie les pertes d’allocations diverses lorsque le salaire augmente. Elle représente désormais près de 250 euros pour une personne seule sans enfant travaillant à temps plein au smic. Mais au-delà du salaire minimum, elle décroît rapidement et s’annule autour de 1,4 fois le smic. Son coût avoisine désormais les 11 milliards.
Ce système massivement redistributif a permis la création de centaines de milliers d’emplois, contribuant ainsi au reflux du chômage, tout en réduisant la pauvreté laborieuse.
Mais il souffre de plusieurs limites. En plus d’être devenu extrêmement coûteux, les effets sur l’emploi sont probablement négligeables au-delà de deux fois le smic, niveau auquel le coût du travail n’est plus un frein à la création d’emploi. Ce système induit aussi des taux marginaux d’imposition très élevés au-delà du smic, susceptibles de freiner la mobilité salariale. Lorsque le salaire augmente, non seulement le taux de cotisation des employeurs augmente rapidement, mais la prime d’activité diminue en parallèle.
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