« Par la fenêtre ou par la porte » : le long combat des salariés de France Télécom contre le harcèlement moral
L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
Le titre de ce film reprend les paroles, pour le moins obscènes, de Didier Lombard, PDG de France Télécom de 2005 à 2010, lors d’un séminaire de formation des cadres de l’entreprise en octobre 2006 à la Maison de la chimie, à Paris. Chargé avec ses seconds Louis-Pierre Wenès (« cost killer ») et Olivier Barberot (DRH) de rentabiliser l’entreprise alors que la guerre fait rage sur le marché français de la téléphonie, Didier Lombard entend ici motiver ses troupes de l’encadrement pour éjecter, donc, « par la fenêtre ou par la porte » 22 000 salariés, à défaut de convaincre ces derniers de la justification de leur départ volontaire.
Ce qui s’est ensuivi de cette offensive patronale fut, on s’en souvient, une vague de suicides inédite (vingt-trois pour la seule année 2009, sans parler de la recrudescence des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et autres dépressions chroniques) chez les salariés de cette entreprise, au point que le scandale de leur révélation mena, d’une part, à l’éviction du PDG et de ses sbires, et, d’autre part, à la tenue, bien des années plus tard, d’un procès en bonne et due forme. De sorte que le 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel reconnut coupable Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès, en faisant entrer la notion de « harcèlement moral institutionnel » dans la jurisprudence. La cour d’appel confirmera en septembre 2022 la condamnation mais allégera les peines à un an de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende.
Ce film, qui ambitionne de raconter cette histoire et fait à ce titre suite à d’autres œuvres sur le sujet, a pour particularité d’avoir été réalisé à l’initiative d’un collectif de syndicalistes de France Télécom. Il révèle de fait le désir de faire entendre de l’intérieur le long et difficile combat mené, durant de longues années, par les syndicats de l’entreprise pour dénoncer, sous ses dehors de rationalité technocratique, la gestion sauvagement idéologique et décomplexée du triumvirat qui en avait pris la tête. Le film pourrait à cet égard faire penser à la création des groupes Medvedkine avec des ouvriers de la région de Sochaux et Besançon (Doubs) dans les années 1960 et 1970, expérience esthético-politique majeure du cinéma militant soutenue alors par Jean-Luc Godard et Chris Marker.
Profondeur historique
Ce n’est toutefois pas sur les mêmes bases utopiques de l’appropriation de l’outil filmique par les ouvriers que fonctionne Par la fenêtre ou par la porte. Il s’y agit essentiellement de faire partager, dans un document de forme classique confié à un homme de métier (le réalisateur Jean-Pierre Bloc), une expérience syndicaliste, ce en quoi le film remplit d’ailleurs très honnêtement sa mission. Il le fait d’abord en resituant l’histoire dans sa profondeur historique : l’entreprise étatique florissante des Postes, télégraphes et téléphones (PTT) dans les années 1960, son vieillissement, la privatisation lente à compter des années 1980, accélérée dans les années 1990 avec le départ de 40 000 fonctionnaires en dix ans et l’entrée en Bourse, l’endettement chronique, l’arrivée des chevaliers blancs du néolibéralisme de choc en 2005, la décision des syndicats, enfin, puisqu’il y a aussi bien mort d’homme, de porter l’affaire au pénal en 2009.
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