Comment se dégager de l’entretien annuel
Plusieurs entreprises optent pour des nouvelles formes d’évaluation des salariés plus régulières et croisées.
La grande cérémonie annuelle a pris un coup dans l’aile. Chaque année, c’était le même rituel : salariés et managers se retrouvent face-à-face pour faire le bilan, discuter des perspectives de carrière dans l’entreprise – et négocier une éventuelle augmentation. Compassé, inutile, déconnecté de la réalité… Petites et grandes entreprises sont nombreuses à juger cette formule insuffisante pour évaluer effectivement l’évolution professionnelle des collaborateurs.
Avant incontournable, l’entretien annuel se voit désormais complété par de nouveaux processus de gestion des compétences. Feedback en continu, bilans professionnels entre collègues… Entraînées dans un mouvement lancé aux Etats-Unis en 2015 par deux géants du conseil, Deloitte et Accenture, les entreprises françaises optent de nouvelles formes d’évaluation de l’évolution professionnelle du collaborateur, plus régulières et croisées.
« La mise au point annuelle manque de concret, déclare Fabien Versange, PDG de SiteW, une start-up spécialisée dans les services Internet. On se retrouve à discuter d’évènements qui se sont déroulés il y a six mois, ce qui peut générer des incompréhensions. » Même son de cloche du côté de Brigitte Auffret, directrice générale déléguée de Manutan France : « L’entretien comporte trop d’enjeux à la fois, déplore-t-elle. Il faut parler à la fois de performance, de rétribution, de formation… »
Enquête de satisfaction
Ce constat a conduit Manutan à rétablir à plat le système d’évaluation de ses personnels. L’entreprise de fourniture industrielle (2 300 salariés au compteur) a mis en place, dès 2018, un processus de feedback continu au niveau de ses manageurs, appelé à se généraliser à l’ensemble des salariés du groupe.
Le collaborateur est non seulement évalué par son responsable, mais aussi par ses collègues : c’est une justification de l’évaluation dite à « 360° ». « Ce qui se passe entre deux personnes reste subjectif, fait valoir Brigitte Auffret. C’est mieux que d’autres puissent donner leur point de vue. »
Manutan a aussi mis en place une enquête de contentement des collaborateurs. Enfin, l’entreprise teste une application qui permet de donner et de recevoir des retours d’expérience en continu entre manageur et salarié : à la suite d’une réunion, par exemple, le premier peut directement évaluer le collaborateur pour sa prise de parole en public. « On évite ainsi le dialogue de sourd en se référant à des situations concrètes », mentionne Brigitte Auffret. Si l’entretien annuel, qui reste imposé par certaines traités collectives, demeure, il comporte moins d’enjeux avec à ce système.
Une telle action est prévue par la loi du 22 mars 2016. Elle offre la possibilité aux sociétés de transport de voyageurs de contrôler le pedigree de personnes qui désirent travailler chez elles ou de salariés déjà en place qui veulent changer d’affectation. Ces contrôles ne sont admises que pour certains métiers jugés sensibles – par exemple chauffeur de bus ou agent de sécurité.
Le but est de se garantir que les intéressés ne représentent pas une menace pour les personnels et la clientèle. C’est le Service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas), placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur, qui se charge de « scanner » le profil des personnes. Il s’appuie, particulièrement, sur des fichiers relatifs « à la prévention du terrorisme ou des atteintes à la sécurité et à l’ordre publics ».
M.X et M. Y ont été surpris d’apprendre le soupçon pesant sur eux. Et le traitement qui leur a été réservé les a profondément choqués. Primo : ils ignoraient tous des raisons pour lesquelles un avis d’incompatibilité avait été émis à leur égard. En outre, l’avis accusé ne leur avait pas été notifié et la RATP avait mis fin à la relation de travail, sans qu’ils puissent se défendre. S’estimant victimes de pratiques expéditives qui ont violé leurs droits, ils se sont tournés vers le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’invalidation de la sentence du Sneas.
Argumentation différent
La démarche promise a tourné à leur avantage. S’agissant de M. X, le juge a estimé que le ministère de l’intérieur n’avait produit « aucun élément factuel » permettant de démontrer que le salarié « constituerait une menace pour la sécurité ou l’ordre public ». Du fait de cette « inexacte application » de la loi, le requérant est « fondé » à solliciter l’annulation de l’avis d’incompatibilité.
Quant à M. Y, l’argumentaire du tribunal est distinct mais parvient au même résultat : l’agent « aurait dû avoir notification de l’avis d’incompatibilité » et ce dernier aurait dû, de surcroît, « être motivé ». Or, tel n’a pas été le cas. Dans ces conditions, M. Y est, lui aussi, en droit de réclamer « l’annulation » de l’avis du Sneas.
Le ministère de l’intérieur et la RATP se bornent à déclarer qu’ils ont pris acte des jugements du tribunal, prononcés le 31 janvier. Un appel sera-t-il interjeté ? Pas de réponse, à ce stade. Toute laisse à penser, par ailleurs, que la RATP n’a pas l’intention de revenir sur sa décision de congédier les deux hommes.
La bataille judiciaire continue
Ce licenciement, M. X et M. Y le contestent, en parallèle, devant la justice prud’homale. Pour le premier, l’audience, au début prévue vendredi 8 février, a été repoussée au 6 mars. Son avocat, Me Raphaël Kempf, « ne voi[t] pas comment les prud’hommes ne pourraient pas tenir compte de la décision du tribunal administratif ». Autrement dit, la logique voudrait, selon lui, que la RATP soit condamnée, la rupture du contrat de travail ne reposant sur aucune « cause réelle et sérieuse ».
M.Y, lui, est déjà passé devant les prud’hommes, mais il a été débouté, le 1er février. Son conseil, Me Thierry Renard, avait sollicité que les débats soient rouverts de manière à prendre en considération l’invalidation de l’avis d’incompatibilité, mais il n’a pas été suivi. Il va donc faire appel.
Outre M. X et M. Y, quatre autres hommes, au moins, ont été remerciés de la même manière par la RATP. Epaulés par Me Thierry Renard, trois d’entre eux ont déjà promis des actions en référé devant les prud’hommes, qu’ils ont perdues. Les conclusions ont été rendues avant le jugement du tribunal administratif de Paris. Mais la bataille va continuer, affirme Me Thierry Renard : des requêtes sur le fond ont été déposées. Celui-ci compte aussi s’adresser au juge administratif afin que soit annulé l’avis d’incompatibilité émis à l’encontre de ses clients.