Emploi : les jeunes diplômés français s’en sortent-ils mieux ou moins bien que d’autres pays ?

J’ai décidé durant le mois de décembre de faire le point sur notre enseignement supérieur en comparant la France aux autres pays du monde. Pour que l’exercice soit plus fiable, je vous propose un quiz en 15 questions sur trois semaines (une par jour du lundi au vendredi à compter du lundi 3 décembre). Chaque question abordera un des enjeux importants de notre enseignement supérieur et la réponse sera illustrée par un graphique et des explications. À la fin des 15 questions, un bilan sera fait sur les forces et faiblesses de notre enseignement supérieur.

Hier, la question portait sur l’avantage du salaire que procure une licence universitaire (par rapport au BAC) sur le marché du travail. Aujourd’hui nous allons attaquer la question de l’employabilité des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur en comparant la France et la Corée.

Question : Est-ce que le taux d’emploi des jeunes de 25 à 34 ans ayant un diplôme de l’enseignement supérieur est plus élevé en France ou en Corée?

Réponse : Premier bilan, et cela n’est pas étonnant, le taux d’emploi augmente avec l’élévation du niveau de formation. Ainsi, par exemple, dans la plupart des pays de l’OCDE et des pays partenaires, de meilleurs débouchés sur le marché du travail s’offrent aux titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. C’est particulièrement vrai en France où 86% des 25-34 ans diplômés du supérieur sont en emploi, contre seulement 50% parmi ceux qui n’ont aucune qualification. C’est l’un des écarts les plus importants des pays de l’OCDE (voir graphique).

Le diplôme est bien en France la meilleure protection contre le chômage ou l’inactivité, et ceux qui « décrochent » à l’école se retrouvent en très grande précarité ensuite. D’ailleurs, la lutte contre le décrochage scolaire est une priorité de tous les gouvernements depuis 2008. Résultat : le nombre de décrocheurs est passé en 10 ans de 150 000 à 100 000 en France, une réussite, même si des efforts sont encore nécessaires. C’est un signal fort qui montre également que lorsque les réformes se succèdent avec cohérence, tous les progrès sont possibles.

Taux d’emploi des adultes âgés de 25 à 34 ans, selon le niveau de formation et la filière d’enseignement (2016)

 

Source : OCDE. Regards sur l’Éducation 2017.

Toujours sur ce graphique, il est intéressant d’observer que l’insertion professionnelle quand on sort du système éducatif avec un BAC pro ou avec un BAC général (ou technologique) est relativement similaire en France. C’est assez atypique au sein de l’OCDE. En effet, dans un nombre important de pays, les filières professionnelles du secondaire offrent de bien meilleurs débouchés sur le marché du travail que les filières générales. Il n’y a qu’à voir en Allemagne pour s’en convaincre: les taux d’emploi sont pareils et élevés, qu’on ait un Bac pro ou un diplôme du supérieur. Une réflexion s’impose donc pour valoriser ces filières en France. Il faudrait également rehausser le niveau d’exigence dans les programmes, réfléchir à la formation des formateurs et développer l’alternance. Tout un programme.

Après cette digression sur notre école, revenons au supérieur et à notre question.  Le taux d’emploi des diplômés en Corée est bien inférieur à celui de la France, aussi bien quand on compare les diplômés du supérieur que lorsque la comparaison porte sur ceux qui ont quitté le système éducatif avec un Baccalauréat (ou équivalent) en poche. C’est surprenant tant on ne cesse de vanter l’excellence académique (bien réelle !) des élèves en Corée. En fait, la raison à ces faibles taux d’emploi est double. Premièrement, l’expansion ultra rapide de l’enseignement supérieur en Corée a abouti à des décalages importants entre les besoins des entreprises et la durée et l’exigence des formations. Aujourd’hui, 70% des jeunes ont un diplôme du supérieur, ils étaient à peine plus de 20% il y a 30 ans. Par conséquent,  de nombreux jeunes diplômés ne trouvent pas d’emploi à la hauteur de leurs compétences. Ils préfèrent rester à l’université car les contrats qu’on leur propose en dehors sont souvent de courtes durées et sans réelles perspectives de carrière. Autre effet pervers de cette situation d’inflation scolaire, certains étudiants préfèrent échouer à leurs examens pour se donner plus de temps pour avoir de meilleures notes et une plus grande chance d’accéder aux postes de leurs rêves.

Alors, cela n’est pas l’unique explication à ces faibles taux d’emploi. La Corée est parmi pays de l’OCDE où l’écart entre hommes et femmes sur le marché de l’emploi est le plus élevé. Seulement 69% des femmes diplômées du supérieur sont en emploi quand, dans le même temps, 81 % des hommes travaillent. À titre comparatif, l’écart est bien plus faible en France avec 84% des femmes en emploi contre 90% des hommes. Les femmes coréennes se mettent souvent en inactivité après leurs études supérieures pour fonder une famille. C’était même par le passé encouragé par le gouvernement, la Corée ayant le taux de fertilité le plus faible de tous les pays de l’OCDE (avec moins de 1.3 enfants par femme).Le gouvernement prend très au sérieux la situation et essaie depuis 15 ans d’inverser cette tendance. Pour cela, il a investi massivement dans son système de petite enfance. L’objectif est d’en rehausser la qualité et de rendre possible l’accès universel aux services pour les plus petits afin de permettre aux femmes de mieux concilier emploi et parentalité.

Pour affronter l’inflation scolaire galopante, le gouvernement a également investi pour développer les filières professionnelles du secondaire et pour inciter les jeunes à travailler une fois leur diplôme obtenu. Pour cela, des quotas ont été fixés aux entreprises pour recruter davantage de bacheliers, et des primes ont été offertes à ceux entrant directement sur le marché de l’emploi, sans passer par la case université.

On se rend compte qu’il y a encore beaucoup à faire en Corée sur la transition entre emploi et étude. En France, il faut agir en priorité sur les moins qualifiés mais aussi réfléchir à l’attractivité de certaines licences qui manquent de débouchés. Demain, pour le dernier jour de la semaine, nous aborderons la question des frais d’inscription, sujet sensible et largement débattu en ce moment.

Unédic : le patronat agace les syndicats

Le patronat n’y est pas allé de main morte. Lors de la quatrième séance de débat sur l’assurance-chômage, la délégation formée par les trois organisations d’employeurs (CPME, Medef, U2P) a proposé, mercredi 5 décembre, une série de mesures qui diminuent les droits des demandeurs d’emploi et engendrent des économies supérieures à celles réclamées par l’exécutif. Même si ces premières pistes de réflexion vont sans doute être adoucies, les syndicats n’ont pas du tout apprécié la mise en bouche.

C’est « l’opération bazooka », a commenté Marylise Léon (CFDT), à l’issue de la rencontre. Denis Gravouil (CGT) y a vu de « pures provocations (…) complètement irresponsables, au regard de la situation sociale dans le pays ». Dans « le contexte actuel (…), je pense que c’est assez malvenu », a renchéri Michel Beaugas (FO). Son homologue de la CFTC, Eric Courpotin, a qualifié de « totalement inacceptables » plusieurs idées portées par le patronat.

« Atteinte au principe d’égalité nationale »

Pour les mouvements d’employeurs, la convention Unédic, qui définit les règles adéquates aux chômeurs, peut être réécrite afin de « favoriser le retour durable à l’emploi » et perfectionner « l’efficience du système », ainsi que son « équité ». La démarche s’inscrit dans la lettre de cadrage dictée aux partenaires sociaux par le gouvernement : ce document fixe un cap, en matière de droits à faire évoluer, mais aussi de « trajectoire financière » à suivre – l’objectif étant de dégager de 3 à 3,9 milliards d’euros d’économies en trois ans.

Sur cette base, le patronat a donc rédigé une longue liste d’hypothèses, synonymes de changements drastiques si elles étaient mises à exécution. Exemple : pour pouvoir être éligible à l’assurance-chômage, il faudrait avoir exercé une activité pendant au moins quatre mois au cours des douze derniers (contre vingt-huit aujourd’hui). Et l’allocation serait calculée en fonction de la durée passée au travail durant vingt-quatre mois (vingt-huit à l’heure actuelle). Autre schéma à l’étude : faire varier l’indemnisation en tenant compte du taux de chômage dans les bassins d’emploi. « C’est (…) une atteinte au principe d’égalité nationale, d’unicité du régime », a déclaré Mme Léon.

Le patronat pense-t-il que ses préconisations sont susceptibles de jeter de l’huile sur le feu, alors que la contestation sociale monte de toutes parts ? « Il est clair qu’une négociation n’est jamais hors sol », a admis Hubert Mongon (Medef). Lui et ses alliés veilleront donc à ce que les prochaines réunions soient « constructives » afin que les parties prenantes trouvent des « points d’équilibre ». Il leur reste un peu plus d’un mois pour parvenir à un compromis. Une gageure, à ce stade, compte tenu des délais et de la profondeur des désaccords entre organisations d’employeurs et de salariés.

 

Le diplôme n’efface pas l’écart de classe

Les étudiants issus de milieux populaires font beaucoup d’efforts pour trouver un équilibre entre leur milieu d’origine et celui qu’ils rejoignent.

Fils d’ouvrier, Nassim Larfa a usé ses pantalons sur les bancs de collèges et lycées estampillés « zone d’éducation prioritaire ». Aujourd’hui, à 22 ans, il est issu de Sciences Po Paris. Sans être exceptionnel, son parcours est suffisamment rare pour être remarqué. Comme preuve, selon l’Observatoire des inégalités, si près de 30 % des jeunes de 18 à 23 ans sont enfants d’ouvriers, ils ne représentent que 11 % de l’ensemble des étudiants et à peine 6 % de ceux des grandes écoles.

A Sciences Po, Nassim Larfa a découvert un monde totalement différent. « Le décalage avec le lycée était énorme. La très grande majorité des étudiants venaient de milieux très favorisés. Pour eux, l’IEP n’était qu’une étape pour accéder à autre chose, tandis que, pour moi, c’était un aboutissement. » Hélène (le prénom a été modifié) se souvient elle aussi de ses premiers pas à l’EM Grenoble : « Je me suis retrouvée avec des personnes dont les habitudes, les manières de s’amuser, de se détendre n’étaient pas les miennes. Aller boire un verre après les cours ou aujourd’hui après le travail, et organiser des fêtes dans des appartements, c’est quelque chose que l’on ne fait pas dans mon milieuD’abord parce que ça coûte cher. »

Acquérir les codes sociaux

Car il ne suffit pas de faciliter l’accès des grandes écoles aux étudiants les plus modestes pour que les compteurs soient remis à zéro. « Ce type de scolarité les contraint à traverser l’espace social. Ils doivent fournir un gros effort pour acquérir les codes sociaux du milieu qu’ils rejoignent », analyse Paul Pasquali, sociologue, auteur de Passer les frontières sociales. Comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes (Fayard, 2014).

« Certains étudiants ont un mépris énorme pour toute personne qui ne vient pas du même milieu qu’eux »

A ces difficultés de s’adapter à un nouvel environnement peut s’ajouter le sentiment de ne pas totalement mériter sa place. C’est ce qui est arrivé à Mathilde Millet. Issue de quartiers ZEP, la jeune femme a rejoint l’Institut d’études politiques de Lille après avoir bénéficié d’un dispositif d’égalité des chances. Il n’en fallait pas plus pour la rendre « suspecte » d’avoir bénéficié d’un coup de pouce. « Certains étudiants ont un mépris énorme pour toute personne qui ne vient pas du même milieu qu’eux, notamment les boursiers. » La jeune femme raconte s’être sentie tellement mal à l’aise qu’elle a pensé un moment arrêter. « Alors même que cette école j’en avais rêvé. »

Kylian (le prénom a été modifié) n’a pas profité de programme particulier et il n’a pas intégré une grande école, mais la fac. Il n’empêche, le passage dans l’enseignement supérieur n’a pas été simple pour lui non plus. Dans sa famille, on n’a pas fait d’études et « on ne voyait pas l’intérêt d’en faire ». Lui a commencé par un CAP comptabilité dans un lycée d’Ardèche avant d’enchaîner sur un bac technologique. Une fois son diplôme en poche, il décide de prendre le large et met le cap sur Paris, loin de sa famille. « Lorsque je suis arrivé en fac d’histoire, j’ai tout de suite eu l’impression de ne pas être légitime. »

Séparation de la famille

Un sentiment qu’il ressent d’autant plus fortement que chez lui « il n’y a pas de livres », qu’on ne parle pas « culture » et qu’il a connu « une scolarité chaotique ». « J’avais et j’ai toujours du mal à assumer mon parcours et à dire d’où je viens. Au fond, j’ai honte », confesse-t-il. Pour rattraper son « retard culturel » et « se sentir enfin à sa place », il s’est mis à beaucoup lire, à aller au théâtre, à fréquenter les musées… au prix d’un éloignement avec sa famille. « Mes sœurs regardent la télé-réalité et rêvent de partir en vacances dans des parcs de loisirs, quand moi j’aime la littérature et voyager. C’est difficile à accepter, mais nous n’avons plus rien en commun. Je culpabilise mais tout prétexte est bon pour ne pas aller les voir », admet Kylian.

Cette éloignement de la classe d’origine, fréquente lors des parcours de migration sociale, n’est ni automatique ni nécessairement définitive.

Cette difficulté à maintenir un équilibre entre le milieu d’origine et celui auquel le diplôme donne accès, David Foltz l’a connue lui aussi. Fils d’ouvrier mosellan, passé par Sciences Po, puis l’ENA, il a franchi les frontières sociales « en veillant à ne jamais renier ses origines ». S’il ne dévoilait pas spontanément d’où il ne venait ni ce que faisaient ses parents, il disait la vérité quand on lui posait la question. « Mais le monde ouvrier est si éloigné de celui de la plupart des étudiants que je côtoyais, que lorsque je disais que mon père était tuyauteur on me répondait parfois : “Ah, il a une boîte de chauffage” », se souvient-il.

Malgré des allers-retours entre sa famille, restée en Moselle, et les élites qu’il fréquente désormais, David Foltz concède que le fossé s’est creusé. « Ils sont fiers de moi. Quand je rentre, ils me charrient et me disent que je vais devenir président, mais, au fond, ils ne comprennent pas vraiment ce que je fais. Ce qui m’attriste le plus, c’est de ne pas pouvoir partager. » Cette éloignement de la classe d’origine, fréquente lors des parcours de migration sociale, n’est cependant ni automatique ni nécessairement définitive. C’est notamment le cas « lorsque le changement de classe correspond au désir des parents, précise la philosophe Chantal Jaquet qui a codirigé La Fabrique des transclasses (PUF, 2018). Les sacrifices que certaines familles sont prêtes à faire pour que leurs enfants connaissent une vie meilleure, le transclasse ne peut les oublier ».

 

« On assiste à des phénomènes de regroupement – d’homophilie sociale – liés aux expériences antérieures, aux manières de penser, de se vêtir, de se divertir »

Nassim Larfa, lui, a le sentiment de naviguer entre deux mondes. « C’est hyper-important pour moi de rester proche de mes copains de la cité. Je suis d’un milieu populaire et le diplôme de Sciences Po n’y change rien. J’ai conscience que je n’aurai jamais les codes des milieux favorisés, que je ne pourrai jamais vraiment appartenir à ce monde, même si, aujourd’hui, je m’y sens à l’aise. » Car ce n’est pas parce qu’on fait les mêmes études que la distance sociale disparaît. Au contraire, « on assiste à des phénomènes de regroupement – d’homophilie sociale  liés aux expériences antérieures, aux manières de penser, de se vêtir, de se divertir », prévient Paul Pasquali. Un phénomène qui perdure longtemps après l’obtention du diplôme.

En témoigne Hélène. Même diplômée d’une grande école de commerce et avec un salaire confortable, elle ne se sent toujours pas à sa place dans sa nouvelle classe. « Je m’entends bien avec mes collègues, mais, dans l’entreprise, les personnes vers lesquelles je vais spontanément et avec qui je me sens vraiment à l’aise me ressemblent. Ce sont les femmes de ménage, les secrétaires… Avec elles seulement, je n’ai pas besoin de faire d’efforts. »

« Gilets jaunes » : un affrontement qui affaibli le rebond de l’économie française

Un barrage filtrant organisé par des « gilets jaunes », à Gaillon (Eure), mercredi 5 décembre.

Un barrage filtrant organisé par des « gilets jaunes », à Gaillon (Eure), mercredi 5 décembre.

Le 10 octobre, les experts de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) faisaient preuve d’un certain espoir, voire d’un optimisme certain. L’sur les derniers mois de 2018 promettait d’être de bien meilleure facture que le 0,2 % affiché, en moyenne, au premier semestre. L’Insee tablait sur une augmentation du produit intérieur brut (PIB) de 1,6 % pour l’ensemble de l’exercice, avec une accélération notable aux troisième et quatrième trimestres (0,5 % et 0,4 %). La raison de ce redressement attendu tenait en une expression : le pouvoir d’achat.

Les Français devaient retrouver de nouveau le chemin des commerces et des restaurants : le reflux de l’inflation, la suppression du reliquat de cotisations d’assurance-chômage pour les salariés et la réduction de la taxe d’habitation pour certains ménages devaient se conjuguer pour nourrir une poussée de fièvre consumériste. Parallèlement, les entreprises devaient poursuivre leurs apports.. Las, mi-novembre, la flambée des prix à la pompe a fait se gripper cet aimable scénario en accouchant de la crise des « gilets jaunes ».

Les blocages de routes et de dépôts pétroliers, ainsi que les manifestations qui ont dégénéré en émeutes violentes ont eu une incidence « sévère » sur l’activité, assure le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, sans plus de précisions. « Pour l’instant, nous ne disposons d’aucune donnée macroéconomique objective permettant d’évaluer les conséquences de ces événements », souligne Denis Ferrand, directeur général de l’institut Rexecode.

« Les secteurs les plus menacés sont ceux qui étaient déjà fragilisés : agroalimentaire, commerce de détail… »

Stéphane Colliac, économiste senior pour la France chez Euler Hermes, se risque à une évaluation. Les blocages et manifestations observés depuis trois semaines devraient se traduire par « une année 2018 horribilis en termes de consommation, laquelle est responsable de plus de la moitié de la croissance économique en France. Le PIB ne devrait progresser que de 1,5 % cette année, soit 0,1 point de moins que la dernière prévision de l’Insee en octobre ».

« Plus de 200 entreprises ont été affaiblis »

Actuellement, rien à voir avec les épisodes de Mai 1968 ou de novembre-décembre 1995. Durant ces deux mouvements sociaux, l’économie française avait été confrontée à des « blocages de production », quand, actuellement, les blocages concernent davantage la distribution, souligne M. Ferrand, qui rappelle qu’en 1968 la croissance s’était effondrée de 5,3 % au deuxième trimestre, pour rebondir violemment de 8 % au troisième. En 1995, c’est entre 0,2 et 0,3 point de PIB qui s’était évaporé en fin d’année. Pour Philippe Waechter, économiste en chef chez Ostrum Asset Management, la configuration actuelle ressemble plus aux événements de 2010, avec les mobilisations contre la réforme des retraites durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

 

Les pilotes d’Air France votent le changement de la direction du syndicat SNPL

A l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, en août.

A l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, en août. JOEL SAGET / AFP

Un air de changement souffle sur le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) d’Air France. Comme il y a quatre ans, en 2014, les pilotes ont choisi de ne pas chasser l’équipe dirigeante du syndicat majoritaire présidé par Philippe Evain. Ce résultat ne souffre aucune contestation, puisque le taux de participation a atteint le niveau record de 80,16 %, à l’issue d’une consultation étalée sur un mois. Les pilotes ont voté massivement pour deux listes d’opposition, l’une présentée comme « modérée », l’autre comme « constructive ». C’est la liste menée par Vincent Bossy, un opposant déclaré à l’équipe Evain, et par l’ancien président du SNPL, Jean-Louis Barber, qui est sortie largement gagnant du scrutin. Au total, constructifs et modérés ont raflé 34 des 48 postes à pourvoir au conseil du SNPL, le « parlement » du syndicat.

M.Bossy est le mieux élu, avec un score personnel de près de 60 %. Il devance M. Barber, arrivé en troisième position avec 46,77 % des suffrages exprimés. M. Evain arrive seulement en 41position. « Ce n’est pas un bon résultat pour la majorité sortante », commente sobrement Véronique Damon, ex-secrétaire générale du SNPL présidé par Philippe Evain.

« Des choix n’ont pas été compris par les pilotes »

Cette figure progressive du syndicat des pilotes, qui avait démissionné de ses fonctions en mai 2017, pour des « raisons personnelles », a été réélue en 6e position. Même si des poids lourds de l’équipe sortante ont été reconduits, comme Yannick Floc’h ou Julie de Haas, il semble que les pilotes d’Air France aient massivement choisi de tourner la page. « L’alternance va avoir lieu, constate M. Evain. Exercer des responsabilités pendant quatre ans, c’est difficile. Nous y avons laissé des forces. Des choix n’ont pas été compris par les pilotes, mais nous les assumons parfaitement. »

Par ce vote sans appel, les pilotes ont voulu terminer avec la stratégie solidaire adoptée par M. Evain et son équipe. A rebours des pratiques en cours chez Air France, le président du SNPL avait voulu renouer avec les autres catégories de personnels de la compagnie aérienne, allant jusqu’à constituer une intersyndicale avec les autres organisations d’Air France. A l’avenir, le SNPL pourrait revenir à une démarche plus corporatiste. Il n’empêche, Philippe Evain n’en démord pas : « Notre stratégie était la bonne, mais il faudra probablement du temps pour s’en rendre compte. » Pas certain, rétorque Mme Damon. Selon elle, à trop vouloir construire l’unité avec les autres syndicats de personnels, « le risque est que l’on a failli perdre les pilotes ». Pourtant, tempère-t-elle, l’équipe Evain a obtenu « des résultats plutôt bons ». En témoigne, selon M. Evain, « l’accord Trust Together, signé en juin 2017, et validé par 85 % des pilotes ».

 

 

« Une hausse du smic pourrait admettre de corriger un peu les déséquilibres »

 

Le gouvernement Français a confirmé qu’il n’était pas question d’augmenter le smic au-delà de sa hausse légale (du moins jusqu’à nouvel ordre). Pourtant, on remarque, depuis plusieurs décennies à une captation des fruits de la croissance économique par les plus riches. Les mesures récentes prises par l’exécutif ne risquent pas d’améliorer les choses. L’Institut des politiques publiques a chiffré en octobre l’impact des mesures budgétaires pour l’année 2018-2019 : les 20 % les plus pauvres enregistreront une perte de revenu disponible pouvant atteindre 1 %, tandis que les 1 % les plus riches gagneront jusqu’à 6 % de pouvoir d’achat.

Une hausse du revenu minimum pourrait permettre de corriger un peu cette aliénation. Le premier ministre a pourtant balayé cette option d’un revers de main, avec un argument parfaitement nébuleux. Selon lui, « notre politique, ce n’est pas de faire des coups de pouce au smic, notre politique c’est de faire en sorte que le travail paie ». Evidemment, si l’on augmente le smic, le travail paiera davantage. Mais le premier ministre s’appuie semble-t-il sur l’argument, développé par certains économistes, qu’une augmentation du smic entraînerait une diminution de l’emploi ou des heures travaillées, et par conséquent une diminution des revenus.

Pourtant, un grand nombre de travaux, dans la lignée de l’ouvrage célèbre de David Card et Alan Krueger (Myth and Measurement : The New Economics of the Minimum Wage, Princeton University Press, 1995), ont affirmé que cette thèse libérale en vogue dans les années 1980 était fausse. Non seulement une augmentation du salaire minimum ne nuit pas à l’emploi, mais elle peut même l’améliorer. Une étude d’Arindrajit Dube (Université du Massachusetts à Amherst) et de ses collègues (« The Effect Of  Minimum Wages on Low-Wage Jobs »  Centre for Economic Performance, Discussion Paper, n° 1531, février 2018) analyse l’impact de 138 hausses significatives (10 % en moyenne) du salaire minimum aux Etats-Unis entre 1979 et 2016. Lorsque le salaire minimum augmente, on observe que la disparition des emplois rémunérés au-dessous du nouveau salaire minimum est plus que compensée par l’augmentation du nombre d’emplois (y compris en équivalents temps plein) rémunérés jusqu’à 5 dollars au-dessus du nouveau salaire minimum.

Egalité salariale : « une prise de conscience de la nécessité d’engager des actions de correction des écarts de rémunération »

« L’obligation de publier le résultat de l’index sur le site Internet de l’entreprise entraîne un risque d’image significatif pour les entreprises qui afficheraient un score médiocre. D’autre part, le risque d’une sanction financière est pris très au sérieux »

« L’obligation de publier le résultat de l’index sur le site Internet de l’entreprise entraîne un risque d’image significatif pour les entreprises qui afficheraient un score médiocre. D’autre part, le risque d’une sanction financière est pris très au sérieux » John Holcroft/Ikon Images / Photononstop

Le nouveau mécanisme pour mesurer et contrôler les écarts du salaire entre hommes et femmes en entreprise, introduit par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a été présenté le 22 novembre par la ministre du travail, Muriel Pénicaud. D’ici à cinq ans, les entreprises devront se mesurer et se corriger d’après cinq critères : l’écart de rémunération (base, variable et primes), la répartition des augmentations individuelles, la distribution des promotions, les augmentations au retour de congé maternité et le nombre de femmes faisant partie des plus hauts salaires. Leur index de l’égalité salariale devra être publié chaque année.

Le décret sur les classifications de calcul pour chaque critère reste à venir. Interrogé sur la mise en application de cet index de l’égalité salariale, Denis Lesigne, directeur capital humain chez Deloitte, déclare qu’il peut donner lieu à une vraie prise de conscience.

Les entreprises sont-elles bien préparées ?

Denis Lesigne – Les entreprises ne connaissent pas encore précisément les modalités de calcul de l’index d’égalité salariale puisque le décret n’est pas paru. Elles ne se sont donc pas encore préparées. Néanmoins, pour les plus importantes, elles disposent d’un système d’information et des ressources qui leur permettront de tenir les délais prévus.

Seules les entreprises de plus de 1 000 salariés devront publier l’index d’égalité salariale au 1er mars 2019. Pour celles de 250 à 1 000 salariés, le délai de publication pour la première année a été repoussé au 1er septembre 2019. Quant aux entreprises comptant de 50 à 250 salariés, l’obligation de publication n’entrera en vigueur qu’au 1er mars 2020. A cette date, les systèmes de paie auront probablement été mis à jour pour intégrer le calcul de cet index.

Quel est l’indication qui risque de poser le plus de difficultés ?

Parmi les cinq indicateurs qui composent l’index, l’indicateur relatif au nombre de femmes dans les dix plus hautes salaires posera probablement des difficultés à beaucoup d’entreprises. Pour autant, cet indicateur ne pèse que 10 % du score final.

L’indicateur relatif aux promotions sera également un indicateur complexe. La promotion étant qualifiée comme un changement de coefficient conventionnel, selon les branches, elle peut être un phénomène rare dans une carrière. Dès lors, la comparaison du pourcentage de femmes et d’hommes promus pourrait maintenir quelques surprises.

 

Lorsqu’Edouard Philippe exagère extrêmement la hausse du smic

En parlant aux « Français qui ont enfilé un gilet jaune », le premier ministre, Edouard Philippe, a indiqué mardi 4 décembre une hausse de 3 % du revenu minimum, « une des plus importantes de ces vingt-cinq dernières années ».

Avec la prime d’activité et la hausse du SMIC au 1er janvier, nous aurons une augmentation de plus de 3% du SMIC net… https://t.co/C5tBSCSKiL

— EPhilippePM (@Edouard Philippe)

Beaucoup d’éléments sont ajoutés dans ce calcul, permettant de gonfler l’augmentation  prévue, qui sera en réalité de 1,8 %. Une exagération relevée par les syndicats :

« Le gouvernement ne semble pas bouger sur le smic. La hausse indiquée de 3 % correspond en effet au 1,8 % attendu du seul fait de l’inflation et de l’effet du basculement des cotisations sociales sur la CSG. » (Force ouvrière)

« Des annonces qui sont aujourd’hui un tour de bonneteau (…) comme sur le smic. On n’est pas sur un coup de pouce, c’est l’évolution normale de moins de 2 % plus la prime d’activité. » (Fabrice Angei, secrétaire national de la CGT)

Réellement, le smic a été amélioré, en plus de son augmentation légale, de la suppression des cotisations salariales vers la CSG et de la hausse de la « prime d’activité ». Ce qui donne dans le détail les évolutions suivantes :

  • La disparition de la fiche de paie des cotisations salariales, rebasculées sur la CSG, permet pour une personne touchant le smic actuel (1 498,50 euros brut, soit 1 184 euros net mensuels, pour un temps plein) de voir son salaire augmenter de près de 22 euros depuis octobre.
  • Depuis le même mois, la hausse de la « prime d’activité » donne droit à 12 euros brut supplémentaires pour un temps plein de smic, selon le ministère des affaires sociales.
  • Le smic lui-même est revalorisé de façon automatique chaque année à partie de deux indicateurs, l’inflation des moins aisés et le pouvoir d’achat des ouvriers et des employés.

Il peut bénéficier d’un « coup de pouce » supplémentaire. Mais, en novembre, le premier ministre avait déclaré : « Notre politique, ce n’est pas de faire des coups de pouce au smic, notre politique, c’est de faire en sorte que le travail paie », oubliant au passage que le smic rétribue un travail. Sa décision de cette semaine est à l’opposé de sa position d’alors.

Au final, si l’on compare le smic 2018 avec le smic revalorisé de son minimum légal (environ 1,8 % aux conditions actuelles) et que l’on ajoute les améliorations déjà mises en œuvre depuis octobre, un temps plein verra en effet son brut augmenter de plus de 3 %… sauf que ces réformes sont déjà entérinées et répercutées sur les fiches de paie. Le calcul du gouvernement peut donc être qualifié à tout le moins de trompe-l’œil. Dans les faits, le salaire minimum n’augmentera que d’environ 1,8 % au 1er janvier.

SNCF Réseau: pour la Cour des comptes, la révision ferroviaire de 2018 n’est pas avantageuse

La Cour des comptes invite l’Etat à un effort d’investissement.
La Cour des comptes invite l’Etat à un effort d’investissement. PASCAL PAVANI / AFP
C’est l’une des craintes de la Cour des comptes. SNCF Réseau a fait l’objet, mardi 4 décembre, d’un nouveau rapport de la haute instance financière, qui s’était déjà penchée sur l’établissement gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire (voies, rails, aiguillages, quais…) en 2012 et 2013. Mais, cette fois-ci, les magistrats de la rue Cambon arrivent à un moment charnière. La révision ferroviaire transformant le groupe public (et spécifiquement SNCF Réseau) en société anonyme et mettant fin au recrutement des cheminots au statut a été promulguée cet été. Et la conclusion de la Cour sur ce point peut tenir en une courte phrase : ce qui a été décidé était nécessaire mais n’est pas suffisant.

L’objectif fondamental de la Cour était d’évaluer les effets de la réforme de 2014, et de jauger de l’efficacité et de la sincérité du contrat de performance 2017-2026, effectué entre l’Etat et SNCF Réseau il y a deux ans. Mais, bousculés par le calendrier, les magistrats financiers ont fait preuve de souplesse en intégrant à leur travail les effets supposés de la réforme de 2018, ce « pacte ferroviaire » voulu par Emmanuel Macron et Edouard Philippe.

Leur constat est préoccupant. Malgré plus de dix ans de prise de conscience, malgré la réorganisation de 2014 qui a abouti, entre autres, à la création de SNCF Réseau, malgré les 46 milliards d’euros d’investissements inscrits dans le contrat de performance, le réseau ferré de France n’est pas tiré d’affaire. Certes, la spirale du vieillissement a été stoppée par les efforts de remise en état entrepris lors du quinquennat Hollande (30,5 ans d’âge moyen de la voie en 2016 contre 32,4 ans en 2013) mais, pour reprendre une formule du rapport, « le modèle financier est en échec ».

Gros besoins d’investissements

Au premier lieu des accusés : l’Etat-investisseur qui ne l’est pas suffisamment, selon la Cour. L’exemple le plus frappant concerne toujours ce fameux contrat de performance 2017-2026, présenté lors de sa publication comme l’outil clé de réparation d’un système ferroviaire malade. Ce dernier prévoyait, rappellent les magistrats, « de porter les investissements annuels de renouvellement à 3 milliards d’euros en 2020 pour ensuite se stabiliser. La Cour constate toutefois que, retraité en euros constants, ce choix revient de fait à réduire les efforts d’investissement dès 2020 et à atteindre à partir de 2022 un niveau inférieur à 2017. »

Mais il y a pis. Les mesures financières majeures introduites lors des débats sur la réforme ferroviaire semblent insuffisantes. L’annonce d’une augmentation des investissements de 200 millions d’euros supplémentaires par an à compter de 2022 ? « Cet effort supplémentaire ne répondra pas à tous les besoins de rénovation et de modernisation du réseau », dit le rapport. La reprise de dette de 35 milliards d’euros par l’Etat entre 2020 et 2022 ? « Cette mesure n’est pas suffisante, répondent les magistrats. Les besoins d’investissements sont tels dans les années à venir que SNCF Réseau ne peut les couvrir par son seul autofinancement, même avec d’importants efforts de performance. La couverture (…) de ces investissements par l’Etat est une nécessité au risque de voir la dette du gestionnaire d’infrastructure se reconstituer. »

Conclusion : reprenant à son compte le chiffre avancé par SNCF Réseau de la nécessité de disposer de 3,5 milliards d’euros d’investissement chaque année (soit 500 millions de plus que la programmation), la Cour des comptes invite l’Etat à investir au-delà des efforts annoncés.

Problèmes de modernisation

Mais le gouvernement n’est pas le seul à être interpellé. SNCF Réseau est aussi critiqué pour ses difficultés à se moderniser : projets en retard et en surcoût (en particulier, le programme de commande centralisée des aiguillages décidé en 2006 et dessiné seulement en 2013), gains de rendement peu consistants lorsqu’on les mesure en nombre de personnes employées par métier. Les magistrats accordent tout de même quelques satisfécits à la direction actuelle, en particulier sur sa capacité à recourir à du matériel technique puissant et efficace comme les trains usines pour renouveler la voie ou les mégagrues ferroviaires pour poser des aiguillages monumentaux.

Alors que faire ? Dans ses recommandations, l’institution insiste sur l’importance du futur contrat de performance qui liera l’Etat à SNCF Réseau : sur sa précision, sa sincérité, sa crédibilité. Il sera la façon de transformer l’essai de la réforme. La Cour exhorte aussi les protagonistes (SNCF Réseau, Etat, personnel) à profiter du moment – la mise en place concrète de la nouvelle réforme – pour discuter des accords sociaux qui n’entravent pas l’entreprise. Et elle suggère de regarder en face le devenir des petites lignes ferroviaires peu utilisées. Un sujet politiquement compliqué, qui devrait faire l’objet d’un autre rapport de la Cour des comptes en 2019.

 

Quelle protection pour les travailleurs des plates-formes ?

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« Si le contrat a été rompu à la suite de l’assignation, il faudra prévoir une requalification en licenciement, avec indemnités de préavis et de licenciement, plus indemnisation pour défaut de cause réelle et sérieuse. »
« Si le contrat a été rompu à la suite de l’assignation, il faudra prévoir une requalification en licenciement, avec indemnités de préavis et de licenciement, plus indemnisation pour défaut de cause réelle et sérieuse. » Christophe Lehenaff / Photononstop

Après quelques années de tâtonnements judiciaires, le modèle écono­mique de certaines plates-formes de livraison reposant sur l’évitement du droit du travail et des cotisations sociales a été remis en cause par l’« arrêt Take Eat Easy » rendu par la Cour de cassation le 28 novembre, qui a requalifié en salarié un livreur à vélo déclaré comme travailleur indépendant.

L’enjeu est de protéger les coursiers de cette plate-forme numérique, ces « tâcherons » 3.0 corvéables à merci. Mais aussi d’éviter une concurrence déloyale, avec le risque d’une contagion générale à la baisse pesant sur les conditions de travail : car, ici comme ailleurs,« la mauvaise monnaie chasse la bonne ». A quoi bon payer les cotisations ­sociales et l’assurance-chômage liées au salariat, respecter des horaires et des rémunérations légales et conventionnelles contrôlés par l’inspection du travail si le concurrent employant des microentrepreneurs peut les faire travailler sur commande douze heures par jour, la nuit ou le dimanche, pour une rémunération inférieure au smic ?

Modèle militaro-industriel

Mais l’opposition entre heureux salarié et travailleur indépendant honteusement exploité est un peu courte. Restée sur le modèle vertical militaro-industriel des « trente glorieuses » avec prévisions à deux ans, cette approche est mal adaptée à la « révolution de l’immatériel ». Y compris en termes de lutte contre le chômage : en cas de dépôt de bilan de plates-formes, que deviendront les dizaines de milliers de cyclistes Deliveroo et autres chauffeurs Uber souvent discriminés à l’embauche, et pour lesquels il est plus facile de trouver des clients qu’un employeur ? Ces travailleurs cherchent moins un patron avec des ordres et des horaires que le très protecteur régime général de la Sécurité sociale (les accidents sont fréquents) lié à l’existence d’un contrat de travail.

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Si le droit du travail ne s’adapte pas au rythme des entreprises d’aujourd’hui, et aux travail­leurs au niveau scolaire et à l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle différents, son évitement est prévisible. D’une part, la requalification des indépendants en salariés s’appuie sur leur géolocalisation par l’employeur, et, d’autre part, ne peuvent être requalifiés que ceux qui en font la demande. Si la plate-forme ne modifie pas son organisation, en particulier son mode de géolocalisation (un SMS n’est pas une géolocalisation permanente) pour se mettre à l’abri de la requalification en salariat, si la cour de renvoi plie, si beaucoup d’autres coursiers vont au contentieux, ces conséquences – d’abord rétroactives – pourraient être cataclysmiques.