« 100 euros par mois » en plus pour les travailleurs rétribués au salaire minimum : c’était l’une des annonces phares de l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron, lundi 10 Décembre. Mais cette formule, destinée à répondre aux revendications des « gilets jaunes », soulève de nombreuses questions. Qui pourra effectivement prétendre à cette hausse de pouvoir d’achat ? S’agit-il d’une hausse du salaire minimum ou d’une aide de l’Etat ? Nos précisions en huit questions.
- Un salarié au smic verra-t-il ses revenus augmenter de 100 euros par mois ?
- Les salariés qui gagnent un peu plus que le smic en bénéficieront-ils aussi ?
- Et les salariés à temps partiel ?
- La hausse sera-t-elle automatique ?
- Est-ce l’Etat qui paiera ?
- La hausse de la prime d’activité peut-elle rendre imposable ?
- La prime d’activité est-elle écartée du calcul des droits au chômage et à la retraite ?
- La hausse du smic en 2019 sera-t-elle la plus importante depuis plus de 10 ans ?
1. Un salarié au smic verra-t-il ses revenus augmenterde 100 euros par mois ?
C’EST PLUS COMPLIQUÉ
« Le salaire d’un travailleur au smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur », a affirmé Emmanuel Macron, lundi 10 décembre. Derrière cette formule simple se cachent en fait des situations variables. Le chiffre de 100 euros englobe deux mesures différentes,
-
la baisse des cotisations salariales en 20
- 8, qui représente un peu plus de 20 euros par mois pour un salarié au smic à temps plein ;
- la hausse du montant maximum de la prime d’activité de 80 euros net. Cette aide devait initialement augmenter quatre fois de 20 euros, de 2018 à 2021. Elle devrait finalement augmenter d’environ 60 euros début 2019 après une première hausse de 20 euros en octobre 2018.
Tout le monde ne gagnera pas « 100 euros par mois »
Selon la même source, le calcul d’Emmanuel Macron ne tenait pas compte de la revalorisation légale du smic de 1,8 % au 1er janvier 2018 (soit environ 20 euros net de plus). Ce qui fait que, dans le meilleur des cas, un salarié au smic pourrait prétendre à un revenu mensuel net d’environ 1 430 euros en 2019, contre 1 307 euros fin décembre 2017.
Attention, en revanche : si la baisse des cotisations salariales concerne tous les salariés, la prime d’activité est versée sous conditions de revenus, et c’est l’ensemble du foyer qui est pris en compte. Ainsi, un salarié au smic peut ne pas être éligible à la prime d’activité en fonction des revenus de son conjoint.
De même, le chiffre de « 80 euros » d’augmentation de la prime d’activité correspond à un montant maximal théorique. Mais celui-ci peut être moindre selon la situation réelle des salariés. Il faudra en réalité attendre de connaître les détails des règles de calcul retenues par le gouvernement pour estimer réellement qui gagnera combien en janvier 2019.
2. Les salariés qui gagnent un peu plus que le smic en bénéficieront-ils aussi ?
OUI
Les salariés qui ont des revenus légèrement supérieurs au smic sont, pour la plupart, éligibles à la prime d’activité. Les plafonds de revenus pour obtenir cette aide sont actuellement d’environ :
- 1 500 euros net pour une personne seule, soit près de 1,3 smic ;
- 2 200 euros pour un couple sans enfant où un seul membre travaille ainsi que pour un parent isolé avec un enfant, soit près de 1,9 smic ;
- 2 900 euros pour un couple de deux enfants dont les deux membres travaillent, soit un peu moins de 2,5 smic.
La prime d’activité n’augmentera pas de 80 euros pour tout le monde
Au total, la hausse de la prime d’activité devrait concerner au moins 2,66 millions de foyers qui représentent 5,43 millions de Français, soit le nombre d’allocataires en juin 2018. Et elle pourrait en toucher davantage puisque tous les ménages qui peuvent y prétendre ne la demandent pas pour l’heure, mais cette proportion a sensiblement augmenté depuis 2016. Cela représente une population plus importante que les seuls salariés au smic, qui étaient 1,98 million début 2018.
Attention, en revanche : la hausse de la prime d’activité ne sera pas de 80 euros pour tout le monde, et la règle actuelle de calcul fait qu’elle diminue avec les revenus. A situation identique par ailleurs, un salarié à 1,2 smic touche une prime plus faible qu’un salarié au smic. Là encore, il faudra attendre le détail du futur calcul de la prime d’activité pour bien en mesurer les conséquences sur chacun.
3. Et les salariés à temps partiel ?
OUI
Les salariés à temps partiel seront aussi concernés par la hausse de la prime d’activité. Son mode de calcul, complexe, est basé sur un montant forfaitaire théorique, qui peut être augmenté selon la situation du foyer, mais diminue en fonction des ressources totales de celui-ci.
Augmenter la prime d’activité est plus favorable aux salariés à temps partiel que la hausse du smic
Cela veut dire qu’un salarié à temps partiel qui gagne moins que le smic peut donc parfois prétendre à une prime supérieure à celle versée à un salarié au smic à temps plein. Les partisans d’une revalorisation de la prime d’activité, comme l’économiste Gilbert Cette, estiment que c’est tout l’intérêt du dispositif, qui permet ainsi de favoriser les travailleurs et de combattre la pauvreté.
Prudence, là encore : il faudra attendre le détail du futur calcul de la prime d’activité pour bien en mesurer les conséquences sur chacun.
4. La prime sera-t-elle versée automatiquement ?
NON
La prime d’activité n’est pas automatique, il faut la solliciter, en ligne par exemple. Une majorité, mais pas l’intégralité des personnes qui pourraient en bénéficier, le fait : les rapports indiquent que seulement un peu plus de 70 % des salariés éligibles touchaient cette aide en 2016, en raison notamment d’un défaut d’information.
Ces chiffres montrent que bien qu’il existe une marge de progression, la prime d’activité fonctionne bien mieux que son ancêtre, le RSA activité, que seuls 32 % des salariés éligibles demandaient.
C’est d’ailleurs ce taux de recours élevé, supérieur aux prévisions du ministère de l’économie, qui a fait grimper le coût final de la prime par rapport aux mesures qu’elle a remplacé (RSA activité et prime pour l’emploi).
Notons enfin que pour ceux qui perçoivent déjà la prime d’activité dans sa formule actuelle, sa revalorisation sera automatique.
5. Est-ce l’Etat qui paiera ?
OUI
Contrairement à une hausse de salaire, qui serait payée par les employeurs, cette augmentation de la prime d’activité va être réglée par l’Etat. En 2017, cette prime a coûté plus de 5 milliards – plus que prévu initialement. Voilà quelques mois, le gouvernement s’inquiétait d’ailleurs de la hausse du coût du dispositif, qui risquait d’atteindre 6 milliards en 2019, selon Gérald Darmanin, qui n’excluait pas de remettre à plat le dispositif de calcul.
6. La hausse de la prime d’activité peut-elle rendre imposable ?
NON
Une rumeur véhiculée sur certains groupes Facebook de « gilets jaunes » affirme que certains salariés vont devenir imposables à cause de la hausse de leurs revenus. C’est peu probable, hors situations exceptionnelles : la prime d’activité est en effet non imposable. Son augmentation ne change donc rien à la déclaration de revenus des personnes concernées.
7. La prime d’activité est-elle écartée du calcul des droits au chômage et à la retraite ?
OUI
Si la prime d’activité n’entre pas dans le calcul de l’impôt sur le revenu, elle n’est pas prise en compte non plus dans le calcul des droits à la retraite et au chômage. C’est l’une des raisons pour lesquelles on ne peut pas vraiment présenter cette aide comme un « salaire » à proprement parler
8. La hausse du smic en 2019 sera-t-elle la plus importante depuis plus de dix ans ?
NON
Interrogée sur France Inter mardi, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, a rappelé que s’il n’y avait pas de « coup de pouce » supplémentaire au salaire minimum, celui-ci augmentera tout de même de 1,8 % en janvier. Cette hausse est « la plus grosse augmentation depuis treize ans », selon elle.
La revalorisation du smic de 1,8 % au 1er janvier est certes plus importante que les précédentes, mais depuis 2012 seulement. A son arrivée au pouvoir, François Hollande avait revalorisé le salaire minimum en juillet 2012 de 1,95 %, avant de procéder, par la suite, à des augmentations minimes (entre 0,32 % et 1,06 %) jusqu’au terme de son mandat.
Auparavant, Nicolas Sarkozy avait également procédé à trois augmentations supérieures à 2 % lors de son quinquennat, de 2008 à 2011. Ce qui contredit les propos de la ministre du travail.
Surtout, l’évolution du salaire minimal s’apprécie aussi en fonction de celle des prix à la consommation. Or, les prix à la consommation ont bondi de plus de 2 % en 2018, selon l’Insee, là où le salaire n’a augmenté que de 1,2 % au début de l’année. De quoi relativiser fortement le caractère exceptionnel de la hausse du smic de 1,8 % début 2019.
Les représentants du personnel n’ont pas été ébahi en raison de la cure d’économies assujetti par le gouvernement à l’ensemble de l’audiovisuel public, dont France Télévisions – qui dispose de 2,5 milliards d’euros d’argents publiques – assume la plus grande part : 160 millions en moins d’ici à 2022. L’effort financier réel devrait se situer plutôt aux alentours de 350 millions si l’on prend en compte le glissement naturel des charges et l’obligation imposée par la tutelle d’investir dans le numérique.
« Faire partir les seniors »
Ce qui est récent, c’est la solution retenue. Mme Ernotte a en effet expliqué au Comité social et économique central (CSEC), la plus haute instance représentative du personnel, vouloir recourir à un plan de départs sous forme d’une rupture conventionnelle collective (RCC). Cette procédure, créée par les ordonnances Macron ayant réformé le code du travail en 2017, permet à une entreprise de négocier des plans de départs volontaires sans justifier de difficultés économiques.
Ce plan sera financé, a assuré aux représentants syndicaux Delphine Ernotte. « On aura les moyens », explique-t-on à France Télévisions. Le gouvernement a donc donné son accord, mais aucun détail n’est fourni pour le moment. Les deux derniers plans de départs volontaires dans l’entreprise publique remontent à 2009-2012 et 2014-2015. Ils avaient coûté respectivement 27,5 millions d’euros et 28 millions, et conduit à 696 et 305 départs, soit près de 40 000 euros par personne pour le premier et plus de 90 000 pour le second, selon un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2016. Mais cela n’avait guère permis de rajeunir l’effectif de l’entreprise, où l’âge moyen est de 49 ans, souligne ce rapport.
D’après Arnaud Lesaunier, directeur général délégué des ressources humaines de France Télévisions, il s’agit cette fois à la fois de diminuer les effectifs, mais aussi de permettre « une mixité sociale et générationnelle dans l’entreprise ». Actuellement, la pyramide des âges à France Télévisions ressemble à une toupie affûtée : la moitié des effectifs a 50 ans ou plus, à peine 3 % ont 30 ans ou moins. « Il y a à la fois une ambition de transformation, sinon on ne sera pas au rendez-vous, et dans le même temps nous avons des économies à réaliser », explique-t-il. Marc Chauvelot, délégué syndical central CGT, y voit une résolution de « faire partir les seniors et embaucher des jeunes formés au numérique dans une vision productiviste ».
« Ambition sur le numérique »
Là non plus, aucun chiffre n’est annoncé du côté de la direction. M. Chauvelot évoque 2 000 départs et 1 000 embauches, soit un déficit net de 1 000 pour un effectif total de 9 600 employés à temps plein, dont 8 400 permanents. Des chiffres que M. Lesaunier refuse de confirmer ou de démentir : « On les réserve aux organisations syndicales. » Mme Ernotte a également annoncé son intention de réviser l’accord collectif signé en mai 2013.
Dans une motion, les élus du CSEC ont dénoncé une « restructuration de grande ampleur ». Pour Serge Cimino, délégué SNJ, se met en place « un modèle low cost qui sous couvert d’une ambition sur le numérique se résume à une question de maîtrise des coûts ». Delphine Ernotte insiste, elle, sur le mot « transformation »et sur le dialogue social. Aucun départ ne sera contraint, affirme-t-elle. Il s’agit, détaille M. Lesaunier, à la fois d’accompagner ceux qui voudront partir, de garder les « talents » parmi les non permanents et d’en recruter de nouveaux, bref de préparer l’entreprise pour demain. « Nous avons besoin de compétences portées par toutes les générations », souligne-t-il. Car, plus généralement, « un plan de formation et d’accompagnement à la transformation sera mis en œuvre », insiste-t-il. « C’est un moment nécessaire, mais il faut qu’on en fasse un moment utile en dialoguant avec les organisations syndicales », insiste M. Lesaunier.
Les échanges vont commencer début janvier. Un RCC doit obtenir un accord majoritaire au sein des syndicats représentatifs (CGT, FO, CFDT et SNJ). Dans leur motion, les syndicats ont fait front uni et ont d’ores et déjà annoncé refuser « un nouveau plan de suppression de postes, s’ajoutant à ceux en cours ». Le paquebot France Télévisions est entré sur une mer agitée.