L’avenir de l’emploi à l’heure du digital
Les changements du travail face à la croissance des outils digitaux sont au programme de la première édition de RESO, le 14 mai 2019 à Montpellier, lors de tables rondes et de conférences.
De prime accueil, l’apaisement. Le tout récent rapport de l’Organisation de collaboration et de développement économiques (OCDE) sur L’Avenir du travail, divulgué le 25 avril, estime à 14 % la part des emplois tourmentés de l’absence dans les prochains vingt ans pour cause de changement technologique. Le World Economic Forum de Davos estimait lui, en septembre 2018 dans The Future of Jobs, que l’automatisation, si elle allait effacer 75 millions d’emplois dans le monde, en créerait simultanément 133 millions, donnant raison aux tenants des thèses de Schumpeter sur la « destruction créatrice ».
Une nouvelle insouciance met en lumière des enjeux qui, à l’analyse, ne sont pas moins dévastateurs
Cet insouciance rompt avec plusieurs années de bouleversement enseigné – de précédentes études, émanant y compris d’instances universitaires renommées comme l’université d’Oxford, jaugeaient à 50 % ou plus la part des emplois directement alarmés par la transformation digitale. Mais il met en lumière des enjeux qui, à l’analyse, ne sont pas moins destructeurs. Davos comme l’OCDE pointent en effet une triple intimidation.
Pluseurs menace
La première porte sur la concentration du marché de l’emploi. La nouvelle économie est en effet forte consommatrice de profils compétents et laisse de moins en moins de place aux jobs dits intermédiaires. Quant aux emplois peu ou très peu qualifiés, s’ils poursuivent voire se développent, c’est au prix d’une fragilisation croissante et de revenus faibles.
La deuxième touche aussi la France plus que d’autres : la condition sine qua non pour embarquer les actifs dans la transmutation des emplois et des entreprises réside dans l’efficacité du système de formation continue. Or l’an passé, dans l’Hexagone, seul un actif sur trois s’est formé, et comme il est d’usage, ce sont les plus qualifiés qui ont encore le plus profité de ces mises à niveau.
Les primordiales victimes de cette « quatrième révolution industrielle » risquent d’être les classes populaires et les classes moyennes
La troisième fulmination découle des deux premières ; elle intéresse les effets sociaux de cette « quatrième révolution industrielle », dont les primordiales victimes risquent d’être les classes populaires – de l’emploi, certes, mais plus souvent précaire, à temps partiel et mal rétribué – et les classes moyennes – moins d’emplois conciliateurs. Facteur aggravant pour la France : les positions professionnelles y étant plus qu’ailleurs figées dès la fin des études, cette concentration risque d’accroître encore les effets sociaux des différences scolaires.
La Camif, commerçante en ligne de meubles et de linge de maison, est des premières « entreprises à mission ». Déterminé par la loi Pacte, ce statut dédie la notion d’intérêt social et ouvre la voie à une récente vision de l’entreprise. Son PDG, Emery Jacquillat, a prévenu tout le monde en faisant transformer les statuts de son entreprise dès novembre 2017.
Le capitalisme tel qu’on l’a connu vit-il ses dernières heures ?
Je ne peux pas le découvrir, mais il est vrai qu’il y a un modèle qui doit naître, et vite : un modèle d’entreprise plus participative avec une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire. Le chantier est énorme, il faut tout réinventer : le management, le modèle d’affaire, le cœur de l’offre… Nous n’avons plus le choix, il faut rendre nos activités acceptables sur le plan social et environnemental.
Est-ce que le passage sera doux ? Je ne le crois pas. Il y a aura des sociétés, des territoires et des régions qui seront incapables de s’assembler. Seules les entreprises les plus agiles et qui sauront utiliser le digital seront encore là dans vingt-cinq ou cinquante ans. Les actionnaires visionnaires auront vite compris que pour continuer à faire du profit il faudra miser sur des entreprises à impact positif. Le capitalisme responsable, c’est le capitalisme qui a tout compris.
Est-ce que vous restez optimiste pour la suite ?
Oui. Il y a chez de nombreux chefs d’entreprise et les collaborateurs cette soif de donner du sens. La prise de conscience collective s’est opérée dans les deux dernières années avec l’arrivée de Trump au pouvoir et la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris, la reproduction des rapports scientifiques alarmistes et plus récemment la démission de Nicolas Hulot. Les politiques ne savent plus faire ; c’est à nous de faire. L’entreprise « à mission » arrive à ce moment de notre histoire, pour arriver à encourager les entreprises à prendre des promesses qui se traduisent par des objectifs concrets et mesurables sur les enjeux sociaux et environnementaux.
Comment le digital peut-il aider les entreprises à prendre ce tournant ?
Tous les deux ans, on double le nombre de publications, de consciences abordables partageables par l’humanité. La donnée et l’intelligence sont aussitôt accessibles à toutes les entreprises. Je prends l’exemple de l’application Yuka, qui admet de scanner les produits alimentaires et d’estimer leur impact sur la santé. L’application utilise la base de données Open Food Facts. Demain l’IA sera accessible de la même manière. Tout l’enjeu est de s’obtenir de cette richesse d’informations pour la traduire en valeur économique, sociale et environnementale pour adoucir les défis.
La Camif est l’une des deux premières entreprises françaises à s’être affectées dans leurs statuts d’un « objet social étendu », « au bénéfice de l’homme et de la planète ». Comment y parvenir quand on vend des meubles et des objets de décoration ?
Demain on attirera mieux mais moins. Nous devons octroyer de la valeur aux objets qui nous terminent. En 2017, quand nous avons défini nos objectifs, nous avons acceptés qu’on n’y arrive pas en posant clairement notre cahier des charges sur la table des fabricants. Nous avons organisé un « Camifathon » pour assembler designers, consommateurs, fabricants et experts en économie circulaire.
De ces trois jours d’ateliers participatifs sont nées des collaborations, parfois entre des entreprises compétitrices, pour créer notre propre marque d’objets fabriqués à partir de déchets (canapés en tissus recyclés, matelas en matières recyclées, etc.). Pour nous, c’est une modification complete de métier. Nous passons de dispensateur à éditeur de meubles. Les chefs de produit deviennent des chefs de projets. C’est passionnant pour les équipes.
« Ce qu’on est en train de faire, je pense qu’on peut le faire dans tous les métiers »
Le digital permet aussi une meilleure information du client. Sur chaque fiche produit nous donnons le pays de fabrication, la liste des composants, des informations sur le fabricant… Nos recherches montrent que les clients veulent en savoir plus. Est-ce que les salariés sont heureux ? Est-ce que l’entreprise paye ses impôts en France ?
Cette clarté de l’information et la traçabilité des produits sont essentiels pour restituer la confiance dans les marques et permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé. Cette révolution, on la mène à notre petite échelle. Quand on contient de fermer notre site le jour du Black Friday, cela a un impact fort dans notre écosystème. Ce qu’on est en train de faire, je pense qu’on peut le faire dans tous les métiers.