Chez les employeurs, les normes associées à la « génération Y » et à la jeunesse sont plus puissantes en France qu’ailleurs en Europe, selon une étude.
Lorsqu’elle a débarqué sur le marché du travail, début août, avec son double master en ressources humaines et gestion sous le bras, Zoë Dravert était pleine de confiance, pleine d’enthousiasme. Mais sans doute un peu « trop » . « Quand j’ai dit au recruteur que j’avais plein d’idées pour l’entreprise, il m’a soupçonnée d’avoir un problème avec l’autorité, relate la jeune femme de 26 ans avec amertume. Je lui ai répondu qu’on pouvait être à la fois ambitieuse et respectueuse de la hiérarchie. Il m’a dit que je donnais l’impression de n’en faire qu’à ma tête, et que c’était symptomatique des gens de mon âge. » La suite de l’entrevue a été du même tonneau :
« Il m’a demandé si j’étais prête à vraiment m’engager pour l’entreprise, à ne pas compter mes heures. Je suis sûre qu’il n’aurait pas posé la question à quelqu’un de plus âgé. »
Les jeunes diplômés sont-ils prisonniers de stéréotypes qu’on accole à leur génération ? Comment échapper à ces images et ces associations, lorsqu’on ne s’y reconnaît pas ? Tel est l’objet d’une étude publiée en juillet 2019 par Jean Pralong, professeur de gestion des ressources humaines à l’EM Normandie. Le chercheur a suivi les carrières de titulaires de masters en gestion, et interrogé des managers et des cadres des ressources humaines sur leur perception des jeunes diplômés dans l’Hexagone et dans cinq pays européens (Royaume-Uni, Portugal, Suisse, Pays-Bas et Allemagne).
« Individualistes », « trop créatifs »…
Trois stéréotypes sur les « jeunes diplômés » sont ressortis : les jeunes débutant leur carrière aujourd’hui seraient très attachés à l’équilibre vie privée/vie professionnelle, auraient de fortes attentes sur le cadre de travail et seraient difficiles à fidéliser. Ils seraient très individualistes, auraient du mal à supporter l’autorité, ce qui complique leur intégration dans des équipes. Ils seraient très, voire trop créatifs. « Toutes ces croyances sont relativement partagées dans les six pays étudiés. Mais c’est en France qu’elles sont les plus fortes, d’après nos résultats », explique Jean Pralong.
Un des constats de départ de son étude : à compétences égales, selon Eurostat, les jeunes diplômés sont moins attractifs en France que dans les autres pays européens. Les bac + 5 tricolores sont 9,2 % à être au chômage un an après leur diplôme, contre seulement 3,7 % pour leurs homologues du reste de l’Union européenne.
Le chercheur y voit un effet direct des « images négatives » associées aux jeunes en France. « Les caractéristiques supposées des jeunes sont des handicaps à leur insertion. Elles font hésiter les entreprises avant de recruter un jeune diplômé et avant de créer des postes qui leur sont destinés. Elles expliqueraient le choix des CDD comme stratégie de pré-embauche, c’est-à-dire comme moyen de vérifier concrètement qu’un jeune candidat va se comporter de façon adéquate. »
Précarité, difficultés d’intégration, établissements plus gros qu’ailleurs : les directeurs du département sont souvent seuls, en première ligne. Après le suicide de l’une des leurs, à Montreuil, ils témoignent.
Manifestation à Bobigny, le 3 octobre, suite au suicide d’une directrice de maternelle. THOMAS SAMSON / AFP
Il n’est que 11 heures, un mercredi matin, et Sophie (les prénoms ont été changés, à la demande des enseignants) est déjà débordée. En moins d’une heure de conversation, cette directrice d’école de Pantin (Seine-Saint-Denis) sera dérangée trois fois, d’abord par deux enfants, puis par une enseignante, et enfin par le directeur d’une école voisine. « Si vous ne m’aviez pas appelée, je ne me serais pas assise à mon bureau de toute la matinée », résume-t-elle. A 53 ans, cette enseignante déchargée « à plein temps » – elle ne fait plus la classe et se consacre à sa fonction de directrice – dirige seule une école primaire de quinze classes, soit 360 élèves.
C’est à quelques centaines de mètres de là, dans la même ville, que travaillait Christine Renon, la directrice de maternelle retrouvée morte le 26 septembre dans son établissement. Plusieurs milliers d’enseignants se sont donné rendez-vous, jeudi 3 octobre, pour exprimer leur tristesse et leur colère devant les services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, le jour de ses obsèques.
Avant son suicide, l’enseignante avait envoyé des lettres à ses collègues et à l’inspection d’académie, où elle dénonçait ses conditions de travail. Un mouvement de grève à l’appel de l’intersyndicale du premier degré a rassemblé jeudi 43 % de grévistes en Seine-Saint-Denis et 23 % sur l’académie de Créteil, selon le ministère de l’éducation nationale. Le SNUipp, syndicat majoritaire dans le premier degré, revendique 65 % de grévistes en Seine-Saint-Denis.
Département le plus pauvre de métropole
Si l’émotion s’est exprimée partout en France, la situation des écoles de Seine-Saint-Denis est particulière. Le département le plus pauvre de France métropolitaine compte 1,6 million d’habitants : 29 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté (pour 14 % de moyenne nationale), et 39 % dans des quartiers « politique de la ville » (QPV). A ce public spécifique s’ajoute la taille des établissements : 37 % des écoles de Seine-Saint-Denis ont plus de onze classes – soit plus de 250 enfants – alors que la moyenne nationale est à 9 %.
L’arrêt de la dernière usine française à Sarlat signe la fin d’une époque. La production de tabac souffre de la concurrence des géants chinois, brésilien et indien.
Eric Tabanou, le directeur de Tabac France, à Sarlat-la-Canéda (Dordogne), le 20 septembre. MEHDI FEDOUACH / AFP
Le dernier atelier de transformation de tabac, installé à Sarlat-la-Canéda (Dordogne), dans le Périgord, ferme ses portes. Tout un symbole. Cet arrêt signe la fin de la filière tabac en France. Un projet de structuration de la tabaculture française avait pourtant été déposé en décembre 2017, à la demande du président Emmanuel Macron qui avait sollicité en ce sens l’ensemble des filières agricoles françaises. Il reste encore 670 agriculteurs planteurs de tabac sur le territoire. Combien seront-ils demain ?
« Leur nombre passera très vite à 400 voire 300 », pronostique François Vedel, président de la Fédération nationale des producteurs de tabac (FNPT). Il évoque l’irrésistible déclin de la culture de cette plante en France. Quelques chiffres illustrent cette évolution rapide. M. Vedel estime qu’au tournant des années 1970, lorsque les Français fumaient encore dans leur voiture, 41 000 agriculteurs produisaient du tabac sur 20 000 hectares. Ils en récoltaient près de 46 000 tonnes. En 2010, il ne restait plus que 2 000 exploitants sur 6 900 hectares et la production n’était plus que de 17 000 tonnes. Quant à la dernière récolte jaugée par l’institut public FranceAgrimer, celle de l’année 2018, elle n’était plus que de 7 000 tonnes sur une superficie cultivée de 2 700 hectares.
Beaucoup d’éléments concourent à expliquer cette attrition. Le coût de la main-d’œuvre tout d’abord. En effet, la culture du tabac nécessite beaucoup de travail. Même si la mécanisation a fait son œuvre, réduisant l’effort de moitié, « il faut encore compter près de trois cents heures de travail à l’hectare. A comparer aux cinq heures de travail par hectare pour le maïs », affirme M. Vedel. Cette demande de bras, en particulier lors des récoltes en juillet et août, a longtemps bénéficié du cercle familial élargi venant prêter main-forte à la ferme. Une forme de travail informel qui a quasiment disparu, alourdissant d’autant la facture.
Mondialisation
La culture, souvent vue comme un juteux apport financier pour les petites exploitations de polyculture-élevage, est devenue progressivement moins rentable. Cette perte d’intérêt économique a connu un coup d’accélérateur avec le changement de cap de la politique agricole commune (PAC) en 2010. L’aide spécifique à cette culture a disparu. Une décision en conformité avec la politique de santé publique européenne. La lutte contre le tabagisme est devenue une priorité des autorités sanitaires des pays de l’Union. Progressivement, l’aide à l’hectare que continue à toucher chaque agriculteur a tendance à converger vers un montant moyen défini à l’échelle européenne, le tabac perdant toute spécificité.
Le 23 septembre, Christine Renon, directrice d’une école maternelle en Seine-Saint-Denis, se donnait la mort. Elle expliquait son geste dans une lettre. Johanna C., directrice d’école en Seine-Maritime, raconte ce qu’elle a ressenti à la lecture de sa lettre.
Par Violaine MorinPublié aujourd’hui à 11h29, mis à jour à 11h31
Temps de Lecture 2 min.
M Le magazine du Monde
« Quand j’ai découvert le suicide de Christine Renon, sa lettre d’adieu était déjà en ligne. Je l’ai lue sur Twitter, mon principal canal d’information avec la radio. Ses premiers mots, j’aurais pu les écrire. La suite me correspond moins, car je ne suis pas dans une situation aussi grave. Mais je me suis retrouvée dans ce qu’elle dit sur l’accumulation de détails qui finissent par générer une terrible charge mentale.
Quand on est directeur d’école, on change de métier à mesure que les problèmes surviennent. Je deviens infirmière pour un enfant qui s’est blessé, gestionnaire pour un colis qui arrive ou pour un enseignant qui a un problème de photocopieuse… Heureusement, j’ai moins la casquette d’assistante sociale que des collègues comme Christine Renon : je ne rencontre ces problèmes-là que deux ou trois fois par an. Pour certains, c’est tous les jours qu’il faut gérer les signalements et les conflits avec les parents…
Moi, je voudrais juste qu’on me prête un escabeau pour remettre en place les rideaux occultants que j’ai dû déplacer en urgence pendant la canicule de juin et qu’on retrouve ma commande de matériel de soins qui a été perdue – ma pharmacie est vide à force d’attendre. Ce métier, c’est être pris en permanence dans des injonctions contradictoires. Je dois organiser les classes pour la canicule, mais le personnel censé intervenir ne pourra pas se déplacer avant le début des fortes chaleurs. Je dois assurer la sécurité des élèves, mais les gens entrent et sortent de l’école – malgré le plan Vigipirate – sans se signaler. Cela me met une épée de Damoclès au-dessus de la tête : le jour où il y aura un problème, ce sera de ma faute.
« Au fond, il y a une idée qui se dégage de la lettre de Christine pour nous tous, les directeurs : est-ce que ça vaut la peine de continuer ? On a choisi d’exercer cette fonction, mais on le paie très cher. »
Au fond, il y a une idée qui se dégage de la lettre de Christine pour nous tous, les directeurs : est-ce que ça vaut la peine de continuer ? On a choisi d’exercer cette fonction, mais on le paie très cher. Je ne suis déchargée de mes heures d’enseignement qu’une journée par semaine, mon école n’ayant que six classes. Et pourtant, je n’ai pas envie de renoncer à ma classe. Quand mes élèves de CP réalisent qu’ils savent lire, ils ont des étincelles dans le regard. Quand ils écrivent leur première phrase sans faute, qu’ils réussissent à se corriger seuls… J’ai la chance de les avoir à l’âge des premières fois ! Hier, j’ai passé ma journée à penser à Christine, en me disant, au fur et à mesure que ma journée s’envenimait, que je n’étais pas au point où elle en était.
On me répète souvent que mon école n’est pas à plaindre, car elle n’est pas en éducation prioritaire. Mais une chose est sûre : la boule dans la gorge que Christine évoque dans son courrier, je la connais. Le même jour, des collègues se sont disputées à propos du café. J’ai essayé de relativiser : si on se dispute à propos du café, c’est qu’on n’a pas de problème plus important… ou bien peut-être est-on tellement sous pression que même la pause-café devient un problème ? »
Gérard Houa, ancien actionnaire minoritaire d’Aigle Azur, propose de reprendre la compagnie placée en redressement judiciaire et d’y investir 30 millions d’euros.
Par Guy DutheilPublié hier à 11h12, mis à jour à 11h09
Temps de Lecture 2 min.
Lueur d’espoir ou dernier sursis ? Une offre de reprise de la compagnie aérienne XL Airways, placée en redressement judiciaire le 23 septembre, a été déposée, mercredi 2 octobre, juste avant l’audience du tribunal de commerce de Bobigny. Elle émane de la société Lu Azur, fondée par Gérard Houa, l’un des actionnaires minoritaires d’Aigle Azur, placée en liquidation judiciaire le 27 septembre par le tribunal de commerce d’Evry.
M. Houa avait été l’un des candidats repreneurs déclarés d’Aigle Azur, avant que son projet soit écarté par le tribunal au motif qu’un actionnaire ne pouvait être candidat à la reprise de sa propre société. Lu Azur assure pouvoir apporter 30 millions d’euros pour relancer la compagnie, dont 15 millions d’euros de fonds propres et 15 millions sous forme d’un prêt d’actionnaire.
Il s’agit d’un montant proche des 35 millions d’euros recherchés par Laurent Magnin, PDG de XL Airways, pour financer son activité. Outre cet investissement, M. Houa se propose de reprendre 276 salariés, un peu moins de la moitié de l’effectif actuel de la compagnie. De même, il ne conserverait que deux des quatre appareils de la flotte. Le potentiel repreneur souhaite notamment fermer les lignes déficitaires vers la République dominicaine, les Antilles et La Réunion, pour ne conserver que les vols vers le Mexique. Le tribunal rendra sa décision vendredi.
Lancée dans sa quête d’un financement de la dernière chance, la direction de XL Airways avait auparavant cherché le soutien, mercredi, de la Banque publique d’investissement (Bpifrance). Interrogé, mardi, au micro de BFM Business, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, s’était étonné de ne pas avoir été sollicité par les dirigeants d’Aigle Azur ou de XL Airways. « Ces entrepreneurs ne sont jamais venus (…). Demandez-leur pourquoi ils ne sont jamais venus nous voir ? », s’était-il interrogé.
« Je tiens à vous informer que via votre autorité de tutelle [le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI)], nous avons, à d’innombrables reprises, sollicité votre intervention pour accompagner XL Airways », lui a répondu M. Magnin. Le 30 septembre, XL Airways a arrêté tous ses vols, laissant sans solution quelques centaines de passagers. La mise en liquidation judiciaire de la compagnie pourrait peser sur les finances de nombre de tour-opérateurs.
D’après nos informations, XL Airways avait déjà vendu plus de 130 000 billets, dont une majorité par le biais des agences de voyages. A la différence des passagers qui ont acheté leur billet en passant par le site Internet de la compagnie – et ne seront pas remboursés –, ceux qui se sont adressés à un tour-opérateur pourraient l’être.
Des enseignants et des directeurs d’établissement veulent rendre hommage à leur collègue et dénoncer leurs conditions de travail.
Publié aujourd’hui à 09h52, mis à jour à 10h15
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L’émotion, la colère, l’indignation ne s’éteignent pas, quelque dix jours après le suicide, dans son établissement, d’une directrice d’école maternelle à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Jeudi 3 octobre, jour des obsèques de Christine Renon, des enseignants et des directeurs d’école font grève et manifestent dans plusieurs villes de France afin de rendre hommage à leur collègue et de dénoncer leurs conditions de travail. Des rassemblements sont prévus devant les locaux de l’éducation nationale à Bobigny, comme dans de nombreux départements.
Dans une tribune publiée sur le site de FranceInfo, un collectif des directeurs d’école de Pantin évoque « la dégradation de [leurs] conditions de travail et toutes les responsabilités qui reposent sur [leurs] épaules » : sécurité, tâches matérielles, relations avec les parents, la municipalité ou l’inspection, accueil inadapté pour les élèves handicapés… Ils regrettent les « salaires très bas » et « la pression institutionnelle permanente ».
« L’éducation nationale, le ministre et ses représentants doivent urgemment prendre acte du geste désespéré de notre collègue et de son dernier témoignage [avant son suicide, Mme Renon a rédigé une lettre] et réagir en conséquence. Son geste ne peut pas être minoré, parce qu’il est révélateur de la souffrance au travail partagée par l’ensemble des personnels de l’éducation nationale au regard de la dégradation continue et permanente de leurs conditions actuelles de travail, en Seine-Saint-Denis et au-delà. »
Un « comité de suivi de la fonction de directeur »
MARTIN BUREAU / AFP
Une pétition réclamant « une toute autre qualité de vie au travail » lancée par une intersyndicale avait recueilli jeudi plus de 85 000 signatures.
Interrogé jeudi sur RTL, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a admis que la situation n’était « pas satisfaisante ». Il a annoncé « l’ouverture d’un comité de suivi de la fonction de directeur, auquel les organisations syndicales seront évidemment conviées, ainsi que des directeurs d’école de différents terrains de France ».
Accusé d’avoir été moins présent après la mort de Mme Renon qu’après celle de Jacques Chirac, M. Blanquer a dénoncé de « vaines polémiques ». « Bien sûr qu’il faut rendre hommage à Christine Renon et bien sûr qu’il faut rendre hommage à Jacques Chirac, a-t-il répondu. Quand on est vraiment dans la peine et dans la volonté de construire pour le bien des enfants et des personnels, on s’épargne ces reproches qui n’ont pas de sens. »
L’entrepreneuriat engagé est-il un mouvement de mode, comme on a pu le voir dans le passé, ou bien une évolution plus profonde ?
C’est vrai qu’il existe un phénomène de mode comme il a pu exister, il y a quelques années, un engouement autour de l’économie et de la finance verte. C’était souvent du greenwashing, plutôt qu’une réelle prise de conscience sur le fond. Et puis les acteurs ont fini par comprendre que cela valait la peine et que c’était socialement utile, économiquement possible, et même une bonne affaire financièrement. Ce qui était à la mode est devenu une lame de fond. Pour l’entrepreneuriat engagé, on est dans la même dynamique. Au début de l’entrepreneuriat social, la prise en compte de la gouvernance de l’entreprise était dans l’air du temps. Depuis quelques années, ces objectifs sont intégrés dans la gestion d’une entreprise. On revient sur les dogmes économiques libéraux qui ont commencé à s’appliquer à partir des années Thatcher et qui se sont amplifiés avec les politiques conduites par Tony Blair [en Angleterre] et Gerhard Schröder [en Allemagne]. La dimension sociale devient plus large, avec une vraie problématique territoriale, environnementale et la participation des salariés aux affaires qui les concernent. Le seul risque, c’est que le mot « engagé » devienne un mot-valise : il faut qu’il ait un contenu réel.
Les entrepreneurs engagés appartiennent-ils à toutes les générations, ou cela concerne t-il seulement les plus jeunes ?
Cela concerne d’abord les plus jeunes. Pour eux, la dimension engagement devient majeure dans la création d’une entreprise. Ces chefs d’entreprises veulent d’abord répondre à la problématique de l’emploi, à commencer par le leur. C’est, pour ces derniers, dont certains se sont éloignés de l’activité, une façon de s’engager dans la vie et de s’épanouir. On voit aussi qu’une grande partie d’entre eux veulent lancer une entreprise dans l’intérêt général et avoir une gouvernance partagée. L’engagement se retrouve encore dans la sphère de l’économie sociale et solidaire, car c’est sa vocation. Et j’ai l’intuition qu’un certain nombre de jeunes formés par les filières classiques, qui pourraient rentrer dans les très grandes entreprises aujourd’hui, se disent : « Je ne me réaliserai pas si je ne suis pas un projet à moi ». On voit enfin de plus en plus de grandes entreprises s’engager dans cette direction.
Vous financez essentiellement des entreprises engagées. L’engagement est-il un facteur de réussite ?
J’en suis convaincu. Nous constatons que quatre entreprises sur cinq que nous soutenons vivent au-delà de trois ans. Nous contribuons à la création de 40 000 emplois par an. Pour un emploi créé la première année, près de quatre sont engendrés au bout de cinq ans. Non seulement les entreprises survivent, mais elles se développent. Par ailleurs, il existe une dynamique collective autour d’un projet qui n’est pas uniquement orienté autour du profit, car il y a un engagement personnel du chef d’entreprise et des salariés. La réussite repose aussi sur des critères extra-financiers, et l’une de nos priorités est de mettre en place des outils pour la mesurer. Enfin, pour réussir, le chef d’entreprise doit pouvoir s’appuyer sur des écosystèmes locaux, des équipes de recherches, d’autres dirigeants, des assemblées consulaires, collectivités locales, tissus associatifs.
Entreien réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures
Trois entrepreneurs produisent du compost naturel en circuit court, à proximité des centres urbains. Objectif : participer à un retour de la nature en ville.
Rien ne se perd, tout se transforme. SEBASTIEN BOZON / AFP
Une « aberration écologique ». Alexandre Guilluy, cofondateur de la société Les Alchimistes, ne mâche pas ses mots. Les épluchures, coquilles d’œuf, marc de café et autres déchets organiques, exponentiels depuis les années 1960, sont encore trop souvent incinérés ou déposés loin des villes, parfois même à l’étranger. « C’est pourtant plus rationnel de les traiter sur place ! », lance le quadra. C’est justement la solution astucieuse que ce diplômé d’école de commerce (EDHEC) propose avec ses associés, Fabien Kenzo-Sato (Polytechnique) et Cyrielle Callot (HEC).
Chaque matin, depuis 2016, à vélo électrique ou en camion, les entrepreneurs organisent avec leur équipe de 15 salariés la collecte des déchets alimentaires de supermarchés, de restaurants ou encore de cantines scolaires. Ils apportent leur « récolte » du jour sur leurs sites micro-industriels de compostage électromécanique. Là, des sortes de longs tubes digestifs en Inox brassent et oxygènent les déchets mélangés, au préalable, avec du broyat de bois. « Cette technique permet de les transformer en engrais naturel de qualité en cinq à six semaines au lieu d’un an, voire plus », poursuit Alexandre Guilluy.
Collecte à cheval
Adeptes de l’économie circulaire et du retour de la nature en ville, les associés ont mis en place un business model bien ficelé : en amont, ils facturent le service de collecte, et en aval, ils vendent ce compost à des réseaux d’épicerie biologique, à des paysagistes, des fermes urbaines, des collectivités locales et des friches industrielles. En plein développement, Les Alchimistes sont déjà implantés à Paris, Lille, Toulon, Toulouse et Lyon, et le seront bientôt à Marseille et sur l’île de La Réunion.
Avec presque 500 000 euros de chiffre d’affaires en 2019, les associés enregistrent un résultat net « pas très loin de l’équilibre ». S’ils ont pu déployer leurs ailes, c’est notamment grâce à un prêt de 100 000 euros octroyé par France Active. L’an dernier, ils ont aussi gagné 300 000 euros en tant que Lauréat du Concours d’innovation nationale de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Et ils bénéficient d’une subvention de 700 000 euros sur les trois prochaines années de l’agence métropolitaine des déchets ménagers, le Syctom. Grâce à cette enveloppe, ils ont démarré la collecte des déchets organiques ménagers de 10 000 habitants de la ville de Stains (Seine-Saint-Denis). A cheval.
Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures
Trois entrepreneurs du Gers ont associé leurs compétences respectives pour créer une marque d’alimentation équitable disponible dans la grande distribution.
Par Laurence GirardPublié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 10h23
Temps de Lecture 1 min.
Ethiquable développe depuis Fleurance, dans le Gers, la distribution de la production de coopératives de 25 pays du Tiers-monde. PASCAL PAVANI / AFP
Chocolat, café et thé équitables, c’est le trio gagnant d’Ethiquable. Cette SCOP (société coopérative et participative), dont le siège se trouve à Fleurance (Gers), distribue ces produits sous sa marque dans les rayons de la grande distribution. En 2018, ils ont représenté 90 % de son chiffre d’affaires, d’environ 50 millions d’euros.
Autre trio gagnant, celui des entrepreneurs, Christophe Eberhart, Rémi Roux et Stéphane Comar, qui ont lancé l’aventure en 2003, au tournant de la quarantaine. Mêlant leurs expériences respectives de commercial dans l’agroalimentaire, d’intervenant dans des ONG en Amérique du Sud et de financement international, nouant des partenariats avec des coopératives de producteurs en Amérique du Sud, en Afrique comme en Asie, ils ont créé des flux d’approvisionnement de produits sur lesquels ils ont inscrit leur marque en se revendiquant du commerce équitable. L’accueil positif de la grande distribution leur a mis le pied à l’étrier. Seule limite à l’exercice, Ethiquable n’est pas présent dans les enseignes de hard-discount comme Lidl et Aldi.
Produits locaux
Les fondateurs ont opté pour un statut assez particulier de société coopérative, qui compte aujourd’hui 60 sociétaires sur les 103 salariés qu’elle emploie. Le statut de sociétaire ne s’obtient en effet qu’avec un minimum de deux ans d’ancienneté. Par ailleurs, Ethiquable n’hésite pas à travailler avec d’autres SCOP, comme Café Michel à Pessac en Gironde, avec laquelle elle a noué un partenariat. Mais aussi Scop Ti, la société coopérative ouvrière provençale de thés et d’infusions, née du projet de reprise par les salariés de l’usine Fralib à Gémenos (Bouches-du-Rhône).
Ces deux associations illustrent le virage négocié par Ethiquable au tournant des années 2010. Consciente du plafonnement de l’intérêt des consommateurs pour les produits du commerce équitable, de la croissance du marché bio et des attentes pour les produits locaux, la coopérative a fait évoluer son offre. Le label bio s’est développé et elle a lancé une nouvelle marque « locale », Paysans d’ici. Elle a donc signé des engagements avec une quinzaine d’organisations de producteurs-transformateurs en France, dans le domaine des céréales, des fruits, mais aussi des tisanes. Des organisations souvent adeptes de la vente directe mais qui, avec Ethiquable, s’ouvrent les portes de la grande distribution.
Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures
« En dix ans, on a su convaincre que le déchet est une ressource », affirme Jeanne Granger. En 2008, la fondatrice de la Réserve des arts a fait le pari de mettre en relation les grandes entreprises et les artistes, afin de promouvoir la culture du réemploi. D’un petit entrepôt implanté dans le 20e arrondissement de Paris, l’association s’est étendue à deux sites parisiens et un troisième en cours d’ouverture à Marseille. Bois, cuir, verre, plastique, métal, textile : près de 122 tonnes de déchets ont ainsi été collectées et reemployées en un an.
Comme Jeanne Granger et la cofondatrice de la Réserve, Sylvie Bétard, 42,5 % des moins de 30 ans ont envie de créer une entreprise pour faire « bouger le monde », indiquait une étude du réseau France active publiée en avril. 30 %envisageraient un modèle où tous les salariés seraient décisionnaires(type SCOP), 25 %privilégieraient un projet lié au développement durableou à l’environnement.
L’engagement a longtemps été circonscrit dans un mode d’organisation non lucratif, qui n’a jamais été reconnu pour plus de 10 % du PIB français, calculé selon le seul capital financier, sans tenir compte de la valeur sociale créée, ni des ressources naturelles préservées. Jusqu’en 2014, les quatre familles de l’économie sociale et solidaire étaient les associations, les coopératives, les fondations et les mutuelles.
« Une entreprise engagée se doit d’impliquer toutes ses parties prenantes – fournisseurs, bénéficiaires, salariés –, y compris en termes de process », estime Jeanne Granger, de la Réserve des arts
Depuis cette date, la loi Hamon a élargi le champ économique de l’engagement en créant le statut d’entreprise à finalité sociale, à but lucratif limité. Une évolution réglementaire soutenue par Jean-Marc Borello, qui a pu ainsi développer la plus grande entreprise sociale française, le Groupe SOS. Celui-ci compte aujourd’hui 18 000 salariés dans la restauration, la santé, la réinsertion, les épiceries solidaires, etc.
Au nom de l’engagement, l’ex-président du Mouvement des entrepreneurs sociaux a fédéré des entreprises et des associations dans un véritable « empire ». Mais si l’engagement social ou environnemental se retrouve dans l’objet social des quelque 540 établissements du groupe, la gouvernance démocratique propre à l’économie sociale n’est pas le point fort de « l’industriel du social », comme on surnomme Jean-Marc Borello. Or « une entreprise engagée se doit d’impliquer toutes ses parties prenantes – fournisseurs, bénéficiaires, salariés –, y compris en termes de process – gestion d’équipe, relation clients », note Jeanne Granger.
Les nouveaux venus du CAC40
Les 600 entrepreneurs qui se réuniront le 22 et 23 janvier à l’OCDE pour le Parlement 2020 des entrepreneurs d’avenir se retrouvent dans cette définition, qu’ils œuvrent à maintenir l’emploi dans les territoires comme Christophe Chevalier, fondateur d’Archer entreprises, dans la Drôme, au développement durable comme Rémi Roux d’Ethiquable, dans le Gers, ou au financement des entreprises sociales comme Laurence Méhaignerie pour Citizen Capital à Paris. « En dix ans, le Parlement a permis aux entreprises de montrer leur action, de définir leur notion de progrès, de mesurer leurs avancées sociales, de travailler ensemble à l’élaboration de nouveaux indicateurs de richesse, et de souligner la faiblesse de la loi pour formaliser leur engagement », explique Jacques Huybrechts, le fondateur et porte-parole du réseau Entrepreneurs d’avenir.
Ils ont ainsi participé à la genèse du changement d’échelle de l’entrepreneuriat engagé. En juin 2009, c’est à l’Assemblée nationale que s’est tenu le premier « Parlement des entrepreneurs d’avenir », ouvert très symboliquement par Nicole Notat, qui dix ans plus tard a coproduit le rapport Sénard-Notat, « L’entreprise, objet d’intérêt collectif ».
« L’ESS et les entrepreneurs sociaux ont été les pionniers et les aiguillons de l’engagement des entreprises », rappelle Stéphanie Goujon, directrice générale de French Impact, l’équivalent de la French Tech pour l’innovation sociale. Auparavant, elle dirigeait l’Agence du don en nature (ADN), qui collecte les produits non alimentaires pour les redistribuer aux plus démunis. En 2018, l’équivalent de 30 millions d’euros de valeurs marchandes de produits neufs a ainsi été redistribué. « Une centaine d’entreprises s’engageaient auprès d’ADN par mécénat de produit, mécénat financier ou mécénat de compétences, des PME impliquées sur tout le territoire, et quelques grands groupes déjà, comme L’Oréal ou SEB », se souvient-elle. Aujourd’hui, « la nouveauté est que de plus en plus d’entreprises dites « classiques », du CAC40 aux entreprises de taille intermédiaire [ETI], souhaitent contribuer concrètement aux défis sociaux et environnementaux. Et lorsqu’on touche à la stratégie d’entreprise, un changement d’échelle s’opère », dit-elle.
Plutôt pensée pour l’univers des grands groupes, la « société à mission » doit définir sa « raison d’être », ses objectifs sociaux et environnementaux, se doter d’un comité de suivi, et publier un rapport annuel
Le gouvernement verrait bien les entreprises prendre le relais de l’Etat sur des problématiques auxquelles il ne peut plus répondre seul. Ainsi, à la veille du G7 sur les inégalités, Emmanuel Faber, PDG de Danone et proche d’Emmanuel Macron, lançait un appel à 34 multinationales à signer une charte « Business for Inclusive Growth », où elles s’engagent à soutenir une soixantaine de projets au service d’une société plus inclusive. Et plus récemment, le 12 septembre, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a invité les entreprises dans lesquelles l’Etat a une participation à prendre « en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans leur gestion et [à se doter] d’une raison d’être en 2020 », comme le permet la loi Pacte.
Rappelons-nous que « l’essentiel de l’intérêt général de la société a été construit par des entreprises privées : le chemin de fer, les réseaux d’électrification, aujourd’hui Internet », souligne Kevin Levillain, chercheur de Mines-Paris Tech, et co-initiateur de la première communauté des entreprises à mission créée le 8 mars 2018, en amont de la loi Pacte.
La société à mission protège l’utilité sociale de l’entreprise
Les débats et les partages d’expériences de ces structures, aussi différentes que Ulule (financement participatif), Microdon, Prophil (philanthropie entrepreneuriale), Citizen Capital (financement de l’intérêt général), Nature et découvertes, Les entrepreneurs d’avenir, la MAIF, la Camif, le Collège des bernardins et Mines ParisTech, ont abouti à la création du cadre juridique (l’article 176 de la loi Pacte) de la « société à mission ».
Plutôt pensée pour l’univers des grands groupes, la « société à mission » doit définir sa « raison d’être », ses objectifs sociaux et environnementaux, se doter d’un comité de suivi, et publier un rapport annuel. Sa mission est évaluée par un organisme tiers indépendant. « Jusqu’alors, beaucoup d’entreprises se disaient engagées, mais le terme “engagé” ne renvoyait à rien juridiquement, il n’y avait pas d’opposabilité », selon Blanche Segrestin, professeure à Mines ParisTech, à la chaire Théorie de l’entreprise et gouvernance. Ce qui fut un important frein à la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les engagements RSE devaient obtenir l’approbation des actionnaires. La société à mission restitue ainsi à l’entreprise son utilité sociale pour répondre à un besoin de la société, en lui permettant de se protéger. « Si la société familiale Nutriset en Seine-Maritime a été pionnière sur l’expérimentation de ce nouveau modèle d’entreprise, c’est parce qu’elle voulait protéger sa mission », justifie Kevin Levillain.
Vérifier les résultats
L’intérêt des grandes entreprises pour l’engagement sous forme de « société à mission » varie en fonction de la nature de la propriété, nuance Bertrand Valiorgue, cofondateur de la chaire Alter-gouvernance à l’université Clermont-Auvergne. Lorsque l’actionnariat est dilué, « la société à mission permet de protéger l’entreprise des “actionnaires activistes” qui font de l’entrisme dans leur intérêt personnel ». Pour les entreprises non cotées avec un actionnariat stable, l’avantage majeur est de se positionner sur un nouveau marché en affichant sa vision de long terme et de rassurer les parties prenantes. Enfin, dans le cas des mutuelles, l’intérêt est de remobiliser les sociétaires autour de la mission mutualiste, de se légitimiser en montrant qu’on fait mieux que la concurrence et de capter de nouveaux marchés.
Lorsque Pascal Demurger, le DG de la MAIF, annonce, le 2 juin, le choix de la MAIF de devenir une « société à mission », il veut faire de la mutuelle « un label de l’intérêt général », gagner des nouveaux marchés en devenant l’assureur des entreprises à mission et valoriser l’obligation de résultat en rempart contre les GAFA, qui investissent le secteur de la santé.
« Le défi reste d’éviter le “green and social washing”, d’écarter le masque d’un simple discours marketing, et de reconnaître les pratiques fédératrices qui servent l’intérêt général », remarque Stéphanie Goujon. Le résultat tangible a toujours été le maillon faible des entreprises engagées, dont l’utilité sociale est difficilement mesurable.
Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures