Pierre-René Lemas : « La dimension sociale devient plus large »

Pierre-René Lemas préside France Active, un réseau d’entrepreneurs soucieux d’économie solidaire.

Propos recueillis par Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 10h13

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Pierre-René Lemas (au centre), président de France Active.
Pierre-René Lemas (au centre), président de France Active.

Secrétaire général de l’Elysée sous François Hollande, Pierre-René Lemas est aujourd’hui président de France Active, un réseau qui finance et accompagne les entreprises dans le cadre de la finance solidaire. Il vient de sortir Des princes et des gens. Ce que gouverner veut dire aux éditions du Seuil.

L’entrepreneuriat engagé est-il un mouvement de mode, comme on a pu le voir dans le passé, ou bien une évolution plus profonde ?

C’est vrai qu’il existe un phénomène de mode comme il a pu exister, il y a quelques années, un engouement autour de l’économie et de la finance verte. C’était souvent du greenwashing, plutôt qu’une réelle prise de conscience sur le fond. Et puis les acteurs ont fini par comprendre que cela valait la peine et que c’était socialement utile, économiquement possible, et même une bonne affaire financièrement. Ce qui était à la mode est devenu une lame de fond. Pour l’entrepreneuriat engagé, on est dans la même dynamique. Au début de l’entrepreneuriat social, la prise en compte de la gouvernance de l’entreprise était dans l’air du temps. Depuis quelques années, ces objectifs sont intégrés dans la gestion d’une entreprise. On revient sur les dogmes économiques libéraux qui ont commencé à s’appliquer à partir des années Thatcher et qui se sont amplifiés avec les politiques conduites par Tony Blair [en Angleterre] et Gerhard Schröder [en Allemagne]. La dimension sociale devient plus large, avec une vraie problématique territoriale, environnementale et la participation des salariés aux affaires qui les concernent. Le seul risque, c’est que le mot « engagé » devienne un mot-valise : il faut qu’il ait un contenu réel.

Les entrepreneurs engagés appartiennent-ils à toutes les générations, ou cela concerne t-il seulement les plus jeunes ?

Cela concerne d’abord les plus jeunes. Pour eux, la dimension engagement devient majeure dans la création d’une entreprise. Ces chefs d’entreprises veulent d’abord répondre à la problématique de l’emploi, à commencer par le leur. C’est, pour ces derniers, dont certains se sont éloignés de l’activité, une façon de s’engager dans la vie et de s’épanouir. On voit aussi qu’une grande partie d’entre eux veulent lancer une entreprise dans l’intérêt général et avoir une gouvernance partagée. L’engagement se retrouve encore dans la sphère de l’économie sociale et solidaire, car c’est sa vocation. Et j’ai l’intuition qu’un certain nombre de jeunes formés par les filières classiques, qui pourraient rentrer dans les très grandes entreprises aujourd’hui, se disent : « Je ne me réaliserai pas si je ne suis pas un projet à moi ». On voit enfin de plus en plus de grandes entreprises s’engager dans cette direction.

Vous financez essentiellement des entreprises engagées. L’engagement est-il un facteur de réussite ?

J’en suis convaincu. Nous constatons que quatre entreprises sur cinq que nous soutenons vivent au-delà de trois ans. Nous contribuons à la création de 40 000 emplois par an. Pour un emploi créé la première année, près de quatre sont engendrés au bout de cinq ans. Non seulement les entreprises survivent, mais elles se développent. Par ailleurs, il existe une dynamique collective autour d’un projet qui n’est pas uniquement orienté autour du profit, car il y a un engagement personnel du chef d’entreprise et des salariés. La réussite repose aussi sur des critères extra-financiers, et l’une de nos priorités est de mettre en place des outils pour la mesurer. Enfin, pour réussir, le chef d’entreprise doit pouvoir s’appuyer sur des écosystèmes locaux, des équipes de recherches, d’autres dirigeants, des assemblées consulaires, collectivités locales, tissus associatifs.

Entreien réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active
Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures

Les Alchimistes transforment les déchets alimentaires en humus

Trois entrepreneurs produisent du compost naturel en circuit court, à proximité des centres urbains. Objectif : participer à un retour de la nature en ville.

Par Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 10h24

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Rien ne se perd, tout se transforme.
Rien ne se perd, tout se transforme. SEBASTIEN BOZON / AFP

Une « aberration écologique ». Alexandre Guilluy, cofondateur de la société Les Alchimistes, ne mâche pas ses mots. Les épluchures, coquilles d’œuf, marc de café et autres déchets organiques, exponentiels depuis les années 1960, sont encore trop souvent incinérés ou déposés loin des villes, parfois même à l’étranger. « C’est pourtant plus rationnel de les traiter sur place ! », lance le quadra. C’est justement la solution astucieuse que ce diplômé d’école de commerce (EDHEC) propose avec ses associés, Fabien Kenzo-Sato (Polytechnique) et Cyrielle Callot (HEC).

Chaque matin, depuis 2016, à vélo électrique ou en camion, les entrepreneurs organisent avec leur équipe de 15 salariés la collecte des déchets alimentaires de supermarchés, de restaurants ou encore de cantines scolaires. Ils apportent leur « récolte » du jour sur leurs sites micro-industriels de compostage électromécanique. Là, des sortes de longs tubes digestifs en Inox brassent et oxygènent les déchets mélangés, au préalable, avec du broyat de bois. « Cette technique permet de les transformer en engrais naturel de qualité en cinq à six semaines au lieu d’un an, voire plus », poursuit Alexandre Guilluy.

Collecte à cheval

Adeptes de l’économie circulaire et du retour de la nature en ville, les associés ont mis en place un business model bien ficelé : en amont, ils facturent le service de collecte, et en aval, ils vendent ce compost à des réseaux d’épicerie biologique, à des paysagistes, des fermes urbaines, des collectivités locales et des friches industrielles. En plein développement, Les Alchimistes sont déjà implantés à Paris, Lille, Toulon, Toulouse et Lyon, et le seront bientôt à Marseille et sur l’île de La Réunion.

Avec presque 500 000 euros de chiffre d’affaires en 2019, les associés enregistrent un résultat net « pas très loin de l’équilibre ». S’ils ont pu déployer leurs ailes, c’est notamment grâce à un prêt de 100 000 euros octroyé par France Active. L’an dernier, ils ont aussi gagné 300 000 euros en tant que Lauréat du Concours d’innovation nationale de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Et ils bénéficient d’une subvention de 700 000 euros sur les trois prochaines années de l’agence métropolitaine des déchets ménagers, le Syctom. Grâce à cette enveloppe, ils ont démarré la collecte des déchets organiques ménagers de 10 000 habitants de la ville de Stains (Seine-Saint-Denis). A cheval.

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active
Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures

Ethiquable : thé, café et chocolat équitables en grande surface

Trois entrepreneurs du Gers ont associé leurs compétences respectives pour créer une marque d’alimentation équitable disponible dans la grande distribution.

Par Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 10h23

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Ethiquable développe depuis Fleurance, dans le Gers, la distribution de la production de coopératives de 25 pays du Tiers-monde.
Ethiquable développe depuis Fleurance, dans le Gers, la distribution de la production de coopératives de 25 pays du Tiers-monde. PASCAL PAVANI / AFP

Chocolat, café et thé équitables, c’est le trio gagnant d’Ethiquable. Cette SCOP (société coopérative et participative), dont le siège se trouve à Fleurance (Gers), distribue ces produits sous sa marque dans les rayons de la grande distribution. En 2018, ils ont représenté 90 % de son chiffre d’affaires, d’environ 50 millions d’euros.

Autre trio gagnant, celui des entrepreneurs, Christophe Eberhart, Rémi Roux et Stéphane Comar, qui ont lancé l’aventure en 2003, au tournant de la quarantaine. Mêlant leurs expériences respectives de commercial dans l’agroalimentaire, d’intervenant dans des ONG en Amérique du Sud et de financement international, nouant des partenariats avec des coopératives de producteurs en Amérique du Sud, en Afrique comme en Asie, ils ont créé des flux d’approvisionnement de produits sur lesquels ils ont inscrit leur marque en se revendiquant du commerce équitable. L’accueil positif de la grande distribution leur a mis le pied à l’étrier. Seule limite à l’exercice, Ethiquable n’est pas présent dans les enseignes de hard-discount comme Lidl et Aldi.

Produits locaux

Les fondateurs ont opté pour un statut assez particulier de société coopérative, qui compte aujourd’hui 60 sociétaires sur les 103 salariés qu’elle emploie. Le statut de sociétaire ne s’obtient en effet qu’avec un minimum de deux ans d’ancienneté. Par ailleurs, Ethiquable n’hésite pas à travailler avec d’autres SCOP, comme Café Michel à Pessac en Gironde, avec laquelle elle a noué un partenariat. Mais aussi Scop Ti, la société coopérative ouvrière provençale de thés et d’infusions, née du projet de reprise par les salariés de l’usine Fralib à Gémenos (Bouches-du-Rhône).

Ces deux associations illustrent le virage négocié par Ethiquable au tournant des années 2010. Consciente du plafonnement de l’intérêt des consommateurs pour les produits du commerce équitable, de la croissance du marché bio et des attentes pour les produits locaux, la coopérative a fait évoluer son offre. Le label bio s’est développé et elle a lancé une nouvelle marque « locale », Paysans d’ici. Elle a donc signé des engagements avec une quinzaine d’organisations de producteurs-transformateurs en France, dans le domaine des céréales, des fruits, mais aussi des tisanes. Des organisations souvent adeptes de la vente directe mais qui, avec Ethiquable, s’ouvrent les portes de la grande distribution.

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active
Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures

L’engagement des entrepreneurs prend de l’ampleur

Jean-Manuel Duvivier

« En dix ans, on a su convaincre que le déchet est une ressource », affirme Jeanne Granger. En 2008, la fondatrice de la Réserve des arts a fait le pari de mettre en relation les grandes entreprises et les artistes, afin de promouvoir la culture du réemploi. D’un petit entrepôt implanté dans le 20e arrondissement de Paris, l’association s’est étendue à deux sites parisiens et un troisième en cours d’ouverture à Marseille. Bois, cuir, verre, plastique, métal, textile : près de 122 tonnes de déchets ont ainsi été collectées et reemployées en un an.

Comme Jeanne Granger et la cofondatrice de la Réserve, Sylvie Bétard, 42,5 % des moins de 30 ans ont envie de créer une entreprise pour faire « bouger le monde », indiquait une étude du réseau France active publiée en avril. 30 % envisageraient un modèle où tous les salariés seraient décisionnaires (type SCOP), 25 % privilégieraient un projet lié au développement durable ou à l’environnement.

L’engagement a longtemps été circonscrit dans un mode d’organisation non lucratif, qui n’a jamais été reconnu pour plus de 10 % du PIB français, calculé selon le seul capital financier, sans tenir compte de la valeur sociale créée, ni des ressources naturelles préservées. Jusqu’en 2014, les quatre familles de l’économie sociale et solidaire étaient les associations, les coopératives, les fondations et les mutuelles.

« Une entreprise engagée se doit d’impliquer toutes ses parties prenantes – fournisseurs, bénéficiaires, salariés –, y compris en termes de process », estime Jeanne Granger, de la Réserve des arts

Depuis cette date, la loi Hamon a élargi le champ économique de l’engagement en créant le statut d’entreprise à finalité sociale, à but lucratif limité. Une évolution réglementaire soutenue par Jean-Marc Borello, qui a pu ainsi développer la plus grande entreprise sociale française, le Groupe SOS. Celui-ci compte aujourd’hui 18 000 salariés dans la restauration, la santé, la réinsertion, les épiceries solidaires, etc.

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Au nom de l’engagement, l’ex-président du Mouvement des entrepreneurs sociaux a fédéré des entreprises et des associations dans un véritable « empire ». Mais si l’engagement social ou environnemental se retrouve dans l’objet social des quelque 540 établissements du groupe, la gouvernance démocratique propre à l’économie sociale n’est pas le point fort de « l’industriel du social », comme on surnomme Jean-Marc Borello. Or « une entreprise engagée se doit d’impliquer toutes ses parties prenantes – fournisseurs, bénéficiaires, salariés , y compris en termes de process gestion d’équipe, relation clients », note Jeanne Granger.

Les nouveaux venus du CAC40

Les 600 entrepreneurs qui se réuniront le 22 et 23 janvier à l’OCDE pour le Parlement 2020 des entrepreneurs d’avenir se retrouvent dans cette définition, qu’ils œuvrent à maintenir l’emploi dans les territoires comme Christophe Chevalier, fondateur d’Archer entreprises, dans la Drôme, au développement durable comme Rémi Roux d’Ethiquable, dans le Gers, ou au financement des entreprises sociales comme Laurence Méhaignerie pour Citizen Capital à Paris. « En dix ans, le Parlement a permis aux entreprises de montrer leur action, de définir leur notion de progrès, de mesurer leurs avancées sociales, de travailler ensemble à l’élaboration de nouveaux indicateurs de richesse, et de souligner la faiblesse de la loi pour formaliser leur engagement », explique Jacques Huybrechts, le fondateur et porte-parole du réseau Entrepreneurs d’avenir.

Ils ont ainsi participé à la genèse du changement d’échelle de l’entrepreneuriat engagé. En juin 2009, c’est à l’Assemblée nationale que s’est tenu le premier « Parlement des entrepreneurs d’avenir », ouvert très symboliquement par Nicole Notat, qui dix ans plus tard a coproduit le rapport Sénard-Notat, « L’entreprise, objet d’intérêt collectif ».

« L’ESS et les entrepreneurs sociaux ont été les pionniers et les aiguillons de l’engagement des entreprises », rappelle Stéphanie Goujon, directrice générale de French Impact, l’équivalent de la French Tech pour l’innovation sociale. Auparavant, elle dirigeait l’Agence du don en nature (ADN), qui collecte les produits non alimentaires pour les redistribuer aux plus démunis. En 2018, l’équivalent de 30 millions d’euros de valeurs marchandes de produits neufs a ainsi été redistribué. « Une centaine d’entreprises s’engageaient auprès d’ADN par mécénat de produit, mécénat financier ou mécénat de compétences, des PME impliquées sur tout le territoire, et quelques grands groupes déjà, comme L’Oréal ou SEB », se souvient-elle. Aujourd’hui, « la nouveauté est que de plus en plus d’entreprises dites « classiques », du CAC40 aux entreprises de taille intermédiaire [ETI], souhaitent contribuer concrètement aux défis sociaux et environnementaux. Et lorsqu’on touche à la stratégie d’entreprise, un changement d’échelle s’opère », dit-elle.

Plutôt pensée pour l’univers des grands groupes, la « société à mission » doit définir sa « raison d’être », ses objectifs sociaux et environnementaux, se doter d’un comité de suivi, et publier un rapport annuel

Le gouvernement verrait bien les entreprises prendre le relais de l’Etat sur des problématiques auxquelles il ne peut plus répondre seul. Ainsi, à la veille du G7 sur les inégalités, Emmanuel Faber, PDG de Danone et proche d’Emmanuel Macron, lançait un appel à 34 multinationales à signer une charte « Business for Inclusive Growth », où elles s’engagent à soutenir une soixantaine de projets au service d’une société plus inclusive. Et plus récemment, le 12 septembre, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a invité les entreprises dans lesquelles l’Etat a une participation à prendre « en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans leur gestion et [à se doter] d’une raison d’être en 2020 », comme le permet la loi Pacte.

Rappelons-nous que « l’essentiel de l’intérêt général de la société a été construit par des entreprises privées : le chemin de fer, les réseaux d’électrification, aujourd’hui Internet », souligne Kevin Levillain, chercheur de Mines-Paris Tech, et co-initiateur de la première communauté des entreprises à mission créée le 8 mars 2018, en amont de la loi Pacte.

La société à mission protège l’utilité sociale de l’entreprise

Les débats et les partages d’expériences de ces structures, aussi différentes que Ulule (financement participatif), Microdon, Prophil (philanthropie entrepreneuriale), Citizen Capital (financement de l’intérêt général), Nature et découvertes, Les entrepreneurs d’avenir, la MAIF, la Camif, le Collège des bernardins et Mines ParisTech, ont abouti à la création du cadre juridique (l’article 176 de la loi Pacte) de la « société à mission ».

Plutôt pensée pour l’univers des grands groupes, la « société à mission » doit définir sa « raison d’être », ses objectifs sociaux et environnementaux, se doter d’un comité de suivi, et publier un rapport annuel. Sa mission est évaluée par un organisme tiers indépendant. « Jusqu’alors, beaucoup d’entreprises se disaient engagées, mais le terme engagé ne renvoyait à rien juridiquement, il n’y avait pas d’opposabilité », selon Blanche Segrestin, professeure à Mines ParisTech, à la chaire Théorie de l’entreprise et gouvernance. Ce qui fut un important frein à la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les engagements RSE devaient obtenir l’approbation des actionnaires. La société à mission restitue ainsi à l’entreprise son utilité sociale pour répondre à un besoin de la société, en lui permettant de se protéger. « Si la société familiale Nutriset en Seine-Maritime a été pionnière sur l’expérimentation de ce nouveau modèle d’entreprise, c’est parce qu’elle voulait protéger sa mission », justifie Kevin Levillain.

Vérifier les résultats

L’intérêt des grandes entreprises pour l’engagement sous forme de « société à mission » varie en fonction de la nature de la propriété, nuance Bertrand Valiorgue, cofondateur de la chaire Alter-gouvernance à l’université Clermont-Auvergne. Lorsque l’actionnariat est dilué, « la société à mission permet de protéger l’entreprise des “actionnaires activistes” qui font de l’entrisme dans leur intérêt personnel ». Pour les entreprises non cotées avec un actionnariat stable, l’avantage majeur est de se positionner sur un nouveau marché en affichant sa vision de long terme et de rassurer les parties prenantes. Enfin, dans le cas des mutuelles, l’intérêt est de remobiliser les sociétaires autour de la mission mutualiste, de se légitimiser en montrant qu’on fait mieux que la concurrence et de capter de nouveaux marchés.

Lorsque Pascal Demurger, le DG de la MAIF, annonce, le 2 juin, le choix de la MAIF de devenir une « société à mission », il veut faire de la mutuelle « un label de l’intérêt général », gagner des nouveaux marchés en devenant l’assureur des entreprises à mission et valoriser l’obligation de résultat en rempart contre les GAFA, qui investissent le secteur de la santé.

« Le défi reste d’éviter le “green and social washing”, d’écarter le masque d’un simple discours marketing, et de reconnaître les pratiques fédératrices qui servent l’intérêt général », remarque Stéphanie Goujon. Le résultat tangible a toujours été le maillon faible des entreprises engagées, dont l’utilité sociale est difficilement mesurable.

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active
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Quatre entreprises modèles

La Cavale, une des rares librairies coopératives de France

A Montpellier, deux libraires et une quarantaine de coopérateurs font vivre un lieu de culture où tous ont voix au chapitre.

Par Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 10h22

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La Cavale, une librairie coopérative à Montpellier.
La Cavale, une librairie coopérative à Montpellier. Librairie La Cavale

Tout est discuté, mis en commun, décidé de façon collective dans la librairie La Cavale à Montpellier, l’une des rares dans l’Hexagone à avoir choisi un statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). « Quand la librairie a ouvert, le 1er décembre 2018, dans le quartier des Beaux-Arts, nous étions 135 à avoir investi un ticket minimum de 20 euros par part sociale, explique Sylvain Bertschy, président et gérant de la SCIC. Nous sommes 370 aujourd’hui. Et dans ce jeune collectif, on est encore contents de se voir ! », se félicite-t-il.

Cela ne va pas de soi. Evoquant un petit phalanstère utopiste digne de Charles Fourier, tout est partagé : le capital, les décisions et les compétences. Au quotidien, deux libraires, Marion Floris et Julien Haution, sont employés à plein temps, mais une quarantaine de coopérateurs s’impliquent aussi directement dans le fonctionnement du lieu. « Pour qu’un jour, La Cavale ne soit pas qu’un lieu de culture aussi mais d’éducation populaire hors les murs », espère M. Bertschy.

« Pour ce type de magasin de 90 mètres carrés, le syndicat de la librairie de France estime que le taux de rentabilité à cinq ans s’élève à 0,3 % », selon Sylvain Bertschy

Entre quatre et trente coopérateurs argumentent et convainquent leurs pairs dans une douzaine de « comités » consacrés au pilotage, à la commercialisation, à la communication, aux demandes de subventions, à la médiation, aux travaux, à l’animation, aux activités hors les murs, à la gestion du fonds et au choix des ouvrages, ou encore à la stratégie et la finance… L’accès aux débats reste libre, selon un principe fort démocratique : chaque coopérateur détient la même voix en assemblée générale, quel que soit le montant de son investissement.

« Je ne prends aucune décision seul », indique le président de la SCIC, dont le mandat sera remis en jeu chaque année. Il a les pieds sur terre, rappelant qu’ouvrir une librairie n’est pas le moyen idoine pour gagner des flots d’or. « Pour ce type de magasin de 90 mètres carrés, le syndicat de la librairie de France estime que le taux de rentabilité à cinq ans s’élève à 0,3 % », précise-t-il…

Ce lieu est né d’une déconvenue. Le propriétaire d’une autre plus petite librairie de Montpellier, L’Ivraie, a décidé de partir en Bretagne sans trouver d’accord avec un repreneur. D’où l’idée d’en créer une nouvelle, de façon collective, grâce à « un tiers de fonds propres, un tiers d’emprunt et un tiers de subventions », détaille Sylvain Bertschy. La librairie propose désormais un choix de 11 000 ouvrages, avec un assortiment très fourni dans les sciences sociales mais aussi de la littérature générale, des livres jeunesse et de la BD. Pour l’heure, La Cavale n’est pas encore rentable, mais son chiffre d’affaires (360 000 euros par an) est en ligne avec les prévisions.

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active
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Le capitalisme français secoué par les fonds activistes

Une mission parlementaire menée par l’ex-ministre Eric Woerth émet 13 recommandations pour mieux encadrer l’action des fonds activistes qui entendent influer sur la stratégie et la gouvernance des groupes français.

Par Publié hier à 11h49, mis à jour à 09h51

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SEVERIN MILLET

Pernod Ricard, Suez, Lagardère, Scor : de mois en mois, la liste des grandes entreprises françaises mises sous pression par des fonds activistes va s’allongeant. Le 25 août, l’agence Reuters a révélé que l’américain Third Point, l’un de ces acteurs vedettes, venait d’entrer au capital du leader de l’optique EssilorLuxottica.

On appelle ces actionnaires « activistes » car ils militent auprès des dirigeants et des conseils pour que soient appliquées leurs préconisations, nouvelle gouvernance, rachats d’actions, voire cession de l’entreprise. Nombre de financiers préférant, dans un premier temps, engager ces discussions derrière les portes closes du conseil d’administration, leur présence n’est pas toujours connue du public.

Selon plusieurs sources, le britannique TCI – autre trublion notoire – détient ainsi en toute discrétion quelque 2 % du capital de Vinci. A ce stade, le fonds créé par Chris Hohn se comporte comme un investisseur passif. Mais Xavier Huillard, le PDG du spécialiste des infrastructures, est prévenu : le financier était actionnaire de Safran depuis des années lorsque le projet du motoriste de racheter Zodiac Aerospace, annoncé en janvier 2017, a déclenché sa fureur et s’est ensuivie une bataille homérique au terme de laquelle Safran a finalement repris l’équipementier aéronautique mais à des conditions plus favorables.

« Il y a des progrès à faire en France »

Les patrons, on s’en doute, détestent ces empoignades avec des investisseurs rugueux, parfois agressifs, dont la première revendication consiste bien souvent à… changer le capitaine. Y a-t-il pour autant un risque de déstabilisation des fleurons tricolores ? Faut-il entraver ces acteurs interventionnistes ? Ce sont les questions auxquelles Eric Woerth, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a voulu répondre à travers une mission parlementaire « flash » sur l’activisme actionnarial dont les conclusions devaient être présentées mercredi 2 octobre.

« Sur le plan de la gouvernance, il y a des progrès à faire en France », reconnaît M. Woerth, « la culture d’actionnaires dormants et de conseils d’administration dont les membres se connaissent depuis longtemps a produit une certaine langueur. » Et d’ajouter : « Il est naturel que des investisseurs se posent des questions sur l’utilisation de leur argent. Que certains sortent de la tranchée est plutôt bien mais il y a un supplément de régulation à mettre en œuvre » pour limiter certains excès.

Pourquoi les actionnaires disent vouloir des entreprises plus responsables

De plus en plus de gérants affirment juger la performance des sociétés non plus seulement sur leurs prévisions de profits mais aussi sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Par Publié hier à 10h42, mis à jour à 09h45

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D’un côté, il y a la montée irrépressible de l’activisme actionnarial exercé par les Elliott, Third Point ou ValueAct. Ces financiers qui font la loi depuis deux décennies aux Etats-Unis gagnent de l’influence en Europe et même en Asie. Leur mantra, que l’entreprise serve mieux les intérêts des actionnaires.

De l’autre, les 181 membres du Business Roundtable – le lobby des grands patrons américains – ont créé la surprise en signant le 19 août une déclaration proclamant que l’entreprise ne doit pas créer de la valeur seulement pour ses actionnaires, comme le préconisait l’économiste Milton Friedman, mais aussi pour toutes les parties prenantes que constituent la communauté, les salariés ou les fournisseurs.

Ces deux tendances sont-elles réconciliables ? C’est à y perdre son latin capitaliste, sauf à voir dans les belles paroles des grands patrons une posture pour éviter in fine d’avoir des comptes à rendre à qui que ce soit… Signer le manifeste du Business Roundtable n’a pas empêché Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, de rogner au même moment la couverture santé des employés à temps partiel de sa filiale Whole Foods.

Se trouver une « raison d’être »

Pour autant, les pressions qui s’exercent sur les dirigeants pour intégrer de nouveaux facteurs dans leur gestion sont réelles. De plus en plus de gérants, venus d’Europe du Nord au départ, mais présents partout désormais, affirment juger la performance des sociétés non plus seulement sur leurs prévisions de profits à deux ans mais aussi sur des critères ESG (environnement, social, gouvernance), le trigramme vedette du nouvel abécédaire boursier.

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BlackRock, le premier gestionnaire mondial d’actifs, enjoint aux entreprises de se trouver une « raison d’être » allant bien au-delà de la rémunération des apporteurs de capitaux. Sur fond de grogne face à la montée des inégalités, les politiques s’en mêlent. En France, la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) votée le 22 mai a modifié l’objet social de l’entreprise dans ce sens, pour intégrer les enjeux sociaux et environnementaux.

Ces aspirations sont relayées par des acteurs qui utilisent les méthodes d’influence brevetées par les fonds activistes. L’objectif financier est toujours présent, mais fondé sur la conviction que les bénéfices de demain ne sont garantis que par un modèle économique responsable.

Pour peser davantage, les investisseurs joignent leurs forces

Après des années de combat, la société de gestion américaine Green Century Capital a obtenu en mars 2019 des restaurants Darden – une très grande chaîne de restauration américaine – qu’ils n’achètent plus d’ici 2023 de poulets gavés d’antibiotiques.

« Le lieu de travail peut être un lieu ressource pour les victimes de violences conjugales »

Les entreprises ont un rôle à jouer pour atténuer l’impact dans la vie professionnelle des violences faites aux femmes, estime l’économiste Séverine Lemière dans une tribune au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 06h30 Temps de Lecture 4 min.

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Tribune. Si certaines femmes arrivent à séparer les deux sphères et font de leur travail un lieu préservé, pour nombre d’entre elles, subir des violences dans son couple signifie être épuisées physiquement et émotionnellement au travail. Elles ont par exemple du mal à gérer leur charge de travail, s’absentent, peuvent être empêchées d’aller au travail ou être retardées, être suivie sur le chemin ou être attendues à la sortie ; elles sont aussi harcelées au travail par leur conjoint ou ex-conjoint. Ces femmes peuvent par ailleurs être dans l’impossibilité de faire varier leurs horaires et de se déplacer dans le cadre professionnel, limitant alors les possibilités de formation et/ou de promotion.

« C’était quelqu’un de compétent et bien vu dans son métier mais ça s’est dégradé rapidement. On s’est rendu compte d’erreurs, de dossiers mal traités, des oublis car elle n’était pas concentrée sur le dossier. Le boulot pour elle, c’était la bouée pour sortir de son contexte, mais, à un moment donné, c’était tellement violent qu’elle n’en pouvait plus » – propos d’un interlocuteur ressources humaines (RH), ancien manageur. « Sa collègue nous disait qu’elle pleurait à son poste de travail, qu’elle n’était pas en situation de gérer son travail » – propos d’une infirmière du travail. « Elle est arrivée en pleurs au travail et avait peur de l’arrivée de son conjoint, qu’il vienne la frapper » – propos d’un interlocuteur RH, ancien manageur. « Au travail, il lui envoyait tout le temps des messages et appelait son portable, quand on était en entretien pendant une heure et demie, elle recevait 3-4 SMS pour savoir où elle était, pourquoi, à quelle heure elle partait, il programmait son temps » – propos d’une interlocutrice RH, ancienne manageuse.

« Pour 57 % des victimes, les violences sexuelles et/ou physiques dans le couple ont entraîné des perturbations dans leurs études ou leur travail »

Au-delà de ces témoignages [recueillis par l’auteure dans le cadre d’une étude menée au sein d’EDF depuis 2018], les enquêtes statistiques le confirment. Pour 57 % des victimes, les violences sexuelles et/ou physiques dans le couple ont entraîné des perturbations dans leurs études ou leur travail (enquête « cadre de vie et sécurité », 2012-2017). Les femmes ayant subi des violences physiques ou sexuelles sont plus nombreuses à avoir un arrêt de travail (Conseil économique, social et environnemental, 2014). Tout en restant dans leur rôle, certaines entreprises commencent à s’engager et intègrent ce sujet dans leur accord collectif en matière d’égalité professionnelle (PSA, La Poste ou EDF, par exemple).

Prix du livre RH 2019 : A quoi sert l’entreprise ?

Le Prix du livre RH, créé en 2000 par Syntec Recrutement en partenariat avec Sciences Po et « Le Monde », sera décerné le 3 octobre. Il interroge sur la place de l’entreprise dans la société.

Par Publié aujourd’hui à 06h00

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« Une entreprise davantage préoccupée par ses bénéfices que par la raison pour laquelle elle a été créée ne marche que sur une jambe et pas pour longtemps »
« Une entreprise davantage préoccupée par ses bénéfices que par la raison pour laquelle elle a été créée ne marche que sur une jambe et pas pour longtemps » Léa Taillefert

A quoi servent les entreprises ? A faire du profit ? A répondre à un besoin de consommateur ? A un besoin de société ?… Une entreprise davantage préoccupée par ses bénéfices que par la raison pour laquelle elle a été créée ne marche que sur une jambe et pas pour longtemps. L’inverse est également vrai. Dans un voyage au cœur des organisations et de leurs normes de gestion, bousculées par l’accélération de la circulation des biens, des informations et du rythme de travail, l’édition 2019 du Prix du livre RH pose la question de l’utilité sociale de l’entreprise.

Le Prix du livre RH a été créé en 2000 par Syntec Recrutement en partenariat avec Le Monde et Sciences Po pour accompagner la réflexion et nourrir les débats sur l’évolution du management. L’édition 2019 a sélectionné un récit-témoignage et deux ouvrages collectifs de chercheurs : Adieux au patronat, de Maxime Quijoux, sociologue et chercheur au CNRS, @la recherche du temps, sous la direction de Nicole Aubert, sociologue, professeure à l’ESCP Europe et La Mission de l’entreprise responsable, sous la direction de Blanche Segrestin et Kevin Levillain, chercheurs à Mines ParisTech.

Chacun des trois nominés s’interroge, à travers son prisme, sur la façon de remettre l’entreprise au service des hommes : en changeant la répartition du pouvoir entre les différents acteurs de l’entreprise, en passant par la stratégie, ou en prenant les rênes de l’accélération du temps.

Enjeu social

L’expérience de l’imprimerie d’Helio-Corbeille, retracée dans le livre-témoignage Adieux au patronat de Maxime Quijoux, raconte la tentative de sauvetage d’une entreprise en grande difficulté, qui parie sur une nouvelle répartition du pouvoir entre les parties prenantes. Les salariés, en reprenant l’entreprise sous forme de société coopérative et participative, veulent sauver des métiers, les emplois et la culture de l’entreprise. Ils associent aussi la société civile, en l’invitant à se prononcer sur leur projet industriel. Leur enjeu est avant tout social, et leur objectif est de rendre au « profit » de l’entreprise son rôle de « moyen » au service de la pérennité de l’activité.

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Les deux caps à ne pas perdre de vue sont fixés : l’avenir de l’entreprise et l’employabilité des salariés. Adieux au patronat souligne l’importance d’une connaissance précise des métiers, pour que la transformation technologique se fasse sans perte d’expertise. Les sociétés coopératives et participatives ont démontré durant les années de crise que leur pérennité est supérieure à celle d’une entreprise dite classique. Mais l’efficacité à long terme ne passe pas par le seul modèle de gouvernance. Le contexte économique joue évidemment un rôle majeur.