Muriel Pénicaud tance les mauvais élèves de l’égalité salariale en entreprise

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, arrive au palais de l’Elysée, à Paris, le 26 février.
La ministre du travail, Muriel Pénicaud, arrive au palais de l’Elysée, à Paris, le 26 février. LUDOVIC MARIN / AFP

Derichebourg, Safran Electronics & Defense Cockpit Solutions, Securitas France, Foncia carrières et compétences ou encore Go Sport… La ministre du travail, Muriel Pénicaud, a dénoncé, jeudi 5 mars, les mauvais élèves en matière d’égalité femmes-hommes, un an après la mise en place de l’index égalité professionnelle.

« Dix-neuf entreprises étaient en 2019 en dessous de la note de 75 [sur 100] et le sont toujours. Ce sont elles qui n’ont pas agi sur le sujet », a déploré Mme Pénicaud dans un entretien au Parisien, à propos des 1 200 sociétés de plus 1 000 salariés concernées. « Celles-ci vont être contactées dans les prochains jours par la direction générale du travail, qui va leur rappeler la loi », a-t-elle expliqué, précisant que, « si dans deux ans, elles [conservaient] cette mauvaise note, elles [s’exposaient] à une amende équivalant à 1 % de la masse salariale chaque année ».

L’augmentation de salaire au retour de congé maternité figure parmi les critères les moins respectés

La ministre se veut néanmoins optimiste. « La dynamique est lancée. La note globale moyenne des grandes entreprises est passée de 83 à 87. C’est encourageant. Cela change déjà la vie des femmes, mais il y a encore beaucoup à faire », a-t-elle déclaré. Ainsi, en tête du palmarès, 55 entreprises ont obtenu 100 ou 99 points, telles que BHV Exploitation, Banque populaire Méditerranée, MAIF ou Orange, contre 36 en 2019. L’ensemble du classement devait être publié vendredi 6 mars sur le site Internet du ministère du travail.

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Afin de mesurer l’égalité salariale et la réduction de son écart au fil des années, un index a été construit à partir de cinq indicateurs, sur une échelle de 100 points. Il se décompose entre la rémunération (40 points), la répartition des augmentations individuelles (20), celle des promotions (15), l’augmentation de salaire au retour de congé maternité (15), et la parité parmi les dix plus hautes rémunérations (10). Ce sont les deux derniers critères qui sont les moins respectés.

« Mises en demeure »

Après les grandes entreprises, puis celles de 250 à 1 000 salariés, l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes s’applique maintenant à celles de 50 à 250 salariés, qui devaient le publier, dimanche 1er mars. Au total, 40 000 firmes sont concernées, couvrant 9 millions de salariés, dont près de la moitié sont des femmes. Soixante-six pour cent ont déjà publié l’index, dont 83 % des sociétés de plus de 1 000 salariés, 71 % de celles de 250 à 1 000 employés, et 49 % de celles de 50 à 250 salariés, a précisé le ministère.

Particularité de cette deuxième édition de l’indicateur, l’année 2020 est celle du name and shame (« nommer et couvrir de honte ») pour celles de plus de 1 000 salariés. Dès juin 2019, Muriel Pénicaud avait prévenu les 200 grandes entreprises qui avaient déjà trois mois de retard pour publier leur index 2019 sur leur site Web que, si elles ne se mettaient pas en conformité « très vite », elles seraient « mises en demeure » et pourraient « avoir des sanctions ». A l’occasion d’un prébilan dressé en septembre 2019, dix-sept ont ainsi été mises en demeure. Puis, comme la ministre l’avait annoncé , elle a révélé les noms des « mauvais élèves » de la lutte contre l’égalité femmes-hommes qui le sont toujours en 2020.

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Les sociétés mises au ban affichent leur étonnement, comme cela était déjà le cas en 2019. « Ce n’est pas à l’image du groupe, réagit un porte-parole du motoriste Safran. Dix-huit de nos 26 sociétés remplissent les critères et 14 ont obtenu plus de 85 points. Safran Electronics & Defense Cockpit Solutions est une filiale de filiale. Mais on est très étonnés. »

La première édition de l’index avait surpris plusieurs grands groupes, à l’instar d’Engie, dont cinq entités étaient mal notées : GRDF, Engie Home services, MCI, Endel SA et Ineo. Cela a été « un vrai électrochoc pour nous, à deux titres, a souligné Olivier Hérout, DRH adjoint groupe d’Engie, dans un entretien à l’agence spécialisée AEF. « Tout d’abord, parce qu’Engie est fortement engagé dans la féminisation des métiers, sur la place des femmes et l’égalité professionnelle, avec des indicateurs pas trop mauvais dans les bilans sociaux. Ensuite, parce que Sylvie Leyre, ancienne DRH France de Schneider Electric, missionnée par Muriel Pénicaud, nous avait demandé de contribuer à la définition des indicateurs de l’index. Nous nous disions à ce moment-là que nous devions être conformes. »

Comme une entreprise sur trois en 2019, chez Engie, l’augmentation de salaire des femmes au retour du congé maternité avait été négligée. En 2020, elles ne sont plus qu’une sur dix. « La prise de conscience a fonctionné », conclut le ministère du travail.

L’Union européenne prépare une loi sur la transparence des salaires

La Commission européenne va présenter, d’ici à la fin de 2020, une législation sur la transparence des salaires, avec pour objectif de lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes, qui gagnent en moyenne 16 % de moins. « Nous allons présenter des mesures contraignantes (…), après consultation des partenaires sociaux », a déclaré, jeudi 5 mars, la commissaire européenne chargée de l’égalité, la Maltaise Helena Dalli. « Nous devons d’abord avoir ces mesures sur la transparence des salaires pour pouvoir ensuite nous attaquer aux inégalités de salaires et de retraites », a-t-elle ajouté. Les femmes touchent en moyenne une retraite inférieure de 30 % à celle des hommes, a rappelé la vice-présidente de la Commission, la Tchèque Vera Jourova.
 

Jean-Paul Agon : « En Chine, grâce à l’e-commerce, l’activité de L’Oréal n’est pas du tout à zéro », malgré le coronavirus

Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal, à Clichy (Hauts-de-Seine), au siège du groupe, le 3 mars.
Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal, à Clichy (Hauts-de-Seine), au siège du groupe, le 3 mars. simone Perolari/Pour Le Monde

Malgré l’épidémie du Covid-19 qui tétanise la Chine, Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal, dont le départ est prévu en 2021, estime que cette crise « ne remet pas en cause » la croissance du marché mondial des produits de beauté ni les ventes du groupe.

Le Covid-19 menace la croissance mondiale. Avez-vous déjà connu une telle situation ?

Cela fait quarante-et-un ans que je travaille chez L’Oréal. J’y suis entré peu avant la réunification de l’Allemagne [1990] ; puis, j’ai été nommé par Lindsay Owen-Jones pour diriger la zone Asie, en 1997, en pleine crise économique. Je suis arrivé aux Etats-Unis à la tête de la filiale, trois jours avant les attentats du 11 septembre 2001, et je suis devenu PDG de L’Oréal un an avant la crise de 2008.

Le groupe est, bien entendu, très concerné par l’aspect humain de cette crise. C’est une vraie tragédie humaine, notamment en Chine, où le groupe emploie 12 000 salariés et 12 000 autres personnes dans les magasins. Tous les matins, j’ai une conversation téléphonique avec Fabrice Megarbane, directeur général de L’Oréal en Chine, pour faire un point sur la situation. A ce jour, aucun de nos salariés n’a été atteint par ce virus. C’est notre préoccupation essentielle, mais, d’un point de vue business, je ne suis pas plus impressionné que cela par cette crise du coronavirus.

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L’incidence sur l’activité n’est-elle pas importante ?

Pas plus que cela. Cette épidémie, qui, par définition, sera temporaire, ne remet pas en cause, à long terme, ni la dynamique du marché mondial des produits de beauté, ni la croissance du groupe L’Oréal, ni ses ventes en Chine. Et, actuellement, notre activité n’est pas du tout à zéro, grâce à différents facteurs.

En Asie, L’Oréal réalise désormais un tiers de son activité, devant l’Europe occidentale. La Chine pèse 14 % des ventes mondiales du groupe, vous n’avez donc pas ressenti de baisse d’activité ?

La Chine est le pays où l’e-commerce est le plus développé. Il représente déjà 47 % de notre chiffre d’affaires en 2019 dans le pays. C’est un record mondial. En février, nos ventes en ligne ont d’ailleurs très fortement progressé par rapport à février 2019. Et ce, malgré les circonstances perturbées. Les Chinois continuent à consommer sur Internet des produits alimentaires, des produits d’hygiène et des produits de beauté. Cette bascule du marché vers le Net protège considérablement le groupe et ses marques.

« L’e-commerce représente 47 % de notre chiffre d’affaires en 2019 dans l’empire
du Milieu »

La Suède légifère sur la baisse du temps de travail pour éviter les licenciements

Des chefs et des commis préparent le dîner de la cérémonie du Prix Nobel 2019, à Stockholm, le 8 décembre.
Des chefs et des commis préparent le dîner de la cérémonie du Prix Nobel 2019, à Stockholm, le 8 décembre. JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Le projet de loi sur la réduction temporaire du temps de travail était dans les cartons du gouvernement depuis des mois. Faute de majorité au Parlement, la coalition gouvernementale, composée des sociaux-démocrates et des Verts et soutenue par les centristes et les libéraux, hésitait toutefois à soumettre le texte au vote des députés. L’épidémie causée par le coronavirus, avec près d’une centaine de cas en Suède, a changé la donne.

Mercredi 4 mars, la ministre suédoise de l’économie, Magdalena Andersson, a annoncé que la loi devrait entrer en vigueur le 1er août. Elle permettra aux entreprises, durement touchées par les effets de l’épidémie, de réduire le temps de travail et la rémunération de leurs salariés en conséquence, pendant six mois renouvelables. Pendant cette période, les compagnies pourront percevoir une aide de l’Etat, pour le paiement des salaires des employés et le financement de formations.

Selon la ministre, le dispositif, dont les détails restent encore à préciser, va « renforcer la sécurité des salariés suédois, lors de perturbations importantes causées par des événements extérieurs ». Son coût est évalué à 350 millions de couronnes (33 millions d’euros) par an. Il a reçu le soutien des partenaires sociaux, qui en demandaient la mise en place depuis 2008.

« Nous en avons fait les frais »

A l’époque de la crise financière, la plupart des pays européens disposaient déjà d’une législation similaire. « Nous étions presque les seuls à ne pas avoir un tel système, et nous en avons fait les frais », constate Marie Nilsson, présidente d’IF Metall, le syndicat de la métallurgie. Dans l’urgence, les partenaires sociaux ont signé des accords, branche par branche. « Nous avons réussi à sauver quelques emplois, mais pas suffisamment », déplore la syndicaliste.

Entre 2008 et 2009, 100 000 postes ont été supprimés dans le secteur de l’industrie en Suède, soit environ 15 % des emplois. Sur cette même période, le nombre d’heures travaillées par salarié n’a baissé que de 1,6 %, selon un rapport présenté aux parlementaires en 2018. A la différence, le temps de travail a reculé de 7,4 % en Allemagne, où seulement 2,5 % des emplois ont été supprimés dans l’industrie.

Autre avantage, note Marie Nilsson : « Quand l’activité a repris, nos concurrents ont pu relancer la production immédiatement, tandis que cela a pris du temps chez nous. Certains ont retrouvé leurs emplois, mais pas tous. Nous avons perdu des compétences. »

Uber, le géant californien du VTC, en difficulté aux Etats-Unis et au Royaume-Uni

Le patron d’Uber, Dara Khosrowshahi, à New Delhi, en octobre 2019.
Le patron d’Uber, Dara Khosrowshahi, à New Delhi, en octobre 2019. Anushree Fadnavis / REUTERS

« Ubérisation ». La firme californienne Uber a donné son nom au modèle social de la nouvelle économie. Le système consiste à capter un marché de service grâce à une application et à son algorithme, puis à contraindre de fait les travailleurs prestataires de ce service, atomisés en des centaines de fournisseurs indépendants, de passer par ladite application.

Or c’est bien ce concept, imaginé et industrialisé dès 2010 par Travis Kalanick, le fondateur de l’entreprise américaine, qui est attaqué par la décision de la Cour de cassation du mercredi 4 mars. Mais pour le géant américain du VTC, dont la valorisation s’élevait ce même jour, à la fermeture de Wall Street, à 60 milliards de dollars (environ 54 milliards d’euros), ce n’est pas la seule situation dans le monde où les pouvoirs publics condamnent une forme de supercherie sociale.

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Ironie de l’histoire, l’attaque la plus rude à ce jour est venue de Californie, berceau de la société fondée il y a dix ans à San Francisco. En septembre 2019, le congrès de cet Etat américain a adopté une loi contre ce que l’on appelle là-bas la gig economy (« l’économie des petits boulots »). Le texte rend plus difficile, pour les entreprises de plate-forme, le fait de considérer ces travailleurs comme indépendants plutôt que comme des employés.

En novembre, l’Etat du New Jersey a réclamé 640 millions de dollars en pénalités et taxes impayées à la société dirigée depuis 2017 par Dara Khosrowshahi, niant le droit à la firme de qualifier de travailleurs indépendants les personnes travaillant par l’intermédiaire de l’application.

A l’automne, Uber s’est également vu retirer sa licence d’opérateur de services de transport avec chauffeurs à Londres. Transport for London, l’autorité des transports de la capitale britannique, a pointé du doigt un nombre très élevé de chauffeurs non autorisés mais inscrits sur la plate-forme de réservation, au risque de mettre en danger les utilisateurs. Encore une fois, la responsabilité sociale de l’entreprise a été mise en cause.

Echecs et succès

Pour Uber, cette question de la responsabilité est désormais la mère des batailles, alors qu’elle souhaite perpétuer son modèle. L’entreprise, qui n’a jamais gagné un dollar depuis 2010, demeure un foyer de pertes abyssales (8,5 milliards de dollars en 2019 pour 14 milliards de chiffre d’affaires) en raison d’investissements considérables qui accompagnent son développement.

Afin d’imposer son modèle, Uber se bat depuis sa création, devant les tribunaux du monde entier

Pour la Cour de cassation, les chauffeurs d’Uber sont bien des salariés

Blocage du périphérique parisien à l’appel de l’association des VTC de France, le 25 janvier 2019.
Blocage du périphérique parisien à l’appel de l’association des VTC de France, le 25 janvier 2019. ALEXIS SCIARD / IP3 PRESS / MAXPPP

Un coup de tonnerre s’est abattu, mercredi 4 mars, sur Uber, le géant américain des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), huit ans après ses débuts en France. La Cour de cassation a, pour la première fois, décidé de requalifier en contrat de travail la relation contractuelle entre Uber et l’un de ses chauffeurs. Cela est susceptible de remettre en cause, non seulement le modèle économique de cette plate-forme, mais aussi l’ensemble des start-up collaboratives qu’elle a inspirées ces dernières années.

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Saisie en 2017 par l’un des chauffeurs de la société, la justice, par la voix de sa plus haute juridiction, reconnaît que ce dernier n’est pas, dans les faits, un autoentrepreneur, mais un salarié. Dès lors, son sort relève, non pas de la justice commerciale, comme Uber le défendait, mais de la justice sociale.

« Lors de la connexion » à la plate-forme, il existe « un lien de subordination entre le chauffeur et la société », peut-on lire dans une note explicative de la Cour de cassation, également rédigée en espagnol et en anglais, signe qu’elle revêt une portée dépassant le simple cadre de l’Hexagone. Cet arrêt est « important, car il s’agit d’Uber, dont le modèle a été copié par toutes les plates-formes », se félicite Fabien Masson, l’avocat du chauffeur, qui se dit « fier d’avoir contribué à cette décision de principe ».

Un premier coup de semonce avait été envoyé avec l’arrêt de la Cour de cassation daté du 28 novembre 2018 requalifiant en contrat de travail la relation entre un livreur à vélo et la plate-forme de livraison de repas Take Eat Easy, liquidée en août 2016. A l’époque, la juridiction avait estimé que l’utilisation de la géolocalisation des autoentrepreneurs et le recours à un système de sanction envers les livreurs étaient des critères suffisants pour attester un lien de subordination.

« Lien de subordination »

Actuellement, une centaine de dossiers de demandes de requalification en salariés émanant de chauffeurs Uber se trouvent entre les mains de l’avocat Jean-Paul Teissonnière. « L’avantage de cette décision de la Cour de cassation est qu’elle constitue désormais une référence pour la plupart des cas. Elle clôt le débat juridique », estime Me Teissonnière. Les juges ont certes examiné « un cas particulier, mais on y retrouve tous les critères » qui qualifient le salariat, observe-t-il. Et d’ajouter : ceux-ci « recouvrent exactement les dossiers que nous avons ».

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Dans son arrêt, la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 10 janvier 2019. Cette dernière considérait qu’« un faisceau suffisant d’indices se [trouvait] réuni pour permettre (…) de caractériser le lien de subordination », un facteur déterminant pour qualifier un travailleur de salarié. Ainsi, « le chauffeur qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport, analyse la note de la Cour de cassation. L’itinéraire lui est imposé par la société et, s’il ne le suit pas, des corrections tarifaires sont appliquées. La destination n’est pas connue du chauffeur, révélant ainsi qu’il ne peut choisir librement la course qui lui convient. »

« Le régime très spécial des danseurs de l’Opéra de Paris »

Tribune. Alors que vient de reprendre le mouvement de grève à l’Opéra de Paris, et à force d’entendre des approximations sur le régime de ses danseurs, qui leur permet de partir à la retraite à 42 ans, il semble utile d’éclairer le public sur le déroulement de leur carrière. Ancienne danseuse de l’Opéra, je parle par expérience.

Lorsqu’un enfant, à 10 ans, décide de se présenter à l’Ecole de danse de l’Opéra, il sort du circuit normal de la scolarité pour suivre une formation à but professionnel. S’il est admis à l’école de danse à l’issue d’un stage de six mois, il entame un double cursus : école le matin, danse l’après-midi avec deux cours collectifs par jour, cinq jours par semaine, complétés pendant les vacances par des stages. Chaque année, il passe un examen pour éventuellement monter de division, ce qui occasionne un entraînement surintensif. Chaque année, il prépare des « portes ouvertes » et des spectacles (une douzaine de représentations). Il faut compter avec les blessures, les découragements, les sacrifices, les échecs et les réussites, les problèmes de croissance, d’adolescence, etc.

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A 16 ou 17 ans, tout se joue dans la « classe d’engagement », à l’issue de laquelle les élèves passent un concours pour intégrer le corps de ballet. Il y a de quatre à six places, rarement plus, pour deux classes (garçons, filles) de douze élèves. Ce concours d’entrée se passe, soit l’année précédant le bac, soit la même année. De ma génération, seuls deux élèves ont eu leur bac. Certains élèves renoncent à le passer pensant pouvoir le préparer une fois embauchés dans le corps de ballet, mais abandonnent l’idée faute de temps. D’autres, comme moi, ratent le concours d’entrée, complètent leur formation ailleurs, et rentrent sur audition quelques années plus tard.

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Une fois engagé à 16, 17, ou 20 ans, on est professionnel : cours le matin, répétitions l’après-midi, spectacle le soir (180 spectacles par an, environ 90 par danseurs), week-ends et jours fériés compris – les spectacles du 24, 25, 30, 31 décembre, du 14 juillet sont très prisés – et le dimanche souvent « matinée-soirée », c’est-à-dire deux spectacles dans la même journée. Tous nous adorons notre métier – les spectacles, les créations, les tournées (même si enfiler les pointes après 16 heures de vol n’est pas une partie de plaisir) – même si nous sommes tous inévitablement confrontés un jour à des blessures, nécessitant ou pas une chirurgie réparatrice. Certaines danseuses ont le courage de faire des enfants (je me rappelle encore les sauts du deuxième tableau du Sacre du printemps, huit semaines après l’accouchement par césarienne).

La compagnie aérienne britannique Flybe se dit en redressement judiciaire

A Jersey, en novembre 2017 / AFP / Oli SCARFF
A Jersey, en novembre 2017 / AFP / Oli SCARFF OLI SCARFF / AFP

La compagnie aérienne régionale britannique Flybe a annoncé, jeudi 5 mars, avoir été placée en redressement judiciaire et cesser ses activités « avec effet immédiat », affectée par l’épidémie de nouveau coronavirus qui a fait brutalement chuter le trafic aérien dans le monde.

« Tous les vols sont cloués au sol et l’activité au Royaume-Uni a cessé avec effet immédiat », a indiqué dans un communiqué la compagnie, qui avait échappé au dépôt de bilan en janvier grâce à un coup de pouce fiscal du gouvernement de Boris Johnson. Des administrateurs du cabinet comptable EY ont été désignés, a-t-elle précisé.

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Déjà sauvée il y a plus d’un an

Connect Airways, consortium propriétaire de Flybe, qui comprend notamment Virgin Atlantic et les fonds Stobart et Cyrus, avait déjà sauvé la compagnie aérienne de la banqueroute il y a plus d’un an mais sans parvenir à la ramener à la rentabilité.

Flybe, qui emploie quelque 2 000 personnes, dessert 170 destinations environ à travers l’Europe, et est le principal transporteur sur des aéroports régionaux britanniques comme Aberdeen, Belfast, Manchester ou Southampton.

Cette annonce intervient alors que des médias britanniques affirmaient que la compagnie risquait de se retrouver à court de liquidités si elle n’obtenait pas un prêt de l’Etat de 100 millions de livres.

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Le Monde avec AFP

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Le statut d’indépendant d’un chauffeur Uber est « fictif », selon la Cour de cassation

DOMINIQUE FAGET / AFP

La Cour de cassation a confirmé mercredi 4 mars la « requalification (…) en contrat de travail » du lien unissant Uber et un chauffeur, assurant que son statut d’indépendant n’est « que fictif », en raison du « lien de subordination » qui les unit. Un tel arrêt, une première en France, remet en cause le modèle économique du géant américain, déjà attaqué en Californie, notamment.

La plus haute juridiction française a jugé que le chauffeur « qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport ». Pour la Cour de cassation, la possibilité de se déconnecter de la plate-forme sans pénalité « n’entre pas en compte dans la caractérisation du lien de subordination ».

L’arrêt liste de nombreux éléments qui ne recouvrent pas les critères du travail indépendant : un itinéraire imposé au chauffeur, une destination inconnue, « révélant ainsi qu’il ne peut choisir librement la course qui lui convient », la possibilité pour Uber de déconnecter le chauffeur à partir de trois refus de course… Le conducteur, juge la Cour de cassation, « participe à un service organisé de transport dont la société Uber définit unilatéralement les conditions d’exercice ».

Pour comprendre le contexte : Le modèle d’Uber menacé par une décision de la justice française

Une menace pour le modèle économique d’Uber

Début 2019, Uber s’était pourvu en cassation après un arrêt de la cour d’appel de Paris estimant que le lien entre un ancien chauffeur indépendant et la plate-forme américaine était bien un « contrat de travail ». La Cour de cassation rejette ainsi le pourvoi d’Uber et confirme la décision de la cour d’appel de Paris.

Ce chauffeur avait saisi la justice en juin 2017, deux mois après qu’Uber eut « désactivé son compte », le « privant de la possibilité de recevoir de nouvelles demandes de réservation », rappelait la cour d’appel. A l’époque, il lui avait été expliqué que la mesure avait été « prise après une étude approfondie de son cas ».

Fabien Masson, l’avocat du chauffeur, s’est félicité auprès de l’Agence France-Presse (AFP) de cette « jurisprudence » qui vise « le numéro un des plates-formes de VTC [voitures de transport avec chauffeur] ». « C’est une première et ça va concerner toutes les plates-formes qui s’inspirent du modèle Uber », a-t-il estimé.

« Cette décision ne reflète pas les raisons pour lesquelles les chauffeurs choisissent d’utiliser l’application Uber », a réagi un porte-parole de la plate-forme, mettant en avant « l’indépendance et la flexibilité qu’elle permet ». Pour Uber, cette décision de la Cour de cassation « n’entraîne pas une requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs utilisant notre application ».

Si certains chauffeurs sont attachés à leur statut d’indépendant, de nombreux conducteurs pourront s’appuyer sur cette nouvelle décision pour demander la requalification de leur relation contractuelle avec Uber ou d’autres plates-formes en contrat de travail. En clair, le modèle économique d’Uber pourrait s’effondrer.

Ce modèle, au cœur du développement de la firme américaine, a été attaqué par l’Etat américain de Californie, qui a ratifié en septembre dernier une loi visant à contraindre les géants de la réservation de voitures à salarier leurs chauffeurs, afin qu’ils soient mieux protégés.

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Le Monde

Un plan B en négociation pour les travailleurs sans-papiers du chantier du nouveau siège du « Monde »

« Qu’est-ce qu’on veut ? » « Des papiers ! Des papiers ! » « Pour qui ? » « Pour tous ! Pour tous ! » Ils sont toujours là, ils crient et dansent devant le bâtiment du nouveau siège du Monde dans le 13e arrondissement de Paris, les travailleurs sans-papiers africains de ce chantier, chargés de nettoyer le parvis chaque jour. Le 27 février, c’était en effet une fausse victoire. L’employeur de ces ouvriers, la société Golden Clean, n’a pas tenu sa promesse donnée à l’issue d’une négociation, le soir de ce premier jour d’« occupation » du site : il n’a pas apporté les bulletins de salaire de ses ouvriers. Beaucoup travaillait pour lui sur ce chantier depuis mi-2019 et ils n’ont jamais vu une seule fiche de paye, ce qui leur interdit de prétendre à une régularisation.

Alors l’occupation continue. Une occupation limitée toutefois à deux locaux commerciaux au rez-de-chaussée. « Ils ne retardent pas le chantier », constate Louis Dreyfus, président du directoire du Groupe Le Monde. Les premières équipes devaient emménager le 4 mars.

Pour tenter de sortir de cette impasse, ces travailleurs ont contacté le syndicat CNT-Solidarité ouvrière (SO) qui les représente et les accompagne. Désormais, Golden Clean est « hors jeu », souligne Etienne Deschamps, juriste à la CNT-SO.

La négociation se poursuit

En attendant un plan B, il faut tuer le temps. Les soutiens affluent de divers collectifs et d’anciens salariés de Golden Clean qui ont travaillé sur d’autres chantiers. Direction, un des deux locaux prêtés par Le Monde aux sans-papiers. Là se trouvent les vestiaires pour toutes les entreprises présentes sur ce chantier. Là aussi y dorment certains travailleurs africains, par terre. Il y a quelques tables, des bancs.

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En milieu d’après-midi, lundi 2 mars, certains jouent ou lisent sur leur smartphone, d’autres font leur prière ou discutent. Entourée par une soixantaine de travailleurs, une militante du collectif Action mobilisation BTP Ile-de-France annonce au micro qu’elle va chanter une chanson écrite par des ouvriers du BTP. « Ecoutez nos voix, qui montent des chantiers, nos voix de prolétaires…(…) Marre de trimer pour un salaire de misère, de finir le corps brisé avant la retraite… » Applaudissements. Avant que l’auditoire ne reprenne le rituel « Qu’est-ce qu’on veut ? », etc.

La négociation se poursuit. « On discute avec une entreprise pour qu’elle reprenne les contrats de travail », indique M. Dreyfus. Il reste environ un mois de travail sur ce site. Mais l’idée est d’essayer, précise-t-il, de « donner des perspectives un peu plus longues sur d’autres chantiers » qu’aurait cette société de nettoyage dont il tait le nom pour le moment.

Il faut donc identifier les travailleurs qui pourraient prétendre à une reprise de leur contrat et donc définir les périodes de travail prises en compte. Une notion est en réalité ambiguë car « pour les entreprises, les sans-papiers sont interchangeables, explique Marion, juriste elle aussi à la CNT-SO. On les fait remplacer, on les met ailleurs. » La discussion est serrée. « Je fais tout ce que je peux, souligne M. Dreyfus. Après, il ne faut pas mettre l’entreprise en péril. On ne peut pas être durablement propriétaire d’un immeuble vide. »

Loi sur la recherche : universités et laboratoires dans la rue contre la précarité

Des membres du mouvement Revues en lutte, qui proteste contre la réforme des retraites, à Paris, le 25 février.
Des membres du mouvement Revues en lutte, qui proteste contre la réforme des retraites, à Paris, le 25 février. THOMAS SAMSON / AFP

Largement saluée au départ comme une promesse de financement dans un secteur en souffrance, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) va-t-elle réussir le tour de force de devenir la cause d’une mobilisation d’ampleur, contre elle, dans le monde scientifique ? Une coordination nationale des « facs et des labos en lutte » appelle à faire de jeudi 5 mars « le jour où l’université et la recherche s’arrêtent ». Un appel soutenu par les syndicats du secteur, toutes tendances confondues, qui ont déposé des préavis de grève.

« Des mobilisations et des actions sont prévues dans l’ensemble des universités du territoire », soutient Marie Sonnette, maîtresse de conférences en sociologie et membre de cette coordination, réunie pour la première fois en décembre 2019 dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites.

« Ce que nous savons de la LPPR va dans le sens de la casse du service public, avec plus de précarité et moins de financements pérennes », dénonce l’universitaire. En tête des revendications de cette journée : le retrait du texte et la demande d’un « plan de titularisation massif des 130 000 précaires et vacataires » de l’université et de la recherche, et de « créations de postes ».

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Un an après l’annonce par le premier ministre, Edouard Philippe, en février 2019, de ce projet de LPPR, ayant vocation à investir de manière durable et à la hauteur des besoins dans la recherche, le texte n’est pas encore connu dans le détail, mais il est au cœur de la contestation qui monte depuis trois mois dans une partie de la communauté universitaire.

Loi « inégalitaire » et « darwinienne »

Selon les chiffres de la coordination, plus d’une centaine d’universités et d’écoles, près de 300 laboratoires et 145 revues scientifiques en sciences humaines et sociales sont impliqués dans le mouvement, qui prend la forme de motions de défiance, d’actions diverses comme des flashmobs, ou encore de participation aux manifestations interprofessionnelles. Un vent de contestation comme il n’en a pas soufflé dans le secteur depuis le mouvement contre la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2009.

Comment en est-on arrivé là ? L’objectif, toujours affiché par le gouvernement, d’atteindre 3 % du produit intérieur brut (PIB) investi dans la recherche – dont 1 % pour la recherche publique – fait l’unanimité.

En revanche, les paroles du patron du CNRS, Antoine Petit, prononcées fin novembre 2019 et plaidant pour une loi « inégalitaire » et « darwinienne », ont suscité une première vague d’indignation, dans une branche d’activité où la compétition et le temps passé à répondre à des appels à projets pour décrocher des financements sont déjà largement décriés.