Pigistes dans la presse : précaires et pas qu’un peu

Un journaliste reporter d’images lors d’une conférence de presse d’Emmanuel Macron, à Paris, le 18 mais 2020.
Un journaliste reporter d’images lors d’une conférence de presse d’Emmanuel Macron, à Paris, le 18 mais 2020. POOL / REUTERS

« Je préfère que vous ne donniez pas mon nom. » « Faites attention, je suis la seule fille du service pour lequel je travaille, on va savoir que c’est moi. » « Ne citez pas mes deux employeurs principaux, mes collègues vont me reconnaître tout de suite. » Difficile, quand on est journaliste précaire, payé à la pige ou en CDD, de faire valoir ses droits sans craindre les représailles. « Si j’ai du boulot depuis autant d’années, c’est parce que je la ferme, se persuade Juliette, célibataire et mère de deux enfants. On sait qu’avec moi il n’y a pas de problème. »

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A la mi-mai, la jeune femme tirait pourtant désespérément le diable par la queue. Parce qu’elle n’avait pas encore été rémunérée pour des enquêtes menées au cours des douze derniers mois, ou parce qu’elle ne disposait pas de deux fiches de paie dans les quatre derniers mois − les deux principaux critères figurant dans le décret du 16 avril sur le chômage partiel −, elle n’avait accès au dispositif chez aucun de ses employeurs. « Heureusement que je suis logée et que mon ex m’aide financièrement », murmure-t-elle, croisant les doigts pour recevoir, un jour, les 10 000 à 12 000 euros qui lui reviennent.

Cagnottes spontanées

Quand le confinement a été instauré, de très nombreux journalistes ont vu leur activité disparaître. Plus de rencontres à suivre pour les journalistes sportifs, plus de films, de livres, d’albums ou de concerts inédits pour les critiques, plus de voyages pour les spécialistes du tourisme, plus de hors-séries ou de suppléments (supprimés) à remplir. Quand elle a mis en place un fonds d’aide d’urgence, la mutuelle Audiens, spécialisée dans la couverture des professionnels de la culture et des médias, a reçu en quinze jours autant de demandes d’aide qu’en une année et demie.

Dans certaines rédactions, comme à L’Equipe ou à France Télévisions, des salariés ont spontanément abondé des cagnottes. Des délégués syndicaux se sont battus pour intégrer les pigistes au décret sur le chômage partiel ou, quand cela a été nécessaire, rappeler les employeurs à leurs devoirs − certains ont essayé d’imposer des conditions supplémentaires, comme la détention de la carte de presse, alors que le texte ne le stipulait pas.

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En mars et avril, Dan Perez, délégué SNJ-CGT à L’Equipe, recevait « 10 à 15 appels par jour » émanant des quelque 200 précaires embauchés à la pige par le groupe. Privés de matchs, les « livers », ces journalistes spécialisés dans le commentaire ultraprécis livré en direct, « ont vu leur activité passer de 100 % à zéro », justifie-t-il. « Comme on a tendance à penser que le foot ne s’arrête jamais, donc le boulot, on s’est retrouvés complètement démunis », reconnaît Thomas Fédérici, « liver » depuis neuf ans.

Alors qu’il compte sur un revenu mensuel de 900 à 1 000 euros en moyenne annuelle, ce trentenaire a touché 600 euros de chômage partiel. Il ne s’estime pas à plaindre et fait avec, en attendant le retour des jours de match. Critique littéraire privée d’ouvrages par le confinement et de chômage partiel car de nationalité belge, Kerenn Elkaïm a résolument essayé de sublimer le moment : chaque jour ou presque, elle a mené des interviews d’écrivains du monde entier en direct sur Facebook. Pour la beauté du geste.

Un été sous le signe de la diète

Groupes WhatsApp pour comparer les situations et se défouler, velléités de monter des collectifs ou de se syndiquer, réflexions sur le métier… « Le seul avantage de cette histoire, c’est qu’entre indépendants, isolés comme jamais, on s’est enfin rapprochés », constatent nombre de jeunes gens avec lesquels Le Monde a échangé. Qui est payé ? Est-il vrai que si les piges s’arrêtent, cela équivaut à un licenciement ? Comment faire quand elles diminuent ?

« C’est pour les jeunes diplômés, que je m’inquiète » Véronique Hunsinger, du collectif Profession pigiste

« Honnêtement, ça faisait du bien d’échanger, note Inès. Quand on est seul dans son coin, on n’a aucun poids. » Spécialisée dans la culture, elle a continué à recevoir des commandes, « mais, comme la pagination des magazines a baissé, j’en ai eu beaucoup moins qu’avant. Et ça continuera tant que la pub ne reviendra pas ». Son été sera placé sous le signe de la diète : comme mars, avril et mai lui seront payés en juin, juillet et août, « j’aurai un salaire riquiqui et plus aucun chômage partiel pour compenser ».

Quand on est payé à la tâche, mieux vaut « ne pas être un panier percé », confirme cette éditrice dans le sport, passée d’une vingtaine de jours de travail par mois à quatre. Elle a aussi compris que la parenthèse Covid allait marquer durablement son début de carrière : « Avec l’Euro et les JO qui étaient prévus cet été, les jeunes professionnels comme moi aurions pu montrer ce qu’on avait dans le ventre, nous faire remarquer, décrit-elle. Au lieu de ça, non seulement on n’aura pas de boulot cet été, mais on en aura moins après : puisqu’on nous annonce un plan social, même les titulaires vont trinquer ! »

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Au collectif Profession pigiste, Véronique Hunsinger juge qu’« il est encore très difficile de mesurer toutes les conséquences » de la crise sur le journalisme free-lance. « C’est pour les jeunes diplômés, que je m’inquiète », glisse-t-elle. Sans expérience, sans carnet d’adresses, et avec un éventail des possibles restreint comme jamais, leurs premiers pas dans le métier risquent d’être très compliqués.

Assurance-chômage, chômage partiel et emploi des jeunes : des concertations sont à venir

Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud à l’issue d’une réunion avec les partenaires sociaux, au palais de l’Elysée à Paris, le 4 juin.
Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud à l’issue d’une réunion avec les partenaires sociaux, au palais de l’Elysée à Paris, le 4 juin. YOAN VALAT / POOL VIA REUTERS

Assurance-chômage, chômage partiel, emploi des jeunes, formation, régulation du travail détaché : plusieurs chantiers feront l’objet de concertations ou de discussions entre le gouvernement et les partenaires sociaux dans les prochaines semaines, a indiqué, jeudi 4 juin, la ministre du travail, Muriel Pénicaud.

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Des échanges sur la réforme contestée de l’assurance-chômage devront aboutir à des décisions « d’ici à l’été », a annoncé la ministre dans la cour de l’Elysée, à l’issue d’une réunion de plus de trois heures avec syndicats et patronat.

Alors que toutes les organisations syndicales réclament l’annulation de cette réforme, dont le deuxième volet a été reporté au 1er septembre à cause de la crise, « les choses sont très, très ouvertes sur l’assurance-chômage », a précisé le ministère. « Il y a probablement certains sujets qui sont inapplicables aujourd’hui, ou en tout cas pas applicables » à une « date rapide », a relevé Muriel Pénicaud sans plus de détails.

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Ce deuxième volet prévoit de durcir le calcul de l’allocation pour ceux qui alternent contrats courts et périodes de chômage, ce qui concerne en premier lieu les travailleurs précaires. Le premier volet est en vigueur depuis novembre 2019, avec un durcissement de l’ouverture des droits (il faut avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers, contre quatre sur vingt-huit auparavant) et de leur rechargement (passé d’un mois à six mois de travail).

  • Les syndicats veulent l’annulation

Laurent Berger (CFDT), Philippe Martinez (CGT) et Yves Veyrier (FO) ont indiqué avoir insisté auprès d’Emmanuel Macron sur l’abandon de cette réforme. Le président de la République « n’a rien dit sur le sujet », a indiqué Philippe Martinez. Pourtant « c’est simple de dire : on annule, on verra plus tard », a-t-il ajouté.

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Lors de la réunion, Emmanuel Macron « a dit très clairement qu’il y avait des éléments de la réforme sur lesquels il fallait revenir », a de son côté assuré Laurent Berger. « On a compris que la durée d’affiliation était parmi ces éléments. L’affiliation, c’est ce qui frappe de plein fouet de nombreux travailleurs, et particulièrement les jeunes », a-t-il ajouté. Yves Veyrier, pour sa part, a « compris qu’on pourrait poursuivre plus longtemps la suspension » de certaines dispositions de la réforme.

  • Le chômage partiel, pas éternel

Concernant le chômage partiel, Muriel Pénicaud a fait valoir que « l’Etat ne peut pas durablement prendre en charge, payer les salaires de millions de personnes dans le secteur privé ». Elle a jugé « nécessaire » de créer « un dispositif spécifique d’activité partielle mis en place par un accord collectif d’entreprise ou de branche », qui donnerait lieu à indemnisation « en contrepartie du maintien dans l’emploi ».

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« Les conditions de cette activité partielle de longue durée seront définies d’ici à quinze jours. Dès lundi, je commence les concertations avec les partenaires sociaux sur le sujet », a-t-elle poursuivi, ajoutant que des « mesures sectorielles » pourraient compléter ce dispositif. La ministre mènera d’« autres chantiers de concertation dans les jours qui viennent ».

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  • Soutien aux jeunes

L’un concernera l’emploi des jeunes, « qui risquent d’être toujours les derniers embauchés dans un contexte de crise ». « Près de 800 000 vont sortir du système scolaire ou universitaire cet été, il faut qu’il y ait une réponse qui leur permette de se projeter dans l’avenir », a-t-elle dit. « Les jeunes ne seront pas la variable d’ajustement de la crise », a plaidé la ministre.

Le gouvernement a dévoilé jeudi des mesures de soutien à l’embauche d’apprentis, première pierre d’un plan sur l’emploi des jeunes attendu d’ici à la mi-juillet pour éviter une « génération sacrifiée » sur le marché du travail à la rentrée.

  • Accent sur la formation

Un autre chantier a trait à la formation : « Que ce soient les salariés en chômage partiel ou les demandeurs d’emploi, il faut permettre à chacun d’utiliser cette période difficile comme une occasion de rebond et de développement des compétences extrêmement nécessaires demain en matière numérique, de transition écologique, d’aide aux personnes… »

Il y aura « une discussion avec les partenaires sociaux » pour voir « comment mobiliser les instruments existants, quitte à les modifier », a-t-elle ajouté, citant le « plan d’investissement dans les compétences » et le « compte personnel de formation ».

Autre sujet de discussion : la régulation du travail détaché. « Au moment où le chômage reprend, évidemment, l’importance du travail détaché en France interroge », a relevé la ministre, disposée à « voir comment le réguler mieux ».

Enfin, le gouvernement entend se pencher, avec les partenaires sociaux, sur « les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants », sur les questions d’emploi, de compétences et de chômage partiel.

Le Monde

Chez LR, le retour du « travailler plus pour gagner plus »

Les « Guignols de l’info » ont disparu depuis bien longtemps, mais tout le monde se souvient de la marionnette d’Ernest-Antoine Seillière, patron du Medef à la fin des années 1990, braillant : « Les 35 heures sont une aberration ! » Plus de vingt ans après, et à la suite de moult détricotages de la réforme portée par Martine Aubry en 1998, la question de l’augmentation du temps de travail des Français est encore posée régulièrement.

A l’aube d’une crise économique potentiellement dévastatrice et d’une récession sans précédent (− 11 % de PIB en 2020, selon les estimations), nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’opportunité de faire travailler les salariés davantage au nom de la reprise.

De façon beaucoup moins caricaturale que ne le présentait le baron Seillière, inlassable pourfendeur de la semaine à 35 heures, la question s’est ainsi invitée, au milieu d’autres, dans le plan de relance de l’économie présenté par le parti Les Républicains (LR), mardi 2 juin. Dans un projet en cinq volets visant à restaurer « l’équilibre entre la justice sociale et la liberté économique », la formation de droite propose de « permettre, par la négociation de l’entreprise, d’augmenter le temps de travail et d’augmenter ainsi les salaires ». Un passage nécessaire, selon le parti, pour sauver « les entreprises et les emplois ».

Dans son document, LR plaide pour une annualisation du temps de travail et une adaptation négociée directement au sein des entreprises. « Il ne faut pas le faire au niveau national, ça ne marcherait pas », analyse Christian Jacob, le président du parti. Les Français qui travaillent autour de 1 600 heures par an pourraient passer à 1 800, selon lui, en fonction d’accords permettant d’être proches des « réalités du terrain et de l’évolution du carnet de commandes », explique le député de Seine-et-Marne. Ainsi, les salariés pourraient travailler davantage lorsque c’est nécessaire, mais aussi ralentir en période creuse, poursuit l’élu.

Illusion

Au-delà de la réponse à la crise, les Français doivent, selon Eric Woerth, député de l’Oise et ancien ministre du budget, rattraper leurs voisins allemands, mais aussi britanniques en termes de temps de travail. « Le volume d’heures travaillées est trop faible en France. C’est là qu’il faut aller chercher les points de PIB qui nous manquent », avance l’ancien membre du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Les Français rentrent trop tard sur le marché du travail et en sortent trop tôt, regrette-t-il.

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En Allemagne, la crise liée au coronavirus devrait accélérer la régionalisation de la production

A Stuttgart, en Allemagne, janvier.
A Stuttgart, en Allemagne, janvier. SEBASTIAN GOLLNOW / AFP

Stefan Wolf est une des voix les plus respectées du Mittelstand. L’entreprise qu’il dirige, ElringKlinger, un gros sous-traitant automobile de la région de Stuttgart, est emblématique de ce tissu d’industries de taille moyenne exportatrices, qui forme la colonne vertébrale du capitalisme allemand. Figure du patronat de la région du Bade-Wurtemberg, M. Wolf est apprécié pour ses réflexions stratégiques. Pour lui, il n’y a aucun doute : la pandémie de Covid-19 a créé une césure, elle va entraîner une réorganisation profonde des chaînes de sous-traitance de l’industrie allemande.

« La crise nous a montré que les chaînes de production dans l’automobile sont fortement dépendantes de l’Asie », estime-t-il. « Les stratégies d’achats dans notre branche doivent être réévaluées. A l’avenir, il ne pourra plus seulement être question d’acheter le moins cher possible en Chine. Réorganiser les chaînes de sous-traitance localement et s’appuyer davantage sur des fournisseurs allemands ou européens est la meilleure solution pour sortir de la dépendance déséquilibrée que nous avons avec certaines régions », expliquait-il, fin avril, au journal professionnel Automobil industrie.

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Un tel engagement est nouveau. Et cette opinion est loin de faire l’unanimité au sein des fédérations industrielles allemandes. Car la performance du « made in Germany », depuis le milieu des années 1990, doit beaucoup à un modèle d’organisation : les « chaînes de production mondialisées ». Le principe est le suivant : on confie à un fournisseur étranger la fabrication d’une pièce. Celle-ci est ensuite transportée puis assemblée dans l’usine, parfois quelques minutes seulement après avoir été livrée. Les avantages pour l’industriel sont évidents : il réduit ses stocks (et donc ses besoins en capitaux) au minimum, augmente le taux d’utilisation de ses usines et profite de la concurrence internationale pour obtenir les meilleurs prix.

Dépendance extrême au respect des conditions de livraison

« La formation de chaînes de production complexes a été un fort moteur de la mondialisation des échanges », explique Hartmut Egger, professeur de macroéconomie internationale à l’université de Göttingen (Basse-Saxe), dans une note publiée par l’institut économique de Munich Ifo. L’Allemagne, avec ses entreprises logistiques mondialisées, notamment dans le trafic maritime, a été un des pays qui ont poussé le plus loin la course à l’efficience par l’externalisation depuis trente ans. Elle a conservé son industrie locale en se concentrant sur l’innovation et l’assemblage haut de gamme d’éléments produits ailleurs. En Allemagne, la chimie, l’électronique, la construction de machines, sont très dépendantes des livraisons venues de Chine, qui est, depuis quelques années, le premier partenaire commercial du pays. L’automobile, elle, a gagné en productivité, grâce à des délocalisations en Europe de l’Est.

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Entre Paris et Varsovie, des tensions régulières autour du coût du travail

A l’usine Whirlpool de Lodz, en Pologne, en avril 2017.
A l’usine Whirlpool de Lodz, en Pologne, en avril 2017. WOJTEK RADWANSKI / AFP

26 avril 2017. En pleine campagne présidentielle, le candidat En marche ! Emmanuel Macron et son opposante frontiste Marine Le Pen se rendent le même jour à Amiens, à la rencontre des salariés de l’usine Whirlpool locale. Celle-ci s’apprête à délocaliser sa production vers Lodz, en Pologne, laissant 290 ouvriers français sur le carreau. L’affaire prend vite une tournure politique sur la scène nationale, mais pas seulement. Symbole de la concurrence à bas coût régulièrement reprochée à l’Europe de l’Est, elle devient, aussi, un objet de crispation entre la France et la Pologne.

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Dans un entretien donné à La Voix du Nord, le futur président français attaque ouvertement Varsovie : « Dans les trois mois qui suivront mon élection, il y aura une décision prise sur la Pologne, promet-il. On ne peut pas avoir un pays qui joue des écarts fiscaux sociaux au sein de l’Union européenne [UE] et qui est en infraction avec tous les principes de l’Union. »

Dumping social

Quelques mois plus tard, le ton monte à nouveau, cette fois sur le dossier des travailleurs détachés, ce statut permettant à un salarié d’être envoyé par son employeur dans un autre Etat membre pour y fournir un service temporaire. Et suspecté, en France, de favoriser le dumping social, notamment dans le BTP. Emmanuel Macron reproche alors au gouvernement polonais de s’opposer au durcissement de la directive européenne sur le sujet. De son côté, ce dernier peine à comprendre pourquoi il est davantage attaqué sur la question que les Bulgares ou les Roumains…

Au-delà de ces deux épisodes, les relations entre Paris et Varsovie se sont tendues depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs eurosceptiques de Droit et justice (PiS), en 2015. « La discussion tourne parfois au dialogue de sourds, avec un peu d’instrumentalisation politique – et de mauvaise foi – des deux côtés », résume un diplomate européen, rappelant que la France est très présente en Pologne.

Aux yeux des Polonais, les quatre libertés de circulation − personnes, capitaux, biens et services − sont l’aspect le plus fondamental de la construction européenne

Les investisseurs tricolores furent en effet parmi les premiers à s’implanter dans le pays dès 1989, après la chute du bloc communiste. Aujourd’hui, l’Hexagone y est le troisième employeur étranger après l’Allemagne et les Etats-Unis, avec plus de 200 000 salariés dans 1 100 entreprises, notamment de la grande distribution, avec Auchan et Carrefour. « La France a aussi déployé son secteur bancaire pour profiter du marché intérieur polonais, le plus gros de la région, ajoute le diplomate. Mais la politique de “re-polonisation” de l’économie menée par le PiS est une source d’inquiétudes. »

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A Madaras, en Roumanie, le ballet des capitaux étrangers ne fait que commencer

A Bruxelles, en 2017.
A Bruxelles, en 2017. THIERRY CHARLIER / AFP

Routes défoncées, paysans qui se déplacent encore en carriole à cheval et maisons modestes disséminées dans des espaces désolants… Madaras, ville de quelque 3 000 habitants située dans le nord-ouest de la Roumanie, correspond à tous les clichés de la Roumanie postcommuniste. Mais, malgré les apparences de pauvreté et d’abandon, un afflux inattendu de capitaux lui redonne vie. Le 7 février, le fabricant d’appareils électroménagers De’Longhi y a annoncé l’ouverture d’un nouveau centre de production. La direction du groupe italien demeure discrète au sujet de ce second investissement en Roumanie, où elle compte rapatrier sa production de Chine.

Plus de 500 nouveaux emplois s’ajouteront aux 1 000 que l’entreprise italienne a créés, en 2012, en relocalisant sa production de Chine dans le village de Jucu, situé à proximité de Madaras. « Cet investissement vise une croissance organique sur nos principaux marchés, lit-on dans le communiqué de l’entreprise. Notre stratégie consiste à réduire le temps de production et de livraison de nos produits, tout en maintenant un niveau de qualité élevé. » La main-d’œuvre bon marché et un impôt unique de 16 % sur les profits et les salaires ont convaincu le groupe de s’implanter en terre roumaine.

Dans les années 1990-2000, le dragon chinois attirait tel un aimant les investissements occidentaux. La main-d’œuvre bon marché et la taille de la Chine étaient un argument suffisant pour mettre les voiles vers l’Extrême-Orient. Mais la pandémie de Covid-19 est en train de changer la donne. Le nouveau mot d’ordre n’est plus « délocalisation », mais « relocalisation ». Mais où relocaliser ? « En Europe de l’Ouest, la main-d’œuvre coûte très cher, les syndicats sont très actifs et le niveau des taxes et des impôts donne à réfléchir, explique l’économiste Radu Cojocaru. Mais, plus on avance vers l’Est, plus la donne change : une main-d’œuvre moins chère, des syndicats plus coopérants et une fiscalité très compétitive. »

Nouvel eldorado

La Roumanie et la Bulgarie, pays situés à l’extrémité orientale de l’Union européenne (UE), espèrent profiter de ce changement de paradigme économique et se repositionner comme le nouvel eldorado des relocalisations. « Ces dix dernières années, l’Europe centrale et orientale a choisi de se réindustrialiser, a déclaré le vice-premier ministre bulgare, Tomislav Dontchev, le 17 avril. La Bulgarie a un avantage, car, à la différence d’autres Etats de l’UE, elle a préservé et développé ses sites de production. Les nouveaux membres de l’UE pèseront plus dans l’industrie européenne une fois que le choc de la pandémie sera passé. »

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« Il est urgent d’impliquer les travailleurs étrangers, essentiels à notre économie, dans les débats qui les concernent »

Tribune. Personne ne sait de quoi l’avenir sera fait. Le Covid-19 nous plonge dans un monde rempli d’incertitudes dans lequel de nombreux fondamentaux de nos sociétés sont profondément ébranlés. Qui aurait pu croire il y a deux mois que la moitié de l’humanité serait confinée ?

Particulièrement frappés par la pandémie, les pays de l’Union européenne ont défait en quelques semaines l’espace Schengen en fermant les frontières ou en rétablissant les contrôles à leurs frontières. Une semaine après l’European travel ban de l’administration Trump [le président américain annonce, mercredi 11 mars, la suspension pour trente jours de l’entrée aux Etats-Unis des voyageurs étrangers ayant séjourné au cours des quatorze derniers jours dans vingt-six pays européens, une interdiction entrée en vigueur samedi 14 mars. Cette mesure est étendue le 17 mars au Royaume-Uni et à l’Irlande], bien que fortement critiqué par les responsables politiques européens, les Etats membres décident d’adopter une mesure similaire, laissant croire, à nouveau, que le danger viendrait de l’étranger.

Pourtant, s’il y a bien un paradigme qui s’est imposé dans nos sociétés occidentales que nous laisserions bien dans le monde d’avant, c’est celui de l’étranger – aujourd’hui incarné dans la figure du migrant ou du réfugié –, qui constituerait un danger dont il faudrait se protéger en fermant nos frontières.

Agriculture et métiers du soin

On entend régulièrement que cette crise sanitaire a un effet de loupe sur les inégalités et les précarités sociales. Les personnes réfugiées et migrantes sont, du fait d’un narratif toujours plus hostile envers eux, les premières précarisées, tant en Europe qu’à travers le monde, alors que la crise due au Covid-19 n’a jamais entraîné autant de bouleversements démographiques.

Cette crise met au grand jour le fait que les travailleurs étrangers, qu’ils soient européens ou pas, en situation régulière ou non, sont indispensables pour des pans essentiels de notre économie, de l’agriculture aux métiers du soin, des métiers dont l’utilité sociale a été particulièrement reconnue ces deux derniers mois.

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Des données provenant des Etats-Unis comme de l’Europe soulignent que les travailleurs étrangers sont surreprésentés dans les métiers essentiels en première ligne de la crise actuelle. Dans le secteur agricole, par exemple, 80 % de la main-d’œuvre salariée est d’origine étrangère en France. De même, nos systèmes de santé se sont privés de l’aide de nombreux étrangers ayant des compétences médicales et qui ne peuvent exercer, faute de reconnaissance de leurs qualifications.

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La « petite Chine d’Europe » voit l’avenir en grand

Par

Publié aujourd’hui à 01h33

Tomislav Donchev, le vice-premier ministre bulgare, en est convaincu. Dans le sillage de la crise due au Covid-19, l’Europe de l’Est pourrait devenir, un peu plus encore, la « petite Chine d’Europe ». « Les nouveaux Etats membres seront encore plus importants pour l’industrie européenne lorsque celle-ci se remettra du choc externe de la pandémie », a-t-il déclaré mi-avril à Euractiv, le site Internet spécialiste de l’actualité européenne. Insistant sur la rapidité avec laquelle les entreprises bulgares sont capables de réorganiser leurs chaînes de production, il se félicite des « opportunités » que la situation représente aussi pour son pays.

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Alors que la pandémie a souligné l’importance de relocaliser les industries stratégiques, l’Europe centrale et de l’Est sera-t-elle la grande gagnante du retour des usines ?

« Il est prématuré pour en parler, car, pour le moment, les gouvernements locaux travaillent surtout à limiter les sérieux dégâts économiques et sociaux liés à la crise », constate Dominik Owczarek, analyste à l’Institut des affaires publiques, un groupe de réflexion indépendant de Varsovie. La région, dépendante des constructeurs automobiles germaniques, est en effet très affectée par la récession de l’Allemagne, son principal partenaire. « Reste qu’à moyen terme ces pays ont tous les atouts pour profiter d’un tel mouvement », estime Grzegorz Sielewicz, économiste chez Coface, dans la capitale polonaise.

Eldorado des constructeurs automobiles

A commencer par leur solide base industrielle. Celle-ci pèse 23 % du produit intérieur brut (PIB) en République tchèque, 20 % en Slovaquie, en Slovénie et en Roumanie, 19 % en Hongrie ou encore 17 % en Pologne, selon la Banque mondiale, contre 10 % en France.

« Dans la Bohême tchèque, la tradition industrielle est implantée depuis le XIXe siècle, et elle a perduré sous le communisme », rappelle l’historien Roman Krakovsky, auteur de Le Populisme en Europe centrale et orientale (Fayard, 2019). Ailleurs, le secteur s’est surtout développé après la chute du bloc soviétique, dans la foulée des privatisations plus ou moins chaotiques, puis de l’arrivée des investisseurs occidentaux.

Résultat : en moins de deux décennies, la région est devenue l’eldorado des constructeurs automobiles. En 2018, 3,3 millions de véhicules ont été construits au sein du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie), contre 1,2 million en 2000. « Ces pays sont très intégrés dans les chaînes de production européennes, et c’est là que les constructeurs automobiles ont localisé leurs usines les plus compétitives », détaille Stéphane Colliac, spécialiste de la région à BNP Paribas.

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Manifestation pour sauver le site de Renault-Choisy, fin de grève sur le site de Maubeuge

Les salariés de Choisy, 262 au total, se sont mis en grève mercredi dès 6 heures pour protester contre la fermeture annoncée de leur site, spécialisé dans la rénovation et le reconditionnement des moteurs et boîtes de vitesse.
Les salariés de Choisy, 262 au total, se sont mis en grève mercredi dès 6 heures pour protester contre la fermeture annoncée de leur site, spécialisé dans la rénovation et le reconditionnement des moteurs et boîtes de vitesse. BERTRAND GUAY / AFP

Une manifestation spontanée rassemblant les salariés en grève du site de Renault à Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, s’est déroulée mercredi 3 juin dans la ville. Environ « 300 personnes » – les salariés du site en grève depuis la veille, soutenus par les délégués centraux des quatre organisations syndicales (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO), ainsi que des « délégations venant de toute la France » et Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT – « se sont mises en marche spontanément à travers la ville en direction de la gare pour manifester leur mécontentement », a précisé Franck Daoût, délégué central CFDT. « La direction reste douloureusement silencieuse ; nous l’avons sollicitée en vain afin de susciter au moins un dialogue et de calmer les esprits », a-t-il ajouté.

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Le président de Renault, Jean-Dominique Senard, « a su se mobiliser pour Maubeuge, Caudan, Dieppe mais pas pour Choisy », a-t-il regretté, en annonçant la tenue d’une « nouvelle manifestation samedi [à Choisy-le-Roi] en présence des élus de la ville ».

Les 262 salariés se sont mis en grève mardi dès 6 heures pour protester contre la fermeture annoncée de leur site, spécialisé dans la rénovation et le reconditionnement des moteurs et boîtes de vitesse. C’est le seul des 14 sites que compte le groupe en France dont la fermeture définitive a été annoncée à ce stade à l’horizon 2022, dans le cadre du plan d’économies prévu par le constructeur automobile. Son activité doit être transférée au site de Flins (Yvelines), ce qui suscite « une incompréhension totale », selon M. Daoût.

Lire l’édito du « Monde » : L’avenir incertain de Renault

« Nouvelles rassurantes » à Maubeuge

En revanche, à Maubeuge (Nord), les salariés de l’usine Renault en grève depuis vendredi ont repris le travail mercredi. « Nous avons eu des nouvelles rassurantes dont on a fait part aux salariés, même si on reste méfiants. Nous avons gagné la bataille, mais nous n’avons pas gagné la guerre », a déclaré Yannick Charlesege (CFTC). « Suite aux engagements de Renault et du gouvernement, les salariés ont décidé de reprendre l’activité sur le site de Maubeuge », a confirmé Jérôme Delvaux (CGT).

Samedi, des milliers de personnes – 8 000 selon la CGT – avaient manifesté à Maubeuge contre le plan d’économies de Renault. L’usine était à l’arrêt depuis vendredi matin pour s’opposer au projet de transfert de la production des utilitaires électriques Kangoo à Douai, à environ 70 km de là.

En difficulté financière et victime de l’effondrement du marché automobile, Renault a annoncé vendredi la suppression de 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France, soit près de 10 % des effectifs du groupe dans l’Hexagone, avec des départs volontaires et sans licenciements, dans le cadre d’un plan d’économie de plus de 2 milliards d’euros, jusqu’en 2023.

Le constructeur va bénéficier d’un prêt de 5 milliards d’euros garanti par l’Etat. Mardi, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est félicité d’avoir obtenu, en contrepartie, la préservation de l’emploi et des capacités industrielles sur le site de Maubeuge.

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Le Monde avec AFP

L’avenir incertain de Renault

Editorial du « Monde ». Voilà longtemps que Renault n’est plus une « vitrine sociale ». Néanmoins, le groupe, en grande difficulté, doit se livrer à un exercice d’équilibrisme consistant à trouver les moyens de sa survie, tout en donnant des gages à l’Etat, son premier actionnaire, pour que la potion ne soit pas trop amère pour les salariés.

La première étape d’une longue série d’obstacles a été franchie, mardi 2 juin, avec la signature par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, d’un prêt garanti par l’Etat de 5 milliards d’euros. Cette facilité de crédit, qui devenait vitale au regard de la situation financière de Renault, a été obtenue contre l’engagement de préserver l’emploi et le niveau d’activité sur le site de Maubeuge (Nord).

La reconfiguration de cette usine, dont la production doit être transférée vers celle de Douai (Nord), fait partie d’un plan de réduction des coûts beaucoup plus large. Annoncée le 29 mai, cette restructuration prévoit la suppression de 15 000 postes, dont 4 600 en France. L’activité des sites de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) et de Dieppe (Seine-Maritime) doit être redéployée au sein du groupe, qui envisage également de se séparer de la fonderie de Caudan (Morbihan).

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Ce plan n’est pas à proprement parler une surprise. Le principe en a été acté dès février par la direction de Renault, qui est longtemps restée dans le déni quant à l’héritage laissé par Carlos Ghosn, l’ex-PDG de l’entreprise, évincé à la suite des accusations de malversations financières par les autorités japonaises.

Entre une gamme inadaptée aux évolutions du marché, des capacités de production démesurées par rapport à ses ventes et une alliance avec Nissan qui avait fini par perdre de vue ses objectifs initiaux, voilà plusieurs mois que Renault avait besoin d’une complète remise à plat. Les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 n’ont fait que rendre encore un peu plus urgente la restructuration.

Options industrielles pas choisies

Aujourd’hui, l’Etat réclame à Renault des mesures « exemplaires » d’accompagnement social des salariés. Cela n’empêchera pas des milliers de sous-traitants de faire les frais des erreurs commises ces dernières années. Dès lors, on peut se demander pourquoi personne n’a tiré le signal d’alarme plus tôt. Le conseil d’administration, où siègent notamment des représentants de l’Etat et des salariés, a fait preuve d’un silence assourdissant. L’instance, qui n’a pas été très regardante sur la gestion de M.Ghosn, se voit aujourd’hui contrainte de donner son feu vert à un plan de relance modulable selon les pressions de l’Etat et globalement mal ficelé.

Un tel exercice ne peut se limiter à tailler dans les coûts. Sa réussite tient aussi à sa capacité à donner des perspectives de rebond au travers d’une stratégie claire. Or, pour avoir des détails sur celle-ci, il faudra patienter jusqu’à l’arrivée d’un nouveau directeur général, Luca de Meo, qui ne prend ses fonctions que le 1er juillet. Le temps d’imaginer une nouvelle gamme et de fixer les priorités, le dirigeant ne rendra sa copie qu’en fin d’année. Celle-ci sera d’autant plus contrainte que le plan de réduction des coûts l’enferme dans des options industrielles qu’il n’aura pas choisies.

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Autre inconnue, avec quels fonds propres l’entreprise pourra-t-elle investir pour se relancer ? Le prêt garanti par l’Etat couvre à peine ses besoins de liquidité à court terme et le coût de la restructuration, qui, elle, ne produira pas ses pleins effets avant trois ans. Malgré cette aide, Renault est loin d’être sorti d’affaire.

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