Faut-il assouplir les 35 heures à l’hôpital ?

Des infirmières et aides soignantes se retrouvent au poste de soin de l’hôpital Delafontaine, lors de la crise du Covid-19, à Saint-Denis, le 3 avril.

Au plus fort de l’épidémie de Covid-19, Sandrine (le prénom a été changé), infirmière de jour au CHU de Nantes, n’a pas eu la tête sous l’eau. Au contraire. Son établissement, dans une région relativement épargnée par la maladie, n’a pas vu déferler la vague de patients anticipée. Les forces supplémentaires, recrutées pour l’occasion, ont pu faire autre chose et soulager les équipes habituelles. « Ça nous a donné une bouffée d’oxygène, la descente est d’autant plus dure, raconte-t-elle. On court tout le temps, j’ai comme un nuage de mémos adhésifs qui tournent dans ma tête, c’est usant. »

Son contrat de travail stipule qu’elle doit travailler sept heures trente par jour. Dans ce laps de temps, constate-t-elle, il faut effectuer de plus en plus de tâches, en raison des effectifs contraints. Au fil de sa carrière, Sandrine a vu fondre la durée des « transmissions », ce précieux temps où les équipes se passent le relais, réduit aujourd’hui à quinze minutes. « Dans mon service, quand j’ai 16 patients à transmettre, c’est matériellement impossible. Tous les jours, on fait du rab », explique la quadragénaire.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Crise de l’hôpital public : « Chaque jour, j’ai des infirmières qui craquent et qui pleurent »

Comment réussir à appliquer les 35 heures à l’hôpital ? En embauchant, disent les uns ; en desserrant l’étau réglementaire pour pouvoir enfiler les heures supplémentaires − et les rémunérer −, imaginent les autres.

Aucun gouvernement, jusque-là, n’a pris le risque de rouvrir frontalement ce dossier, qui est l’une des arlésiennes hospitalières. Il est aujourd’hui de nouveau sur la table. La question « n’est pas un tabou (…), le maître-mot doit être le pragmatisme », a déclaré le premier ministre, Edouard Philippe, le 25 mai, en préambule du « Ségur de la santé », la concertation qui doit aboutir avant mi-juillet à une « refondation du système de santé » français. Dix jours plus tôt, le ministre de la santé, Olivier Véran, avait lancé : « N’est-ce pas incohérent de maintenir les 35 heures alors que certains, pour gagner plus, travaillent en dehors en toute légalité ? » Il a ensuite évoqué la nécessité de trouver de la « souplesse ». Certains agents, en effet, arrondissent leurs fins de mois en cumulant les emplois.

« On manque d’agents »

Les rythmes de travail à l’hôpital sont aujourd’hui, dans les faits, très divers : l’accord local en vigueur à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) autorise des organisations en 7 heures 30, 7 heures 36, 10 heures et 12 heures, ces dernières étant dérogatoires et réservées à des nécessités absolues de service, comme en réanimation, en soins intensifs ou aux urgences.

Il vous reste 72.06% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le gouvernement ouvre la porte à un statut spécifique des travailleurs des plates-formes

Un livreur Deliveroo, à Paris, le 27 mars.

Livreurs Deliveroo, chauffeurs Uber… Les travailleurs des plates-formes ont démontré leur utilité durant la pandémie de Covid-19 pour transporter des soignants ou livrer de la nourriture. Mais ils ont aussi été de ceux qui ont été les plus violemment affectés par la crise, au regard de la chute de leur activité. Or, avec leur statut d’indépendants, ils sont aussi parmi ceux qui bénéficient du moins de protection sociale.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Après l’arrêt contre Uber, il faut « construire un nouveau droit social »

C’est pour apporter une solution à ce problème que le premier ministre, Edouard Philippe, a décidé d’élargir le périmètre de la mission confiée, en janvier, à Jean-Yves Frouin, qui ne devait initialement se consacrer qu’à la question de la représentation des travailleurs au sein des plates-formes. « La question du dialogue social reste un élémentclé pour mieux concilier, en toute sécurité, activités économiques nouvelles, flexibilité apportée par le statut d’indépendant et droits sociaux liés au travail indépendant en relation avec des platesformes », estime le premier ministre dans un courrier du 5 juin adressé à l’ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, et que Le Monde a pu consulter.

« Renforcer le socle de droits »

Mais le chef du gouvernement appelle désormais également le magistrat à lui proposer des scénarios pour « renforcer le socle de droits dont bénéficient les travailleurs des platesformes, sans remettre en cause la flexibilité apportée par le statut d’indépendant ». Parmi les pistes de réflexion avancée par l’hôte de Matignon figure la création d’« un statut intermédiaire spécifique aux travailleurs sur platesformes, distinct du salarié ou indépendant ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : face à l’épidémie, les coursiers livrés à eux-mêmes

Le premier ministre rappelle enfin que son initiative s’inscrit dans le contexte de la décision, en mars, de la Cour de cassation de requalifier en salarié un chauffeur Uber. Ce qui, selon lui, réclame de clarifier ce sujet « avec une plus grande urgence ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Uber : l’arrêt de la Cour de cassation signe « la fin d’un savant enfumage »

La crise économique provoquée par le coronavirus pourrait être la plus dévastatrice depuis 150 ans

A New Delhi, en Inde, le 24 mai.

C’est le grand bond en arrière. Le produit intérieur brut (PIB) mondial devrait se contracter de 5,2 % en 2020, selon les dernières prévisions de la Banque mondiale, publiées lundi 8 juin. C’est dans la zone euro que le recul, attendu à − 9,1 %, sera le plus marqué au monde. Jamais autant de pays n’ont connu simultanément une telle récession depuis 1870. « C’est un coup dévastateur porté à l’économie mondiale », affirme le président de la Banque mondiale, David Malpass. En avril, le Fonds monétaire international (FMI) tablait sur un recul de 3 % du PIB mondial.

La récession dans les pays pauvres et émergents ne devrait pas dépasser les – 2,5 % en 2020, contre – 7 % dans les pays développés. Mais la crise dans ces économies largement informelles sera plus difficile à combattre, faute de moyens budgétaires suffisants et à cause d’une faible capacité administrative pour distribuer l’aide comme les indemnités de chômage.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi La montée du protectionnisme risque de bloquer l’ascension des pays pauvres et émergents

Dans une note publiée début juin, le FMI a calculé que les dépenses budgétaires pour faire face à la crise représentaient 1,4 % du PIB dans les pays à bas revenus, 2,8 % chez les émergents et 8,6 % dans les économies avancées. Ces dernières ont la capacité de s’endetter, contrairement aux autres. Or, dans quatre pays pauvres et émergents sur dix, la dette publique a augmenté d’au moins 20 % depuis 2007.

« Il y a des limites à notre capacité à dire le futur »

« Beaucoup d’entre eux sont moins préparés à affronter un ralentissement mondial » que pendant la crise de 2009, s’inquiète l’institution située à Washington. Plus qu’une crise passagère, elle craint que la pandémie ne laisse des « cicatrices » profondes et durables sur les économies à cause de la « baisse des investissements », de l’« érosion du capital humain chez les chômeurs » et de la « désintégration du commerce mondial ». En raison de la pandémie, entre 70 millions et 100 millions de personnes pourraient tomber dans l’extrême pauvreté.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Dans les pays pauvres, le piège du confinement pour les travailleurs informels

Lundi 8 juin, l’agence de notation S&P Global Ratings a constaté, en avril, un « redressement » de l’activité dans les pays émergents, même si le « rétablissement sera très lent », particulièrement en Inde. Les capitaux étrangers sont progressivement de retour dans ces pays, après une fuite de 100 milliards de dollars (88,6 milliards d’euros) enregistrée pendant les premières semaines de la pandémie de Covid-19.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : le FMI prédit une récession mondiale historique, avec un recul de la croissance estimé à 3% en 2020

En ces temps d’incertitudes géopolitique et économique, les prévisions de croissance sont à prendre avec précaution. A l’incertitude de la durée de la pandémie s’ajoutent celles de la résilience des économies et de l’aggravation des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis. William De Vijlder, économiste en chef chez BNP Paribas, constate « une montée en flèche de l’incertitude des prévisions », avec des fourchettes « cinq fois plus larges qu’à la fin de 2018 ». « Nous devons admettre qu’il y a des limites à notre capacité à dire le futur », plaide l’économiste Branko Milanovic, citant la « nature incontrôlable » de la crise et son « étendue mondiale ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi La Banque mondiale redoute une baisse historique des transferts d’argent des migrants

Pour les salariés des particuliers employeurs, le dispositif d’indemnisation partielle est reconduit

La procédure est la même que celle mise en place pour les mois de mars, avril et mai.
La procédure est la même que celle mise en place pour les mois de mars, avril et mai. Andriy Popov/Panther Media / GraphicObsession

En avril, la grande majorité des particuliers employeurs ont eu recours au chômage partiel pour leurs salariés à domicile et gardes d’enfants : 713 127 demandes ont été recensées sur le site du Cesu (+ 40 %) et 341 900 sur la plate-forme Pajemploi dédiée à ceux qui font garder leurs enfants par une assistante maternelle ou une nounou à domicile (+ 20 %).

Alors que le gouvernement avait prévu que ce dispositif devait prendre fin au 1er juin, il a finalement décidé de le reconduire pour le mois de juin « afin de protéger les salariés à domicile contre le risque de perte d’activité et d’aider les particuliers employeurs se trouvant en difficulté à rémunérer leurs salariés ».

Pas de reconduction en juillet

En revanche, ces mesures d’aides exceptionnelles ne devraient pas être reconduites en juillet.

La procédure est la même que celle mise en place pour les mois de mars, avril et mai. Le formulaire d’indemnité exceptionnelle sera accessible sur les sites du Cesu et de Pajemploi à partir du 25 juin.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Ce qui change le 1er juin pour nos budgets. Et ce qui, finalement, ne change pas…

Il vous suffira d’indiquer les heures qui auraient dû être effectuées par votre salarié et qui ne l’ont pas été, ainsi que leur taux horaire. En retour, le site vous indiquera le montant à verser à votre salarié (80 % du net horaire). Cette somme vous sera remboursée dans les jours suivants directement sur votre compte bancaire.

Contribuer

L’hôpital à la recherche de l’attractivité perdue

Manifestation de personnels soignant devant l’hôpital de la Timone à Marseille, le 26 mai.
Manifestation de personnels soignant devant l’hôpital de la Timone à Marseille, le 26 mai. CHRISTOPHE SIMON / AFP

Depuis qu’elle a obtenu son diplôme d’infirmière, il y a une dizaine d’années, Coralie (le prénom a été modifié) cumule deux emplois. L’un au sein d’un service de réanimation d’un hôpital public francilien, pour 2 000 euros net par mois, primes de week-end comprises. L’autre, théoriquement interdit, quelques jours par mois, dans le centre de dialyse d’une clinique privée, à 200 euros la journée. « Au vu des responsabilités qu’on a, on gagne très peu à l’hôpital », dit-elle, en pointant la « pénibilité de l’alternance jour/nuit et une charge en soins la nuit comparable à celle de la journée ». En dépit de ce « rythme épuisant », plusieurs de ses collègues effectuent également, selon elle, de tels « extras », qui leur permettent le plus souvent de gagner entre 300 et 500 euros de plus par mois environ.

Impossible de connaître le nombre de soignants qui font de telles prestations en dehors de l’hôpital, parfois juste pour réussir à joindre les deux bouts. Mais la pratique est révélatrice d’une certaine ingratitude de l’Etat envers ses personnels soignants. Le point d’indice de la fonction publique hospitalière est quasiment gelé depuis dix ans, en hausse de seulement 1,7 % entre 2009 et 2017, selon les calculs de l’AdRHess, une structure réunissant les responsables ressources humaines (RH) des établissements de soins. Selon les derniers chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), remontant à 2015, les 500 000 infirmiers français perçoivent une rémunération inférieure de 6 % au salaire moyen en France.

Infographie Le Monde

La faible rémunération des soignants « n’est pas quelque chose de nouveau, les revendications à ce sujet ont émaillé tout le XXe siècle », souligne la sociologue Fanny Vincent, coautrice de La Casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public (Raisons d’agir, 2019). Pour la chercheuse, le problème remonte aux origines mêmes de l’hôpital, lorsque celui-ci était tenu par « des religieuses peu rémunérées, voire pas rémunérées du tout, ce qui a ensuite contribué à minorer le coût de la main-d’œuvre soignante de façon durable ».

Une hausse inespérée avant la crise du Covid-19

Longtemps ignorée par l’Etat, cette faiblesse salariale est aujourd’hui devenue un problème politique et sanitaire. Le « Ségur de la santé », mis en place par le gouvernement il y a deux semaines, est ainsi censé aboutir mi-juillet à une hausse « significative » des salaires. Une hausse inespérée avant la crise du Covid-19, en dépit des nombreux signes de malaise affichés par les personnels hospitaliers depuis plus d’un an.

Il vous reste 71.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le spleen des « héros » du confinement

Un agent d’entretien désinfecte un train au centre de maintenance de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 7 mai.
Un agent d’entretien désinfecte un train au centre de maintenance de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 7 mai. BERTRAND GUAY / AFP

Certains en seraient presque nostalgiques. « Nous aurions voulu que le confinement continue ! plaisante Jean-Pierre Lascary. Nous étions les rois de Paris ! Des dessins, des applaudissements… Nous étions acclamés comme des dieux. On n’avait jamais connu ça ! », raconte cet éboueur de la société Pizzorno, qui collecte dans le 15arrondissement de la capitale.

Au Super U d’Egletons (Corrèze), Laurence Gillet, responsable de rayon, évoque les « merci », « bravo à vous », « courage » laissés sur la page Facebook du magasin. Pierre Audet, chauffeur routier qui a poursuivi son activité de livraison de commerce alimentaire pendant tout le confinement, se souvient des SMS de soutien du maire de son village en Gironde et des applaudissements de 20 heures dans sa rue, dont des voisins lui ont signifié qu’ils étaient aussi pour lui. « Ça fait quelque chose », glisse-t-il.

Témoignages de sympathie, reportages… La crise sanitaire a mis en lumière nombre de professions d’ordinaire peu considérées, mais dont le confinement a révélé combien elles étaient indispensables au quotidien. Jusqu’au président de la République, qui avait rendu hommage à ces « deuxièmes lignes » – les premières étant les personnels de santé – dans son discours du 13 avril.

Depuis, la France se déconfine. Les applaudissements et les mots doux ont disparu. « C’est complètement fini. C’est les mêmes clients, les mêmes caprices », témoigne, amer, Yousri Boumalouka, directeur général adjoint d’un Monoprix à Paris, et secrétaire national FO de l’enseigne. « J’ai juste l’impression que les automobilistes nous mettent un peu moins la pression », estime Jean-Pierre Lascary.

Lire aussi Le lancement du « Ségur de la santé » ouvre une semaine d’annonces gouvernementales

Les soignants, mobilisés depuis plus d’un an pour réclamer des moyens en faveur de l’hôpital public, ont obtenu, à l’occasion de la crise, le lancement, le 25 mai, d’un « Ségur de la santé », censé déboucher, d’ici à la mi-juillet, sur des propositions concrètes.

« Le système pouvait s’effondrer »

Cependant, « le Ségur du transport routier n’est pas prévu, que je sache, ironise Pierre Audet. On est déjà retombés dans l’oubli. Pas seulement les routiers. Tous les métiers du transport, les livreurs, les logisticiens. On est redevenus des camions pollueurs ».

Dès le 20 mars, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, avait appelé les entreprises à verser une prime défiscalisée de 1 000 euros à leurs salariés « qui ont le courage de se rendre sur leur lieu de travail ». Mais son versement diffère selon les employeurs. A Paris, les éboueurs de Pizzorno et de Veolia ont touché une prime globale de 1 000 euros bruts quand les éboueurs municipaux qui collectent dans dix arrondissements reçoivent une prime à la journée travaillée de 35 euros nets. « Certains se sont exposés plus que les autres, appâtés par ce qui faisait figure de prime de risque », déplore un éboueur.

Il vous reste 60.05% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Chez General Electric, à Belfort, « le management à l’américaine est celui du rouleau compresseur »

Des employés de General Electric (GE) manifestent devant l’entrée principale du site de l’entreprise à Belfort, le 19 octobre 2019.
Des employés de General Electric (GE) manifestent devant l’entrée principale du site de l’entreprise à Belfort, le 19 octobre 2019. SEBASTIEN BOZON / AFP

Il faut avoir les nerfs solides, chez General Electric (GE), à Belfort. L’entité gaz du conglomérat américain de l’énergie vacille depuis l’annonce, en mai, d’un projet de délocalisation d’activités, notamment vers l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. Une nouvelle gifle, après le Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de l’automne 2019 et la suppression de 485 postes sur 1 760.

Pour Patrick Mafféïs, la faute en revient au Covid-19. « Ce transfert de 40 000 heures de production est ponctuel », a promis le vice-président des opérations industrielles de GE Power pour l’Europe. « Depuis mi-mars, la pandémie nous a empêchés de réaliser plus de 65 000 heures planifiées à Belfort. » Or, « nous ne pouvons pas les décaler en 2021 ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « On a sauvé les meubles, mais c’est provisoire » : pour les « GE Belfort », un compromis sans enthousiasme

Philippe Petitcolin, délégué CFE-CGC, résume : « Le management à l’américaine est celui du rouleau compresseur. La direction pousse le bouchon pour voir comment ça réagit en face. Si elle ne rencontre aucun obstacle, elle fonce. La seule réponse possible, c’est le rapport de force. » Chez GE, la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier… ni celle de demain. « Un jour on intègre, le lendemain on sous-traite, le surlendemain on vend… », lâche, désabusé, le syndicaliste.

Le groupe a finalement changé d’avis ces derniers jours, prévoyant désormais de maintenir à Belfort 33 000 heures, soit plus de 80 % de la charge. Les 7 000 heures restantes seraient confiées à la sous-traitance, en Haute-Saône et aux Etats-Unis, et le site belfortain en garderait l’entière maîtrise.

« Hors de question de brader nos acquis ! »

Cette ultime proposition de la direction est assortie de contreparties avec des journées de travail certains samedis et le report, en 2021, d’une dizaine de jours de congés payés. Et d’une exigence : son approbation à l’unanimité par les organisations syndicales représentatives du collège des ouvriers. « On ne parle plus de délocalisation. Cela nous paraît acceptable, même s’il faut encore entrer dans le détail des mesures », commentent Alexis Sesmat (SUD) et Philippe Petitcolin.

Pas pour la CGT, leader dans ce collège, qui voit rouge en entendant le mot flexibilité. « Hors de question de brader nos acquis et de céder au chantage ! », s’irrite Cyril Caritey, son secrétaire général. « Cela conduirait à la dégradation des conditions de travail et de vie des salariés. » Pour lui, accepter ne serait-ce qu’un petit volant de sous-traitance, c’est mettre le doigt dans un engrenage mortel. « Moins d’heures réalisées à Belfort, ce sont des coûts fixes plus difficiles à amortir et une dégradation de la compétitivité du site, déjà très affaibli et déstructuré par le PSE. » Il s’alarme aussi de la désorganisation du travail : « Certaines turbines sont expédiées incomplètes. On court après les pièces. L’outillage manque… »

Il vous reste 25.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Télétravail : revoir de près les règles du travail de loin

Mis en place à très grande échelle durant le confinement, le travail à distance (ou télétravail) redevient un sujet de discussions entre les partenaires sociaux. A l’initiative du Medef, syndicats et patronat ont lancé, vendredi 5 juin, un cycle de réunions sur cette forme d’activité organisée en dehors des locaux de l’employeur. L’exercice obéit à une évidence : fin mars, au plus fort de la crise sanitaire, un salarié sur quatre exerçait ainsi son métier, selon une enquête de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Et ils sont encore des centaines de milliers à procéder de la sorte.

Une situation inédite qui soulève de multiples questions : y a-t-il des opportunités qui s’ouvrent, pour les chefs d’entreprises comme pour leurs personnels ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? Que faudrait-il améliorer si une expérience semblable à celle vécue du 17 mars au 11 mai devait se reproduire ?

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Je ne veux plus télétravailler », « Franchement, j’en ai ma dose » : les dégâts du télétravail

Dans un courrier envoyé le 14 mai à ses homologues patronaux et syndicaux, Geoffroy Roux de Bézieux, le numéro un du Medef, les appelait à « conduire collectivement un travail de diagnostic ». Avec l’idée de parvenir, si possible, à « porter dans le débat public une position paritaire ». Mais la lettre en question ne mentionnait à aucun moment l’intention de négocier un accord national interprofessionnel (ANI), assorti de règles susceptibles de s’imposer à tous les employeurs.

Un état d’esprit qui a été réaffirmé, vendredi, par le patronat. Pour Hubert Mongon, le représentant du Medef, « il y a de la place pour un dialogue social consistant et exigeant, mais qui n’a pas vocation à déboucher sur un cadre normatif ». « L’urgence n’est pas de refaire la loi mais de réfléchir ensemble pour avoir une vision claire de ce qu’ont vécu les salariés et les entreprises et fournir à ces dernières des points de repère », estime-t-il. Pour les périodes où l’économie tourne normalement, les textes en vigueur ne nécessitent pas d’être revus, explique, en substance, Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises. L’élaboration de mesures nouvelles, pour les « circonstances exceptionnelles » comme le confinement, est, à la rigueur, envisageable, « mais on ne pourra le dire qu’après le diagnostic », ajoute-t-il.

Définir des règles

Une position que les confédérations de salariés regrettent : à leurs yeux, les dispositions actuellement applicables méritent d’être remises à jour. Catherine Pinchaut (CFDT) juge qu’« un accord aurait de la gueule dans la période » : « Il faut un cadre et des points de repère, plaide-t-elle. Nous avons une demande très forte de nos militants. » « Il pourrait être intéressant de compléter l’ANI de 2005 sur le télétravail, qui est toujours en vigueur, observe Eric Courpotin (CFTC). Mais le patronat ne le voit pas ainsi, si bien que nous nous interrogeons sur le sens de sa démarche. » « Faire un diagnostic pour faire un diagnostic ne sert pas à grand-chose », renchérit Jean-François Foucard (CFE-CGC). « Les choses ont évolué, on a changé d’échelle, poursuit-il. Il faut que les entreprises passent d’une approche individuelle à une approche collective. Ça doit être cadré : on ne peut pas laisser les gens face au système D. »

Il vous reste 19.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Hutchinson, filiale de Total, va supprimer un millier d’emplois en France

Le groupe Hutchinson compte 80 usines dans le monde, dont 25 dans l’Hexagone.
Le groupe Hutchinson compte 80 usines dans le monde, dont 25 dans l’Hexagone. Hutchinson

Acteur historique de l’industrie du caoutchouc, le groupe Hutchinson est frappé de plein fouet par la crise économique. L’entreprise a confirmé, vendredi 5 juin, qu’elle prévoyait un plan de départs volontaires d’environ un millier de salariés, sur un effectif de 8 000 personnes en France. Une décision motivée par « la situation actuelle dans l’automobile », a assuré une porte-parole de l’entreprise au Monde. Elle assure que « ce plan fera, bien sûr, l’objet de négociations avec les organisations syndicales » et qu’« il n’y aura aucun licenciement ».

Pas de quoi cependant rassurer les syndicats du groupe, qui compte 80 usines dans le monde, dont 25 dans l’Hexagone. Selon la CFDT, ces mesures de départ pourraient concerner 3 000 salariés sur l’effectif mondial et 6 000 intérimaires, auxquels Hutchinson ne ferait plus appel. Le groupe emploie environ 40 000 personnes.

Hutchinson, filiale du groupe pétrolier Total depuis 1974, fabrique et commercialise des produits issus de la transformation du caoutchouc. Spécialisée dans les élastomères, la société fait partie des experts mondiaux des systèmes antivibratoires, de la gestion des fluides, ainsi que de l’étanchéité de précision et de carrosserie.

La société compte parmi ses principaux clients l’industrie automobile et l’aéronautique, deux secteurs durement affectés par les mesures de confinement qui ont mis la planète à l’arrêt pendant deux mois. D’après les syndicats, la direction du groupe a annoncé début juin que les résultats du mois de mars étaient inférieurs de 60 % à ceux de 2019, et que ceux du mois de mai seraient encore plus mauvais.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pétrole : Total s’enfonce dans la crise, mais maintient les dividendes aux actionnaires

Les organisations syndicales soulignent également les effets pervers de la décision de Total de ne pas utiliser le dispositif de chômage partiel, tout en assumant le versement des salaires à 100 %, ce qui a laissé un trou de trésorerie important, explique la CFDT dans un tract. La CGT souligne pour sa part que le groupe pétrogazier a fait le choix de ne pas recourir à ce dispositif pour pouvoir verser librement des dividendes à ses actionnaires.

Le risque d’une perte de compétences

La direction a déjà identifié près de 800 personnes pouvant prétendre à un départ en retraite anticipée au niveau national, dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective. L’entreprise souhaite ouvrir les négociations immédiatement, pour que le plan puisse prendre effet dès septembre et se terminer en janvier 2021. « C’est choquant », estime Didier Godde, coordinateur CGT du groupe. « Les salariés viennent à peine de sortir de la pandémie et on nous fait ce type d’annonce ! ». Les deux syndicats appellent à prendre le temps de la discussion. « Il faut aussi regarder en détail l’impact des mesures de soutien à l’automobile », note M. Godde. « On travaille à 75 % pour l’industrie automobile. Elle ne va pas rester à l’arrêt éternellement ».

Pour les organisations syndicales, le risque est que l’entreprise perde des compétences et des salariés en CDI, et qu’elle se retrouve à recourir à davantage d’intérimaires et de CDD lorsque l’activité reprendra. « Le groupe profite de la crise pour réduire la voilure. Il faut se rendre compte qu’on parle de plus de 10 % des effectifs en France ! », ajoute Didier Godde.

Pour l’heure, l’industriel ne précise pas quels sites pourraient être concernés par les suppressions de postes, ni si des usines situées en France pourraient fermer leurs portes. « Le PDG nous a promis qu’il n’y aurait pas de fermeture de site en France. C’est ce qu’on espère », détaille Farid Meslati, coordinateur CFDT du groupe.

Les syndicats estiment que la direction brosse un portrait trop négatif de l’entreprise pour pouvoir justifier ce plan de départ

Ni la CGT ni la CFDT n’envisagent de se lancer dans des tractations sur ce plan de départ. « On veut d’abord des réponses à nos questions sur la stratégie du groupe, sur la préservation de l’emploi, des garanties pour la suite », précise M. Meslati, qui privilégie plutôt un accord sur des départs anticipés. « On peut arriver quasiment au même nombre de départs et préserver l’emploi pour la reprise », veut-il croire.

Les syndicats estiment également que la direction brosse un portrait trop négatif de l’entreprise pour pouvoir justifier ce plan de départ. Ils s’interrogent également sur le rôle de Total, un actionnaire qui jouit d’une forte stabilité financière. « Si un groupe comme Total ne montre pas l’exemple pour soutenir l’industrie française, qui va le faire ? On va finir par démanteler toutes nos filières de haut niveau technologique, si on continue comme ça », s’inquiète Didier Godde, de la CGT.

« Inaugurer le temps des arbitrages où tout ne pourra, heureusement ou malheureusement, être maintenu »

Tribune. Faut-il sauver Air France ? Maudit soit celui qui répondra : « Oui, sans hésiter. » Un expert du marketing ou un syndicaliste militant se rejoindront pour expliquer à quel point Air France est plus qu’une simple entreprise ; c’est un symbole, un mythe, un patrimoine, un fleuron, une fierté, à tel point que la foison de qualificatifs susciterait immédiatement une curiosité anthropologique qui s’attacherait à décoder ce que cet attachement si particulier et si puissant à cette entité nous dit de la cosmologie des Français.

Maudit soit aussi celui qui répondra trop hâtivement : « Non, Air France est incompatible avec les enjeux écologiques », ignorant justement tous les peuples, les collectifs, les affects qui nous attachent à cette entité si dense.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : consommer dans le monde d’après

Les enjeux sociaux et les risques politiques sont en fait trop importants pour répondre trop clairement à la question. On se protégera en affirmant que la situation est soit exceptionnelle, soit trop complexe, deux avatars managériaux très utiles permettant d’échapper à la question qui tue. Au mieux, on cherchera à conditionner le sauvetage à quelques vagues exigences techniques, sociales ou écologiques.

Dans tous les cas, on fera tout pour de ne pas regarder l’anthropocène dans les yeux, cette nouvelle époque climatique et écologique faite d’irréversibilités, de discontinuités et autres situations catastrophiques comme celle que nous vivons en ce moment.

« Vide stratégique »

Or notre monde organisé est peuplé de milliers d’organisations « comme Air France », c’est-à-dire d’entités qui ont fait proliférer des réseaux de dépendance offrant, dès lors, très peu de prises politiques. Ces objets sont puissants, et la crise liée au Covid-19 nous montre à quel point leur puissance réside non pas dans leur solidité financière ou leur modèle économique, mais plutôt dans les attachements, c’est-à-dire dans les réseaux de dépendances fortes qu’ils ont su tisser autour d’eux, faisant de leur existence un préalable à la subsitance de nombreux humains.

Sauver Air France est ainsi un impératif qui ne se discute pas. Tenter de répondre autrement à cette question ouvrirait en effet la boîte de Pandore : celle de l’ingénierie de la fermeture, celle des protocoles de renoncement, celle qui consiste à inaugurer le temps des arbitrages où tout ne pourra, heureusement ou malheureusement, être maintenu.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le monde d’après : « Le risque est de mettre des rustines là où il faudrait réformer en profondeur »

Cette impossibilité à envisager la fermeture est symptomatique du « vide stratégique », selon le titre du livre de Philippe Baumard (CNRS Editions 2012), dans lequel les organisations et les politiques qui les encadrent se situent. Si nous ne pouvons pas imaginer la fermeture d’Air France, nous ne pourrons jamais imaginer la fermeture d’une compagnie pétrolière, d’une entreprise de croisière, ni d’une société qui promet des voyages spatiaux. La compagnie pétrolière est encore plus essentielle qu’Air France pour faire tourner nos économies sous perfusion aux énergies fossiles. Nos ambulances sont attachées à Total ! L’entreprise de croisière offre des milliers d’emplois et des vacances bon marché à des cohortes de classes moyennes du monde entier. Les voyages spatiaux, du point de vue de la construction de nouvelles mythologies cherchant à forcer le possible, ne sont pas mal non plus ! Cette impossibilité nous dit beaucoup, aussi, de cette incapacité du management à penser autrement que par la continuité, l’action, le possible, le projet ou le processus.

Il vous reste 51.57% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.