Dans le public, les services de paie bousculés par la simplification administrative

« A terme, 5,6 millions de personnes travaillant dans le public seront concernées par cette opération de simplification administrative. Une paille par rapport aux quelque 20 millions de salariés du privé, dont les employeurs ont déjà effectué cette transition. »
« A terme, 5,6 millions de personnes travaillant dans le public seront concernées par cette opération de simplification administrative. Une paille par rapport aux quelque 20 millions de salariés du privé, dont les employeurs ont déjà effectué cette transition. » Philippe Turpin / Photononstop

Remue-ménage en vue dans les services de paie des administrations. Obligatoire pour toutes les entreprises du secteur privé depuis le 1er janvier 2017, le passage à la déclaration sociale nominative (DSN) va s’imposer aux trois versants de la fonction publique. D’ici à 2022, ses employeurs devront utiliser ce document unique, établi à partir des données de la paie de chaque salarié, pour transmettre à l’ensemble des organismes sociaux les informations relatives à sa rémunération, ses arrêts maladie ou encore ses fins de contrat.

Trois vagues ont été fixées, en fonction de la taille des établissements : les plus gros employeurs de la fonction publique territoriale, du secteur hospitalier et des services de l’Etat (dont la paie est directement assurée par l’établissement employeur) devaient ouvrir la marche au 1er janvier 2020.

A terme, 5,6 millions de personnes travaillant dans le public seront concernées par cette opération de simplification administrative. Une paille par rapport aux quelque 20 millions de salariés du privé, dont les employeurs ont déjà effectué cette transition. Au niveau des services de paie, le basculement s’est parfois opéré dans la douleur. Dans le public, l’opération s’annonce tout aussi délicate.

« Aujourd’hui, beaucoup ne sont pas prêts, mais on va y arriver », considérait, optimiste, Eric Hayat, le président du groupement d’intérêt public de modernisation des déclarations sociales (GIP-MDS) fin janvier. Lors de la phase de test avec des établissements volontaires, mise en place en 2019, seulement 365 déclarations avaient été déposées sur la plate-forme pilote – dont la moitié n’était pas concernées par l’échéance de cette année.

Un mois après la première vague, combien ont finalement respecté la date butoir du 1er janvier 2020 ? « S’agissant des chiffres nous ne disposons pas d’autre élément à ce stade », indiquait le GIP-MDS le 7 février. Mais son président ne mâchait pas ses mots : « Le public, c’est long, c’est lourd, c’est compliqué. On a une réunion toutes les semaines avec eux. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’autorité générale qui gère la fonction publique ».

Anticipation

Au demeurant, aucune pénalité n’est prévue pour les retardataires. Ceux qui n’auront pas fait le basculement en ce début d’année doivent simplement reporter leur passage à la DNS au 1er janvier 2021. « Comment voulez-vous que le public s’applique à lui-même des pénalités ? », ironise Eric Hayat.

Rapport Racine sur les auteurs : comment transformer l’essai ?

Ils sont tous venus. De l’Union nationale des peintres illustrateurs à la Guilde française des scénaristes, du syndicat des éditeurs à celui des photographes. Le grand salon de la rue de Valois est comble pour entendre les propositions que Franck Riester, le ministre de la culture, doit annoncer à la suite du rapport Racine sur « L’auteur et l’acte de création ». Le ministre est en retard… « Y a un suspense de dingue. J’ai jamais vu un rapport qui fasse autant de boucan, s’amuse un briscard de ce genre d’exercice. Sauf peut-être le rapport Lescure… Et il n’en est presque rien resté. »

Le mois dernier, la publication du rapport Racine, du nom de l’ancien patron de la Bibliothèque nationale de France, a su, en effet, canaliser la colère qui grondait depuis quelques années – et notamment au dernier festival de la bande dessinée d’Angoulême – en épousant la cause des « artistes-auteurs ». En 140 pages et 23 propositions, le document, touffu, tentait de dresser une ligne directrice entre des métiers souvent éloignés les uns des autres (plasticiens, écrivains, musiciens…) mais réunis par deux mots (la création et les difficultés économiques), et avait au passage suscité l’ire des éditeurs qui se sentaient stigmatisés.

Autant dire que c’est à un travail d’équilibriste que s’attend, ce mardi 18 février, le ministre – jusqu’ici plus salué pour son travail sur l’audiovisuel que par le monde de la culture – et, derrière lui, tout son cabinet mobilisé sur le sujet, devant une audience aux aguets. Franck Riester va ainsi dérouler un long plan d’action en quatre axes : garantir les droits sociaux, faire évoluer les modèles économiques, donner aux artistes-auteurs les moyens d’être mieux représentés, et enfin, au niveau du ministère, se doter d’outils d’analyse et de suivi.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Rapport Racine :« Nous en appelons à l’intervention de l’Etat pour donner aux créateurs des conditions plus justes et dignes »

Une nouvelle mobilisation possible

Sur le premier point, alors que le gouvernement est en pleine redéfinition des régimes spéciaux de retraite, le ministre fait justement valoir qu’il a gagné des arbitrages et a su manœuvrer pour défendre ses ouailles. Mais entamer sa démonstration par sa volonté d’élargir le statut d’auteur aux directeurs de collection, qui est une demande de longue date des éditeurs, suscite déjà des agacements du côté des auteurs. L’ensemble du discours va être à cette aune. Acquiescements lorsqu’il annonce une aide financière accordée aux festivals pour payer les séances de dédicaces et les intervenants, mines épanouies quand il promet la mise en place d’outils de suivi que tout le monde appelle de ses vœux, ou la nomination au sein de son cabinet d’un conseiller en charge de ces questions (dont le nom n’est pas encore connu), sourires lorsqu’il annonce des assises nationales d’artistes-auteurs : « Je serai attentif à la question du financement des organisations représentatives. Défendre les intérêts des artistes-auteurs, cela demande du temps et des moyens. »

L’humour, antidote au pire du management

Gabs/Cartoonbase / Photononstop

Carnet de bureau. « Bob était plutôt orienté “résultats”, comme on dit (…). Il aimait à dire que la sympathie était l’exact opposé de l’efficacité et de la performance. » Bob est mort, assassiné. Figure de roman, il est le héros grotesque du dernier livre de Gaël Chatelain-Berry, à paraître en mars. Depuis une dizaine d’années, ce consultant sur la bienveillance au travail décrypte le pire du management (podcast, blog, manuels). L’intérêt du thriller Mais qui a tué Bob ? (Dunod) est l’interrogatoire des salariés, tous suspects, qui décrivent une à une les attitudes toxiques.

« Il imposait le respect par la terreur, personne n’aurait jamais osé s’opposer à lui, sauf Jessica peut-être… », dit Caroline, la secrétaire de Bob. « Il n’aurait jamais supporté d’être pris en défaut de compétence ou de faiblesse », ajoute-t-elle. Didier, l’adjoint souffre-douleur, complète le portrait-robot du pire des manageurs : « C’était un lâche, Monsieur Bob (…). Toute la basse besogne, c’était pour moi » ; « Rappeler des délais, des objectifs, tout ce qui n’était pas sympathique et qu’il n’osait pas faire » ; « Mon quotidien n’était fait que d’humiliations et de brimades (…). Jamais de reconnaissance, même pas un petit bonjour ou un merci, jamais ». Ce thriller tient presque du manuel pédagogique.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Rire le plus sérieusement du monde pour mieux travailler

Dans la réalité, heureusement, tous les mauvais manageurs ne meurent pas de leurs méfaits, malgré les dégâts humains et économiques qu’ils provoquent. Dans Histoires pour gestionnaires insomniaques. Ce que les vaches, les mauvaises herbes et les œufs brouillés peuvent nous apprendre sur la gestion (Les Editions de l’homme, 2019), un des papes du management, Henry Mintzberg, raconte, entre autres, comment Eastern Airlines a coulé en 1991 pour une histoire d’œufs brouillés. En une anecdote drôle, le professeur de gestion pointe l’aveuglement du manageur qui, fort de ses rapports chiffrés, est devenu sourd aux avertissements des salariés sur la dégradation du service client.

« Une espèce de geste social »

L’humour et la fiction appliqués au management laissent la double impression d’être au coeur du sujet et de comprendre comment mettre fin aux dérives. Les auteurs qui s’y essaient offrent des antidotes au pire du management : Le Cri du corps. Harcèlement moral au travail : mécanismes, causes et conséquences (Michalon, 2018) d’Anne-Véronique Herter, est une bible sur le harcèlement moral, dont elle fut victime ; Les Décisions absurdes (Gallimard, trois tomes entre 2014 et 2018) de Christian Morel, sont une anthologie drolatique des erreurs stratégiques.

« Le Nouvel esprit du salariat » : des salariés toujours plus autonomes

« Le Nouvel Esprit du salariat », de Sophie Bernard (PUF, 256 pages, 20 euros).
« Le Nouvel Esprit du salariat », de Sophie Bernard (PUF, 256 pages, 20 euros).

Le livre. On ne compte plus les travaux sur le chômage, la précarité ou l’indépendance : tant les recherches que le débat public se focalisent depuis une vingtaine d’années sur les marges du salariat. Depuis les années 1970, en effet, ce statut subit en France une déstabilisation. Mais ce zoom sur les marges risque « d’occulter les transformations affectant la majorité des travailleurs et travailleuses », met en garde Sophie Bernard.

Neuf personnes en emploi sur dix sont salariées, dont une écrasante majorité en CDI. Dans Le Nouvel Esprit du salariat (PUF), la professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine analyse « les mutations les plus significatives qui s’opèrent, non dans les marges, mais au cœur du salariat stable ». Par nouvel esprit du salariat, la chercheuse à l’Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales (Irisso) désigne « une nouvelle forme de mobilisation de la main-d’œuvre favorisant l’avènement d’un travailleur autonome et responsable », foyer central de diffusion de valeurs individualistes et méritocratiques.

Cette figure est-elle un dépassement du salariat ou une nouvelle forme de sujétion des travailleurs ? L’ouvrage s’organise en trois chapitres qui analysent successivement trois figures salariales émergentes.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Au pays de l’entreprise libérée, le contrôle peut être plus redoutable que dans une firme classique »

Le premier chapitre porte sur le salarié « associé », « qui se caractérise par une forte intégration dans l’entreprise et dans le collectif de travail ».

A partir d’une enquête réalisée dans le secteur de la grande distribution, l’ouvrage analyse en quoi le partage des bénéfices participe d’une convergence des intérêts de l’employeur et de ceux des salariés, favorisant la responsabilisation et l’investissement au travail. Mais la distribution des bénéfices peut également se transformer en partage des risques, les salariés prenant alors conscience des inégalités liées aux primes variables.

Forte autonomie mais aussi incertitude

Le deuxième chapitre s’intéresse au salarié « méritant », exploré à partir de l’analyse de la distribution de primes sur objectifs dans le secteur bancaire. Au-delà de l’apparente neutralité et rationalité des critères d’évaluation, le livre analyse comment elles sont attribuées. L’enquête démontre que la manière de procéder des manageurs est aussi façonnée par leurs conceptions de la justice, et peut entrer en contradiction avec les objectifs initiaux associés aux primes sur objectifs, en aboutissant à une opacification des critères de répartition.

Services publics : « Sans l’expertise des professionnels, les plans d’économie aggravent l’inefficacité »

« Partout, on dénonce un manque de moyens et une dévalorisation des métiers » (Manifestation à Paris).
« Partout, on dénonce un manque de moyens et une dévalorisation des métiers » (Manifestation à Paris). Sébastien Rabany / Photononstop

Chronique « Entreprises ». La crise de l’hôpital qui couvait depuis des années est maintenant manifeste. Simultanément, ce sont les universitaires qui expriment leur épuisement et le sentiment que leur métier n’est plus compris. A l’école, le cycle des crises et des réformes est permanent. Partout, on dénonce un manque de moyens et une dévalorisation des métiers. Cependant, ces institutions diffèrent d’autres secteurs du service public par un trait commun : des professions qui reposent sur une forte autonomie garantie par la loi.

Ces « bureaucraties professionnelles » ont, depuis longtemps, intéressé la recherche car leur gestion ne peut se faire qu’avec le concours et le plein assentiment de ces personnels. Les crises récurrentes de l’hôpital, de l’université et de l’école signalent donc la difficulté ancienne et persistante qu’ont les doctrines administratives dominantes pour penser « avec » cette autonomie.

La notion de « bureaucratie professionnelle » a été introduite par le chercheur canadien Henry Mintzberg (The structuring of organizations, Pearson, 1978). Elle est définie par contraste avec les bureaucraties classiques, où il y a subordination des salariés et où les règles de travail sont définies par la hiérarchie ou par des services techniques compétents.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Pour que les démocraties retrouvent leur équilibre »

Car, pour un médecin, un professeur ou un chercheur, ces principes ne tiennent plus. Les valeurs, les règles de l’art, le jugement des pairs, le service du public constituent des limites opposables à leurs administrations. En outre, l’innovation étant continue dans ces métiers, ces professionnels doivent consacrer des efforts importants et faire des choix difficiles pour rester au meilleur niveau.

Défiance

Or, dans ces organisations, un cercle vicieux doit être soigneusement évité. Il s’amorce en général par une tentative administrative autoritaire d’économie, d’évaluation ou de transformation des activités. Celle-ci provoque, chez les professionnels, le sentiment que des fondamentaux de leur métier et de leur autonomie sont incompris. Ils se plient alors à certaines injonctions, mais ne s’approprient pas la réforme et, sur des points essentiels, privent celle-ci de leur concours à sa réussite. On aboutit à une défiance entre professionnels et administrateurs, ainsi qu’à des résultats mitigés. Suivent de nouvelles réformes, d’autant moins élaborées en commun, qui creusent la défiance sans obtenir le succès, et font fuir les talents.

Heureusement, cette spirale n’est pas inéluctable. Mais une fois installée, elle aboutit inévitablement à une crise sévère des moyens. En effet, lorsque les premiers manques apparaissent, les alertes des professionnels sont négligées par des administrations défiantes ou incapables, avec leurs outils d’évaluation, de justifier ces besoins.

HSBC : l’Europe, première cible de la suppression de 35 000 emplois

Devant une agence HSBC, à Paris, en 2010.
Devant une agence HSBC, à Paris, en 2010. LOIC VENANCE / AFP

La première banque européenne ne croit plus dans le Vieux Continent. Ou si peu. Le britannique HSBC, premier établissement en Europe par la taille de son bilan, a annoncé, mardi 18 février, un grand plan de restructuration visant à se recentrer sur l’Asie, sa région d’origine.

La banque va réduire ses effectifs de 35 000 personnes, passant de 235 000 employés actuellement à « environ 200 000 » d’ici à 2022. Cela s’accompagne d’une très sérieuse purge de son bilan, avec 100 milliards de dollars (93 milliards d’euros) d’actifs qui doivent être supprimés, sur un total de 843 milliards. La banque veut dégager, d’ici à 2022, des économies annuelles de 4,5 milliards de dollars, soit une réduction de 12 % de ses coûts.

Si les Etats-Unis sont également touchés par la restructuration, la première région visée par ce grand coup de balai est l’Europe. HSBC veut y supprimer le tiers de ses actifs. « [Le Vieux Continent] mobilise 20 % de notre capital, mais nous y perdons de l’argent, explique Noel Quinn, le directeur général par intérim. Ce n’est pas acceptable. »

« Pas l’intention de nous retirer complètement de France »

Concrètement, il n’est pas question de se retirer d’Europe. Mais l’établissement va fortement limiter sa présence à deux niveaux. D’abord, il va réduire son activité dans la banque d’investissement. HSBC est avant tout l’établissement du commerce international. Sa spécialité est de financer les grandes multinationales et d’accompagner la mondialisation. En revanche, le groupe a toujours peiné, en Europe, sur des métiers comme le conseil en fusions et acquisitions ou les produits financiers pointus. Faute de rentabilité, il va réduire ces activités. De même, la recherche (notes d’analyse sur l’économie et les entreprises) sera réduite, et sa présence à la City va en prendre un sérieux coup.

Le deuxième niveau de coupes en Europe continentale concerne la banque commerciale, celle qui finance les entreprises. HSBC entend se concentrer sur les grandes entreprises internationales, qui peuvent profiter de sa présence un peu partout dans le monde. Les clients nationaux en Europe – grosses PME, entreprises qui n’exportent pas ou peu… – ne sont plus sa priorité.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Brexit : HSBC n’a pas réalisé les délocalisations promises à Paris

Quant à la banque de détail, tout dépend des marchés. HSBC a annoncé, en 2019, qu’elle entendait vendre son réseau d’agences en France. Le processus est en cours, sans nouvelle mise à jour. « Nous n’avons pas l’intention de nous retirer complètement de [l’HExagone] », précise cependant M. Quinn.

Nucléaire : accusé de trop parler, un salarié d’Orano mis à pied

Etre salarié dans l’industrie nucléaire et en critiquer publiquement les conditions de travail, est-ce compatible ? Il semblerait que non pour Orano (ex-Areva). Même si le groupe souligne qu’il « reste attaché au respect de la liberté d’expression », il affirme qu’il ne doit pas y avoir « d’abus ».

En raison de ses prises de positions sur les conditions de travail, une mise à pied de cinq jours a sanctionné, par un courrier daté du 5 juillet 2018, Gilles Reynaud, chef de chantier chez Orano Démantèlement et Services (DS) à la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme) et syndicaliste de Sud Energie (non représentatif). M. Reynaud contestera cette sanction le 29 avril devant le conseil des prud’hommes de Nanterre.

Lire aussi Au Tricastin, la grève timide des sous-traitants du nucléaire

Des propos tenus sur un site associatif

Cette mise à pied, sans salaire, « s’inscrit dans une série de dénigrements publics et de propos péjoratifs à l’encontre du groupe dont il est salarié », justifie un représentant de l’énergéticien, qui sont « contraires à son obligation contractuelle de loyauté l’égard de la société Orano DS ». La sanction s’appuie sur des éléments publiés, notamment, sur le site associatif Ma zone contrôlée (MZC), que M. Reynaud a co-créé et qu’il préside. Cette association se compose d’un collectif de « salariés militants statutaires et sous-traitants de l’industrie nucléaire », dont le but est, grâce aux échanges, d’« améliorer la sécurité des interventions, la sûreté des installations ».

Ces éléments ont été mis en ligne en 2017 et 2018. Or, toute sanction devant intervenir au plus tard deux mois après les faits, ceux qui sont antérieurs au 13 avril 2018, soit deux mois avant l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable, sont donc prescrits.

Le 13 avril 2018, par exemple, MZC évoque le « licenciesous trament discriminatoire » d’un salarié d’une filiale de l’entreprise, victime d’un cancer de la thyroïde et déclaré inapte à travailler en zone irradiée. « On a entrepris toutes les démarches » pour le reclasser, qui « n’ont pas abouti », se défend-on chez Orano. Gilles Reynaud a, lui, une toute autre version : « Les managers ont obligé ce salarié à travailler en zone irradiée. Il a soulevé le problème, il a été licencié pour inaptitude. Il est aux prud’hommes. »

« Low cost »

Selon MZC, les salariés sous-traitants du nucléaire « effectuent 80 % des activités nécessaires au parc nucléaire » et prennent « 80 % des doses » d’irradiation. Ils sont « victimes de la majorité des accidents de travail (souvent non déclarés) ». Pour les appels d’offre, explique M. Reynaud, « il y a une mise en concurrence déloyale des sous-traitants », qui dépendent de conventions collectives diverses et variés : propreté, Syntec, etc.

Lire l’enquête : Les doutes et les fragilités du secteur nucléaire français

Pour Gilles Reynaud, c’est du « low cost ! », comme il l’a déclaré à la Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, qui l’avait convoqué le 17 mai 2018 en tant que président de MZC. « Quand je suis revenu de l’Assemblée nationale, ma direction m’a dit : tu es en train de boussiller notre business », raconte M. Reynaud. Ce que Orano dément.

La convocation à l’entretien préalable à la sanction est intervenue un peu moins d’un mois après l’audition de M. Reynaud. « C’est purement fortuit », affirme-t-on chez l’énergéticien. Au contraire, selon Me Cyril Cambon, l’avocat de M. Reynaud. « M. Reynaud peut témoigner de l’intérieur, il gêne, il faut le faire taire. C’est quand même fou qu’on veuille museler un associatif sous prétexte qu’il est salarié d’Orano. »

La Caisse d’épargne brise un tabou en recourant à des travailleurs indépendants

Aucune banque en France n’avait jamais osé s’y risquer. La Caisse d’épargne a décidé de faire le saut : elle s’apprête à lancer un nouveau modèle de distribution en remplaçant, dans certaines agences rurales, ses salariés par des travailleurs indépendants, avec le statut de conseiller indépendant local (CIL). Le premier établissement à expérimenter la formule est la Caisse d’épargne Bretagne-Pays de Loire, qui commencera le test en juin dans trois points de vente. L’institution a obtenu le feu vert de son organe central, BPCE (Banque populaire-Caisse d’épargne), et transmettra prochainement une demande d’autorisation à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le gendarme bancaire.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Au sein du groupe Banque populaire Caisse d’Epargne, la nouvelle vie des « bleus » et des « rouges »

« C’est un tsunami dans le monde bancaire, a réagi Frédéric Guyonnet, le président national du syndicat SNB-CFE-CGC. Le groupe franchit la ligne rouge. Aujourd’hui, on nous parle des agences rurales, demain ce sera les agences des quartiers sensibles. Et ce n’est pas de bon augure pour les clients, car ces entrepreneurs seront rémunérés en fonction du nombre de produits vendus. »

Pourquoi, donc, remplacer des salariés par des travailleurs indépendants ? Dans le document de présentation soumis en comité social et économique (CSE), le 30 janvier, et que Le Monde s’est procuré, la Caisse d’épargne Bretagne-Pays de Loire insiste sur « l’environnement contraignant » auquel font actuellement face les banques : la concurrence des autres enseignes et des néobanques, les taux bas, la pression réglementaire. La baisse des revenus rend « une présence granulaire en milieu rural de plus en plus coûteuse pour des portefeuilles de clients fidèles, mais vieillissants », souligne l’établissement, en ajoutant que « les budgets de la Caisse ne suffisent pas pour rénover toutes les agences » et qu’elle rencontre « des difficultés pour fidéliser [ses] collaborateurs et attirer de nouveaux talents ».

Le mandataire devra présenter des garanties

L’établissement projette de regrouper ou de rapprocher une soixantaine d’agences d’ici à la fin 2021, mais veut se montrer prudent en milieu rural, car, est-il écrit, « le retrait de [leur] enseigne participe [au] sentiment de désertification et peut nuire à [leur] image ». D’où l’idée d’un recours aux travailleurs indépendants, pour externaliser une partie du réseau de distribution de l’établissement.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les gagnants et les perdants de la politique des taux bas

Des secteurs comme les télécommunications, la distribution ou les assurances ont déjà expérimenté le modèle. En Belgique, plusieurs banques, dont BNP Paribas, confient également des agences à des entrepreneurs franchisés.

La Californie tente de réguler l’« économie des plates-formes »

Des chauffeurs Uber manifestent pour leurs droits, le 8 mai 2019 à l’aéroport de Los Angeles, en Californie.
Des chauffeurs Uber manifestent pour leurs droits, le 8 mai 2019 à l’aéroport de Los Angeles, en Californie. LUCY NICHOLSON / REUTERS

Employés ? Travailleurs indépendants ? A l’automne 2019, la Californie croyait avoir tranché le débat sur la « gig economy », l’économie à la demande, en adoptant une loi imposant aux entreprises d’octroyer à leurs contractuels des avantages comparables à ceux des salariés : congé maladie, salaire minimum, assurance chômage, d’invalidité. C’était la première tentative, à l’échelle d’un Etat de cette importance pour freiner « l’ubérisation » du travail et la multiplication des emplois précaires.

Lire aussi La Californie ratifie la loi faisant des chauffeurs Uber et Lyft des salariés

Pour les élus californiens, il s’agissait de lutter contre les inégalités qui s’accentuent, à l’ombre de ce que les experts appellent maintenant la « two-jobs economy », l’économie où il faut deux emplois pour s’en sortir. L’auteure de la loi, Lorena Gonzalez, une ancienne syndicaliste de San Diego, fille d’ouvrier agricole et diplômée de l’université Stanford, avait accusé les plateformes technologiques de pratiquer des méthodes « féodales », sous couvert de « flexibilité ».

La loi, dite AB5, est entrée en vigueur le 1er janvier. Elle impose aux entreprises opérant en Californie de requalifier comme employés les contractuels qui satisfont aux conditions définies par la Cour suprême de l’Etat en 2018. « La présomption est que vous êtes un employé sauf si trois critères sont simultanément réunis », explique Ken Jacobs, le directeur du centre de recherche de l’université de Berkeley sur le travail : être indépendant du contrôle de la compagnie, exercer une tâche qui ne figure pas dans « l’activité principale » de celle-ci, et offrir ses services à d’autres employeurs.

Une définition qui frappe au cœur du modèle de la gig economy, notamment le deuxième critère. Uber a beau proclamer être une plate-forme qui met en relations clients et chauffeurs et non une entreprise de transports, sa défense ne convainc pas les experts. « Pour une compagnie qui paie les gens pour conduire, il est difficile de prétendre que la conduite n’est pas au cœur de son activité », note le professeur Jacobs.

Panique

La loi visait surtout à protéger les forçats de l’économie numérique : les chauffeurs des compagnies de VTC comme Uber et Lyft, les livreurs d’Amazon Flex, DoorDash, Instacart, Postmates soumis à des tarifications dont seuls les algorithmes ont la clef.

Mais des dizaines de milliers de contractuels de métiers plus classiques se sont aperçus qu’elle les englobait aussi : pigistes (s’ils rédigent plus de trente-cinq articles annuels pour la même entreprise), correcteurs, interprètes, routiers, photographes. La loi a semé la panique dans les salons de coiffure, les cabinets d’experts-comptables, les clubs de yoga, obligés de recourir à des avocats pour savoir si leurs auxiliaires étaient contractuels ou pas.

« Avoir la bonne tenue » : dans les écoles de commerce, l’apprentissage des codes vestimentaires

MARK AIRS/PHOTONONSTOP

« Je ne me suis jamais mis autant la pression sur ma tenue que le jour où j’ai passé mon entretien d’embauche chez Chanel », se souvient Mathieu, fraîchement diplômé de l’Inseec. Jusqu’alors, il ne s’était pas posé trop de questions. Pour se présenter aux jurys d’admission des écoles de commerce, il s’était acheté une veste, des chemises claires et un pantalon classique. Une panoplie qu’il a ressortie à chaque moment important de sa scolarité.

Mais là, c’était une autre affaire. Il s’agissait d’être embauché dans une entreprise de luxe. Après avoir longuement hésité entre une tenue très classique et « quelque chose d’élégant mais avec une touche de fantaisie, pour montrer que j’étais sensible à la mode », il a finalement préféré ne prendre aucun risque et a ressorti son habituelle veste complétée d’un nouveau pantalon « plus chic ».

« Nos étudiants apprennent à se présenter à un employeur et donc à adopter le bon code vestimentaire, sachant qu’il varie selon les entreprises et les secteurs » Jérôme Troiano, responsable carrières à l’Edhec

Si l’habit n’est pas censé faire le moine, en réalité « le vêtement reste un marqueur culturel et identitaire fort », souligne la sociologue Isabel Boni-Le Goff, spécialiste du secteur du conseil. Donc, pour avoir des chances d’être retenu lors d’un entretien d’embauche ou de stage, mieux vaut se présenter avec la « bonne » tenue. Les écoles de commerce, qui font de l’insertion professionnelle leur atout maître, l’ont bien compris.

Il en est question dans les ateliers consacrés à l’embauche ou lors de séances de simulation d’entretiens. Des préceptes mis en pratique au travers de différentes manifestations organisées par les écoles. Ainsi, à l’Inseec, « les étudiants doivent venir en costume ou en tailleur lors des présentations d’études de cas ou du grand oral en fin de master 1, » indique Alexandra Vignolles, directrice de l’innovation pédagogique. A l’Edhec, dès le début d’année, deux jours sont consacrés au « networking » (réseautage). « Nos étudiants apprennent à se présenter à un employeur et donc à adopter le bon code vestimentaire, sachant qu’il varie selon les entreprises et les secteurs d’activité », explique Jérôme Troiano, responsable carrières de l’école lilloise.

Classique et neutre

« S’il a la bonne tenue lors de l’entretien d’embauche, le candidat montre qu’il a compris la culture de l’entreprise, le message que celle-ci veut faire passer, et qu’il y adhère. C’est aussi un moyen, pour le recruteur, de voir si le jeune pourra s’intégrer ou non », observe Susan Nallet, directrice carrières de Grenoble Ecole de management (GEM). Et comme le marché du travail est très concurrentiel, pas question pour les candidats de prendre le moindre risque. « On a tellement envie de réussir que, même si parfois on a l’impression d’être déguisé, on joue le jeu, confirme Mathieu. Quitte à se mettre dans une situation financière inconfortable en achetant des tenues très chères. »

« En revêtant un costume, bon nombre d’étudiants ont le sentiment de ressembler à l’image qu’ils se font d’un cadre. » Oumaya Hidri-Neys, sociologue

Dans les écoles où l’on apprend à devenir manageur, et donc à intégrer les pratiques culturelles de la fonction, une tenue formelle est de mise dès les jurys d’admission dans l’école. Une pratique que les étudiants ont intégrée. « Cela ne me serait pas venu à l’idée de passer les oraux autrement qu’en costume. Ça fait partie du cérémonial », fait valoir Thomas, étudiant à Montpellier Business School. « Et ça met en confiance », abonde Alexandre, étudiant à GEM. Des propos qui ne surprennent pas la sociologue Oumaya Hidri Neys : « En revêtant un costume, bon nombre d’étudiants ont le sentiment de ressembler à l’image qu’ils se font d’un cadre. »

Lire aussi Les premiers jours en CDI, pour le meilleur et pour le pire

Ce qui ne les empêche pas, une fois dans le monde du travail, d’assouplir leur tenue. C’est le chemin adopté par Louise, étudiante à l’Inseec, qui suit son cursus en alternance chez Thales. Pour son premier jour dans l’entreprise, elle s’est attaché les cheveux et a choisi « des vêtements classiques et neutres » : veste, pantalon et sandales plates. « Je voulais sonder la température vestimentaire du service dans lequel j’allais travailler avant de m’autoriser un peu de fantaisie. » Elle a ensuite constaté que le code était assez libre. « Mon chef est en costume-cravate, mais son collègue met parfois un jean avec des mocassins. »

Des codes assouplis

Cette tendance à moins de formalisme se retrouve dans la plupart des entreprises, où costumes et cravates perdent du terrain. Mais ce relâchement est très relatif et reste largement codifié. En témoigne le « friday wear », cette tenue moins formelle réservée au vendredi, venue des Etats-Unis dans les années 1980. « Ce jour où l’on vient habillé au bureau comme on le souhaite répond en réalité à une autre forme de règle », rappelle Agnès Ceccarelli, professeure associée à l’ICN Business school.

Dans le secteur de la finance ou du conseil, ou encore dans les très grandes entreprises, le classicisme est toujours de rigueur. « Là, il faut avoir du style, c’est-à-dire savoir se déplacer, se tenir, s’exprimer, mais aussi se vêtir. La bonne tenue : un costume sombre et une chemise claire pour les hommes, avec ou sans la cravate selon les circonstances. Un tailleur avec un chemisier pour les femmes, éventuellement agrémenté d’accessoires discrets », détaille Haude Rivoal, sociologue du travail.

Lire aussi Goldman Sachs autorise ses salariés à tomber le costume ou le tailleur

Dans les start-up de la tech ou dans l’univers de la communication, la liberté vestimentaire n’est qu’apparente. Certes, le costume-cravate est relégué au fond du placard. Mais il est remplacé par un nouvel uniforme codifié, à base de jean, baskets et tee-shirt. Un look qui vise, selon Haude Rivoal, « à mettre en scène la flexibilité et l’agilité, en faisant souffler un vent de jeunesse sur l’entreprise ».

« Les femmes sont soumises à une injonction paradoxale. Elles doivent être une vraie femme et en même temps un vrai manageur. » Isabel Boni-Le Goff

En conclure que l’on peut aller travailler avec n’importe quoi sur le dos serait aller un peu vite. « Il s’agit en réalité d’une transformation des codes, mais pas d’une disparition de ceux-ci », insiste la sociologue. Pour le jeune salarié, la difficulté consiste alors à paraître détendu… sans être négligé. Un équilibre subtil, d’autant « qu’on n’a pas les mêmes goûts vestimentaires selon son milieu d’origine, ni la même somme d’argent à y consacrer », pointe Oumaya Hidri Neys.

Adopter la bonne tenue dans la bonne circonstance apparaît plus difficile pour les étudiantes que pour les étudiants. « Les femmes sont soumises à une injonction paradoxale. Elles développent une stratégie qui vise à reprendre des pièces du vestiaire masculin pour être légitimes, car ce sont des éléments qui symbolisent l’autorité et l’expertise et véhiculent les signes de l’autorité managériale. Mais, en même temps, elles sont censées ne pas renoncer à leur féminité. Alors, elles bricolent pour répondre aux normes de genre qui leur sont assignées », analyse Isabel Boni-Le Goff.

Lire aussi « Au travail, les mouvements du corps disent ce que nous n’exprimons pas avec les mots »

Dans le domaine du conseil, largement dominé par les hommes, les femmes sont particulièrement exposées. « Si elles ne se conforment pas à ce qui est attendu d’elles, en adoptant par exemple une tenue jugée comme trop sexualisée, elles s’exposent à des moqueries, des injures, voire des comportements de harcèlement », a constaté la sociologue. Afin d’éviter d’être stigmatisées, les femmes préfèrent alors porter des vêtements neutres, voire passe-partout. Et cela dès l’école. Emma, étudiante à l’EM Normandie, l’a bien compris. La semaine, dans son école de commerce, elle s’habille de façon « à passer inaperçue ». Le week-end, elle « ressort jupes et accessoires ».