Un compromis n’est bon qu’à certaines conditions

Dans les temps troublés actuels, marqués par toutes sortes de confrontations politiques ou sociales, le recours au compromis est présenté comme la voie de la raison. Trouver des consensus transcenderait les divisions au nom d’un bien commun. Or, la difficulté vient justement de ce que le contenu de ce bien commun n’est pas partagé, du fait de la rivalité des forces en présence… C’est alors que la recherche du compromis pour lui-même est élevée au rang de bien commun permettant de dépasser les oppositions et les dissensions.

L’exemple allemand est souvent invoqué chez nous pour établir que l’arrangement social et politique est possible, y compris sur de longues périodes. Il exigerait seulement une « culture » adaptée. Culture qui ferait défaut aux Français, dont l’esprit « gaulois » se plaît aux querelles et aux divisions. Ces lieux communs sommaires dispensent de comprendre le réel, c’est-à-dire les conditions matérielles qui rendent possible ou non la fameuse culture du compromis – c’est-à-dire les institutions, mais plus encore le rapport de force entre les camps qui s’opposent.

Les institutions rendent plus ou moins nécessaires les compromis selon qu’elles empêchent ou non de monopoliser les lieux de décision. Un système de gouvernance centralisé, qui concentre tous les pouvoirs dans les mains d’un parti majoritaire ou d’une seule partie prenante, ne favorise pas une culture du compromis. C’est le cas de la France.

Logique de don et de contre-don

A l’inverse, un système qui décentralise le pouvoir et multiplie, de ce fait, les lieux où il peut s’exercer permet d’accepter plus facilement les accords locaux et pragmatiques qui ne remettent pas en cause l’identité globale des parties prenantes. Plus encore, certaines institutions peuvent contraindre les parties opposées à partager les décisions en imposant, par exemple, la parité entre actionnaires et salariés dans les conseils de surveillance ou dans les conseils d’atelier des entreprises. C’est le cas de l’Allemagne. Cela oblige à trouver des accords.

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Ni en emploi ni en retraite, cet entre-deux qui touche de plus en plus de femmes

Gwenaelle Chauvin, ancienne entrepreneuse, aura épuisé ses droits au chômage en novembre, et basculera alors sous le régime du RSA. A Saint-Brieuc, le 14 octobre 2025.

Gwenaelle Chauvin n’a pas hésité à l’annoncer sur le réseau professionnel LinkedIn : faute de parvenir à retrouver un emploi, à bout de ressources financières, elle « vient de rentrer en Bretagne vivre chez maman ». Un gigantesque bond en arrière pour cette femme énergique de 55 ans. Trop vieille pour convaincre un employeur, trop jeune pour prendre sa retraite.

Pour elle qui, mère de deux enfants, a créé deux entreprises, dont l’une dirigée une douzaine d’années durant avec son compagnon, la spirale infernale débute lors de sa séparation. Alors contrainte de trouver un emploi, Gwenaelle Chauvin décroche d’abord un CDD dans une collectivité locale d’Occitanie, où elle vit, puis un deuxième, un troisième… Six contrats se succèdent en l’espace de treize mois. Puis plus rien. Malgré le millier de candidatures envoyées pendant une longue année et la participation à d’innombrables forums de l’emploi, elle n’a pas retrouvé de place dans une entreprise.

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« Le travail tue, et il tue des mineurs », alerte un collectif de dirigeants syndicaux

Entre avril et juillet, cinq jeunes sont morts au travail. Parmi eux, un apprenti de 15 ans, un lycéen de bac pro de 17 ans, deux élèves de 16 ans en « séquence d’observation » de 2de ont perdu la vie en entreprise. Le plus jeune des morts était un élève de 3e.

Ce ne sont pas des « faits divers » isolés, mais une réalité cruelle : le travail tue, et il tue des mineurs. Selon le dernier rapport annuel de l’Assurance-maladie sur les risques professionnels, en 2023, 1 287 décès liés au travail seraient à déplorer, maladies professionnelles et accidents de trajets inclus, dont 810 accidents du travail reconnus. En la matière, la France est parmi les mauvais élèves de l’Union européenne.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Morts au travail : une prise de conscience timide et tardive

Les moins de 25 ans sont surreprésentés dans les accidents du travail : 2,5 fois plus que le reste des salariés, selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). En 2023, toujours d’après les statistiques de l’Assurance-maladie, 32 travailleurs de moins de 25 ans cotisant au régime général sont décédés sur leur lieu de travail, 38 si l’on compte les cotisants à la Mutualité sociale agricole.

Exécution de tâches, parfois dangereuses

Ces chiffres auraient dû alerter. Pourtant, le choix a été fait, depuis 2022, d’augmenter les temps de présence des mineurs en entreprise sous prétexte d’améliorer l’orientation et l’insertion professionnelle : stage d’observation pour les élèves de 2de générale et technologique, aides financières massives pour développer à marche forcée l’apprentissage, parcours différenciés en terminale bac pro.

L’entreprise est un mauvais lieu de formation. D’une part, les stages et l’apprentissage sont discriminatoires dans la mesure où ils reproduisent les inégalités d’accès au marché de l’emploi. D’autre part, poussée par une logique de rentabilité, l’entreprise n’a pas le temps d’accompagner les jeunes : les stages d’observation deviennent rapidement des stages d’exécution de tâches, parfois dangereuses.

Lire le récit | Article réservé à nos abonnés Accidents du travail : les jeunes paient un lourd tribut

En mécanique auto, par exemple, un apprenti ou un stagiaire peut se retrouver à dévisser des pneus à longueur de semaines : aucune plus-value pédagogique… A l’inverse, dans un atelier de lycée professionnel, les élèves vont apprendre à travailler en toute sécurité sur des pannes et des activités de plus en plus complexes.

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Camille Fernandes, juriste : « La liberté académique est un bien commun au service de la démocratie et de la société dans son ensemble »

Dans une tribune au « Monde », la maîtresse de conférences en droit public évoque les avantages, et les obstacles, que présenterait l’entrée de la liberté académique dans la Constitution, et rappelle que cette notion « n’est pas circonscrite aux murs de l’université, mais rayonne partout où le débat public s’installe ».

En Inde, la colère gronde dans les filatures de jute

Les longues tiges de jute ont été rassemblées en forme de huttes dans les terres immergées. C’est la période du rouissage, autrement dit de la macération, qui facilite la séparation de l’écorce filamenteuse d’avec la tige. Sous les pluies de mousson, de l’eau jusqu’à la taille, des femmes retirent les parties fibreuses, qui seront ensuite transportées jusqu’à terre pour être séchées le long des routes et des villages. La saison du jute, fin août, bat son plein dans le delta du Bengale, dans le nord-est de l’Inde. Avec son climat tropical, la région est propice à la culture de cette fibre naturelle, robuste, biodégradable, utilisée notamment dans la confection de sacs. Des particularités qui en font une solution idéale de remplacement au plastique. D’autant plus qu’il ne réclame quasiment pas d’engrais et recycle du carbone.

Concentrant les trois quarts de la production nationale de jute, l’Etat du Bengale-Occidental est le poumon du secteur en Inde, premier producteur mondial, devant le Bangladesh. Et, dans les filatures, qui emploient entre 250 000 et 300 000 ouvriers, la colère gronde. La filière traverse une crise sociale sans fin, depuis plusieurs décennies, poussant régulièrement les syndicats dans les rues de Calcutta, la capitale de l’Etat, pour réclamer de meilleures conditions de travail et de rémunération.

Le jute est semé avant la mousson et récolté pendant celle-ci, à Bortir Beel, au nord-est de Calcutta (Inde), le 28 aouût 2025.
Un cultivateur de jute transportant les tiges séchées, à Bortir Beel, le 28 août 2025.

La dernière manifestation remonte au 29 août. « Des millions de travailleurs sont confrontés à une extrême précarité. Leur vie est menacée par la négligence des patrons d’usine et par les politiques anti-ouvrières de la classe dirigeante, assène Gargi Chatterjee, l’une des responsables du syndicat Bengal Chatkal Mazdoor Union, et l’une des rares femmes dans ce milieu d’hommes. Et les gouvernements central et régional restent indifférents aux problèmes des travailleurs. »

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Sur LinkedIn, « les poètes du bullshit » racontent le conformisme du monde du travail

Imaginez un monde où vous pourriez lire les recommandations et témoignages suivants : pour bien démarrer votre semaine de travail, rien de mieux que de s’y mettre dès le dimanche 18 heures. On vide la boîte mail, on prépare sa to-do list. Le lendemain, on pourra ainsi « décliner simplement le lundi et être super efficace ». Sur le trajet du bureau, vous croiserez peut-être des mendiants qui testent leurs accroches pour doubler leur taux de conversion. Vous terminez tard le travail, mais vous aimez tellement votre boîte que vous montez des meubles jusqu’à minuit et consacrez vos week-ends à peindre vos nouveaux locaux. De toute façon, le temps libre, ce n’est pas pour vous. Les vacances vous insupportent : vous êtes obligé de passer du temps en famille et le business est en pause. Vous préférez le 1er-Mai, plus aligné avec vos valeurs : réveil à 7 h 30 pour vendre du muguet avec votre enfant. Quand vous lui demandez le secret du succès, ce dernier répond du tac au tac : « L’emplacement, un bon produit au bon prix, dire bonjour et ne pas forcer la vente. » Mais non, vous n’êtes pas dans une dystopie. Ces conseils professionnels – cauchemardesques – sont dispensés sur LinkedIn.

Avec plus de 1 milliard de membres dans le monde et 33 millions en France, soit 90 % de la population active, le réseau social professionnel a transformé nos vies en entretien d’embauche permanent. Au risque de basculer dans le formatage, l’autopromotion exaspérante et la philosophie de comptoir.

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Les travailleurs français sont-ils satisfaits de leur équilibre entre vie professionnelle et vie privée ?

La grande majorité des actifs dans l’Union européenne estiment bénéficier d’un équilibre satisfaisant entre leur vie privée et leur vie professionnelle : 83 % d’entre eux considèrent en effet que leurs horaires de travail en 2024 se concilient bien, voire très bien, avec leur vie familiale et sociale.

Ce pourcentage n’a cessé d’augmenter, lentement mais régulièrement, depuis 2010, notamment grâce à l’essor du télétravail. « Selon des études récentes, ce système s’accompagne d’une forte amélioration de la capacité d’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle, quand bien même il accroît l’intensité du travail », analyse Malo Mofakhami, maître de conférences en sciences économiques à l’université Sorbonne-Paris-Nord.

L’amélioration de l’équilibre concerne tant les hommes que les femmes, qui se disent légèrement plus satisfaites sur ce point (84,5 %, contre 81,7 %). Pour autant, ce meilleur score doit être relativisé : « Les femmes ajustent beaucoup plus leur temps de travail aux contraintes familiales et domestiques. En Europe, 28 % d’entre elles occupent par exemple un emploi à temps partiel, contre 8 % des hommes, et en Europe occidentale ces écarts sont encore plus marqués en présence d’enfants », explique Mathilde Guergoat-Larivière, enseignante-chercheuse en économie du travail à l’université de Lille.

Et la France ? Elle se situe un peu au-dessus de la moyenne européenne (85 %, contre 83 % dans l’Union), et présente notamment l’une des plus fortes proportions de travailleurs des deux sexes indiquant articuler très bien ces deux sphères de leur vie. Cette proportion a fortement progressé en France depuis 2010 et relativement plus que la moyenne européenne.

Les travailleurs agricoles qualifiés, les moins bien lotis

Ce bilan globalement positif dressé, Eurofound analyse en détail l’impact du travail sur la vie privée en prenant en compte trois dimensions. A quelle fréquence, dans les douze derniers mois, mes soucis et mes préoccupations professionnelles ont-ils continué de me suivre quand je n’y étais pas ? A quelle fréquence la fatigue éprouvée après une journée de labeur m’a-t-elle empêché d’effectuer des tâches domestiques ? A quelle fréquence mes exigences professionnelles m’ont-elles empêché d’accorder le temps que je souhaitais à ma famille ?

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Dominique Lhuilier, psychologue, et Anne-Marie Waser, sociologue : « Le “travail empêché” est socialement construit »

Dominique Lhuilier, professeure émérite de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et Anne-Marie Waser, sociologue, maîtresse de conférences au Cnam, démontrent à travers Un travail désirable ? Conquérir sa place (Les Petits Matins, 272 pages, 23 euros) l’ambivalence de l’activité professionnelle, qui peut être tout à la fois « éprouvante pour la santé » et « source de santé ».

Votre ouvrage propose une vingtaine de récits de vie qui mettent en lumière des travailleurs en souffrance, privés de travail ou touchés par le mal-être en milieu professionnel. Quelles sont les racines de ce « travail empêché » ?

Dominique Lhuilier : A travers notre ouvrage, nous avons voulu mettre à mal des stéréotypes qui pèsent lourdement sur ceux qui n’arrivent pas à entrer dans le monde du travail, à s’y maintenir, ou ceux dont les carrières sont marquées par la précarité. Certains d’entre eux vont être qualifiés d’inemployables : on leur attribue un déficit rédhibitoire (en compétences, qualification, motivation, santé…). D’autres sont assimilés à des assistés, qui profiteraient des allocations chômage, du revenu de solidarité active (RSA).

Nous montrons au contraire que l’empêchement subi par de nombreux travailleurs est socialement construit. Les seniors, par exemple, sont exclus et mis au rebut en raison de leur âge. Les femmes, quant à elles, sont assignées à l’espace domestique et familial. Conquérir une place dans le monde professionnel est donc particulièrement complexe pour elles… Et puis, au-delà, on observe de grandes transformations dans le monde du travail qui peuvent toucher tout un chacun, et qui entraînent une précarisation des emplois, une fragilisation de la santé.

Anne-Marie Waser : Lors des entretiens que nous avons menés, nous avons rencontré des personnes non pas fainéantes, mais « cassées ». C’est le coût des évolutions majeures que connaissent les organisations. Les travailleurs peuvent se retrouver à des postes où, telles des machines, ils doivent suivre des processus, des procédures, et réaliser les missions exigées par l’entreprise. Celle-ci ne se demande pas si le travail les intéresse, ni comment le rendre intéressant. De telles réflexions, pourtant fondamentales, n’existent plus, alors que l’individualisation des tâches se développe et que les espaces de régulation pour évoquer, justement, les questions liées au travail, disparaissent.

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La banalisation du forfait jours menace les salariés de surcharge de travail

« Dans 90 % des contentieux de cadres, le forfait jours est abordé. Quasi systématiquement, les entreprises n’ont pas mis en place le cadre pour contrôler son usage, constate Cyrille Catoire, avocat en droit social, qui défend aussi bien des entreprises que des salariés. Tout le monde sait ce qu’il faut faire, mais personne ne met en place les mesures simples pour éviter d’être condamné. » Vingt-cinq ans après sa naissance, le forfait jours fait toujours débat.

Ce régime dérogatoire unique en Europe, né en 2000 de la loi Aubry 2, permet de décompter le temps de travail non plus en heures, mais en jours (218 par an au maximum), pour mieux s’adapter à la discontinuité de l’activité des cadres autonomes.

A l’origine destiné aux cadres supérieurs, il est applicable, depuis 2005, à tous les salariés « autonomes » pour organiser leur travail. La part de l’effectif à temps complet en forfait jours, dans les entreprises d’au moins dix salariés du secteur privé non agricole, est passée de 11,8 % en 2010 à 18,3 % en juin 2025, selon les chiffres du ministère du travail. Dans les entreprises de plus de 500 personnes, un salarié sur quatre est désormais au forfait.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés L’autonomie toute relative du cadre en forfait en jours

Pour l’employeur, cette modalité présente l’avantage de ne pas avoir à compter ni à payer d’heures supplémentaires. Côté salarié, outre la possibilité de s’organiser à sa guise, le forfait vient normalement en échange d’une augmentation de salaire, et de jours de repos complémentaires. Le salarié peut le refuser. « Le fait de ne pas badger et de ne pas rendre des comptes aussi souvent plaît massivement, c’est la face dorée de la médaille », reconnaît Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC.

Taux horaire proche du smic

Dans les faits, cette autonomie cache souvent des conditions de travail difficiles. Selon un baromètre publié en juin par l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict)-CGT, 37 % des cadres au forfait jours déclarent travailler plus de quarante-cinq heures par semaine, contre 28 % pour l’ensemble des cadres.

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