Mouvement social à la SNCF : doit-on parler d’un droit de retrait ou d’une grève ?

Mouvement social à la SNCF : doit-on parler d’un droit de retrait ou d’une grève ?

Pour les syndicats, l’arrêt du travail d’agents SNCF décidé vendredi après un accident est un « droit de retrait » légitime. La direction, elle, dénonce une « grève » et prévoit des retenues sur salaire.

Publié aujourd’hui à 18h20

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L’arrêt du travail a provoqué des perturbations sur une large partie du réseau français, vendredi 18 octobre.
L’arrêt du travail a provoqué des perturbations sur une large partie du réseau français, vendredi 18 octobre. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Application du principe de précaution face à un danger grave et imminent ou « grève sauvage » contraire au droit du travail ? L’arrêt du travail d’agents de la SNCF inquiets pour leur sécurité à la suite de l’accident, mercredi 16 octobre, entre un autorail TER et un convoi routier à un passage à niveau en Ardèche, provoque un débat entre les syndicats et la direction de l’entreprise publique sur la question du droit de retrait.

La mesure permet à tout salarié de quitter son poste en urgence s’il considère faire face à un « danger grave et imminent ». Un argument avancé par la CGT, pour qui l’arrêt des agents n’est pas un mouvement de grève, dont le lancement exige un préavis d’au moins quarante-huit heures. Ce qui n’est pas le cas des perturbations observées depuis vendredi. Pour le gouvernement et la direction de la SNCF, il s’agirait au contraire d’une contestation sociale : dimanche, son président, Guillaume Pepy, a annoncé des « retenues sur salaire » pour les agents qui ont arrêté le travail. Si la justice seule sera en mesure de trancher le débat, plusieurs éléments permettent de faire la différence entre un droit de retrait et un mouvement de grève.

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  • Le droit retrait est un « droit fondamental »

Pour différencier la grève du droit de retrait, le code du travail conditionne ce dernier à un « motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent ». Les salariés seuls peuvent en prendre l’initiative et la direction de la SNCF a le droit d’en contester la légitimité. L’une ou l’autre des parties peut saisir la justice, seule habilitée à caractériser, ou non, le danger réel qui aurait motivé un droit de retrait.

En activant ce dernier, tout salarié peut se retirer de son lieu de travail pour se protéger – en alertant, même oralement, sa direction. Il ne peut être sanctionné ou licencié et ne peut être privé de salaire si le motif l’ayant encouragé à ne pas travailler est considéré comme raisonnable.

« Le droit de retrait est un droit fondamental des travailleurs, et il est rare qu’il soit contesté en cas de situation très proche de l’accident, nécessitant une mise en sécurité immédiate des salariés », explique Sébastien Millet, avocat spécialisé des sujets de santé et de sécurité au travail au barreau de Rouen. « Les juridictions sont plutôt bienveillantes sur ce sujet », note l’expert : en théorie, le danger n’aurait même pas besoin d’exister pour que le droit de retrait soit constitué – il suffit d’un motif raisonnable pour que le salarié estime de bonne foi que le danger est immédiat et imminent.

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  • Un droit de retrait peut être collectif, mais pas revendicatif

Le droit de retrait peut être collectif si une équipe entière est exposée à un danger. Le reconnaître peut cependant se révéler plus complexe s’il est accompagné de revendications, notamment si elles portent justement sur la prévention des risques, selon Sébastien Millet :

« Les questions de santé et de sécurité au travail sont légitimes dans le cas de la SNCF, mais il faut savoir dans quel régime on se place : si on est sur un danger grave et imminent sur le réseau, alors on arrête tout et on investit pour rénover avant de reprendre le service. Si on a besoin d’une cessation collective du travail pour faire des revendications, mais qu’il n’y a pas de danger immédiat, alors nous ne sommes pas dans le régime du droit de retrait. »

Au moment de faire le bilan du mouvement du vendredi 18 octobre, la direction de la SNCF pourrait examiner les situations au cas par cas : pour les salariés travaillant sur la ligne en Ardèche où l’accident a eu lieu – une collision entre un train sans contrôleur, où le chauffeur, légèrement blessé, a dû sécuriser la voie par lui-même –, le droit de retrait pourrait être reconnu. Pour les conducteurs de TGV ou de la filiale low cost de la SNCF, Ouigo, dont certains se sont arrêtés de travailler dans d’autres régions et avec des conditions de travail différentes de celles du conducteur de RER, leur revendication de droit de retrait a plus de chances d’être refusée.

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  • La direction peut prononcer des sanctions sans décision de justice

Les « retenues sur salaires » des salariés ayant participé aux arrêts de travail, annoncées par le président de la SNCF, Guillaume Pepy, dimanche, sont en conformité avec le code du travail, qui laisse toute autonomie aux entreprises de procéder à des sanctions si la direction considère que le droit de retrait n’est pas justifié. Ces sanctions sont cependant ouvertes aux recours et c’est devant la justice prud’homale qu’un salarié pourra revendiquer sa légitimité à avoir exercé son droit de retrait.

  • Un débat récurrent à la SNCF

Plusieurs décisions de la Cour de cassation encadrent déjà le débat, à la SNCF, entre le droit de retrait et les mouvements sociaux. En 2008, par exemple, la justice a reconnu le droit de retrait de cent vingt-six agents de l’entreprise publique, en Savoie, qui avaient refusé de travailler après l’agression de certains de leurs collègues sur le réseau. Le conseil de prud’hommes avait estimé que les deux jours d’arrêt du travail étaient légitimes parce que les trois agresseurs présumés n’avaient pas été interpellés.

Dans une autre affaire, le droit de retrait de cent trois agents en Isère a été refusé par la Cour de cassation, celle-ci estimant qu’après l’interpellation de l’auteur de deux agressions sur des salariés de la SNCF, au lendemain des faits, le travail devait reprendre. Les motivations du refus (éloignement de la zone des agressions, horaires en décalages avec celles-ci, antériorité de revendications sur la sécurité des agents) pourraient de nouveau être utilisées dans le cadre d’éventuels recours sur les arrêts de travail depuis vendredi. Lundi 21 octobre, une partie d’entre eux se poursuivaient dans certaines régions.

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