Pour le sociologue Louis Chauvel, professeur à l’université du Luxembourg et auteur de l’essai La Spirale du déclassement (Seuil, 2016), l’augmentation continue du nombre de diplômés ne permet pas une insertion satisfaisante des étudiants sur le marché du travail.Comment traduire les inquiétudes des étudiants en fin de cursus, à la lumière de ce que vous observez du monde du travail actuel ?La majorité des étudiants sont assez angoissés à l’idée de finir leurs études, et cela est plutôt légitime lorsqu’on sait ce que le marché du travail leur réserve. Le diplôme n’a aujourd’hui plus une valeur en soi, si ce n’est pour une minorité d’étudiants en grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs. La raison étant que, ces dernières années, la croissance continue du nombre de diplômés n’a pas été proportionnelle à celle des emplois disponibles sur le marché.
Il y a trente ans, le combat se faisait entre ceux qui arrivaient à valider leur bac + 5 et les autres. Dans le contexte actuel, où de plus en plus de jeunes sont archidiplomés, même un master n’offre plus la certitude d’une entrée facile sur le marché de l’emploi.
Qu’est-ce qui rend l’insertion des jeunes diplômés si difficile ?
Seuls quelques établissements, les facultés de médecine notamment, organisent fortement le placement de leurs jeunes sur le marché du travail. Face au nombre de prétendants – que la plupart des secteurs n’ont pas le débit suffisant pour accueillir –, l’accès à un stage professionnel ne découle plus naturellement d’une bonne réussite de ses études. Ce qui rend plus grande encore la difficulté à entrer par la suite dans le monde du travail. Avec des études de plus en plus longues, au fur et à mesure desquelles les attentes des étudiants s’accroissent, la connaissance du milieu professionnel s’est, elle, dramatiquement rétrécie. Dans ce contexte, les risques de déconvenue au moment où le marché produit son verdict sont souvent brutaux.
En France, 43% des jeunes diplômés de 25-29 ans considèrent qu’ils ont des difficultés « à joindre les deux bouts », selon des chiffres Eurostat, contre seulement 10% en Allemagne. La brutalité vient donc aussi, une fois dans la vie active, de cette confrontation à un niveau de vie en deça des attentes…
Oui, dès que les parents cessent d’aider leurs jeunes à soutenir leur niveau de vie, les difficultés adviennent. Le contexte actuel se caractérise par une forte croissance du nombre de diplômés par rapport aux postes qualifiés disponibles, un coût élevé de la vie dans les zones urbaines où les jeunes diplômés tentent de trouver des emplois à leur niveau, et bien évidemment de prix souvent prohibitifs du logement. Dans ce cadre, les jeunes diplômés français peinent à payer les dépenses nécessaires habituelles.
Le « reste à vivre » ne leur permet plus de garantir les dépenses plus élaborées, considérées comme normales dans les classes moyennes (sortie, spectacle, vacances, etc.). Si le diplôme permet généralement d’échapper à la pauvreté, la faible valorisation relative de la jeunesse diplômée pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le pessimisme français. Les efforts consentis par les parents pour offrir à leurs enfants de meilleurs diplômes ne permettent pas d’échapper au déclassement socio-économique.
Comment mieux préparer les étudiants à ce passage vers le monde professionnel ?
La valeur théorique des diplômes est bonne, leur valeur pratique dans le monde du travail est extrêmement réduite : c’est sur cela que l’enseignement supérieur français doit travailler. C’est un chemin que les grandes écoles de premier plan ont emprunté depuis longtemps, notamment en entretenant un lien très fort avec leurs réseaux d’anciens. Dans les secteurs plus précaires et universitaires, ces réseaux, très coûteux, sont bien moins étoffés et ne remplissent pas la mission essentielle de placement des étudiants.
Ils préfèrent alors parfois de partir au Québec, au Royaume-Uni ou en Allemagne faire un deuxième master, dans des institutions qui conservent une très forte connexion avec le marché du travail mais qui demeurent particulièrement onéreuses. Ce sont donc les étudiants les mieux armés par leur succès scolaire et par le soutien familial qui échappent le mieux à l’absence de transition en France.
Une citation de Sigmund Freud récapitule très bien, à mon sens, la situation française : « L’éducation pèche en ne préparant pas l’être jeune à l’agressivité dont il est destiné à être l’objet. (…) [Elle] ne se comporte pas autrement que si l’on équipait de vêtements d’été et de cartes des lacs italiens des gens partant pour une expédition polaire. » Il est urgent de fournir un nouvel équipement aux étudiants français pour qu’ils puissent aborder plus sereinement cette expédition qu’est l’entrée dans l’emploi.
Il y a trente ans, le combat se faisait entre ceux qui arrivaient à valider leur bac + 5 et les autres. Dans le contexte actuel, où de plus en plus de jeunes sont archidiplomés, même un master n’offre plus la certitude d’une entrée facile sur le marché de l’emploi.
Qu’est-ce qui rend l’insertion des jeunes diplômés si difficile ?
Seuls quelques établissements, les facultés de médecine notamment, organisent fortement le placement de leurs jeunes sur le marché du travail. Face au nombre de prétendants – que la plupart des secteurs n’ont pas le débit suffisant pour accueillir –, l’accès à un stage professionnel ne découle plus naturellement d’une bonne réussite de ses études. Ce qui rend plus grande encore la difficulté à entrer par la suite dans le monde du travail. Avec des études de plus en plus longues, au fur et à mesure desquelles les attentes des étudiants s’accroissent, la connaissance du milieu professionnel s’est, elle, dramatiquement rétrécie. Dans ce contexte, les risques de déconvenue au moment où le marché produit son verdict sont souvent brutaux.
En France, 43% des jeunes diplômés de 25-29 ans considèrent qu’ils ont des difficultés « à joindre les deux bouts », selon des chiffres Eurostat, contre seulement 10% en Allemagne. La brutalité vient donc aussi, une fois dans la vie active, de cette confrontation à un niveau de vie en deça des attentes…
Oui, dès que les parents cessent d’aider leurs jeunes à soutenir leur niveau de vie, les difficultés adviennent. Le contexte actuel se caractérise par une forte croissance du nombre de diplômés par rapport aux postes qualifiés disponibles, un coût élevé de la vie dans les zones urbaines où les jeunes diplômés tentent de trouver des emplois à leur niveau, et bien évidemment de prix souvent prohibitifs du logement. Dans ce cadre, les jeunes diplômés français peinent à payer les dépenses nécessaires habituelles.
Le « reste à vivre » ne leur permet plus de garantir les dépenses plus élaborées, considérées comme normales dans les classes moyennes (sortie, spectacle, vacances, etc.). Si le diplôme permet généralement d’échapper à la pauvreté, la faible valorisation relative de la jeunesse diplômée pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le pessimisme français. Les efforts consentis par les parents pour offrir à leurs enfants de meilleurs diplômes ne permettent pas d’échapper au déclassement socio-économique.
Comment mieux préparer les étudiants à ce passage vers le monde professionnel ?
La valeur théorique des diplômes est bonne, leur valeur pratique dans le monde du travail est extrêmement réduite : c’est sur cela que l’enseignement supérieur français doit travailler. C’est un chemin que les grandes écoles de premier plan ont emprunté depuis longtemps, notamment en entretenant un lien très fort avec leurs réseaux d’anciens. Dans les secteurs plus précaires et universitaires, ces réseaux, très coûteux, sont bien moins étoffés et ne remplissent pas la mission essentielle de placement des étudiants.
Ils préfèrent alors parfois de partir au Québec, au Royaume-Uni ou en Allemagne faire un deuxième master, dans des institutions qui conservent une très forte connexion avec le marché du travail mais qui demeurent particulièrement onéreuses. Ce sont donc les étudiants les mieux armés par leur succès scolaire et par le soutien familial qui échappent le mieux à l’absence de transition en France.
Une citation de Sigmund Freud récapitule très bien, à mon sens, la situation française : « L’éducation pèche en ne préparant pas l’être jeune à l’agressivité dont il est destiné à être l’objet. (…) [Elle] ne se comporte pas autrement que si l’on équipait de vêtements d’été et de cartes des lacs italiens des gens partant pour une expédition polaire. » Il est urgent de fournir un nouvel équipement aux étudiants français pour qu’ils puissent aborder plus sereinement cette expédition qu’est l’entrée dans l’emploi.