L’intégration des jeunes en temps de Covid s’invente en marchant

L’intégration des jeunes en temps de Covid s’invente en marchant

« Certaines entreprises ont fait le choix de ne pas recruter les mêmes profils que d’habitude »

Les rencontres RH. Dans l’entreprise, « les nouveaux entrants ont besoin de créer leur réseau. On a besoin de transmettre, de les intégrer, et nous avons une responsabilité de bien gérer cette période d’intégration », déclarait Diane Deperrois, la directrice des ressources humaines d’Axa France, lors des rencontres RH de la rentrée de septembre.

Un mois après une dizaine de DRH se sont retrouvés le 14 octobre au Monceau Rio, à Paris, pour ce rendez-vous mensuel d’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec LinkedIn et Manpower, afin de débattre du sujet auquel ils sont tous confrontés depuis la crise due au Covid.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Mon avenir, je n’y pense pas, sinon j’explose » : l’inquiétude et la colère de la « génération Covid » face à la crise économique

Les « nouveaux entrants », ce sont les stagiaires, les alternants et les jeunes recrues. En période de crise, l’accès des jeunes à l’entreprise est toujours difficile, c’est une population qui sert de variable d’ajustement sur le marché du travail. Fabienne Arata, responsable France de Linkedin, fait état d’une réduction de plus de la moitié des offres de stages sur le site entre mars et août.

Pas de diminution du nombre de stagiaires

« Une plongée dans les vingt dernières années permet d’analyser l’insertion des jeunes sur le marché du travail en contexte très défavorable, sans catastrophisme, relativise Isabelle Recotillet. En période difficile, les jeunes sont les premiers mis de côté, mais temporairement. Ils finissent par intégrer l’entreprise, mais plus lentement », explique l’économiste du travail. Avec le Covid et l’extension du télétravail, c’est, au-delà de leur insertion, leur intégration dans l’organisation qui se complique.

« Dans les grandes entreprises, ce sont les services des ressources humaines qui accompagnent les périodes les plus compliquées », poursuit l’économiste. Aucun des DRH présents aux rencontres du 14 octobre n’a fait état de baisse du nombre de stagiaires ni d’alternants cette année.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Je me retrouve sur le carreau », ou comment la crise percute la trajectoire des jeunes diplômés

En revanche, ils ont pris conscience de l’importance de l’apprentissage par mimétisme, en voyant les autres travailler : « Pour la promotion arrivée en juillet, on a tout fait à distance, mais les stagiaires pouvaient venir une fois par semaine, car lorsqu’on arrive en entreprise, c’est en voyant qu’on apprend », témoigne Camille Felician, responsable des ressources humaines chez Kellogg’s.

De nouveaux profils

Le DRH de Devoteam, Matthieu Rivière, a fait le même constat : « On a des stagiaires qui découvrent le métier sur place. Dans l’organisation en mi-distanciel, mi-présentiel, les jeunes décrochent vite. Il leur manque l’écoute de ce que dit le collègue d’à côté. On a demandé aux manageurs d’organiser au moins deux rencontres physiques par mois et de faire un point hebdomadaire. »

Certaines entreprises ont fait le choix de ne pas recruter les mêmes profils que d’habitude. Pour faciliter l’intégration des jeunes en cette période où de nombreux salariés sont en télétravail, « on a privilégié les stagiaires qui étaient chez nous avant le confinement, car ils connaissaient l’entreprise de l’intérieur, explique Juliette Couaillier la directrice « talents » du groupe Havas. Ceux qui n’étaient pas résidents à Paris ne sont pas venus, car avec le Covid, ils ne pouvaient pas trouver le petit boulot nécessaire pour compenser la faiblesse de la rémunération des débutants ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Comment aider l’emploi des jeunes : les leçons du passé

A la Caisse nationale d’assurance vieillesse, « pour les non-diplômés, on mise sur le côté apprenant d’organisation. On les forme en alternance. Avant le Covid, on retenait des candidats aguerris au service client. Aujourd’hui, on choisit plutôt des moins qualifiés, mais fléchés sur les jeunes. On essaie progressivement de rééquilibrer notre pyramide des âges et on est sensible au plan jeunes », a expliqué son DRH, Jérôme Friteau. Lancé par le gouvernement Castex en juillet, ce dispositif favorise l’embauche des moins de 25 ans avec une prime de 4 000 euros destinée à compenser les cotisations salariales. « Pour accompagner les jeunes, on demande aux manageurs de limiter le télétravail durant la première période d’accueil », précise M. Friteau.

Un impact sur la dimension sociale de l’entreprise

La plupart du temps, l’intégration s’est opérée en deux temps : une première période en distanciel pour présenter l’écosystème de l’entreprise, la culture maison, et une deuxième période réservée à l’opérationnel avec une mise en place variable selon les organisations, que la DRH du cabinet de conseil Deloitte, Géraldine Segond, a résumé par une formule qui dit tout du paradoxe de la situation : « Dans la seconde période, on développe le management de proximité à distance. »

Pour compenser le manque de présentiel, plusieurs entreprises se sont appuyées sur des organismes extérieurs : « On est passé par Oreegami [spécialisée sur les métiers du marketing] pour préparer les jeunes à l’opérationnel », note Mme Couaillier. Quant à la Marine nationale et la CNAV, elles ont fait appel à My Job Glasses. « Les sessions de formation ont été reportées, mais avec My Job Glasses, les conseillers en recrutement ont pu garder le lien avec leurs prospects », explique la chargée des projets de recrutements de la Marine, Audrey Diot.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi En temps de crise, l’accès à un premier emploi est encore plus soumis aux risques de discrimination

Cette start-up de mise en relation d’étudiants avec des professionnels « permet aux jeunes d’être en contact avec des salariés volontaires, qui tiennent un rôle d’ambassadeur de l’entreprise. Les jeunes ne sont pas les plus demandeurs en télétravail, car ils ont un fort besoin de sociabilisation », commente M. Friteau. Le Covid a affecté la dimension sociale de l’entreprise.

Les invités du 14 octobre

Ont participé aux Rencontres RH du 14 octobre : Fabienne Arata, Country Manager France de LinkedIn ; Juliette Couaillier, Chief Talent Officer du groupe Havas ; Audrey Diot, chargée de projet recrutement de la marine nationale ; Amélie Dupuy, responsable talents Manpower ; Céline Fabre, DRH DomusVi ; Camille Felician, Talent Acquisition Manager de Kellogg’s ; Jérôme Friteau, DRH de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse ; Line Pélissier, directrice des itinéraires professionnels d’Orange ; Isabelle Recotillet, économiste du travail, membre associée du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail ; Matthieu Rivière, DRH de Devoteam ; Géraldine Segond, DRH de Deloitte ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Philippe Escande, éditorialiste économique, Le Monde.

Avatar
LJD

Les commentaires sont fermés.