Les propositions-chocs pour féminiser les directions des entreprises
En France, une femme ambitieuse a davantage intérêt à s’engager en politique qu’à rejoindre une entreprise. C’est la conclusion qui s’impose à la lecture du rapport annuel du Forum économique mondial consacré à la « parité entre les hommes et les femmes dans le monde », publié mardi 17 décembre.
Parmi les 153 pays passés au crible, la France se place, en effet, à la première place sur le critère des femmes occupant des positions ministérielles, mais seulement au 59e rang en ce qui concerne la féminisation des « positions seniors et dirigeants » dans le monde du travail.
Cela peut-il changer ? « Il faut frapper un grand coup », assure Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui − coïncidence − devait remettre, mardi, le rapport de l’institution à Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, et à Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Un objectif ambitieux
Parmi les propositions-chocs, le rapport du HCE plaide pour conditionner l’obtention des financements publics à des critères de mixité au plus haut niveau. Surtout, il recommande d’instaurer des quotas de genre dans les comités de direction (codir) ou comités exécutifs (comex), afin de permettre aux femmes de crever le plafond de verre, la fameuse ligne invisible qui les empêche de grimper dans la hiérarchie.
Dans une interview au magazine L’Express, le 3 décembre, M. Le Maire a d’ores et déjà assuré que « les comités exécutifs doivent devenir plus paritaires ». Et, comme souvent, juste avant que la loi ne l’impose, beaucoup d’entreprises ont fait preuve de volontarisme ces derniers mois. Air Liquide, Total, Crédit agricole ou Axa ont ainsi fait « monter » des directrices de la stratégie ou des ressources humaines au dernier étage de la pyramide.
Le HCE formule un objectif ambitieux : atteindre les 40 % de dirigeantes dans un comex (ou codir) de plus de 8 membres à horizon 2024 (avec une étape à 20 % en 2022). Si l’instance de direction compte moins de 8 membres, il serait exigé qu’une femme y figure en 2022 et, ensuite, que chaque genre y soit représenté « avec un écart maximal de deux représentants en 2024 ».
« Sans les quotas, rien de bouge »
La marche est haute. Selon l’institut Ethics & Boards, la part des femmes dans les comex des entreprises du CAC 40 atteignait 18,2 % en juillet 2019, contre 7,3 % en 2009 : au rythme de progression actuel, il faudrait trente-trois ans pour atteindre la parité dans les instances de direction des vedettes de la cote. En parallèle, 20 % des entreprises du SBF 120 ne comptent que des hommes dans leur premier cercle de pouvoir, dont cinq sociétés du CAC 40 : ArcelorMittal (sur 7 membres), Bouygues (sur 9), STMicroelectronics (sur 9), Vinci (sur 12), Vivendi (sur 7).
Au rythme de progression actuel, il faudrait trente-trois ans pour atteindre la parité dans les instances de direction des entreprises du CAC 40
« C’est la leçon de la loi Copé–Zimmermann sur les conseils d’administration, sans les quotas, rien de bouge. La féminisation des comex est très faisable. Les viviers de hauts potentiels au féminin existent », apprécie Michel Ferrary, professeur à l’Université de Genève et chercheur associé à la Skema Business School.
Ce texte de janvier 2011 avait imposé d’atteindre une part de 40 %, à terme, de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées, d’abord. « Cette loi s’est avérée une formidable réussite pour les grandes capitalisations. Même si les résultats sont inégaux pour les entreprises de plus petite taille, elle a permis de dédiaboliser les quotas », souligne Mme Grésy. Selon Ethics & Boards, les « boards » du CAC 40 qui comptaient 10,3 % de femmes en 2009 en recensent désormais 44,6 %.
Consultation publique
« En apportant une diversité de regard et de méthodes et une vision plus complète sur la stratégie, la loi Copé–Zimmermann a rendu les conseils d’administration plus efficaces », ajoute Agnès Arcier, présidente de la commission « parité » au sein du HCE. « Par contre, cette mesure n’a pas eu d’effet de ruissellement sur les instances de direction. C’est la suite logique que nous proposons. »
Après avoir envisagé des dérogations pour les secteurs peu féminisés, comme le BTP ou l’industrie lourde, le HCE a décidé que la règle devrait être la même pour tous. Un point qui ne manquera pas d’être débattu, le cas échéant, en fonction du contenu du projet de loi visant à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie, attendu en mars 2020.
Alors que l’égalité hommes-femmes a été déclarée « grande cause du quinquennat » d’Emmanuel Macron, une consultation publique a été lancée, le 3 décembre, par le gouvernement, afin de recueillir l’avis des Français. En un peu plus de dix jours, 13 000 participants se sont connectés sur le site Femmeseco.make.org : 1 600 propositions sur la manière de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle ou favoriser l’égalité salariale ont été formulées, pour lesquelles 80 000 votes ont, à ce jour, été recensés.