« Les fermetures de petits commerces risquent de ruiner en partie l’ambition de renforcer la cohésion des territoires »
Chronique. Hélène Wasselin a eu une belle idée pour dénoncer la fermeture des petits commerces jugés « non essentiels » par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 : photographier dans son salon de coiffure Esquisse de soi de Boulogne-sur-mer (Pas-de-Calais), torse nu et de dos, ses collègues victimes comme elle de ce couperet administratif, puis les poster sur les réseaux sociaux avec ces mots : « La Covid nous met à terre ! L’Etat nous met à poil ! » Cette indépendante est aussi conseillère municipale (PS). Il arrive parfois que la boutique et la politique fassent cause commune.
Cette décision, « c’est un crève-cœur pour moi », a confessé le premier ministre, Jean Castex. On veut bien croire l’ancien maire de Prades, dans les Pyrénées-Orientales. Et les milliers d’élus, toutes couleurs politiques confondues, qui s’inquiètent de voir leur cœur de ville s’arrêter définitivement de battre. De Béziers à Aurillac et de Chalon-sur-Saône à Argenton-sur-Creuse, ils ont manifesté et pris des arrêtés municipaux – aussi symboliques qu’illégaux – pour autoriser l’ouverture de tous les magasins. Et certains ont trouvé un bouc émissaire facile, Amazon, accusé de prospérer sur la misère de la boutique.
Pas de doute, le géant du commerce en ligne a tiré un énorme profit de la crise sanitaire, amplifiant les craintes d’un petit commerce en retard de numérisation et celles des grandes surfaces. Sa capitalisation boursière a gonflé de 500 milliards d’euros depuis le début de la pandémie pour atteindre 1 400 milliards. Il a déjà avalé 20 % des parts du marché français des ventes en ligne, et l’e-commerce ne redescendra pas à son niveau d’avant-Covid. Le groupe de Jeff Bezos continue de tisser sa toile, avec le soutien d’élus bénissant les centaines d’emplois créés dans ses « usines à colis » de 50 000 m2 sur plusieurs étages, ses centres de tri et ses points de livraison, qui écoulent aussi quantité de produits made in France.
« L’humanité de notre cité »
Y a-t-il de quoi réveiller la guerre des « petits » contre les « gros », vigoureuse dans les années 1950-1970 ? Ou relancer le mouvement des « gilets jaunes », comme s’en inquiète un ministre ? « L’insurrection, nous ne la prônerons pas », rassure le président de la Confédération des commerçants de France, Francis Palombi, après le défilé de 500 d’entre eux à Bayonne. Pas de nouveau Pierre Poujade dénonçant des « trusts apatrides » ni de Gérard Nicoud, ces leaders populistes qui ont fédéré la colère des indépendants contre le fisc, la Sécu et les hypers. La grande distribution, elle-même en crise, s’est jointe aux attaques contre les purs acteurs d’e-commerce et tente de ranimer des boutiques… qu’elle a contribué à asphyxier.
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