Les chantiers du Grand Paris Express symptomatiques des conditions de travail du bâtiment
« Personne ne m’a appelée, on n’a même pas eu les condoléances d’Eiffage ou de la Société du Grand Paris. Pas un mot. » Karine Michel a perdu son frère Franck le 7 mars 2023, sur l’un des chantiers de la ligne 16 du métro francilien, s’inscrivant dans le projet du Grand Paris Express (GPE).
Chauffeur de 58 ans, envoyé par son entreprise des Hautes-Vosges, mandatée par un fournisseur du groupement d’entreprises mené par Eiffage, il est décédé au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) des suites d’un choc avec une charge lourde. « Alors qu’il rebâchait son camion après avoir déposé sa livraison, une personne qui n’était pas habilitée à le faire a utilisé un engin élévateur et la charge est tombée. Je n’ai pas envie que mon frère soit un fait divers de plus, que l’entreprise ne réagisse pas et qu’un jeune de 20 ans meure l’an prochain. »
Tandis que les accidents graves se comptent en dizaines (dix-huit depuis 2020 selon l’inspection du travail), le décès de Franck Michel est le quatrième sur les chantiers du GPE, lancés en 2016. Les très nombreux métiers présents sur ces chantiers colossaux cumulent pénibilité et risques. Ali Tolu, délégué syndical CGT et traceur chez Vinci, cite pêle-mêle les « problèmes de dos, de tendinite, le froid l’hiver, la chaleur l’été, la pollution, le stress des délais, le risque de chutes de hauteur, le travail le samedi, qu’on appelle maintenant “vendredi bis” tellement c’est fréquent d’y travailler ».
« Au moins un audit annuel par chantier »
Pourtant, la construction de 200 kilomètres de nouvelles lignes de métro, faisant travailler près de 8 000 personnes, se voulait exemplaire. « La sécurité de ces chantiers a été d’emblée une priorité, assure Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), avec notamment une charte de sécurité, actualisée onze fois depuis 2016, que s’engagent à respecter toutes les parties prenantes, sous peine de pénalités. Il y a au moins un audit annuel par chantier, afin de faire remonter d’éventuels dysfonctionnements. »
Dès qu’il y a une situation dangereuse, le chantier est arrêté, selon la SGP. « Dès le lundi qui a suivi le décès de Franck Michel, de la part du groupe, il y a eu une obligation d’un quart d’heure sécurité, une causerie avec l’ensemble des salariés qui travaillent sur les différentes opérations, avec une minute de silence, décrit un délégué syndical chez Eiffage Construction. C’est largement insuffisant. »
Malgré les dispositifs de prévention, risques et accidents graves demeurent surtout en raison du modèle économique du secteur du BTP, qui a très largement recours à la sous-traitance en cascade et à l’intérim. Selon une analyse publiée en mars 2023 par la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le risque d’accidents du travail est plus important chez les sous-traitants et les établissements recourant à l’intérim.
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