« L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? » : quand le management anesthésie la pensée

« L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? » : quand le management anesthésie la pensée

Pour Ibrahima Fall, la pandémie mondiale a agi comme un révélateur. Elle a mis en exergue une « crise du jugement », et notamment une « crise du jugement dans le management ». Le président fondateur du cabinet d’études Hommes & décisions, docteur en sciences de gestion Mines Paris-PSL, en veut pour preuve les fragilités apparues à cette occasion dans trois secteurs en raison des pratiques managériales à l’œuvre : la biodiversité, gérée comme « un facteur de production sur le marché », la recherche scientifique, comme « un portefeuille de projets à ROI [N.D.L.R. : Retour sur investissement] garanti », et les « hôpitaux, comme des hôtels ».

Dans son essai, « L’entreprise contre la connaissance du travail réel ?  » (L’Harmattan), M. Fall démonte avec précision la mécanique de ce management aux redoutables effets : « décorrélé de toute finalité qui ne serait pas économique », il est porté par des ambitions court-termistes, se refusant à prendre en compte les impacts sur le temps long des actions de l’entreprise sur les sphères environnementale, sociale et sociétale.

Surtout, ce management qui a cours aujourd’hui dans les organisations bien au-delà des seules sphères de la biodiversité, de la recherche ou de l’hôpital, tend à nier le « réel » et avec lui l’incertitude, la singularité des situations et des environnements. Il ne veut pas d’imprévu. Les procédures et les chiffres sont là pour donner un cadre.

En conséquence, la pensée est anesthésiée, la créativité empêchée. C’est « l’effondrement du questionnement dans les entreprises », analyse l’auteur. Et voici ainsi l’Homme résumé à « son versant travailleur ». Seule compte sa capacité à s’adapter au travail prescrit : on nie alors le nécessaire écart entre ce dernier et le travail réellement effectué.

Redonner une place centrale au réel

Pour ce faire, le travailleur doit disposer de soft skills (compétences comportementales), que le management met volontiers en avant. Cela permet, dans le même temps, « une déresponsabili[sation] totale des entreprises quant à la non mise en œuvre d’environnements capacitants, c’est-à-dire propices au développement des individus », relève M. Fall. L’Homme s’adapte, mais le travail, lui, n’est pas soumis au débat.

Cette philosophie gestionnaire qui s’accompagne d’une « infantilisation » du corps social de l’entreprise a des conséquences négatives sur les salariés. Elle est source d’un désengagement au travail et de problèmes de santé mentale. Elle peut aussi se révéler néfaste à long terme pour les organisations concernées.

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LJD

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