« Le télétravail est davantage un projet de société qu’une affaire de productivité »

Tribune. Télétravail ! Télétravail ! Télétravail ! Le monde entier va reprendre à l’unisson la rhétorique du bien-être de l’ère post-Covid-19. Le télétravail dépasse ainsi la sphère de l’économie pour devenir un enjeu de société. Mais le risque est alors de voir se créer un monde à deux vitesses, entre petites et grandes entreprises, entre l’élite du business occidental et le reste du monde.
En France, seulement 29 % des dirigeants d’entreprise disent vouloir pérenniser l’utilisation du télétravail (étude Viavoice pour Sopra Steria, 23 avril). Mais ce chiffre atteint 80 % parmi les dirigeants d’entreprises de plus de 1 000 salariés, et seulement 23 % parmi les patrons de PME de moins de 100 salariés !
Ainsi, les PME ne bénéficieraient pas des effets positifs de la numérisation sur la productivité. Pour certaines PME, le télétravail peut être synonyme de rallongement des circuits de décision, alors que c’est la proximité, la fluidité des échanges et la réactivité qui font leur richesse. D’autres déplorent des difficultés de paiement clairement dues au télétravail, quand ce n’est pas tout bonnement la qualité du travail qui est remise en cause. Et dans une très grande entreprise, on a déjà, de facto, l’habitude de travailler à distance ! Supprimer une place dans un open space d’une grande entreprise peut avoir un sens, mais fermer un bureau dans une PME n’en a pas vraiment.
Scepticisme et disparités
En moyenne, 78 % des dirigeants interrogés anticipent des effets négatifs du télétravail sur la productivité : 22 % anticipent un fort effet négatif, et seulement 15 % pensent qu’il n’y aura aucun effet sur la productivité. Ce scepticisme reflète plusieurs facteurs, qui restent spécifiques aux PME : les salariés doivent aussi s’occuper des enfants en bas âge, en prenant du temps non rémunéré ; le « stop and go » lié à la garde d’enfants accroît le nombre réel d’heures travaillées. Or c’est dans les PME que les salariés disposent le moins de moyens de garderie, contrairement aux grandes entreprises. Enfin, beaucoup de PME n’ont pas encore de processus et d’outils de communication et de collaboration fondés sur le télétravail, ce qui réduit d’autant la productivité.
De même, si le Covid-19 a accéléré à marche forcée l’usage du télétravail dans le monde, des disparités importantes existent selon les pays. Certes, selon les statistiques du Forum économique mondial (« The Future of Jobs Report », octobre 2020), 44 % des employés de la planète déclarent avoir été en mesure de travailler à distance pendant la pandémie, tandis que 24 % déclarent ne pas avoir pu le faire. Mais, parmi ces télétravailleurs, la plus grande part (38 %) exercent leur métier dans les pays à hauts revenus, 25 % dans les pays à revenus moyens supérieurs, 17 % dans les pays à revenus moyens inférieurs, 13 % dans les pays à faibles revenus.
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