« Le sujet des compétences socio-comportementales est trop important pour être confié aux seuls économistes »
Selon une note publiée jeudi 29 septembre par le Conseil d’analyse économique (CAE) et intitulée « Cap sur le capital humain pour renouer avec la croissance de la productivité », la croissance de la productivité ralentit plus vite en France qu’en Allemagne et aux Etats-Unis : ce qui constituerait un « enjeu macroéconomique de l’ordre de 140 milliards d’euros de PIB ».
Parmi les causes multiples de ce décrochage, les auteurs pointent du doigt l’insuffisance des compétences socio-comportementales (soft skills). Ils soulignent que les performances de la France sont décevantes dans les dimensions suivantes : instruction, coordination, perception sociale, négociation, résolution de problèmes complexes, jugement et prise de décision, et gestion des ressources.
Ils préconisent donc de « fixer des objectifs à moyen et long termes avec un système d’évaluation régulière des compétences socio-comportementales pour les élèves à l’échelle nationale ». Il s’agit « d’instaurer des tests standardisés, de même qu’il existe des évaluations annuelles en mathématiques et en français réalisées en début de primaire et de collège » pour « pouvoir suivre systématiquement l’état et l’évolution des compétences socio-comportementales dans les écoles ».
Les trois fausses routes du Conseil d’analyse économique
Ainsi, pour « structurer des politiques publiques ambitieuses avec des objectifs sur l’amélioration des soft skills, les procédures d’évaluation devraient être étendues à l’ensemble des écoles, inclure d’autres traits de personnalité, et être réalisées de manière régulière ». Il me semble que le Conseil d’analyse économique fait fausse route pour au moins trois raisons.
Tout d’abord, comparer les compétences socio-comportementales aux compétences en mathématiques et en français est une hérésie. La compétence socio-comportementale est assise sur une forte indétermination liée à la vie elle-même, que le jugement essaie de pallier, alors que les compétences en mathématiques et en français sont au moins en grande partie bornées par des règles objectives.
Comme nous l’apprend le philosophe Ludwig Wittgenstein (1889-1951) dans Recherches philosophiques (publié en 1953), lorsqu’il s’agit de jugement, « ce qu’on apprend n’est pas une technique ; on apprend des jugements corrects. Il y a également des règles, mais elles ne forment pas un système, et seuls les gens expérimentés peuvent les appliquer correctement. A la différence des règles de calcul. Ce qui est le plus difficile ici est d’exprimer l’indétermination correctement et sans la falsifier ». Il est donc illusoire de s’en remettre à des référentiels de compétences socio-comportementales.
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