« Le régime d’immigration français, prisonnier du passé, tourne le dos à ses intérêts »
Le Parlement a adopté définitivement, mardi 19 décembre, la loi sur l’immigration. La veille, El Mouhoub Mouhoud, membre du cercle des économistes, spécialiste des migrations internationales et de la mondialisation, a signé la lettre ouverte des dirigeants de grandes écoles et d’universités du pays pour déplorer le durcissement à l’égard des étudiants internationaux.
Vous appelez à un discours global sur l’immigration et pas seulement orienté vers les plus qualifiés. Quels peuvent être les effets économiques de la loi votée ?
On assiste à un recul inquiétant des arguments rationnels sur le sujet. J’ai signé l’appel des présidents d’universités car envoyer des signaux négatifs aux étudiants internationaux, c’est se couper de la possibilité de puiser dans les compétences mondiales, pour un gain économique nul.
Jusqu’ici, le discours politique français dominant visait à disjoindre les mauvaises migrations des bonnes : d’un côté les migrants non qualifiés, irréguliers ou issus du regroupement familial ; de l’autre, les talents qu’on disait encore vouloir attirer ou garder. Cela n’a pas marché : en dépit des progrès des entrées liées aux « passeports talents », l’attractivité de la France en matière de compétences mondiales reste en deçà des grands pays industrialisés.
Faire l’hypothèse qu’on peut tenir un discours de rejet de l’immigration tout en restant attractif pour les talents est illusoire. Plus les compétences sont élevées, plus les migrants choisissent leur pays d’accueil et sont sensibles aux discours politiques sur le sujet. La loi remet en cause des mécanismes d’intégration qui faisaient consensus, avec des effets qui seront négatifs.
La droite craignait que les régularisations ne créent un appel d’air incitatif. Qu’en est-il ?
Pas un seul papier sérieux d’économiste ou de démographe ne confirme cette idée. Les flux d’immigration à l’échelle mondiale sont déterminés par des facteurs structurels comme la mondialisation des échanges, les écarts démographiques, les crises géopolitiques et humanitaires ou les chocs technologiques.
Depuis une dizaine d’années, les délocalisations vers les pays à bas salaires ralentissent, tandis que les Etats promeuvent les relocalisations et la réindustrialisation. Plus une entreprise relocalise, plus elle va chercher des territoires à fort avantage technologique et de recherche et développement, plus elle va avoir besoin de compétences. La réindustrialisation est étroitement liée aux politiques de formation, mais aussi à l’attractivité des étudiants internationaux et de migrations qualifiées.
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